L'ORIGINE DU COVID RESTE UN MYSTÈRE CINQ ANS APRÈS
Entravée par la Chine et les enjeux géopolitiques, l'enquête sur l'origine du Covid-19 aboutit à un constat d'échec. L'OMS admet ne pouvoir trancher entre les deux hypothèses principales

(SenePlus) - Cinq ans après l'émergence du SARS-CoV-2, l'humanité reste dans l'ignorance sur l'origine exacte de la pandémie qui a fait plus de 20 millions de morts. Vendredi 27 juin, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dû se résoudre à un constat d'impuissance : "En l'état actuel des choses, toutes les hypothèses doivent rester sur la table, y compris celles relatives à la propagation zoonotique et à la fuite de laboratoire", a-t-il déclaré selon Le Monde.
Cette déclaration accompagnait la publication du rapport très attendu du groupe d'experts SAGO, mandaté en 2021 par l'institution onusienne pour résoudre cette énigme sanitaire majeure. Quatre ans plus tard, les 27 membres de ce comité scientifique n'y sont pas parvenus, révélant les limites d'une enquête entravée par les enjeux géopolitiques et le manque de transparence de la Chine.
Si les experts du SAGO penchent pour l'hypothèse d'une transmission naturelle du virus depuis les animaux vers l'homme, ils ne peuvent l'affirmer catégoriquement. L'hypothèse zoonotique "est actuellement considérée comme la mieux étayée par les données scientifiques disponibles", selon leur rapport cité par Le Monde. Mais cette préférence s'accompagne d'une prudence révélatrice : "C'est celle qui a notre faveur, mais nous n'avons pas de conclusion définitive", résume le virologue Jean-Claude Manuguerra de l'Institut Pasteur, qui a coprésidé le SAGO.
Cette incertitude découle notamment de "lacunes dans les données disponibles, et de potentiels biais dans leur recueil" qui empêchent les experts d'affirmer définitivement que l'hypothèse zoonotique est la bonne, rapporte Le Monde. L'absence d'identification formelle de l'animal intermédiaire, malgré des indices pointant vers le marché aux animaux de Wuhan, laisse la porte ouverte à d'autres scénarios.
Parallèlement, l'hypothèse d'une fuite accidentelle depuis l'un des laboratoires de virologie de Wuhan ne peut être balayée. Faute de données sur les activités conduites dans ces établissements, cette possibilité "ne peut être exclue ni prouvée sans information supplémentaire", écrivent les experts selon Le Monde.
La Chine dans le déni
Le SAGO écarte néanmoins l'idée d'une modification génétique expérimentale suivie d'une fuite. Le fait que le SARS-CoV-2 soit le seul de sa famille à présenter un site dit "de clivage de la furine", favorisant sa diffusion, pourrait "s'expliquer par une recombinaison avec d'autres coronavirus, plutôt que par une expérience de gain de fonction", estiment les experts.
Cette conclusion prend une résonance particulière quand on sait qu'une telle expérience était envisagée dans une demande de financement de 2018 associant des laboratoires américains à l'Institut de virologie de Wuhan. Bien que ce projet n'ait pas été retenu par l'agence américaine Darpa, "on ignore si le projet a été poursuivi par d'autres moyens", note Le Monde.
L'enquête révèle également les obstacles politiques qui ont entravé la recherche de la vérité. "Nous avons souffert d'une politisation du sujet", déplore Jean-Claude Manuguerra, évoquant un "travail difficile". Cette politisation se manifeste notamment par l'attitude de la Chine, qui persiste à promouvoir des hypothèses non étayées.
Le SAGO rejette ainsi fermement "la piste d'une contamination par des produits congelés importés", faute d'éléments de preuve. C'est pourtant l'hypothèse avancée par un rapport officiel chinois publié en avril, qui prétendait avoir clos le débat. "Ce n'est pas l'opinion du SAGO", répliquent sèchement les experts selon Le Monde.
Cette "mise en cause sans fard du scénario dédouanant la Chine" a d'ailleurs provoqué des remous au sein même du groupe d'experts. Quatre membres du SAGO ont demandé tardivement à ne pas figurer parmi les auteurs du rapport. "Leur nationalité – il s'agit notamment d'un Chinois, un Russe et un Cambodgien – donne un fort indice" sur les motivations de ce retrait, observe Le Monde.
L'incapacité à résoudre cette énigme tient en grande partie au refus chinois de partager des informations cruciales. Le rapport cite des données qui "pourraient être précieuses" : 500 séquences génétiques de virus prélevées sur les premiers patients chinois, des informations sur les animaux vendus sur les marchés de Wuhan, des données sur les recherches des laboratoires de virologie et sur la santé de leurs personnels.
Un enjeu moral et scientifique
"Nous continuons d'appeler la Chine et tout autre pays disposant d'informations sur les origines du Covid-19 à les partager ouvertement, afin de protéger le monde contre de futures pandémies", lance Tedros Adhanom Ghebreyesus. Mais comme le note Le Monde, "si ces données existent, il est douteux que Pékin soit prêt à les partager".
Même les services de renseignement occidentaux, pourtant prompts à accuser la Chine, n'ont fourni "aucun des éléments factuels censés corroborer leurs évaluations" au groupe d'experts, révèle l'enquête du quotidien français.
Malgré ces obstacles, Jean-Claude Manuguerra refuse de baisser les bras : "Je ne perds pas espoir. Il faut du temps et de la chance pour déterminer l'origine des pandémies. Mais c'est un devoir moral de comprendre ce qui s'est passé, vis-à-vis des gens morts du Covid-19."
Cette quête de vérité dépasse le simple enjeu scientifique. Comprendre l'origine exacte du SARS-CoV-2 est essentiel pour prévenir de futures pandémies et adapter les mesures de biosécurité. Mais cinq ans après l'émergence du virus, cette investigation illustre aussi les limites de la coopération internationale face aux enjeux de souveraineté et de réputation des États.
Sur les réseaux sociaux, chaque camp continue de "puiser dans le rapport ce qui conforte ses positions", observe Le Monde. Une polarisation qui risque de perpétuer ce mystère sanitaire, privant l'humanité des leçons essentielles à tirer de cette tragédie planétaire.