LA SOCIÉTÉ CIVILE BRÛLE LE PROJET DE MACKY
Le projet de loi portant suppression du poste de Premier ministre n’enchante guère la société civile sénégalaise qui juge unilatérale la démarche entreprise par le chef de l’Etat

La décision prise par le président Macky Sall de supprimer, de manière cavalière, le poste de premier ministre de l’architecture institutionnelle du Sénégal, est fortement déplorée par les membres de la Société civile. De l’avis de Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty international/Section Sénégal, «la réforme aurait dû d’abord faire l’objet de discussions ou de concertations». Avant de rappeler : «le président, dans son discours à la nation, a annoncé sa volonté de dialoguer avec la classe politique et toutes les forces vives de la nation». Pour lui, cette réforme ne doit pas se traduire par une concentration de pouvoirs au palais. «Il ne faut pas que le palais devienne le lieu où tout se décide, où tout se fait. il faut éviter que Boun Dionne devienne un Jean colin bis. Parce que Boun Dionne ne sera plus premier ministre, mais il sera certainement plus puissant à la présidence que quand il était à la primature. Beaucoup de gens, dans son parti, considèrent que ce poste est un tremplin pour la présidence de la république. En supprimant ce poste, il supprime cette idée ou il compte retarder la guerre de succession», indique-t-il. En outre, M. Gassama estime que «le président a manqué l’occasion de donner une consistance au dialogue qu’il veut entreprendre avec l’opposition, la Société civile, les forces vives de la nation». Un autre acteur majeur de la Société civile, Valdiodio ndiaye, coordonnateur de «Sunu élection», déplore lui aussi la démarche cavalière du chef de l’état. «Supprimer comme ça, de manière unilatérale, quelques articles de la constitution, forcément, ça va impacter sur le fonctionnement de l’état. Et en conséquence, nous savons tous quel était le rôle du premier ministre. le premier ministre, c’est lui qui était chargé de l’animation de l’action gouvernementale. Maintenant, si ce poste est supprimé, ça va impacter également sur les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif», souligne M. Ndiaye.
Seydi Gassama : «Le Président a manqué l’occasion de donner une consistance au dialogue»
Et de renchérir : «donc, sur ce rapport-là, il n’y aura plus de responsabilité du gouvernement devant le parlement. il n’y aura également plus cette possibilité qui était offerte à l’assemblée de pouvoir introduire une motion de censure contre le gouvernement. Donc, l’un dans l’autre, il est évident qu’en termes de constat, ces changements sont des changements majeurs. Maintenant, est-ce que l’argumentaire qui a été avancé, qui consiste à revoir le fonctionnement des institutions, au nom du principe de la diligence dans l’exécution des actions de l’état, justifie cette suppression ? là, on sera obligé d’observer pour voir ce que ça va donner». Valdiodio ndiaye pense qu’il était important d’en discuter avec l’ensemble des acteurs politiques, «parce que l’opposition représente 42% des suffrages». Du côté des «Y en a marristes», c’est «Kilifeu» qui est monté en première ligne pour asséner ses vérités. «Avec Macky Sall, on prie le bon dieu qu’il fasse ses 5 ans et qu’il quitte le pouvoir. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Macky Sall fait tout ce qu’il veut et personne ne dit rien. Nous sommes toujours dans notre rôle d’alerte et de veille, mais on dirait que les Sénégalais ne comprennent pas. Juste un exemple : lorsque nous avons sorti notre single ‘Saï-saï’, il y a des hypocrites qui nous ont traités de tous les noms d’oiseau, alors qu’on ne faisait qu’alerter le peuple, leur dire : ‘attention. le jour où vous allez donner un second mandat à Macky Sall, il va montrer sa vraie nature’», martèle-t-il.
«Kilifeu» : «Tôt ou tard, la bulle va se dégonfler, et ce jour-là, ça peut déborder»
Le rappeur du groupe «Keurgui» d’enchaîner : «personne ne nous a pris au sérieux. Des gens ont dit que nous sommes impolis. Maintenant, nous sommes des artistes et on dépend de notre art pour vivre. là, actuellement, nous sommes en studio. On revient de voyage aux États-Unis. On essaye de jouer notre partition pour le développement du pays. Maintenant, on les laisse avec Macky Sall, d’autant plus qu’ils disent que le peuple l’a élu à 63%». Toutefois, «Kilifeu» ne compte pas abdiquer : «l’heure n’est plus à la radote. il faut agir. Mais, nous seuls, on ne peut pas tout faire. Je pense que les Sénégalais n’en ont pas encore marre. le jour où ils en auront marre, ils sortiront en masse pour dire : ‘ça suffit’. Que chacun et chacune prennent ses responsabilités. a notre retour de voyage, nous avons croisé beaucoup de marchands ambulants qui criaient leur désarroi. et si toutes ces forces frustrées faisaient un bloc pour sortir en masse dans la rue pour montrer qu’elles sont fatiguées. Mais, chacun veut rester dans son coin et dire : ‘Oui y en a marre doit parler, il doit agir’. alors que quand on parle, on nous insulte après. ah, à un moment donné, il faut dire stop et laisser comme tout le monde. et ça nous permet de travailler aussi, car on ne dépend ni de Macky, ni de l’etat, pour vivre». très en verve, le «Y en a marriste» enfonce le clou : «la presse honnête a fait son travail, personne n’a réagi. des gens honnêtes ont alerté, personne n’a voulu rien entendre. On laisse Macky faire ce qu’il veut, personne ne réagit. Or, les gens ne connaissent pas Macky, c’est quelqu’un qui aime le pouvoir. S’il pouvait se multiplier en 50 hommes, il ne nommerait personne à un poste. ‘dafa beug nek bur di bum, di bumi’. Sinon, comment comprendre la décision de supprimer le poste de premier ministre ? Pour ne rendre compte à personne. il fait tout ce qu’il veut, ça ne passera pas. Je suis sûr qu’un jour, et ça arriver tôt ou tard, la bulle va se dégonfler. Et ce jour-là, ça peut déborder».
AbdourahMane SOW, coordonnateur de la COS/M23 : «Macky Sall revêt sa gestion du manteau de la dictature»
la commission Orientation et Stratégies du Mouvement du 23 juin (cOS/M23) dénonce, par la voix de son coordonnateur, la démarche du chef de l’état dans sa volonté de procéder à la suppression du poste de premier ministre. «Le président de la république, Macky Sall, a, de manière surprenante et unilatérale, décidé de la suppression du poste de premier ministre, dans l’architecture gouvernementale du Sénégal. Une décision qui, dans sa mise en œuvre, engendrera, évidemment, de profonds changements dans les relations entre les institutions de ce pays, au-delà des réformes conséquentes à cette volonté politique, par des révisions de la constitution du Sénégal», indique Abdourahmane Sow. Avant d’ajouter : «encore une décision cavalière et politique, qui pose une fois de plus, la question de la bonne foi quant à l’appel au dialogue du président de la république à l’endroit des acteurs politiques et de la Société civile».
Pour M. Sow, «une décision aussi importante, du point de vue de son impact constitutionnel sur la marche du pays, devrait être précédée de concertations et de consultations avec l’opposition, pour asseoir les bases du dialogue pour le renforcement des acquis démocratiques et républicains». Même si le leader de la COS/M23 reconnaître «les prorogatives constitutionnelles du président de la république dans ses rapports avec le premier ministre, notamment en l’article 49 de la constitution du Sénégal». A l’en croire, le président Sall pouvait saisir cette occasion pour poser les jalons du dialogue national, «par l’implication de l’opposition dans des décisions aussi importantes». «Même si le mode ‘Fast-Track’ est évoqué pour lever les lenteurs administratives et accélérer la cadence pour des résultats probants, nous estimons que les risques d’un régime hyper présidentiel avec la concentration de tous les pouvoirs dans les seules mains du président de la république, fait froid au dos. Néanmoins, force est de reconnaître que «le premier ministre Boun Abdallah n’est point Mamadou dia», soutient-il. En tout cas, la COS/M23 dénonce «cette manière cavalière, érigée en règle par Macky Sall, consistant à revêtir sa gestion du manteau de la dictature». M. Sow recommande «le respect des principes d’ouverture, de concertation et de dialogue, pour éviter au Sénégal de sombrer, à cause de désirs inassouvis de pouvoir, dans la politique politicienne». Par ailleurs, il considère que «la Société civile sénégalaise doit assumer ses responsabilités par des positions claires et bien définies, dans le strict intérêt du Sénégal».