«MINIMISER LE MECONTENTEMENT POPULAIRE PEUT ETRE SOURCE DE TENSIONS ET D’INSTABILITE AVEC LE RISQUE …»
Les déballages au sein du parti au pouvoir, ainsi que la grogne des populations contre la hausse du prix de l’électricité, sont le corollaire de la gouvernance actuelle du pays, estime Maurice Soudieck Dione

Les déballages au sein du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), ainsi que la grogne des populations contre la hausse du prix de l’électricité sont le corollaire de la gouvernance actuelle du pays. C’est du moins la conviction du Docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione qui estime que le régime du président Macky Sall a «lamentablement échoué» sur ces questions de gouvernance démocratique, saine et transparente au service des Sénégalais. Interpellé par la rédaction de Sud quotidien hier, vendredi 20 décembre, l’Enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, qui reste formel sur la nécessité d’auditer la Senelec, a invité le régime à ne surtout pas minimiser le mécontentement populaire qui peut être source de tension et d’instabilité.
La situation politique est marquée ces temps-ci par une guéguerre au sein du parti au pouvoir et même au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar. Ajouté à la manifestation contre la hausse du prix de l’électricité, quelle analyse faites-vous de cette situation ?
C’est l’expression de problèmes de fond liés à la gouvernance et la traduction des effets pernicieux d’un pouvoir présidentiel hypertrophié. Sur les luttes intestines au sein du parti au pouvoir et de Benno Bokk Yaakaar, il convient de relever que l’Apr, en fait, a été mise en place pour servir les ambitions de pouvoir du Président Sall. De même, le dénominateur commun qui fait tenir Benno Bokk Yaakaar, c’est encore le Président Sall. On comprend dès lors que s’il en est à son second mandat, qu’il y ait des volontés sourdines et tacites qui se manifestent en vue de sa succession, et qu’il y ait des conflits larvés de positionnement à cette fin. Mais ces dissensions internes fragilisent le régime car elles mettent à nu des scandales de gestion dénoncées par des membres influents de la majorité au pouvoir ! Que ce soit sur les avantages fabuleux et indus obtenus par des opérateurs proches du pouvoir dans le secteur agricole, au détriment des bénéficiaires légitimes que sont les paysans, ou par rapport à l’octroi de financements sur une base politicienne ; ce qui nous amène à la problématique de la gouvernance. Il faut dire que c’est l’avènement de l’heure de vérité. Car on ne peut pas continuellement fonctionner à travers un système fondé sur l’accaparement éhonté, la dilapidation et la prédation des ressources publiques au profit d’une minorité, sans pour autant que personne ne paye la note au final. Lorsque le moment fatidique arrive, on se rend compte que ce sont les plus faibles, les plus démunis qui payent des pots qu’ils n’ont pas cassés, et que ceux qui sont les responsables de cette situation désastreuse restent impunis, et se barricadent derrière l’appareil d’État qu’ils utilisent contre leurs concitoyens.
Quid alors de la gouvernance dite vertueuse ?
Tous ces problèmes qui rattrapent le régime du Président Sall sont donc liés à la gouvernance. En effet, sous le magistère du Président Abdoulaye Wade, il y a eu la construction de beaucoup d’infrastructures et un bilan matériel plus qu’élogieux au regard des 40 ans de pouvoir des socialistes ; mais les Sénégalais avaient décrié une gestion gabegique, néo-patrimoniale, et le développement d’une corruption effarante à tous les niveaux, en plus des dérives autoritaires du régime, et de la volonté de s’arcbouter au pouvoir par tous les moyens, avec des velléités de dévolution monarchique du pouvoir. C’est tout cela qui a été à l’origine de la chute du Président Abdoulaye Wade. Le Président Sall arrivé au pouvoir en 2012, n’avait obtenu au premier tour de l’élection présidentielle que 26,58% des suffrages exprimés. Au second tour, le score de 65,80 % obtenu, témoignait d’une volonté de sanctionner clairement le Président Wade par les urnes, en condamnant sans équivoque sa gouvernance néfaste. C’est donc sur les questions relatives à un changement paradigmatique de gouvernance que le Président Sall était le plus attendu ; d’autant plus que c’est la mal gouvernance qui explique pour une très large part, les difficultés économiques et sociales du Sénégal depuis 1960, avec la période douloureuse de l’ajustement à partir de 1980, et qui a duré près de vingt ans ; elle a fait souffrir atrocement les populations, surtout les plus déshéritées, et hypothéqué l’avenir de beaucoup de jeunes. Mais c’est sur ces questions de gouvernance démocratique, saine et transparente au service des Sénégalais, que le régime du Président Sall a le plus lamentablement échoué, en perpétuant les mêmes pratiques clientélistes et népotistes, le gaspillage et le pillage des ressources publiques, surtout avec l’obsession du Président Sall d’obtenir un second mandat à tout prix. Voilà ce qui explique la situation plus que préoccupante que traverse le pays. À cela il faut ajouter les investissements faramineux engagés sans aucun sens des priorités en pérennisant le paradigme colonial de l’aménagement du territoire, en concentrant l’essentiel des activités et des investissements sur l’axe Dakar-Diamniadio-Dias, alors que Dakar étouffe littéralement ; au lieu de stimuler des dynamiques économiques dans les régions de l’intérieur du pays, à travers de réelles politiques de développement, au-delà des programmes d’urgence tels que par exemple le PUDC (Programme d’urgence de développement communautaire) et le PUMA (Programme d’urgence de modernisation des territoires et axes frontaliers). Cela limite considérablement les potentialités de création de richesses et de fixation des populations dans les différents terroirs du pays, et des jeunes notamment, qui développent des stratégies d’immigration clandestine, dont le bilan se révèle macabre pour les candidats au pseudo-Eldorado européen.
Quelle corrélation avec cette hausse du prix de l’électricité ?
Cette gestion nébuleuse qui cause tant de mal aux populations se manifeste dans le secteur de l’énergie, en ce sens que la hausse annoncée du prix de l’électricité a fédéré le mécontentement populaire. Car il s’agit d’une denrée précieuse, qui impacte toutes les entreprises et les ménages, donc susceptible par son renchérissement de mobiliser toutes les franges de la société, des jeunes aux adultes, jusqu’aux personnes du troisième âge. La SENELEC fait face depuis plusieurs décennies à des problèmes structurels. Ils sont liés entre autres à l’effectivité des initiatives de diversification de l’offre énergétique à travers le mix énergétique, à la lutte contre le vol de l’électricité, et au non-paiement des factures par beaucoup d’institutions publiques et privées. Il n’en demeure pas moins des problèmes relatifs à la gestion transparente et efficace de l’entreprise, car ces dernières années, le prix du baril de pétrole a drastiquement chuté, et la SENELEC aurait pu profiter de cette situation pour mieux équilibrer ses comptes et se redresser. C’est ce qui avait été annoncé d’ailleurs, avant le revirement inattendu de la hausse du prix de l’électricité. Il faut un audit de la SENELEC pour identifier les vrais problèmes et sortir définitivement de cette situation de crise et de déséquilibre persistant qui semble se pérenniser dans cette entreprise publique. Ce qui nous ramène encore une fois à une question de gouvernance !
Quelles peuvent être les conséquences pour ce régime qui s’entête à vouloir mépriser ces querelles internes, tout en semblant minimiser la grogne des populations ?
Le régime doit gérer ces querelles internes pour préserver une image déjà très écornée. Il a tenté de le faire de manière autoritaire en révoquant des responsables ayant parlé de succession, pour avoir affirmé plus exactement, que le Président Sall en était à son second et dernier mandat à la tête du pays. Les guerres intestines qu’il y a au sein de la majorité sont assez curieuses quand même, car c’est rare que des responsables d’une majorité relaient eux-mêmes si ouvertement et si précisément les scandales les concernant ; ce qui par ailleurs délégitime davantage le pouvoir dans ses mesures impopulaires, comme la hausse annoncée du prix de l’électricité. Minimiser le mécontentement populaire peut être source de tensions et d’instabilité avec le risque d’un embrasement de plusieurs secteurs en même temps, qui vont faire valoir toutes sortes de revendications en profitant du contexte, et le Gouvernement risque ainsi d’être sur la défensive, dans une position difficilement tenable.
Quelle solution de sortie de crise préconisez-vous pour les tenants du pouvoir?
Les solutions qui semblent être privilégiées par le régime en place sont basées sur la répression policière et judiciaire. Mais de telles solutions ne peuvent pas prospérer dans le temps. Car la répression appelle la répression, et très vite le coût politique devient élevé, prohibitif, surtout en cas de généralisation et de massification de la contestation. Il faut ajouter à cela que les méthodes autoritaires sont parfois contre-productives. Par exemple l’arrestation des manifestants devant le palais de la République pour une revendication légitime contre la hausse du prix de l’électricité a développé un sentiment d’injustice qui a galvanisé les populations. D’autant plus qu’il y a des manipulations judiciaires qui servent à détenir arbitrairement des citoyens. Car s’il est reproché aux activistes d’avoir provoqué un attroupement sur la voie publique, c’est-à-dire une manifestation non autorisée, ils sont en flagrant délit. Dès lors, on peut les inculper et déférer en jugement dans 48 ou 72 heures, sans qu’on ait besoin de complexifier inutilement la procédure à travers un mandat de dépôt et une instruction, dont le but visé est de les maintenir le plus longtemps possible en prison. L’interdiction d’une manifestation sur la base d’un arrêté ne saurait prospérer juridiquement si l’arrêté est en contradiction flagrante avec la Constitution, Charte fondamentale du pays. D’ailleurs, le droit prévoit un cas de figure intéressant, où la violation délibérée d’une décision manifestement illégale est envisageable à travers le moyen de l’exception d’illégalité susceptible d’être soulevé lors du procès. En définitive, dans un État de droit, la liberté des citoyens est constitutionnellement consacrée et sacrée, on ne doit pas s’amuser avec pour des considérations politiciennes. C’est une honte pour la République, c’est une honte pour la démocratie. Les solutions qui nous auraient épargné de telles situations avaient été bien vues par le Président Sall lorsqu’il recherchait le pouvoir. Il avait parlé de « Rupture » ! Il avait parlé de « Gouvernance sobre et vertueuse » ! Il avait dit : « La patrie avant le parti » ! Quand il est arrivé au pouvoir, il s’est détourné de cette voie salutaire pour le pays, il lui appartient avec son régime d’en assumer toutes les conséquences !