VIDEOLE SÉNÉGAL S'EMPOISONNE À PETIT FEU
"Dans moins d'une génération, la plupart des Sénégalais vont mourir de maladies liées à ce qu'ils mangent."L'alerte du Dr Binetou Seck révèle l'ampleur d'une transition alimentaire dramatique qui touche tout le pays

Dans moins d'une génération, la plupart des Sénégalais mourront de maladies directement liées à ce qu'ils mangent. Cette prédiction alarmante du Dr Binetou Seck, nutritionniste et diététicienne de renom, révèle une réalité que peu osent regarder en face : le Sénégal traverse une transition nutritionnelle dramatique qui menace la santé de toute une population.
Aujourd'hui, 47% de la mortalité au Sénégal est imputable aux maladies non transmissibles dont le facteur de risque majeur reste la qualité de l'alimentation. Et les projections sont encore plus inquiétantes : dans moins de 10 à 15 ans, ce sera plus de 50% des Sénégalais qui mourront de pathologies liées à leur assiette.
"Ce qui nous guette, c'est que dans moins d'une génération, la plupart des Sénégalais vont mourir de maladies qui sont liées à ce qu'ils mangent, à la qualité de leur alimentation, et pour l'instant rien n'est fait", alerte le Dr Seck.
Cette transition nutritionnelle touche particulièrement les femmes. Une étude révèle qu'en 2030, 45% des femmes en Afrique seront en surpoids ou obèses, faisant du surpoids "un problème de santé publique mondiale".
Derrière ces statistiques se cachent des drames humains quotidiens : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires, cancers... Autant de pathologies qui étaient quasi inexistantes dans le Sénégal traditionnel et qui explosent aujourd'hui à cause de nos nouvelles habitudes alimentaires.
Les habitudes qui tuent
Le fameux thé sénégalais, l'attaya, illustre parfaitement cette dérive. "C'est au moins trois morceaux de sucre par tasse, peut-être plus", souligne la nutritionniste. Cette consommation excessive de sucre ajouté se retrouve dans de nombreux aspects de notre alimentation quotidienne.
Poisson frit, poulet frit, frites, nemès, fataya, pastels, beignets... "Il y a beaucoup d'aliments qui peuvent être plongés dans un bouillon d'huile", constate le Dr Seck. Cette surconsommation d'aliments frits surcharge l'organisme en graisses saturées et augmente drastiquement les risques cardiovasculaires.
Paradoxalement, les plats traditionnels comme le thiéboudienne peuvent être parfaitement équilibrés quand ils sont préparés dans les bonnes proportions : "1/4 de litre d'huile pour 1 kg de riz, c'est la dose classique. Nos grands-mères le faisaient ainsi et ce n'était pas si grave."
Le problème ? "Maintenant on met plus que ça, c'est là qu'on retrouve de l'huile au fond du bol."
Les produits industriels : le nouveau fléau
L'invasion des aliments ultra-transformés constitue l'une des principales causes de cette dégradation nutritionnelle. Biscuits industriels pour les goûters des enfants, margarines bourrées d'additifs, boissons sucrées... Ces produits, inexistants dans l'alimentation traditionnelle sénégalaise, sont désormais omniprésents.
"Les compléments alimentaires sont nécessaires quand il y a une carence déterminée par un médecin", précise Binetou Seck, dénonçant au passage le marketing agressif de ces industries qui ciblent une population mal informée.
Face à ce "tsunami" annoncé, la nutritionniste lance un appel pressant aux autorités : "Il est plus que temps de faire de la sensibilisation de masse des populations sénégalaises, de Dakar aux contrées les plus reculées, pour qu'elles mangent mieux."
Cette sensibilisation doit être organisée à tous les niveaux :
- Dans les écoles, pour éduquer dès le plus jeune âge
- Dans les entreprises, pour toucher la population active
- Au niveau communautaire, pour ancrer les bonnes pratiques
- Au niveau étatique, avec une véritable volonté politique
Les solutions existent
La bonne nouvelle ? Les solutions ne sont ni compliquées ni coûteuses. Elles reposent sur un retour aux fondamentaux :
Revenir aux six familles d'aliments indispensables : fruits et légumes quotidiens, féculents, produits laitiers, aliments carnés, un peu d'huile et beaucoup d'eau.
Respecter les portions traditionnelles et apprendre à manger "juste à rassasiement", sans remplir complètement l'estomac.
Limiter les fritures à une fois par semaine et privilégier les modes de cuisson traditionnels.
Organiser ses repas avec des menus hebdomadaires incluant systématiquement des légumes.
"Nous, professionnels de la santé, on ne veut que ça, et on est en train de s'organiser entre nous pour faire des choses, mais ça ne suffit pas", reconnaît Dr Seck.
Le temps presse. Chaque jour qui passe sans action d'envergure rapproche le Sénégal de cette catastrophe sanitaire annoncée. Car contrairement aux épidémies classiques qui frappent rapidement, cette crise nutritionnelle s'installe sournoisement, génération après génération, jusqu'à devenir irréversible.
Le Sénégal a encore le choix. Mais pour combien de temps encore ?