VIDEORÉPRESSION MADE IN FRANCE AU TOGO
Grâce à des témoignages togolais, le journaliste Thomas Dietrich a retracé l'origine des armes utilisées contre les manifestants. Son enquête révèle l'ampleur du soutien français au régime de Gnassingbé : grenades, blindés, coopérants militaires...

« On tue au Togo avec la complicité de la France », dénonce le journaliste Thomas Dietrich dans une enquête explosive diffusée sur sa chaîne. Depuis le 26 juin dernier, un soulèvement populaire embrase le pays après que le dictateur Faure Gnassingbé ait modifié la constitution pour supprimer l'élection présidentielle et se maintenir indéfiniment au pouvoir. Face à des manifestants désarmés, la répression est impitoyable, avec selon Dietrich « pas moins de sept morts sans compter les innombrables disparitions et autres cas de torture ».
Le journaliste rapporte le sort tragique de Jacques, un adolescent de 14 ans qui venait de réussir son brevet des collèges. « C'était un gamin qui avait la vie devant lui. Regardez-le avec sa bouille toute ronde et ses airs de premier de la classe », décrit Dietrich. Le 26 juin au soir, croyant pouvoir profiter de l'obscurité pour aller chercher de la nourriture pour sa famille, Jacques ne reviendra jamais chez lui.
« Dans la rue, il a croisé une foule de manifestants qui refluaient à toute allure, chassés par les pickups des forces de l'ordre et les milices qui ont été embauchées par le régime », raconte le journaliste. Pris de peur, l'adolescent s'est mis à courir pour sauver sa vie. « Mais Jacques n'a pas fui assez vite, rattrapé par la police, on retrouvera son petit cadavre le matin jeté dans une des lagunes de Lomé comme au moins six autres personnes dans la plus pure tradition de la répression togolaise qui noyait déjà des cadavres dans les années 1990 », révèle Dietrich.
« Ces derniers jours, j'ai enquêté sans relâche », explique Thomas Dietrich, qui révèle « en exclusivité comment la France et nos entreprises tiennent à bout de bras le régime chancelant de Gnassingbé en fournissant du matériel comme des blindés ou des grenades lacrymogènes ».
Grâce aux centaines de Togolais qui ont répondu à son appel sur TikTok, le journaliste a pu identifier un arsenal international au service de la dictature. « Ce que je peux vous dire, c'est que le Togo reçoit des armes du monde entier », affirme-t-il, citant des munitions turques, des grenades espagnoles et sud-coréennes.
Le soutien logistique français
« Mais il y a aussi des armes de défense bien de chez nous parce que la France a toujours vendu le meilleur à nos amis dictateurs », dénonce Dietrich. Il a ainsi identifié « des grenades lacrymogènes qui ont été utilisées ces derniers jours au Togo et qui ont été fabriquées par deux sociétés françaises leaders dans le secteur : Nobel Sport et Alsetex ».
Selon ses recherches, « Alsetex a livré au régime de Gnassingbé des grenades MP7 qui libèrent sept nappes de gaz lacrymogène ». Le journaliste précise qu'« Alsetex est un fournisseur régulier des pires autocraties de la planète comme le Bahreïn ou le Sénégal du temps du très françafricain Macky Sall ».
Thomas Dietrich révèle que « la France ne fournit pas que des grenades lacrymogènes très puissantes ». Une source interne à l'administration française l'a mis « sur la piste d'un gros dossier » : en octobre 2024, « un appel d'offres a été lancé par Expertise France, une filiale publique de l'Agence française de développement » pour « fournir sur fonds européens quatre pickups double cabines mais surtout deux blindés BR6 à l'armée togolaise ».
Le journaliste s'interroge sur l'usage de ces « véhicules dont on ignore s'ils seront utilisés pour pourchasser les djihadistes au nord ou pour pourchasser des manifestants dans les rues de Lomé ».
« En plus du matériel, Macron fournit les ressources humaines à Gnassingbé », dénonce Dietrich. Selon ses sources, « une demi-douzaine de coopérants français travaillent au sein de l'armée, de la gendarmerie et de la police togolaises, portant l'uniforme local et conseillant souvent les chefs d'état-major de ces institutions ».
Le journaliste souligne que « malgré la violence de la répression en cours, malgré les exactions commises par les forces de l'ordre pour lesquelles travaillent ces coopérants, les officiers n'ont toujours pas été rappelés à Paris et sont de facto complices des crimes commis par Gnassingbé contre son peuple ».
Thomas Dietrich révèle également qu'« il n'y a pas besoin d'être militaire français pour filer un coup de main à Gnassingbé ». Selon ses sources, Pierre-Yves Kervenal, « en poste jusqu'en 2024 comme deuxième conseiller à l'ambassade de France à Lomé, aurait été jusqu'à proposer devant témoin une rétribution financière à certains opposants ».
La stratégie du double jeu
« L'idée était de convaincre ces opposants de participer à un simulacre d'élection sénatoriale, ce qui aurait renforcé la légitimité de Gnassingbé », explique le journaliste. Contacté, le Quai d'Orsay a rejeté « ces allégations sans fondement ».
Dietrich observe que « malgré le soutien que lui apporte Macron, le régime togolais n'est pas très reconnaissant ». Il « prend les armes et le personnel français mais par derrière, il fait croire que c'est cette même France qui manipule la révolte en cours ».
Le journaliste explique cette stratégie : « Comme notre pays est détesté sur le continent africain, l'idée des communicants de Gnassingbé, c'est de discréditer le soulèvement populaire et d'inciter les gens à ne pas sortir dans la rue en disant : 'Voilà, c'est la France qui vous prend pour des marionnettes' ».
Thomas Dietrich conclut son enquête par un avertissement : « De nouvelles manifestations sont prévues cette semaine. Et une fois de plus, la jeunesse togolaise descendra dans les rues à mains nues face à des forces de l'ordre et à des milices qui de facto sont armées et soutenues en partie par la France ».
« Il y aura sans doute de nouveaux morts innocents, des corps suppliciés dans la lagune de Lomé et le silence assourdissant d'Emmanuel Macron et de la pseudo-patrie des droits de l'homme », prédit-il. Mais le journaliste termine sur une note d'espoir : « La nuit est noire, mais on sait aussi qu'elle n'est jamais aussi noire que juste avant l'aube. Ce qui veut dire que l'aube sera bientôt là pour le peuple du Togo ».