L'AES, MIRAGE OU RÉALITÉ ?
Entre rupture avec l'Occident et rapprochement avec Moscou, l'Alliance des États du Sahel redessine la carte géopolitique ouest-africaine. Mais derrière les effets d'annonce, les réalisations concrètes de cette union anti-Cédéao restent limitées

(SenePlus) - Un an après sa création formelle le 7 juillet 2024, l'Alliance des États du Sahel (AES) peine à concrétiser ses ambitions confédérales. Malgré les annonces répétées de coopération renforcée entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, cette union née de l'opposition à la Cédéao manque encore d'incarnation institutionnelle.
Portée par trois militaires arrivés au pouvoir par des coups d'État - Assimi Goïta au Mali, Ibrahim Traoré au Burkina Faso et Abdourahamane Tiani au Niger - l'AES affiche une devise ambitieuse : "un espace, un peuple, un destin". Pourtant, selon Jeune Afrique, "l'Alliance des États du Sahel souffre encore d'un défaut d'incarnation concrète. Hormis le drapeau aux trois étoiles et au baobab, ainsi que le logo apposé sur les communications régulières, l'AES ne dispose à ce jour d'aucune structure permanente. Pas de siège, pas de budget dédié, aucun fonctionnaire détaché."
L'alliance repose sur une idéologie commune mêlant "revendication d'un panafricanisme radical et défense du souverainisme", comme le souligne le magazine panafricain. Les trois dirigeants partagent également "leur autoritarisme et leur manque d'empressement à organiser les élections qui doivent marquer le retour à l'ordre constitutionnel dans leur pays respectif", une situation qui "pour l'heure, ne semble pas altérer leur popularité au sein de larges franges des opinions publiques sahéliennes".
Cette mise entre parenthèses démocratique n'empêche pas les trois capitales de multiplier les rencontres ministérielles et les annonces de coopération. Le second sommet des dirigeants, prévu pour décembre prochain à Bamako, verra Assimi Goïta passer la main de la présidence tournante de la confédération.
L'AES accorde une importance cruciale au contrôle narratif. Fin décembre 2024, les chaînes d'État des trois pays - l'ORTM du Mali, la RTB du Burkina et la RTN du Niger - ont signé une convention prévoyant "la coproduction de contenus audiovisuels, l'échange de programmes et, surtout, la création d'une télévision, d'une webTV et d'une radio commune".
Cette volonté de "contrôler la communication" et de lutter contre la "désinformation" s'accompagne d'une répression accrue des voix dissidentes. Jeune Afrique note que "entre suspensions de diffusion de médias internationaux et locaux (...) et arrestations, voire disparitions, de journalistes jugés trop critiques : la liste des atteintes au droit de la presse est longue."
Le pivot vers Moscou
L'alliance sahélienne s'inscrit dans une stratégie de rupture avec les partenaires occidentaux, "France en tête, accusés de visées néocolonialistes". La Russie de Vladimir Poutine apparaît comme le nouveau partenaire privilégié. La visite conjointe des ministres des Affaires étrangères de l'AES à Moscou, le 4 avril dernier, avait "une signification particulière" selon Sergueï Lavrov, qui avait insisté sur la volonté du Kremlin de "contribuer par tous les moyens au renforcement du potentiel des forces alliées des États du Sahel".
Cette coopération, qui s'étend "du déploiement des hommes d'Africa Corps, l'organisation qui a succédé à la nébuleuse des mercenaires russes de Wagner, à la signature d'accords de partenariat sur les mines ou encore l'énergie", se renforce dans tous les domaines.
Sur le plan militaire, une "Force unifiée" de 5 000 hommes "a plusieurs fois été annoncée, mais n'a pour l'heure pas été formellement mise en place". L'AES s'appuie néanmoins sur "une défense aérienne mutualisée, notamment via les drones TB2 turcs" et organise des opérations conjointes contre la menace jihadiste.
L'intégration économique avance plus concrètement. Une Banque d'investissement confédérale sera "financée par le biais de ponctions sur les taxes douanières". Les trois États cherchent également à "reprendre la main sur leurs ressources naturelles stratégiques : en particulier l'uranium au Niger et l'or au Burkina Faso et au Mali".
Parmi les mesures déjà effectives figure "la facilitation du transit frontalier des motos, principal moyen de transport en zone rurale". Des projets d'envergure sont annoncés : "la construction d'une centrale électrique confédérale, et un chemin de fer Bamako–Ouagadougou–Niamey, avec des extensions vers Abidjan et Cotonou" pour "briser l'enclavement sahélien".
L'AES mise sur une stratégie culturelle ambitieuse. Le ministre malien de la Culture, Mamou Daffé, n'a pas hésité à qualifier la confédération de "puissance culturelle mondiale". Les premiers Jeux sportifs de l'AES se sont tenus à Bamako fin juin 2025, suivis du Forum des Jeunes dans la capitale malienne.
Comme le souligne Jeune Afrique, "à défaut d'institutions solides, les évènements festifs et médiatisés s'enchaînent". Cette quête identitaire vise à unifier le "peuple" sahélien autour d'un récit commun, "quitte, parfois, à réécrire l'histoire".
Un an après sa création, l'AES reste donc un projet en devenir, oscillant entre ambitions géopolitiques et contraintes institutionnelles, entre ruptures assumées et continuités héritées de la Cédéao.