«LE RAPPORT D’UNE COMMISSION PARLEMENTAIRE N’A AUCUN CARACTERE COERCITIF»
Avocat à la Cour, maître Abdoulaye Babou est une personne autorisée pour parler d’une commission d’enquête parlementaire. Il revient, dans cet entretien, sur le travail de cette dernière, sa composition et ses prérogatives…

Comment travaille une commission d’enquête parlementaire ?
La mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire est du ressort de l’Assemblée nationale qui prévoit sa création dans son règlement intérieur. Elle est créée par une résolution votée en plénière. Elle est constituée en fonction de la représentativité des députés dans les groupes parlementaires. Généralement, le groupe majoritaire compte beaucoup plus de membres que les autres groupes. La commission d’enquête parlementaire doit représenter une photographie de l’Assemblée nationale. Une fois les membres connus, la commission se réunit en son sein et nomme un bureau et des membres. Une fois la composition connue et les procédures établies, on donne à la commission un délai. Celui-ci peut aller jusqu’à quatre ou six mois et être renouvelé.
Sur quoi porte généralement une Commission ?
Elle porte sur une question d’intérêt général ou national. Il faut préciser qu’avec la création de la commission d’enquête parlementaire ou au moment où travaille cette commission, et que le tribunal ou le juge se saisit de la question, elle est obligée d’arrêter ses travaux.
Comment se fait la saisine du juge dans ce cas de figure ?
Lorsqu’une question est posée comme c’est le cas en l’espèce, le procureur de la République qui a l’opportunité des poursuites juge de l’opportunité d’ouvrir une information ou pas. Si l’on ouvre une information, un juge d’instruction est saisi par le procureur et la commission d’enquête s’arrête. Si rien n’est fait, comme c’est le cas en l’espèce, la commission peut continuer son travail, tant que la justice n’aura pas ouvert une information. Lorsque la commission termine son travail, elle produit un rapport. Généralement la commission nomme un rapporteur et ce dernier, le moment venu, va déposer son rapport. Le document est connu et partagé par tous les membres de la commission. Il arrive que la commission transmette son rapport à la plénière de l’Assemblée nationale pour un partage des résultats. La commission peut faire aussi des recommandations dans un sens ou dans un autre, mais elle a pour but d’éclairer l’Assemblée nationale. Elle n’a pas pour but de prendre une décision. Elle doit motiver son rapport en précisant les éléments sur lesquels elle s’est appesantie pour parvenir à telle ou telle conclusion.
Qu’est-ce qui se passe si un député ne défère pas à la convocation ? Est-ce qu’il peut y avoir des sanctions en son encontre ?
Non ! à moins qu’il y ait changement du règlement intérieur. J’ai fait dix ans à l’Assemblée nationale et j’ai quitté depuis 2012. En son temps, l’essentiel, c’était que la commission délibère à la majorité.
A qui sont destinées les conclusions du rapport de la commission d’enquête et à quoi servent-elles ?
C’est l’Assemblée nationale qui crée des commissions ; donc lorsque les membres ont fini de faire leur travail, ils s’adressent au président de l’Assemblée à qui ils remettent leur rapport, avec les pièces annexes. Et c’est au bureau de l’Assemblée de décider de l’exploitation ou non du rapport de la commission.
Vous avez été parlementaire pendant deux mandats. Avec le recul, comment jugez-vous le travail des commissions parlementaires ?
J’avoue que les résultats des commissions parlementaires sont mitigés. On a eu à connaître la mise sur pied de commissions parlementaires qui n’ont pas fonctionné. Les députés ont sollicité à bien des égards la mise sur pied de commissions parlementaires sur des sujets bien définis, mais il arrive aussi que les demandes formulées n’aient eu aucune suite. Je n’ai pas souvenance, encore que ce soit extrêmement rare, d’une commission d’enquête qui ait fini de remplir la mission qui lui a été confiée, qu’il y ait une suite judiciaire ou non. Dans l’affaire des chantiers de Thiès, il y avait une commission d’enquête parlementaire, mais celle-ci n’a pas déposé ses résultats.
Vous êtes juriste et vous avez une expérience parlementaire avérée, est-ce que cela nécessite une réforme ?
Cela dépend de l’Assemblée nationale qui, en son sein, doit décider des mesures adéquates. Le rapport d’une commission parlementaire n’a aucun caractère coercitif. Il donne uniquement des pistes. Si l’on peut suivre les conclusions d’une commission d’enquête qui recommande par exemple des changements, cela dépend de l’autorité. Si l’autorité estime que les conclusions sont pertinentes, cela peut avoir une suite judiciaire. Mais pour une poursuite judiciaire, on n’a pas besoin d’une commission d’enquête parlementaire. Le procureur de la République est bien outillé pour saisir un juge d’instruction sur la question par un réquisitoire en lui demandant d’enquêter dans un sens ou dans un autre. Le Code de procédure pénale donne des pouvoirs élargis à un juge d’instruction pour enquêter sur un supposé crime ou délit. Cela aurait été plus simple pour le procureur de la République de donner une orientation parce que les accusations et les présomptions d’accusations dans ce dossier sont suffisamment sérieuses pour qu’une enquête puisse être ouverte. Cela ne peut en aucun cas mettre en mal une personne qui est toujours présumée innocente. Mais, après tout, il faut comprendre aussi que le procureur a une tutelle et cela peut aller du procureur général jusqu’au garde des Sceaux ministre de la Justice. Le procureur peut avoir des raisons que nous-mêmes n’avons pas mais le temps de la justice n’est pas le temps du commun des mortels.