PAROLES DE CHEFS
Des présidents, des discours, des styles distincts : De Senghor le poète-philosophe à Diomaye et sa rupture systémique, chaque président a marqué les discours du 4 avril de son empreinte personnelle, reflétant les priorités de son époque et sa vision

Le 3 avril de chaque année, tous les présidents de la République se sont adressés aux Sénégalais et aux « hôtes étrangers qui vivent parmi nous », pour célébrer l’indépendance. Pour la première année de leur investiture, de Senghor en 1961 à Diomaye Faye en 2025, ces messages à la Nation dessinent les contours d’un pays en constante construction. Ces discours, reflets des époques traversées, marquent les évolutions du pays. Si les accents varient, certaines constantes demeurent. Mais entre les lignes, une même flamme républicaine demeure.
Des hommes, des discours, des styles
Senghor, poète-président, mélange verbe lyrique et philosophie politique. Il voit l’indépendance comme un moyen de « civilisation de l’universel », pose les bases du socialisme africain et célèbre Gaston Berger comme guide spirituel du progrès.
Abdou Diouf, plus technocrate, parle plans de développement, démocratie en expansion et réforme de l’école. Confronté à la sécheresse et à la crise du monde rural, il détaille mesures agricoles, exonérations et réforme éducative.
Avec Abdoulaye Wade, c’est la rupture. Dans un élan et un ton volontaristes, il évoque l’alternance, la justice sociale, la réforme constitutionnelle et la paix en Casamance. Mais aussi des projets : gratuité des manuels scolaires, construction d’écoles, développement rural. Macky Sall, dans un style plus mesuré, met l’accent sur les défis sécuritaires sur la bonne gouvernance, l’équité, les infrastructures, la souveraineté énergétique marquant ainsi, une volonté claire de modernisation. Diomaye Faye, pour son premier 4 avril, adopte un ton grave et rassembleur. Il insiste sur la transparence, la discipline budgétaire, la souveraineté économique et une volonté affirmée de rupture systémique en évoquant audit des finances, souveraineté économique et transparence.
Paix, unité, et démocratie : un socle commun
Dès le premier anniversaire de leurs magistratures, tous les présidents, sans exception, appellent, au cœur de leurs messages, à l’unité nationale, à la paix et à la souveraineté comme piliers de la République. La paix, locale comme internationale, est aussi une constante. Qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie évoquée par Senghor ou de la Casamance citée par Wade, Sall et Faye, la stabilité du pays est une priorité immuable.
En 1961, Léopold S. Senghor posait les fondations en exaltant « l’union des cœurs et des esprits » pour construire la Nation, et l’ « Homme », comme but de toute politique (nit, nit ay garabam).
Abdou Diouf, en 1981, dans une époque plus tendue, mettait en avant la cohésion et le pluralisme, qu’il appelait à conjuguer pour construire « une Nation forte, prospère et digne », une « fraternité des bras », insistant sur la cohésion nécessaire au développement.
Abdoulaye Wade en 2001, dans la ferveur de l’alternance, insiste sur l’ancrage démocratique et la justice sociale et appelait à « la tolérance et à l’opiniâtreté dans le travail».
Macky Sall en 2013, parlait de « conscience citoyenne », valorisait « le commun vouloir de vie commune », et de « rupture pour un Sénégal nouveau ».
Bassirou Diomaye Faye, le 3 avril 2025, célèbre « notre vivre-ensemble inébranlable qui est notre trésor commun » et fait du « dialogue », le moteur de la transformation.
Depuis Senghor, la démocratie sénégalaise est perçue comme un chantier permanent. Diouf libéralise le champ politique en supprimant les restrictions aux partis. Wade refonde les institutions et célèbre « la puissance des mots ». Sall modernise, tout en soulignant la nécessité d’un État de droit fort. Diomaye en fait le cœur de sa promesse : transparence, réformes judiciaires, concertation nationale.
L’armée pilier de la souverainete et la jeunesse flambeau de l’avenir
Tous les présidents saluent les Forces de défense et de sécurité comme les garantes de la stabilité et de la souveraineté nationale, tandis que la Jeunesse est porteuse d’avenir, symbolisant l’espoir et la transmission. Cette dualité est saluée comme l’assurance d’un futur national solide. Senghor, en 1961, posait les fondations de la construction nationale en appelant à l’unité autour des efforts communs, sans mention explicite de l’armée, mais dans un esprit de mobilisation générale. Diouf, en 1981, est plus explicite : « notre vaillante Armée veille à nos frontières », dit-il, soulignant son rôle dans la construction nationale et la loyauté aux institutions
Wade, lui, élevait l’Armée au rang d’acteur international : du Kosovo au Congo, les soldats sénégalais illustrent le professionnalisme et l’engagement universel pour la paix. Macky Sall saluait leur « rigueur et discipline » et insistait sur leur rôle dans le rayonnement international du pays.Diomaye Faye voit l’armée comme pouvant faire avancer concrètement la souveraineté technologique et industrielle du pays. Il promet sa modernisation pour faire face aux enjeux sécuritaires contemporains.
L'autre protagoniste incontournable du 4 avril est la jeunesse. « Elle est l’espoir de notre pays », disait Diouf, qui annonçait déjà en 1981 des mesures pour l’emploi et la formation. Wade, fidèle à son image de tribun proche du peuple, exalte « une jeunesse courageuse, inspirée, généreuse, une jeunesse qui gagne ». Macky Sall, dans la continuité, valorise ses efforts dans l’éducation, la formation professionnelle et l’emploi. Il évoque notamment le recrutement massif, les projets d’universités et la modernisation des daaras
Quant à Diomaye Faye, il pose un cap : 3 000 fermes intégrées pour l’emploi des jeunes et des femmes, et une réappropriation nationale des ressources. Il voit la jeunesse non seulement comme bénéficiaire mais aussi comme moteur de transformation économique et sociale.
De l’idéalisme panafricain de Senghor à la volonté d’ancrage populaire de Diomaye, les discours présidentiels du 3 avril, après une année de magistère, reflètent l’époque, les espoirs et les tensions d’une Nation qui, à chaque anniversaire, se redisent son engagement envers elle-même. Ce rituel annuel, loin d’être figé, est un thermomètre de l’âme sénégalaise.
Si l’indépendance reste une source de fierté, les priorités évoluent. Senghor voulait bâtir l’État. Diouf voulait consolider la démocratie et soutenir le monde rural. Wade voulait l’ancrer dans la justice sociale. Sall visait la transformation économique. Diomaye Faye, lui, veut une refondation, une gouvernance transparente et une souveraineté assumée.
En ce 4 avril, ce n’est pas seulement l’histoire qu’on commémore, mais un élan qu’on renouvelle. Soixante-cinq ans après, c’est une marche patiente et déterminée vers un idéal partagé : un Sénégal debout, juste, prospère et ouvert.