L’IMPITOYABLE REVANCHE DES INSTITUTIONS DE LA RÉPUBLIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - En "suspendant" son mandat de député tout en restant Premier ministre, Sonko pensait pouvoir jouer avec les règles institutionnelles. Il vient de découvrir que l'Assemblée nationale a ses propres lois, et qu'elles sont impitoyables

L’Histoire nous apprend que lorsque nous remontons loin dans le temps, les institutions que les sociétés humaines se sont librement données ont toutes été assez bien pensées et mises en place pour demeurer en voyant passer les dépouilles des fondateurs et/ou de leurs héritiers. Et pour celles et ceux des héritiers les plus jeunes, le récit institutionnel tel qu’il leur parvient de leurs contemporains ne manifeste le moindre ride. Quand ils n’en tiennent pas compte, comme c’est le cas chez nous depuis mars 2021, le retour de bâton suffit à ratiboiser les boursouflures de celles et ceux parmi eux dont l’éducation et la formation laissent à désirer et qui, dans leur vie professionnelle, sont astreints à entrer en contact avec les commodités et les textes pensés qui donnent vie et longévité aux institutions.
L’éloge des institutions
Qu’il ait été inspiré par le présent ou pas, l’éloge des institutions est un hommage aux précurseurs lointains dont il convient de faire le rappel succinct des modes d’organisation au quatre coins de ce qui est devenu le Sénégal indépendant.
Dans le Sine et le Saloum, la hiérarchisation sociale plaçait l'aristocratie Guelwar au-dessus des tiédo, de la masse paysanne, des artisans, des griots et des esclaves du buur. Mais, l'organisation politique était fondée, elle, sur un système de partage des pouvoirs entre le souverain, le grand Diaraf chef des roturiers et le grand Farba, chef des esclaves et de l'armée. Le souverain dépendait ainsi d'une assemblée qui le contrôlait dans l'exercice du pouvoir. Les deux royautés, organisées selon des modèles démocratiques, disposaient chacune d'une loi fondamentale puisqu'elles consacraient toutes les deux la séparation des pouvoirs.
Il faut se rendre au sud du Sénégal pour constater que les Diolas forment une société à peu près comparable où le pouvoir dépend pour chaque village d'une assemblée démocratique de notables.
L'histoire du Djoloff a longtemps été marquée par des luttes avec le Cayor. Le Walo s'illustra, on le sait, par des guerres avec les Etats maures du Trarza, au Nord, et le Cayor, au sud, ainsi que par un grand nombre de luttes intestines entre branches dynastiques rivales. Mais les récits rapportent une vie politique proche de celle du Cayor qui permettait au roi, le brak, de gouverner par l'intermédiaire d'une assemblée, le Sebag baor, dont les principaux dignitaires étaient le Dyogomay, maître des eaux, le Diaodin, maître de la terre, et le Malo chargé des finances.
Par suite du démembrement du Djoloff, l’histoire du Cayor fut dominée par les guerres fratricides avec le Baol, dont les chefs, les tègne, étaient apparentés aux damel. Au Tekrour, dans le Fouta Toro, Koli Tenguéla, agrandit son domaine aux dépens de l'empire du Djoloff, en guerre contre le Cayor qui faisait sécession.
Les institutions démocratiques de la République du Sénégal moderne ont donc une histoire. « La démocratie sénégalaise, écrit Mamadou Dia dans Lettres d’un vieux militants (Compte d’auteur, 1991), n’est pas fille des temps modernes ; elle est enfant légitime de nos traditions démocratiques sublimées dans des luttes historiques. Ceux qui tentent de lui substituer le produit altéré de leur alchimie politicienne oublient que les faits sont têtus et font, seuls, l’Histoire. »
Plus près de nous, interrogé, le 23 décembre 2022 sous le contrôle, plutôt admiratif de son maître le professeur Mamoussé Diagne, par le journaliste Pape Alioune Sarr - animateur de l’émission Les Belles lignes sur itv -, Souleymane Bachir Diagne prononça, je le cite, des phrases puissantes sur les institutions dont je fis, après coup, la transcription : « Nous ne nous rendons pas compte que la seule barrière entre nous et la jungle, entre nous et l’état de nature, ce sont les institutions. C’est la raison pour laquelle nous devons tenir aux institutions comme à la prunelle de nos yeux. Les institutions tiennent en bride notre côté animal. Dès lors que nous nous mettons à traiter les institutions par-dessus la jambe, que nous considérons que les institutions elles-mêmes n’ont aucune importance, évidemment nous laissons libre cours à nos sentiments les pires. Dès lors que nous nous mettons à remettre en question les institutions à tout propos, il n’y a plus de digue particulière pour la violence. »
Un temps pour la revanche
Je ne connais pas éloge et mise en garde plus poignants que celui du philosophe de la traduction qui me fit penser, plus tard, qu’au-delà de la police interne à chaque institution de la République comme celle de l’Assemblée nationale, les institutions ont les moyens immatériels de prendre leur impitoyable revanche sur les personnes physiques qui s’attaquent à elles pour avoir été éconduites au terme de leurs délibérations ou qui, délibérément, se refusent à se conformer aux textes qui les organisent.
Souleymane Bachir Diagne raconte : « Un jour, en pleine réunion dans la salle de Conseil des professeurs de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, un étudiant casse une bouteille au coin d’une table et se met à menacer un autre étudiant avec lequel il était en désaccord.»
« Ce jeune étudiant, poursuit le philosophe, n’avait aucun sens du caractère institutionnel de la salle de conseil des professeurs. La salle de conseil des professeurs a une signification institutionnelle… et c’est essentiel. »
Pour conclure, l’actualité est alors commentée dans son historicité par le grand invité : « La violence à l’Assemblée nationale dit quelque chose de notre société. »
Le 27 décembre 2024, le Premier ministre nommé par le nouveau président, élu le 24 mars de la même année, prononce devant 165 députés son discours de politique générale au terme duquel il prend date avec la représentation nationale dont il troubla souvent les plénières pour 36 raisons. Altière, l’institution ne trébucha pas adossée qu’elle est à la Constitution et La loi organique n° 2019-14 du 20 octobre 2019 qui modifie et complète la loi organique n° 200-20 du 15 mai 2002 portant Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale du Sénégal.
L’orateur du 27 décembre dit « suspendre » son siège de député, élu le 17 novembre 2024, en prévision de la météo politique dont il est le plus gros perturbateur. Seulement voilà : l’ultime gifle qu’il infligea à l’institution se retourna définitivement contre lui. Le constitutionnaliste Mounirou Sy est sans équivoque lorsqu’il invoque « l’harmatia », le défaut fatal ou l’erreur de jugement : « l’ex-honorable Sonko » doit définitivement se contenter de la fermeture derrière lui des portes de l’Assemblée nationale pour toute la durée de la quinzième législature pour avoir choisi de continuer de siéger au gouvernement en tant que Premier ministre plutôt qu’à l’Assemblée nationale en tant que député élu au suffrage universel après la formation de son gouvernement.
L’épilogue n’aurait pas été considéré comme une impitoyable revanche de l’institution balafrée si l’insouciant n’avait pas déclaré il y a quelques jours seulement qu’il attend d’être limogé par le président de la République, avec qui plus rien ne va, pour retourner lui faire sa fête au milieu de ses 130 inconditionnels de l’Hémicycle de la Place Soweto. Impossible jusqu’à l’improbable dissolution en 2026. Impossible aussi s’il n’y a pas dissolution avant la fin, en novembre 2029, de la législature en cours.
Revanche impitoyable de l’institution ? C’en est vraiment une pour celui qui vient d’y installer 130 fantassins !