«IL Y AURA DES INCIDENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES NON ENCORE MAITRISABLES»
Le docteur Yaya Niang, chercheur en Droit public à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, estime que cette décision favorisera une concentration des pouvoirs de l’Exécutif qui reviennent au chef de l’Etat.

Le Docteur Yaya Niang, chercheur en Droit public à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, estime que cette décision peut être un argument opérant du point de vue de l’action administrative, mais avec des incidences juridiques et politiques non encore maîtrisables
Un gouvernement sans Premier ministre, ce sera la nouvelle configuration de l’équipe gouvernementale qui va travailler à mettre en œuvre la vision du président Macky Sall. Cette question suscite moult interrogations. Mais le docteur Yaya Niang, chercheur en Droit public à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, estime que cette décision favorisera une concentration des pouvoirs de l’Exécutif qui reviennent au chef de l’Etat. « Ça pourrait justifier que c’est seul le président de la République qui est élu directement au suffrage universel. Mais dans nos démocraties modernes, on a tendance à déconcentrer le pouvoir, à distribuer du pouvoir et des responsabilités. Cette suppression va permettre une concentration de tous les pouvoirs de l’Exécutif entre les mains du président de la République », fait savoir Yaya Niang, non sans préciser que l’exercice du pouvoir au sein de l’Exécutif était jusque-là partagé entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement. Mais, précise le Docteur Yaya Niang, cette suppression annoncée est fondée et justifiée du point de vue de l’efficacité administrative. Car, fait-il remarquer, le président Macky Sall a fait part de sa volonté de rendre « plus efficaces ses actions » pour répondre avec célérité aux demandes, notamment celles de l’emploi des jeunes. « Du point de vue de l’administration, de l’efficacité, du pragmatisme de l’administration, étant donné qu’il y avait le bicéphalisme au sein de l’Exécutif, on va ramener les activités primatoriales et les rattacher directement à la présidence. Donc, cette justification peut être invoquée », argumente-t-il. Toutefois, la suppression du poste de Premier ministre peut avoir « des incidences politiques et juridiques non encore maîtrisables », selon M. Niang.
S’agissant de l’incidence juridique, indique-t-il, le Sénégal a un régime hybride, avec des éléments à la fois d’un régime présidentiel et des éléments d’un régime parlementaire. « Et parmi ces éléments d’un régime parlementaire, il y a ce qu’on appelle les moyens d’actions réciproques entre l’exécutif et le parlement. Le président de la République a un moyen d’actions parce qu’il peut dissoudre l’Assemblée nationale après deux ans de législature. Et l’Assemblée nationale peut aussi voter une question de confiance ou une motion de censure pour faire tomber le gouvernement. C’était le Premier ministre qui en assurait la responsabilité politique ». Selon M. Niang, la question que l’on se pose est celle de savoir si la fonction de Premier ministre disparaît, est-ce que le président de la République continuera à disposer de la prérogative de dissoudre l’Assemblée nationale étant donné que celui qui en assumait la responsabilité politique n’existe plus ?
Sous l’angle politique, précise-t-il, c’est le Premier ministre qui servait de bouclier et recevait les coups pour qu’ils ne tombent pas directement sur l’institution présidentielle. Donc, si la fonction de Premier ministre disparaît, souligne-t-il, le président de la République doit faire face directement à la responsabilité politique. Ainsi il sera question de savoir, si le président de la République est prêt à remplacer le Premier ministre pour pouvoir engager sa responsabilité politique devant la représentation nationale. Car, explique-t-il, « le président de la République est élu au suffrage universel direct et la légitimité dont il est titulaire, aucun autre élu ne la dispose ». Selon le chercheur, seule la formulation du projet de texte pourra édifier sur ces questions délicates.
Un couteau à double tranchant !
Cette réorganisation de l’Exécutif pourrait être un couteau à double tranchant, avertit le Docteur Yaya Niang. « Jusque-là, seul le président de la République connaît le contenu du projet parce qu’il n’y a pas encore de texte, mais on se limite aux motifs invoqués, à savoir rendre efficace davantage l’action du gouvernement pour répondre avec célérité aux demandes ». Cette suppression peut rendre efficace l’action administrative qui n’a rien à voir avec l’action politique avec ses incidences juridiques. « Ça peut régler des problèmes ponctuels du point de vue de l’action administrative, mais tout en soulevant des questions politiques et juridiques dont on ignore encore les réponses. Si le Pm s’efface, celui qui l’avait couvert va s’afficher et c’est le président de la République ». Le texte, à en croire le Docteur Niang, doit dire si le président de la République va continuer à disposer de ses prérogatives de dissoudre l’Assemblée nationale. Car, soutient-il, s’il continue à avoir cette prérogative, il faudrait, qu’en retour, qu’il accepte d’engager sa responsabilité politique devant l’Assemblée nationale. Sans quoi, fait-il remarquer, il n’y aura pas de réciprocité. « Soit il n’y a plus d’actions et on est dans un régime présidentiel pur et dur. Ou bien le président de la République garde toujours sa prérogative de dissoudre l’Assemblée nationale, et l’Assemblée nationale peut engager la responsabilité du président de la République, ou faire disparaître les deux et rester dans un régime présidentiel typique. Ça c’est du point de vue juridique, il faut qu’on règle cette question », explique le Docteur en droit public.