DIOMAYE VICTIME D'UN "HOLD-UP" DIPLOMATIQUE À ABUJA
Le président sénégalais, qui comptait sur des garanties reçues en amont, s'est fait souffler la présidence de la CEDEAO par une coalition anglophone menée par le Nigeria

(SenePlus) - La délégation sénégalaise peinait à masquer sa colère en quittant Abuja dimanche soir. Bassirou Diomaye Faye, qui s'était envolé vers la capitale nigériane le 21 juin avec l'assurance de prendre la tête de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), a finalement vu la présidence lui échapper au profit de Julius Maada Bio, président de la Sierra Leone, selon les révélations d'Africa Intelligence.
Selon le média spécialisé, ce revirement spectaculaire résulte d'une mobilisation de dernière minute du camp anglophone. Julius Maada Bio aurait rallié dès la soirée du 21 juin le soutien crucial de Bola Ahmed Tinubu, président sortant de la CEDEAO. Le chef de l'État nigérian, qui supervisait les débats lors du huis clos, a "activement œuvré auprès des États anglophones pour faire pencher la balance en faveur de son homologue sierra-léonais, au détriment de la candidature francophone", rapporte Africa Intelligence.
Cette manœuvre diplomatique a provoqué "l'agacement du camp francophone", qui considérait pourtant Bassirou Diomaye Faye comme "le symbole d'un renouveau au sein d'une organisation au leadership plus que jamais fragilisé", souligne la publication.
L'échec sénégalais s'explique aussi par l'absence remarquée de plusieurs chefs d'État francophones au sommet d'Abuja. Selon Africa Intelligence, seul Patrice Talon, président du Bénin, avait fait le déplacement aux côtés de Bassirou Diomaye Faye. Ni le président ivoirien Alassane Ouattara, ni le Togolais Faure Gnassingbé n'étaient présents, "retenus par des obligations internes".
Cette absence a été utilisée comme argument contre la candidature sénégalaise, traduisant selon les opposants "une marque de désaffection pour les affaires de la CEDEAO". Un handicap majeur qui "a pesé lourd dans les équilibres lors des débats", analyse le média.
Pour convaincre ses pairs, Julius Maada Bio a joué sur l'argument personnel, "rappelant qu'il entamait la fin de son dernier mandat et qu'il s'agissait de sa dernière opportunité d'accéder à cette fonction", face à un Bassirou Diomaye Faye "élu il y a un peu plus d'un an", selon Africa Intelligence.
Mais cette désignation passe d'autant plus mal côté francophone que le profil du nouveau président fait débat. Le média rappelle qu'en 2023, Julius Maada Bio "avait été visé par une interdiction de visa américain, dans le sillage d'une élection controversée dont le Département d'État avait pointé le manque de transparence". Plus récemment, il est "également suspecté d'avoir fermé les yeux sur la présence d'un important trafiquant de drogue dans son pays", le Néerlandais Jos Leijdekkers, condamné à vingt-quatre ans de prison et "aperçu en janvier 2025 à proximité de Julius Maada Bio et de sa famille lors d'une messe".
Ce revers illustre l'affaiblissement structurel du bloc francophone au sein de la CEDEAO. Africa Intelligence souligne qu'avec le retrait de trois États membres de l'Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) et la suspension de la Guinée, le camp francophone "a perdu quatre voix majeures". D'ultra-majoritaire "jusqu'en 2020 avec huit États membres, il ne compte aujourd'hui plus que quatre pays actifs, contre cinq pour le bloc anglophone".
La présidence de Julius Maada Bio constitue ainsi "une troisième présidence anglophone" consécutive, après celles de Nana Akufo-Addo (Ghana) et de Bola Tinubu (Nigeria). Le dernier francophone à avoir dirigé l'organisation était le Nigérien Mahamadou Issoufou en 2019, rappelle le média spécialisé.
Pour Bassirou Diomaye Faye, cette défaite diplomatique constitue un premier revers international majeur depuis son arrivée au pouvoir en mars 2024. Elle soulève aussi des interrogations sur la capacité du Sénégal à peser dans les équilibres régionaux face à un Nigeria qui continue d'exercer son hégémonie sur l'Afrique de l'Ouest.