LA FRANCE POURSUIVIE POUR THIAROYE
Le fils d'un tirailleur tué lors du massacre de 1944 a déposé plainte à Paris contre l'État français pour « recel de cadavre ». Cette procédure vise le ministère de la Défense, accusé de dissimuler des informations sur le lieu d'inhumation des victimes

(SenePlus) - La justice française est désormais saisie d'une affaire qui ravive les plaies du passé colonial. Mbap Senghor, fils de Biram Senghor, l'un des tirailleurs sénégalais massacrés à Thiaroye le 1er décembre 1944, a franchi un pas décisif dans son combat pour la vérité historique. Selon Jeune Afrique, son avocat Me Mbaye Dieng a déposé ce 24 juin une plainte pour « recel de cadavre » devant le procureur général du tribunal de grande instance de Paris.
Cette procédure judiciaire inédite vise directement les institutions françaises. « Le recel de cadavre consiste notamment à faire obstruction à la découverte d'un corps en ne transmettant pas les informations nécessaires », précise Me Mbaye Dieng, cité par JA. L'avocat de la famille Senghor pointe du doigt un aspect méconnu mais crucial de cette affaire : « La France, ancienne puissance coloniale, est partie avec des archives qui permettraient de savoir où le corps de Biram Senghor a été enterré », détaille-t-il.
Bien qu'il s'agisse d'une « plainte contre X », Me Dieng demande explicitement que l'enquête se concentre sur « le rôle des institutions françaises, et en particulier du ministère de la Défense », rapporte le média panafricain. Cette stratégie juridique originale pourrait contraindre les autorités françaises à ouvrir leurs archives sur cette page sombre de l'histoire coloniale.
Biram Senghor fait partie des six tirailleurs à avoir été déclarés « morts pour la France » par les autorités françaises en juillet 2024, selon Jeune Afrique. Une reconnaissance tardive pour ces soldats qui figurent parmi les 300 à 400 soldats africains tombés sous les balles des troupes coloniales lors du massacre du 1er décembre 1944 - un bilan bien supérieur aux 35 morts officiellement reconnus par les autorités françaises.
Cette démarche judiciaire constitue « une initiative personnelle du dernier descendant direct et vivant des tirailleurs de Thiaroye » et « n'est pas liée aux travaux engagés depuis plusieurs mois par la commission d'historiens et de juristes mise en place par les autorités sénégalaises », précise Jeune Afrique. Cette commission, chargée de faire la lumière sur les événements de décembre 1944, n'a « pour l'heure, pas rendu ses conclusions définitives, qu'elle doit remettre au Premier ministre Ousmane Sonko et au président Bassirou Diomaye Faye ».
Les enjeux de cette bataille mémorielle dépassent le cadre purement judiciaire. Selon Jeune Afrique, « parmi les pistes envisagées par ces experts » de la commission sénégalaise figure « une requalification juridique de ce que certains historiens désignent comme un "crime d'État" ». Une telle qualification juridique pourrait ouvrir la voie à de nouvelles procédures et renforcer les demandes de réparations.
Sur le terrain, les recherches se poursuivent. « Des fouilles archéologiques ont été lancées en mai dans le cimetière militaire et sur le site du camp militaire proche, avec l'objectif, selon les autorités sénégalaises, de mettre au jour de nouveaux éléments qui aideraient à "la manifestation de toute la vérité" », indique le média.
Cette plainte française marque une nouvelle étape dans un contentieux historique qui empoisonne les relations franco-sénégalaises depuis des décennies. En s'attaquant directement aux archives françaises, Mbap Senghor tente de forcer la transparence sur l'un des épisodes les plus sombres de la colonisation française en Afrique de l'Ouest.
Le massacre de Thiaroye, longtemps occulté par les autorités françaises, refait ainsi surface dans les prétoires, quatre-vingts ans après les faits. Une démarche qui pourrait contraindre la France à lever le voile sur des documents historiques jusqu'ici jalousement gardés.