BAÏNOUKS, LES GRANDS MAÏTRES DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE
La localité tire sa réputation des pouvoirs mystiques de ses guérisseurs qui soignent l’infertilité, l’hémorroïde, des maladies rhumatismales, réparent des fractures, conjurent le mauvais sort… A Niamone, on redonne espoir à ceux qui ont perdu espoir

Les lundis, tous les chemins mènent vers la capitale des baïnouks, Niamone, nichée dans une forêt, dans le département de Bignona, dans le sud du Sénégal. C’est l’un des tout premiers villages de la Casamance. La localité tire sa réputation des pouvoirs mystiques de ses guérisseurs qui soignent l’infertilité, l’hémorroïde, des maladies rhumatismales, réparent des fractures, conjurent le mauvais sort… A Niamone, on redonne espoir à ceux qui ont perdu espoir. Les couples venus de la France, des Etats-Unis et d’autres coins du Sénégal ont pu avoir des enfants après des séances de rites organisées et après avoir dégusté les plats préparés par les détenteurs et détentrices de savoirs endogènes.
L’incursion dans la capitale des baïnouks a été bénie par le ciel. Les nuages qui s’amoncellent à l’entrée de leur territoire à Guérina, en venant de Bignona, ont adouci la température. Le ciel nuageux et les étendues de verdure offrent un horizon idyllique de part et d’autre de cette piste latéritique boueuse dans toutes les dépressions. Tout cela fait oublier les risques d’enlisement dans les bourbiers résultant des crues des ruisseaux et des flaques d’eau de pluies. Au bout d’une trentaine de minutes, nous voici à Niamone, le premier village de la Casamance, selon nos interlocuteurs. Sur la grande place village, des concessions couvertes de zincs forment un demi-cercle à la lisière des forêts. Le village en compte sept sacrées dans son voisinage immédiat. Niamone est presque perdu au cœur d’une forêt tropicale adossée à des rizières menacées par la salinisation.
Ces écosystèmes font partie des populations. Il n’y a pas une frontière entre ces formations végétales et ce groupe ethnique. Cette proximité, voire ce voisinage, prend racine dans les us et les coutumes de cette ethnie venue de l’Egypte. Niamone compte sept quartiers, parmi eux, Kandioubé, spécialisé dans la médecine traditionnelle. Ironie du sort, c’est dans ce quartier que se trouve le poste de santé qui ne fait pas ombrage à l’hôpital traditionnel fondé depuis des siècles, qui défie le temps et la médecine traditionnelle. Derrière Kandioubé, quelque part dans la forêt, se trouve un bloc opératoire invisible pour le commun des mortels. « Nous opérons encore des malades sans faire des ouvertures. Nous ne sommes pas Dieu. Mais, Dieu nous a donné ce pouvoir. Cette opération est appelée Kamour », atteste l’imam du village, Seckou Coly. Les hôtes sont médusés. C’est dans ce site que les détenteurs de ces pouvoirs avaient énoncé que l’ancien Premier ministre Abdou Diouf allait devenir Président de la République du Sénégal. « C’est ici, dans un de nos bois sacrés, que nos anciens avaient dit à Abdou Diouf qu’il sera Président de la République du Sénégal sans passer par les élections. Abdou Diouf l’a rappelé à plusieurs occasions », corrobore Lacombe Coly. Chez les baïnouks, depuis la nuit des temps, on réserve toujours une chambre noire dans un bâtiment. Celle-ci est sans fenêtre. C’est leur maternité. Dans ce coin, les vieilles mamans font accoucher des femmes enceintes sans risque. Cette pratique est encore de saison à Niamone, foyer de la conservation des savoirs endogènes. A tort ou raison, on revendique la paternité de la maternité. « Pour nous, une naissance ne devrait pas se faire en dehors de la maison, dans un endroit non couvert. On dit souvent que l’enfant qui nait à l’extérieur de la maison, dans ces espaces non clos, ne saura pas garder de secrets », explique Lansana Coly. Dans ce village, la gestion de l’infertilité est détenue par trois familles. Les couples commencent, d’abord, chez la famille Diémé, passent, ensuite, chez la famille Coly Dehdeh et terminent chez la famille Coly Lihone. Chacune détient une parcelle de savoir. C’est l’itinéraire du cérémonial menant à la fertilité. « Il y a trois familles qui traitent l’infertilité. Il y a un ordre à suivre. Et chaque famille vous donne une partie du traitement. Nous avons traité des couples venus de partout au Sénégal, des Etats-Unis, de la France et d’autres pays. Nous avons obtenu de très bons résultats », revendique Bakary Diémé.
La preuve par l’exemple
Les habitants donnent la preuve par l’exemple. Dans cet ancien village qui est antique pour ses habitants, personne n’a souvenance d’une seule femme qui n’a pas mis au monde un enfant. Aussi longtemps que Lansana Coly a remonté le temps, il n’a pas connu une dame infertile en union à Niamone. « Ici, aucune femme ne souffre de l’infertilité. Vous ne trouverez pas dans une seule famille, une femme sans enfant. Nous avons la réputation de donner espoir aux couples qui rencontrent des problèmes pour avoir des enfants », affirme Lansana Coly.
Les lundis, les chemins mènent vers Niamone
Mais, dans ce village, les traditionalistes ont aussi dans leur sac des recettes contre l’impuissance sexuelle, contre ce que Lacombe qualifie « d’amour contrarié ». Il s’explique. « Nous avons vu que des filles qui ont rejeté des hommes finissent par devenir amoureuses d’eux. Ce n’est pas une maladie. Mais, c’est un problème pour beaucoup de personnes folles d’amour pour certaines filles. Il y a des filles qui empêchent des hommes de dormir », avance Lacombe Coly, qui éclate de rire. Pour nous convaincre, les sages nous convient de revenir le lundi. C’est ce jour que tous les chemins mènent vers la capitale des Baïnouks. Les différents sites de rites et rituels sont éparpillés dans les différentes forêts et dans la palmeraie qui protège les habitations. Les femmes sont les maîtresses de certaines séances d’incantation et d’exorcisation. « Tous les lundis, nous recevons des personnes qui viennent d’horizons divers. Elles sont soit reçues par des hommes soit par des femmes ou par les deux à la fois. Chaque site a sa vocation, sa mission », décrit Bakary Diémé, qui fait partie d’une des familles de guérisseurs.
L’art de la médecine traditionnelle se transmet de génération en génération au sein des familles. Cette spécificité est une marque de ce groupe ethnique venu de l’autre côté du continent africain. « En Casamance, c’est connu, le pouvoir mystique est détenu par les Baïnouks », confirme l’universitaire spécialiste de la Casamance, Amadou Fall. Ce n’est pas pour rien que les baïnouks sont appelés en République de Guinée les « dalianka », c’est-à-dire les connaisseurs.