DETENUS POLITIQUES ET GREVE DE LA FAIM, UN COCKTAIL EXPLOSIF EN DEMOCRATIE
Moundiaye Cissé de l’ONG 3D, le pr et juriste Samba Thiam et le défenseur des droits de l’homme Pape Sène, ont partagé leurs opinions lors de leurs entretiens avec Le Témoin

Plus de 1000 prisonniers estampillés « détenus politiques ». Le chiffre fait tiquer et suscite bien des interrogations dans un pays jadis réputé pour l’exemplarité de sa démocratie et le respect des droits de l’homme. Des « détenus politiques » qui, pour attirer l’attention sur leur situation, ont choisi l’arme de la grève de la faim. Pour donner l’exemple, leur leader Ousmane Sonko a entamé diète totale et en était ce mardi à son 17ème jour sans se nourrir ni boire tout en refusant également que des soins lui soient administrés. Les grèves de la faim, entreprises par ces détenus à caractère politique, ont la capacité d’attirer l’attention sur des enjeux relatifs aux droits de l’homme, à la liberté d’expression et à la démocratie au sein d’un pays. Ces mouvements de protestation ont le pouvoir de susciter un intérêt à l’échelle nationale et internationale, incitant les individus à réfléchir aux questions politiques en jeu et à mettre en évidence d’éventuelles violations des droits de l’homme commises par les autorités. C’est dans ce contexte que Moundiaye Cissé, coordinateur de l’ONG 3D, le professeur et juriste Samba Thiam, ainsi que le défenseur des droits de l’homme Pape Sène, ont partagé leurs opinions lors de leurs entretiens avec Le Témoin. Ils estiment que détenus politiques et grève de la faim restent un cocktail explosif en démocratie.
Moundiaye Cissé : « Aucun détenu ne doit mourir en prison »
Moundiaye Cissé, acteur influent de la société civile sénégalaise et coordonnateur de l’ONG 3D, a partagé ses réflexions sur des questions cruciales touchant aux détentions, à la démocratie et à la justice dans notre pays. Son discours, empreint d’engagement et de lucidité, offre un profond aperçu de sa vision et de ses préoccupations concernant ces enjeux. Une des déclarations marquantes de Moundiaye Cissé concerne l’impératif de préserver la dignité humaine en toutes circonstances. Il affirme catégoriquement qu’aucun détenu ne doit mourir en prison, indépendamment de la nature de son emprisonnement. Cette position est destinée à souligner l’importance fondamentale du respect des droits de chaque individu, qu’il soit détenu pour des motifs politiques ou non. M. Moundiaye Cissé aborde également la question de la grève de la faim en tant que moyen de lutte et de résistance. Bien qu’il reconnaisse qu’elle puisse être un outil pour exercer une pression, il met en garde contre les conséquences dramatiques qu’une grève de la faim peut avoir, à la fois pour les détenus et pour les autorités du pays
Soulignant la complexité de ce sujet sensible, Moundiaye Cissé tient à établir le distinguo entre les détenus politiques et les acteurs politiques impliqués dans des actes de violence et de vandalisme. Pour lui, seuls les individus détenus en raison de leurs opinions politiques méritent d’être considérés comme des détenus politiques. Cette distinction soulève la question complexe de la frontière entre la liberté d’expression politique et les actes violents. En tant que coordonnateur de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé dit œuvrer activement en faveur de la paix et de la sérénité au Sénégal. Il décrit comment son organisation engage des discussions avec les autorités judiciaires et le ministère de la Justice pour promouvoir un environnement propice à la démocratie et à la justice.
Selon lui, la démocratie au Sénégal n’est pas à remettre en question mais plutôt à consolider. Il insiste sur l’importance des élections et de la presse libre comme piliers de la démocratie. Son appel est clair et concerne la nécessité de renforcer la démocratie en encourageant des actions positives et des décisions courageuses qui renforcent les fondements démocratiques du pays.
Un Appel à la Réflexion et à l’Action
Le patron de l’ONG 3 D apporte également une contribution significative au dialogue sur les questions des détentions, de la démocratie et de la justice. Ses réflexions approfondies appellent à une réflexion critique et à une action responsable pour créer un avenir équitable et démocratique pour tous les citoyens sénégalais.
Professeur Samba Thiam, juriste : entre le Droit et la Politique
Sur la grève de la faim des prisonniers politiques, le professeur Thiam souligne que le droit n’aborde pas directement cette pratique car il reconnaît que chacun a le droit de disposer de son corps comme bon lui semble. La grève de la faim est ainsi vue comme une décision personnelle et politique, plutôt que comme un sujet de droit.
Selon le professeur de droit Samba Thiam, la grève de la faim est une action politique qui dépasse le cadre du droit. Alors que la détention d’un individu est un sujet judiciaire, le choix de recourir à la grève de la faim en tant que moyen de protestation est une démarche politique. La grève de la faim est perçue comme une expression de désaccord avec les conditions d’incarcération plutôt que comme une question de droits juridiques.
Notre interlocuteur juriste insiste sur le fait que la grève de la faim est une décision personnelle, politique et non juridique. Elle reflète la volonté de l’individu de protester contre des conditions perçues comme injustes. Cette perspective met en lumière la complexité de la relation entre le droit et la politique, montrant que certaines actions transcendent les limites légales pour exprimer des idéaux et des revendications.
Président du comité sénégalais des droits de l’homme, M. Pape Sène évoque la question des détenus politiques et la pertinence de la grève de la faim
Le président du Comité sénégalais des droits de l’homme (CSDH), Pape Sène, exprime des réserves quant à l’utilisation de cette expression soulignant que, dans son expérience, il est conscient de l’existence de détenus poursuivis pour des infractions de droit commun. Selon lui, la notion de détenu politique peut être complexe à évaluer, notamment lorsque les infractions sont des crimes ordinaires traités par des juges d’instruction et commis par des gens présumés innocents jusqu’à preuve du contraire. Cette mise en contexte souligne, selon le président du Csdh, l’importance de faire preuve de prudence lors de l’utilisation de ce terme de « détenus politiques ».
En ce qui concerne la grève de la faim en tant que moyen de protestation, M. Pape Sène estime que les détenus ont le droit de choisir cette voie pour attirer l’attention sur leurs revendications. Cependant, il s’inquiète quant aux conséquences de cette action sur la santé des individus concernés. De son point de vue, la grève de la faim ne devrait pas être considérée par un détenu comme une option favorable pour obtenir la libération ou attirer l’attention des autorités. À la place, il a recommandé aux détenus de s’engager dans le processus judiciaire en faisant valoir leurs droits et en explorant les voies légales pour obtenir des mesures provisoires telles que la libération sous caution
Pape Sène a également mis l’accent sur le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans ce contexte. Selon lui, leur mission est de veiller à ce que les droits de la défense soient respectés et que les procédures légales soient suivies. D’après lui, leur rôle n’est pas de se substituer aux juges mais de s’assurer que les droits des individus sont protégés tout au long de la procédure.
Le président du comité sénégalais des droits de l’homme a également abordé la question de la confiance dans le système judiciaire. Il exhorte les citoyens à avoir confiance dans la justice sénégalaise et à éviter de discréditer systématiquement les décisions judiciaires. Selon lui, les défenseurs des droits de l’homme doivent jouer un rôle actif en encourageant la confiance envers la justice tout en travaillant pour résoudre les problèmes et les retards éventuels qui peuvent survenir
Enfin, Me Pape Sène plaide en faveur d’un équilibre entre le respect des droits fondamentaux des citoyens et la sécurité nationale. Il appelle à un renforcement de la sécurité pour lutter contre les attaques terroristes tout en soulignant l’importance d’une justice indépendante et équitable pour maintenir l’Etat de droit et la démocratie.