FEU SUR LES CHRONIQUEURS ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Il faut en finir avec ces convocations de la DIC et autre DSC qui servent de prétexte à l’opposition pour entretenir la tension politique et éventuellement troubler l’ordre public

M. Badara Gadiaga, chroniqueur de l’émission du « talk » « Jakaarlo bi » de la télévision TFM, affirme face au député de Pastef Amadou Ba le 4 juillet dernier que le délit de « corruption de la jeunesse » pour lequel le premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko avait été condamné en fait pour viol.
Il est convoqué par la Division spéciale de cybersécurité (DSC). En même temps que son interlocuteur l’honorable Amadou Ba. Il doit répondre de plusieurs chefs d’accusation : « discours contraires aux bonnes mœurs, diffusion de fausses nouvelles et offense à une personne exerçant les prérogatives du président de la République ». Atteinte à la liberté d’expression ?
Il y a eu auparavant, en janvier dernier, Abou Diallo, chroniqueur lui, de l’émission « les Grandes Gueules » de la Sen TV.
Il avait appelé les populations du Fouta à se soulever contre l’arrestation du député Farba Ngom accusé de corruption et dont l’immunité parlementaire venait d’être levée. Face aux enquêteurs « il a assumé ses propos sous l’assistance de ses conseils…. il s’est défendu, disant qu’il est dans le cadre politique, en rappelant des discours d’Ousmane Sonko ».
Il a été placé en garde à vue pour « discours ou déclarations de nature à inciter à la discrimination ethnique ». Atteinte à la liberté de la presse ?
Il y a aussi le cas de Bachir Fofana, « journaliste et activiste en ligne » poursuivi à la suite de la plainte du président de l’Assemblée nationale El Malick Ndiaye, qui estime avoir été diffamé dans une série de publications sur les réseaux sociaux, accusé d’avoir attribué frauduleusement un marché public. Après son audition, le « journaliste et activiste en ligne » a été déféré, puis incarcéré dans l’attente de son procès prévu en flagrant délit le 3 juillet 2025 devant le tribunal de Dakar. Atteinte à la liberté d’expression ?
Faut-il rappeler l’affaire Abdou Nguer qui sur le plateau de l’émission « Grandes Gueules » de Sen TV du 11 février 2025 a mis en cause la légitimité de la nomination de l’instituteur Gassama au Grand Prix du chef de l’État pour l’enseignant ? Droit de chroniqueur?
Ne tirons pas sur les chroniqueurs ?
S’ils sont pénalement répréhensibles pour avoir proféré des diffamations et attentes à l’honneur et à la dignité de personnes et autres incitations à la discrimination ethnique, ils n’en sont pourtant pas les premiers responsables.
Ce sont nos télévisions : ces « arbitres de l'accès à l'existence sociale et politique », qu’il faut mettre en cause.
Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer nos émissions de « talks » avec celles des chaînes françaises dont elles sont les pales copies.
Regardez "On n'est pas couché" sur France 2, "C à vous" sur France 5, "C dans l'air" sur France 5), C à Vous sur TF1, Quotidien sur TMC (filiale de TF1), Un bruit qui court sur Cnews, etc. C’est professionnel de bout en bout.
L’animateur, souvent un journaliste vedette, expérimenté, garde la maîtrise du rythme et du ton, évite de prendre parti dans le débat, modère plutôt, redistribue la parole équitablement interrompt si le ton devient trop agressif et recentre sur le sujet. Il/Elle rappelle à l’ordre un chroniqueur ou un invité s’il de respect à un participant ou même s’il s’éloigne du sujet.
On voit bien que les sujets sont très bien préparés à l’avance, avec des angles définis et des questions balisées. Les journalistes, les chroniqueurs et la rédaction ont été briefés à l’avance et un cadrage éditorial a été partagé pour éviter toute digression et improvisation.
Les chroniqueurs et invités sont choisis, non pas pour leur capacité à générer de la polémique ou du « buzz », mais pour leur compétence, par exemple pour avoir écrit sur le sujet. Si le sujet est particulièrement controversé, on choisit des chroniqueurs de différentes sensibilités et on s’efforce d’équilibrer les points de vue. Le respect de la déontologie est de rigueur : équité dans le temps de parole, argumentation plutôt que personnalisation du débat, neutralité du présentateur, appel à la vérification des faits…
La part du régulateur et celui de la justice
Malgré le professionnalisme des producteurs et présentateurs, les « talks » français donnent lieu pourtant régulièrement à des « dérapages » qui portent atteinte aux droits et libertés.
Mais ces « dérapages » provoquent presque toujours l’intervention soit du régulateur ('Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique-ARCOM- anciennement Conseil Supérieur de l’Audiovisuel -CSA-) soit celle de la justice pénale.
On se souvient par exemple de la sortie d’Éric Zemmour déclarant en qualité de chroniqueur sur le talk « Salut les Terriens « que “la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes”. Sur la plainte de plusieurs associations de la société civile, il a été attrait devant le tribunal et condamné pour « incitation à la haine raciale » à 1 000 euros d’amende avec sursis et plus de 10 000 euros de dommages et intérêts.
Le même Éric Zemmour sur le plateau de Salut les Terriens qualifie le prénom de la chroniqueuse Hapsatou Sy “d’insulte à la France”. Celle-ci porte plainte : condamnation pécuniaire d’Eric Zemmour. Quant à la sanction du régulateur, elle est graduée, de la simple mise en demeure, à l’amende qui s’élève quelques fois à plusieurs millions d’euros.
Elle s’est élevée par exemple à 3, 5 millions € contre la télévision C8 à travers le présentateur de l’émission « Touche pas à mon poste », Cyril Hanouna, pour atteinte à la liberté d’expression politique et à la dignité du débat parlementaire après avoir insulté un député sur son plateau.
La leçon française
Que nous dit la régulation des émissions avec chroniqueurs des télévisions françaises ? L’impératif du professionnalisme !
Les organisations professionnelles, les rédactions ainsi que les organes de régulation et d’autorégulation doivent chacun à son niveau de responsabilité imposer les règles professionnelles strictes aux télévisions, ainsi qu’aux quotidiens et publications en ligne du reste. Si non, le régulateur doit sévir sans faiblesse. Par des sanctions graduées, des simples rappels à l'ordre à des amendes, à la suspension et au retrait de l'autorisation d'émettre.
Autre leçon : privilégier systématiquement la sanction pécuniaire.
Il faut en finir avec ces convocations de la Direction des Investigations Criminelles (DIC) et autre Division Spéciale de la Cybersécurité (DSC) qui servent de prétexte à l’opposition pour entretenir la tension politique et éventuellement troubler l’ordre public. Ne pas lésiner par contre sur les amendes.
Tout média contraint à une amende de plusieurs dizaines de millions, s’obligera plus sûrement au respect des règles professionnelles et éthiques élémentaires que si le chroniqueur, ou le journaliste, était trainé devant les tribunaux.
Pour le reste, gageons que le citoyen sénégalais consommateur de médias n’est pas dupe des chroniqueurs et des médias en général, il comprend bien les motivations et voit à travers les discours.