Il Y A 14 ANS, LA RÉVOLUTION CITOYENNE DU 23 JUIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Contrairement aux analyses réductrices, le 23 juin 2011 constitue le jour de l'An de la révolution citoyenne sénégalaise. Cette journée historique a consacré le triomphe de l'idée républicaine sur la dérive monarchique de Wade

Le 23 juin 2021, après le déferlement de violences de février et mars 2021, deux grandes manifestations sont organisées à Dakar, l’une par la majorité et l’autre par l’opposition, pour célébrer le dixième anniversaire du 23 juin 2011. Après coup, le duel à distance que l’on croyait terminé se poursuivit de manière inattendue, croisant les regards du journaliste Yoro Dia et nous-même sur la qualification du grand épisode politique commémoré.
« 23 juin : Ce n’était pas la révolution » (Dia, 2021)
« Mais c’est une révolte ? – Non, Sire c’est une révolution. » C’est la réponse du Duc de La Rochefoucauld à Louis XVI qu’on a réveillé la nuit du 14 juillet pour lui annoncer la prise de la Bastille. L’histoire donnera raison au Duc sur le Roi, parce que ce n’était pas une révolte, mais une véritable révolution, qui finira par guillotiner le Roi. Pour le 23 juin 2011, dont on célèbre l’anniversaire aujourd’hui, on peut dire l’inverse. C’était une révolte, pas une révolution. C’était un sursaut politique, une révolte démocratique, mais pas une révolution. Quand il y a révolution, il y a un changement radical de régime ou même de système politique. Avec la Révolution française que Hegel qualifiait de « superbe lever de soleil », les Français ont coupé la tête du Roi, aboli la monarchie et proclamé la République. Les Américains ont fait la même chose en coupant le cordon ombilical avec la monarchie britannique pour proclamer leur République. En 1979, les Iraniens ferment le cycle ouvert en 1789, quand l’imam Khomeiny proclame à son tour la République après la fuite du Shah.
Le Printemps arabe a entraîné une véritable révolution en Tunisie et en Égypte, où la parenthèse a été rapidement fermée avec le bonapartisme et la Restauration initiée par SISSI. Le 23 juin, il n’y a pas de changement de régime ni de système et, contrairement à Louis XVI, WADE ne sera guillotiné que démocratiquement lorsque la présidentielle de 2012 a été organisée à date échue.
Les démocraties sont à l’abri des bourrasques et des furies de la Révolution grâce à l’alternance. La révolution en démocratie se passe toujours dans les urnes. Plus qu’une révolte démocratique, l’alternance de 2000 fut une véritable révolution démocratique, car le Sénégal est passé d’une ère (40 ans de Socialisme) à une autre. Les démocraties (je parle des vraies démocraties, où l’élection est un véritable mécanisme de remise en jeu du pouvoir) ont dompté et domestiqué les révolutions grâce à l’alternance démocratique au pouvoir. C’est du bon sens. Pourquoi prendre les armes quand on peut changer pacifiquement et démocratiquement les choses et le cours de l’histoire, comme en France en 1981, au Sénégal en 2000 et 2012 ?
C’est pourquoi, en démocratie, après alternance il y a toujours des réformes pour prendre en charge le message déposé dans les urnes. Les Anglais ont été le premier Peuple à le comprendre. Ainsi, depuis la Glorieuse Révolution de 1688, ils font des réformes pour éviter les révolutions alors que les Français refusent toujours les réformes et attendent la Révolution comme le grand soir, que les alternances enverront toujours aux calendes grecques. La grande sociologue Theda Skocpol nous dit : « On ne fait pas la révolution, elle finit par arriver. » Même si on ne peut parler de révolution le 23 juin, la grande révolte du 23 juin a fini par arriver et honnêtement, elle a surpris tout le monde, aussi bien le pouvoir que l’opposition, car aucun politique ne s’attendait à l’ampleur prise par cette révolte populaire spontanée.
Donc, aucune chapelle politique ou un camp de la société civile ne saurait s’approprier ou utiliser comme une rente ou un tremplin un mouvement populaire spontané, où les hommes politiques sont venus à la remorque et font la dissonance cognitive en réécrivant l’histoire, chacun à sa manière, pour tirer le drap politique de son côté.
« Une révolution citoyenne ! » (Diop, 2014)
Grosse bourde Yoro ! Ce n’est pas en rappelant l’histoire des autres que l’on écrit sa propre histoire.
Le 23 juin 2011, la République du 23 juin a renversé la Monarchie du 23 juin avant que l’Assemblée nationale ne la consacre par un vote de la majorité d’alors pour exclure 3 Sénégalais sur 4 du suffrage universel direct et égal.
Comment renverser une monarchie non encore établie ? C’est la question à laquelle il nous faut sans doute répondre. La consécration avait bien eu lieu lors d’un conseil des ministres qui entérina le projet de loi défendu en plénière, le 23 juin 2011, par le Garde des Sceaux ministre de la Justice Cheikh Tidiane Sy.
Les éclairages sur la véritable nature du régime du président Wade ont duré plus de 10 ans (2000-2011). Yoro Dia ne s’y est vraiment jamais intéressé sur la période. Jamais de mémoire de Sénégalais, les ouvrages sur la gouvernance du président Wade et sur le personnage lui-même n’ont préparé les esprits à l’assaut final contre la citadelle du népotisme dont nous avons personnellement rendu compte à travers le concept de libotisme - dérivé du mot lingala libota (la famille) -, pour désigner la politique de la famille dont Wade était l’inventeur.
Le 23 juin 2011 était donc l’aboutissement d’une longue marche commencée dès avril 2000 dont on connaît les figures de proue et le soubassement moral, éthique, intellectuel et politique grâce auquel avait été assurée la jonction de l’idée (torpillée) de République avec un soulèvement populaire inédit. On appelle Révolution cette jonction et non la reproduction à l’identique de ce qu’il s’est produit ailleurs aux États-Unis, en France et sous d’autres cieux à travers le monde.
« Les faits, écrit Mamadou Dia, sont têtus et font seuls l’Histoire. » Les Révolutions anglaises posent le principe de l’État de droit que Locke (1632-1704) théorise dans ses Traités du gouvernement civil (1690).
La Révolution américaine, correspondant aux événements entre 1774 et 1787 (13 ans), se solde certes par l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique du Nord et la création de la république des États-Unis d’Amérique. Mais le soulèvement des colonies ne devient révolution qu’en 1776 quand la rébellion est menée par de remarquables personnalités (Jefferson, Madison, Franklin, Adams, Hamilton et Washington) soucieux, inspirés par la pensée des philosophes du siècle, de construire un État conforme au cartésianisme éthique et politique des Lumières.
En 1789 en France, les circonstances et l’inexpérience d’une classe politique moins préparée que ne l’était, un siècle plus tôt, son homologue anglais de 1688 ont conduit à de sanglantes dérives et ont fait le lit de la dictature. Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin du XIXe siècle, sous la IIIe République, que se concrétise le projet des hommes de 1789.
Chez nous au Sénégal, nous renvoyons Yoro Dia à l’ouvrage collectif cosigné par 21 citoyens dont l’intitulé rend bien compte d’une « révolution démocratique et citoyenne » :
« M23 : Chronique d’une révolution citoyenne » (Les Éditions de La Brousse, 2013)
Nous admirons, chez Yoro Dia, le talent de narrateur de l’histoire des autres. Mais son pays en a aussi une de révolutionnaire couronnée le 23 juin 2011. S’il n’en était pas ainsi, Yoro vivrait dans une dynastie des Wade dont le peuple souverain a brûlé, Place Soweto, le pacte d’esclavage ce jour-là.
Contre-Révolution
La Contre-Révolution désigne - acception extensive -, toutes les formes d’opposition à la Révolution dont l’une des plus réductrices est l’assimilation à une révolte sans boussole. L’acception restreinte limite, elle, la Contre-Révolution à la contestation idéologique des principes révolutionnaires.
Pour l’essentiel, une démarche contre-révolutionnaire est considérée comme une « idéalisation du passé » opposée à l’entreprise révolutionnaire de « construction de l’avenir ». Que faire alors du présent ? En 1688 en Angleterre, le « retour aux institutions traditionnelles dévoyées par la royauté » avait été suffisant pour le triomphe de la Révolution anglaise.
Le 23 juin 2011 n’aurait pas eu lieu, si les figures de proue, en Assemblée générale la veille, au centre culturel Daniel Brottier tout près de la Place de l’Indépendance à Dakar, n’avaient pas le sentiment que ce qui était possible le 19 mars 2000 ne le serait plus en février ou mars 2012 si rien n’est fait. L’unique cri de ralliement - « Touche pas à ma Constitution » -, était donc bien celle d’une révolution qui se poursuivit jusqu’au référendum du 20 mars 2016. Depuis cette date, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, rendant encore fécond le débat suscité par le journaliste Yoro Dia.
Yoro Dia est connu pour son élégance dans le débat d’idées... Dire que le 23 juin 2011 fut le point culminant d’une révolution citoyenne dont les jalons sont posés, année après année, entre avril 2000 et juin 2011, honore, preuves à l’appui, l’observateur politique devenu Docteur en science politique au terme d’un remarquable effort de recherche. « Ses balises » dans les colonnes du journal Le Quotidien avaient été assez courues. Mais Yoro Dia s’attendait à ce qu’une de ses balises soit un jour mal posée. Celle qui lui a fait dire que le « [23 juin 2011] n’était pas une révolution » est hors du mouvement de l’Histoire.
Le 23 juin 2011 correspond incontestablement au jour de l’An de la Révolution citoyenne et de la République du même nom.
Abdoul Aziz Diop est ancien porte-parole du Mouvement du 23 juin dont il préside la Commission Communication du 16 juin 2011 au 11 février 2012.