REALITE DE LA GOUVERNANCE «FAST-TRACK», SUPPRESSION DU POSTE DE PM ET INCIDENCE
Le docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione, diagnostique et décortique la dernière sortie du chef de l’état au sujet de la nécessité d’accélérer les procédures, les réformes et le calendrier d’exécution des projets en mode «Fast-track»

Le docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione, diagnostique et décortique la dernière sortie du chef de l’état au sujet de la nécessité d’accélérer les procédures, les réformes et le calendrier d’exécution des projets en mode «Fast-track», lors de la réunion du Conseil des ministres du 27 novembre dernier. Relevant que «la vitesse n’est pas un gage d’efficacité ni même de qualité», l’enseignant-chercheur à l’UGB de Saint-Louis souligne que cette décision ne risque pas de porter ses fruits. Non sans indiquer que la concentration et la personnalisation excessives du pouvoir entre les mains du président de la République nuisent au bon fonctionnement du travail gouvernemental.
«D’abord, il faut préciser que la vitesse n’est pas un gage d’efficacité ni même de qualité. Le slogan Fast-track est-il d’ailleurs bien choisi, si on fait un rapprochement avec le Fast-food : manger vite et manger mal, en raison de la prévalence du gras ? En plus, il est un slogan de plus parmi tant d’autres qui ont déjà été servis : «la patrie avant le parti», «la gouvernance sobre et vertueuse», «la rupture» ; lesquels concrètement n’ont pas été traduits dans la réalité. La concentration et la personnalisation excessives du pouvoir entre les mains du président de la République nuisent au bon fonctionnement du travail gouvernemental. En effet, dans le contexte du slogan Fast-track sur fond de luttes sourdines de succession, malgré l’interdiction formelle servie aux différents responsables d’en parler, sous peine d’être démis de leurs fonctions ; il est fort à craindre qu’il y ait une tendance à la déresponsabilisation. Car les initiatives prises par les ministres peuvent être interprétées politiquement comme étant l’expression d’un positionnement personnel visant le fauteuil présidentiel. Le Président Senghor pour qualifier cette situation marquée par une fuite généralisée face aux responsabilités à cause de la tutelle pesante du chef de l’État en l’absence d’un Premier ministre avait utilisé le terme de « ponce-pilatisme».
RISQUES DE COMPETITION ENTRE LE SECRETAIRE GENERAL DU GOUVERNEMENT ET LE SECRETAIRE GENERAL DE LA PRESIDENCE
«Ce mode de gouvernance annoncé qualifié de Fast-track connaît naturellement des effets pernicieux pour plusieurs raisons. La suppression du poste de Premier ministre qui jouait un rôle de coordonnateur de la gestion des affaires publiques, pour briser toute velléité de construction hégémonique en dehors du pouvoir présidentiel, ne risque pas de porter ses fruits, car il sera difficile d’empêcher l’expression des ambitions au fur et à mesure que se déroulera le mandat du Président Sall, ou alors ce dernier sera obligé de se positionner clairement par rapport à un troisième mandat. Les avantages liés au poste de Premier ministre dans la rationalisation du travail gouvernemental au plan technique sont perdus. Les risques de compétition entre le Secrétaire général du Gouvernement et le Secrétaire général de la Présidence sont réels. Sur le plan politique, le Président n’a plus de fusible, à un moment où il a atteint le seuil à partir duquel les pratiques autoritaires deviennent de plus en plus intolérées, si l’on s’en réfère au fonctionnement du système politique sénégalais depuis 1962. Cette période tourne environ autour de sept ans : 1963-1968 pour le Président Senghor qui entame des réformes jusqu’à céder le pouvoir à Abdou Diouf ; 1983- 1988 pour le Président Diouf qui entame de longues négociations pour des réformes démocratiques avancées : le code électoral consensuel notamment, jusqu’à l’alternance en 2000 ; 2000-2007 pour le Président Wade, après le réveil de l’opposition jusqu’à la perte du pouvoir en 2012. En 2019, après 7 ans de pouvoir, le Président Sall est également dans le même seuil».
SUPPRESSION DU POSTE DE PM ET «COHABITATION» EN 2022
«La fonction de Premier ministre a été restaurée en 1991, après sa suppression en 1983 ; elle a donc existé pendant 28 ans. Lorsque cette institution est supprimée sans débat, de manière brutale et inattendue, par la seule volonté du Président Sall, cela se ressent nécessairement dans la conduite des affaires publiques. D’autant plus cette suppression du poste de Premier ministre obéit à des considérations purement politiciennes liées à la succession et aux intérêts partisans et personnels du Président Sall. En effet, la suppression du poste permet d’évacuer le spectre d’une éventuelle cohabitation en 2022, s’il y a changement de majorité à l’issue des élections législatives. Auquel cas, l’actuel Président n’aura pas à travailler avec un Premier ministre qu’il n’a pas choisi. Mais si c’est Benno Bokk Yaakaar qui remporte les Législatives prévues en 2022 et qu’il y ait un successeur au Président Sall qui n’est pas issu de son camp, alors le nouveau Président aura du mal à gouverner, d’autant plus qu’il n’aura pas les moyens constitutionnels de dissoudre l’Assemblée nationale. On se pose également la question de savoir, après le renvoi des élections locales, s’il n’y a pas une volonté politicienne de tripatouiller le calendrier républicain sous le couvert du dialogue national pour renvoyer également les élections législatives en 2024, afin de rationaliser le système politique sénégalais, en lui évitant les incongruités de la cohabitation. Mais cette rationalisation aurait pu être faite si le Président Sall avait respecté son engagement de réduire son mandat de 7 à 5 ans.
Dans ce cas, la Présidentielle aurait eu lieu en février 2022, et les Législatives en juin de la même année. Par ailleurs, la suppression du poste de Premier ministre augmente la charge de travail du Président. La centralisation excessive dans la théorie administrative provoque l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités. En plus de ce climat psychologique de méfiance et de prudence qui inhibe les ministres dans leurs initiatives et actions, susceptibles d’être perçues comme des signes de positionnement avantageux en vue de succéder au Président Sall ; ce qui tout compte fait est préjudiciable au travail gouvernemental»