LOCALES 2022 : CONTENTIEUX ELECTORAUX, DANS LES COULISSES D’UNE COUR D’APPEL…
Ces derniers temps, les mots « préfet », « cour d’appel » et « recours » sont revenus fréquemment dans le débat public relativement aux contentieux sur les listes pour les élections locales du 23 janvier prochain.

La candidature du magistrat Cheikh Issa Sall sauvée par l’article 273 du Code électoral…
Ces derniers temps, les mots « préfet », « cour d’appel » et « recours » sont revenus fréquemment dans le débat public relativement aux contentieux sur les listes pour les élections locales du 23 janvier prochain. Et au lendemain du rejet de certaines de ces listes par des préfets, leurs mandataires n’ont eu d’autre recours que de saisir les Cours d’appel sur lesquelles ils fondaient tous leurs espoirs. A juste raison puisque, dans la plupart des cas, les juges des Cours d’appel ont rétabli les listes recalées par l’administration territoriale dans leurs droits. Au point de pousser le ministre de l’Intérieur, qui est pourtant un magistrat, à instruire ses préfets et sous-préfets de se pourvoir en cassation contre les arrêts des Cours d’appel ! Justement, dans quelles conditions ont été pris ces arrêts relatifs aux listes électorales ? « Le Témoin » a arpenté les coulisses des Cours d’appel pour le savoir…
Aux lendemains du dépôt des dossiers de candidatures pour les élections locales de janvier 2022, plusieurs coalitions de l’opposition avaient dénoncé le rejet de leurs listes au niveau des préfectures. Après la clameur médiatique et les dénonciations virulentes, les mandataires de ces coalitions avaient décidé de faire des recours judiciaires au niveau des Cours d’appel. Ils étaient bien inspirés puisque, dans de nombreuses localités, les Cours d’appel ont annulé les arrêtés des préfets et permis aux listes disqualifiées par ces derniers d’être dans les « starting blocks » le 23 janvier prochain. Par exemple à Matam et Saint-Louis, les préfets avaient invalidé les listes de la coalition Yewwi Askan Wi (Yaw). De même qu’à Thiès, Mbour etc. Statuant sur les recours déposés, les Cours d’appel de Saint-Louis et Thiès avaient tranché en faveur des requérants en ordonnant aux préfets de recevoir les listes qu’ils avaient rejetées.
Une assemblée de recours et de secours
Presque partout où des candidats recalés avaient eu le sentiment d’être lésés par les préfets ou des sous-préfets, les Cours d’appel sont apparues comme l’ultime recours, la dernière bouée de sauvetage, le réparateur de torts. Seulement voilà, dans l’entendement des profanes comme vous et moi, la Cour d’appel qui devait statuer sur les contentieux électoraux était celle-là même que nous connaissions tous ! Autrement dit, une juridiction de droit commun chargée de juger une nouvelle fois une affaire lorsque l’une des parties a fait appel d’un jugement rendu par une juridiction du premier degré. Une Cour qui, dans sa formation ordinaire et habituelle, est composée d’un président entouré par ses deux assesseurs. Une chambre collégiale devant laquelle comparaissent à longueur d’année les justiciables, parce que la décision rendue en première instance n’a pas satisfait une partie, voire le parquet. Une perception fausse car, en matière électorale, c’est une autre composition de la Cour d’appel « ordinaire » qui statue ! Une Cour d’appel vraiment…extraordinaire ! Car les Cours d’appel de Thiès, de Dakar ou de Saint-Louis, voire de Ziguinchor, devant lesquelles les coalitions « Yéwwi Askane Wi » « Wallu Sénégal », « Benno Book Yaakar », « Gueum sa Bopp » et « Union citoyenne Bunt-bi » ont déposé des recours, fonctionnaient en réalité comme des Assemblées administratives. N’est-ce Monsieur le juge ? « Effectivement ! Car en matière de contentieux électoral, on parle d’Assemblée administrative de la Cour d’appel et non de Chambre de la Cour d’Appel ayant un président et ses deux assesseurs siégeant à quelques mètres d’un avocat général » tient à préciser d’emblée ce magistrat qui a eu à siéger récemment dans une Assemblée administrative d’une Cour d’Appel où des recours de « Yéwwi Askane Wi » et « Benno Book Yaakar » ont été examinés et vidés.
Poursuivant, notre interlocuteur se lance dans une explication didactique. « Pour faciliter la compréhension de vos lecteurs, il convient de faire savoir que la juridiction qui connaît des contentieux électoraux est une Cour d’appel d’ordre administratif et non une Cour d’Appel d’ordre judiciaire ou financier. Tout dépend de leur importance mais selon qu’il s’agisse de certaines régions comme Dakar, Saint-Louis ou Kaolack, l’Assemblée générale d’une Cour d’Appel est composée d’une quinzaine voire d’une vingtaine de magistrats (siège et parquet) à savoir les présidents de chambre, les assesseurs, les procureurs et les greffiers. Par conséquent, contrairement aux affaires judiciaires où les dossiers sont jugés par le président et ses deux assesseurs après le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats des deux parties, en matière électorale, c’est une assemblée composée de tous les magistrats de la Cour d’appel concernée qui examine les recours ! Et les décisions concernant chaque recours sont prises à la majorité des voix… » ajoute notre interlocuteur magistrat.
Et de déplorer le mauvais procès que, selon lui, certains leaders politiques font à l’Exécutif. « Mais comment le pouvoir exécutif peut-il influencer une Assemblée composée d’une quinzaine ou vingtaine de magistrats dont les décisions sont prises à la majorité ? Impossible ! Donc il faut que les gens arrêtent de dire que le pouvoir exécutif use de son influence sur le processus électoral. C’est mal connaitre les assemblées administratives d’une Cour d’appel en matière électorale » se désole notre magistrat. Les coulisses de l’assemblée générale d’une Cour d’appel nous mènent au tribunal de grande instance de Thiès. Ici, il est question de statuer sur le recours déposé par une coalition de l’opposition (Yaw) contestant la candidature du magistrat Cheikh Issa Sall investi tête de liste de la coalition Benno Bokk Yakaar (Bby) à Mbour.
Selon le requérant, Pr Papa Moussa Saliou Guèye, le candidat Cheikh Issa Sall est inéligible à un mandat électif en raison de son statut de magistrat. « C’est pour cela que j’ai déposé un recours au niveau de la Cour d’Appel de Thiès aux fins d’annulation da la candidature de Cheikh Issa Sall, magistrat de profession et tête de liste majoritaire de la mouvance présidentielle à Mbour » avait expliqué le requérant selon qui Cheikh Issa Sall enfreignait les lois sur les incompatibilités de la fonction municipale et du statut de magistrat.
Messieurs les juges électoraux….
Pour examiner ce recours comme ceux relatifs à des rejets de listes par des préfets, la Cour d’appel de Thiès s’est réunie en assemblée générale. Il y a avait quatorze magistrats, siège et parquet réunis. Le recours aux fins d’annulation de la candidature du magistrat Cheikh Issa Sall fait partie du rôle du jour. Au bout de plusieurs heures de débats contradictoires, de plaidoiries et de batailles de procédures, nous rapporte-t-on, la majorité qui se dégageait tendait à donner une suite favorable à la requête du Pr Guèye en invalidant la candidature du magistrat Cheikh Issa Sall. Comme quoi, le candidat de Bby à Mbour n’était pas éligible. Alors que la cause paraissait entendue, un magistrat a demandé la parole. L’assemblée reste attentive ! « Je invite tous à lire et à examiner l’article 273 du nouveau code électoral » a-t-il conseillé avant de renvoyer ses collègues à l’article indiqué du code électoral. Justement, cet article en question que « Le Témoin » a revisité dit ceci : « Les Inspecteurs généraux d’Etat nommés dans le corps et les agents de l’Etat délégués dans les fonctions d’Inspecteur général d’Etat sont inéligibles. Toutefois, cette inéligibilité cesse en cas de sortie définitive du corps. Sont également inéligibles pendant l’exercice de leurs fonctions et pendant la durée de trois (03) mois après l’expiration de celle-ci :
1- Les membres du Conseil constitutionnel, les magistrats de la Cour suprême, de la Cour des Comptes et des Cours et des Tribunaux, sauf exceptions prévues par la loi.
2- Les gouverneurs, préfets et sous-préfets.
3 - Le Trésorier général, les payeurs, percepteurs et receveurs municipaux.
L’inéligibilité des personnes titulaires des fonctions définies à l’alinéa précédent s’étend, dans les mêmes conditions, aux personnes qui exercent ou ont exercé, pendant une durée au moins six (06) mois, ces mêmes fonctions sans être ou avoir été titulaires » lit-on dans le nouveau code électoral. A l’issue d’une longue délibération, l’article 273 et son « pendant » ont fini par donner raison à Cheikh Issa Sall avant que la Cour d’appel de Thiès ne valide sa candidature. Ce, dès lors qu’il n’est plus magistrat de la Cour des comptes. Et aucun statut professionnel ne le lie à ce « pendant l’exercice de ses fonctions ».
A Thiès, Kaolack et Saint-Louis, si l’assemblée générale d’une Cour d’appel d’ordre administratif tourne autour d’une quinzaine de magistrats, à Dakar, le nombre pourrait dépasser une vingtaine. Un nombre qui peut rassurer tout candidat sur l’impossibilité d’influencer, voire de manipuler, collectivement autant de juges électoraux appelés à vider les contentieux et autres litiges de lendemain d’élection. Mieux à la Cour d’appel d’ordre administratif ou électoral, les juges accordent assez de liberté aux requérants qui peuvent user de cette possibilité jusqu’à l’abus ! Comme ce fut le cas dans plusieurs localités où les juges ont rejeté de nombreux recours dont les requérants ont, par la suite, fait recours… aux médias. Toujours est-il qu’entre une Cour d’appel d’ordre administratif (Assemblée) et une Cour d’appel d’ordre judiciaire (Chambre classique), il y a toute une différence aussi bien dans la formation que dans l’organisation.