BETHIO DANS DE SALES DRAPS
Sans doute, Béthio Thioune n’a pas bien dormi cette nuit. A Bordeaux pour se refaire une santé, il doit ressasser le réquisitoire du procureur près le Tribunal de grande instance de Mbour

Jugé par contumace dans l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam, Béthio Thioune et 15 autres accusés risquent la perpétuité. Le procureur a demandé un mandat d’arrêt international et la confiscation de ses biens.
Sans doute, Béthio Thioune n’a pas bien dormi cette nuit. A Bordeaux pour se refaire une santé, il doit ressasser le réquisitoire du procureur près le Tribunal de grande instance de Mbour : les travaux forcés à perpétuité et un mandat d’arrêt international. Jugé par contumace, il s’est retrouvé dans la ligne de mire du ministère public dont les réquisitions ne pourront pas être déconstruites par ses avocats.
Le sort en est jeté. Durant toute l’après-midi d’hier, il a relevé les preuves qui incriminent Cheikh Béthio, surtout concernant le délit de complicité. Dans ces circonstances, le rappel des faits est pédagogique. «Bara Sow et compagnie étaient allés faire un ziara auprès de leur guide. Ils étaient venus en paix. Des citoyens pas armés qui se retrouvent tout d’un coup devant des gens lourdement armés.
Une attaque qui les a surpris et les enquêteurs qui étaient sur place ont relevé des indices dont des habits tachetés qu’ils ont ramenés à la brigade de Mbour. C’est bien après qu’ils ont su ce qu’ils pressentaient», relate le procureur. Selon lui, les circonstances de la mort de MM Sow et Diagne sont atroces : «Bara Sow a été attiré à l’intérieur de la maison, kidnappé et battu par les disciples de Cheikh Béthio», rappelle Youssou Diallo.
En tout cas, il n’a pas omis de dénoncer les conditions dans lesquelles les deux hommes ont été tués. «La barbarie, c’est quand vous infligez à l’humain une souffrance injustifiée. Bara Sow, un jeune brillant, promis à un avenir radieux, a été kidnappé. Ses compagnons qui tentaient de le sauver ont été repoussés et il leur a demandé de le laisser sur place.
Ababacar Diagne, engagé aux côtés de Bara Sow, a certes reçu une décharge d’un fusil de chasse avec 6 plombs qui ont été retirés du corps. Après, il a reçu d’autres coups et le médecin légiste l’a confirmé. Il a reçu un coup, mais a également été lynché», rapporte le procureur qui a regretté la violation du principe de la sacralité de la personne humaine, consacré par les conventions internationales et la Constitution sénégalaise. Il rappelle que les enquêtes auraient pu permettre d’autres arrestations.
«Dans ce procès, il y a 19 accusés dont 16 sont en détention et 3 en liberté provisoire. Quand la gendarmerie a arrêté le Cheikh le 23 avril 2012, c’est après que certains se sont rendus. Pour leur implication, il y a deux séquences importantes : la mort ou la bagarre suivie de l’inhumation tard dans la soirée. Khadim Seck s’est bagarré et a sorti le fusil de calibre 12 et a tiré à bout portant sur Ababacar Diagne. Il a été constant devant les enquêteurs, mais a changé de version devant le juge.
L’accusation est tout à fait à l’aise et les gendarmes pouvaient arrêter plus de personnes», constate le procureur. Il estime que les accusés sont représentatifs pour élucider le drame de Médinatoul Salam. Ce qui montre que l’enquête a été objective. «Tous les accusés reconnaissent avoir pris part à la bagarre. Des aveux ont été faits lors de l’enquête et à la barre. Inhumation ou disais-je, l’enfouissement de deux personnes dans une fosse commune en catimini, les deux têtes croisées.
Dissimilation et mise en scène après cet acte pour brouiller les pistes, mais les gendarmes n’étaient pas distraits par cette mise en scène et ont fouiné et ont vu un doigt. C’est en creusant qu’ils ont trouvé les deux corps», détaille le parquetier. Il est convaincu que les faits sont constants. «Je vous (la Chambre) demande de tenir compte de ces témoignages et ne pas dire qu’il s’agit seulement de compagnons de Bara. Ce sont des témoins oculaires sur des faits qui remontent à avril 2012. L’ancienneté des faits est importante», tente de faire convaincre le représentant du ministère public.
? «Beau - coup de gens se sont interrogés si Cheikh Béthio Thioune était au courant. Pourtant, Cheikh Faye est venu dans sa chambre pour l’en informer. Après en avoir été informé, il n’a saisi aucune autorité», regrette le procureur. Il les enfonce davantage : «Cheikh Faye et Cheikh Béthio Thioune sont dans le même sac en ce qui concerne l’accusation de complicité de meurtre. L’auteur principal et le complice encourent la même peine. L’as - sociation de malfaiteurs est établie à l’endroit de tous», persiste Youssou Diallo.
Circonstances aggravantes
Il n’a pas tremblé pour évoquer un meurtre avec barbarie. «C’est une responsabilité collective dans la bagarre, le principe de la responsabilité individuelle ne se pose pas ici. Et tous ont reconnu avoir pris part à la bagarre, tous ont eu à donner des coups, ce qui a entraîné la mort de Bara Sow», regrette-t-il.
Dans ses réquisitions, il a rappelé que la complicité de M. Béthio Thioune s’est manifestée par une provocation, par menace, par abus de pouvoir : «Il a donné un ndiguel que plus jamais Bara Sow ne remette plus les pieds à Médinatoul Salam. C’est une provocation. C‘est un guide religieux drainant une foule, des talibés qui lui vouent une admiration.
Il est ensuite allé réitérer cette déclaration dans une télévision, mais aussi devant le magistrat-instructeur. Le ndiguel existe et ils l’ont tous confirmé. On va insister sur le fait qu’il n’a pas dit de tuer ou donner des ordres pour tuer Bara Sow, mais il l’a provoqué.» Et le reste de la bande ? «Makhtar Sow est venu le voir quand il a vu la foule et il ne l’a pas suivi dans sa volonté d’éviter la bagarre.
Il a marqué son opposition à la visite de Bara Sow et l’a signifié. Donc, il est complice au même titre que Cheikh Béthio Thioune. On a beaucoup insisté sur l’association de malfaiteurs. C’est une entente, une concertation préalable pour commettre un délit», détaille-t-il en rappelant que le juge d’instruction s’est intéressé au fonctionnement des thiantacounes qui est une organisation parfaite, qui a interdit l‘accès à Bara Sow et compagnie au domicile de Cheikh Béthio Thioune.
C’est pourquoi il a inclus même les bénéficiaires de la liberté provisoire dans le délit d’association de malfaiteurs. Quid de la nondénonciation de crimeAu final, il a requis les travaux forcés à perpétuité pour Cheikh Béthio Thioune, Khadim Seck, Demba Kébé, Cheikh Faye, 10 ans de travaux forcés contre Mamadou Hann dit «Pape», Samba Ngom, Aziz Mbacké Ndour, Serigne Saliou Barro, qui n’ont pas pris part au meurtre, mais étaient présents.
Il a également demandé un mandat de dépôt contre les bénéficiaires de la liberté provisoire. Il a ensuite sollicité un mandat d’arrêt international contre le guide des thiantacounes, la confiscation de ses biens, leur placement sous séquestre et leur publication dans le livre d’affichage au niveau du tableau du Tribunal de grande instance de Mbour. «Avec la contumace, il ne pourra pas faire appel. La seule possibilité qui lui est offerte, c’est de se constituer prisonnier pour qu’on reprenne le procès.
C’est pourquoi il faut penser par deux fois avant de le faire. On ne nargue pas la justice», conclut le patron du Parquet du Tgi de Mbour où l’ambiance est aussi glaciale que les récits qui ont escorté cette semaine de procès.
Demande de la partie civile 3 milliards réclamés au guide des thiantacounes et Cie
C’était une journée attendue pour les familles des victimes. Et leurs avocats ont enfoncé le leader des thiantacounes et ses disciples accusés d’avoir tué Ababacar Diagne et Bara Sow dans des conditions atroces. Ils ont essayé de le faire déchoir de son piédestal de guide qui faisait la pluie et le beau temps à Médinatoul Salam jusqu’à cette date dramatique du 22 avril 2019.
Me Badara Ndiaye donne le ton : «Les faits qui les inculpent sont tangibles et Cheikh Béthio Thioune est mouillé jusqu’au cou dans l’assassinat de Ababacar Diagne et de Bara Sow, car le guide des thiantacounes se prenait pour un intouchable. Le certificat de genre de mort parle d’une mort violente.» Dans son sillage, Me Khassimou Touré parle de procès historique, inédit et sensible à la fois.
Il est allé puiser dans les écrits de Cheikh Ahmadou Bamba Massalikhoul djinane pour donner un accent religieux à sa plaidoirie : «Quand on frappe à une porte avec insistance, on finit par y entrer. Nous avons frappé avec insistance devant la porte de la justice et on a fini par y entrer avec brio, avec dignité, avec humilité. Les chefs d’accusation étaient très lourds et sont au nombre de sept.
Nous avons procédé méticuleusement à situer les responsabilités des uns et des autres, à asseoir la culpabilité des uns et des autres. Je le disais : ils ont été sauvagement tués, ils ont été sauvagement ensevelis.» Me Touré insiste sur la culpabilité de Béthio Thioune et de ses talibés : «Une concertation a eu lieu, une réunion nocturne a eu lieu pour se répartir les tâches, pour protéger certains et jeter l’opprobre sur les autres. Nous avons dénoncé tout cela devant la barre de cette juridiction.
Et comme notre système judiciaire l’autorise et le permet, j’ai dit que les héritiers de Bara Sow et les héritiers de Ababacar Diagne, aucun montant, si important soit-il, ne peut réparer le préjudice qui a été causé à leurs familles, à leurs héritiers et à leurs ayants droit. Il ne faut pas oublier qu’Ababacar Diagne a été enterré vivant. C’était atroce.
Bara Sow a été torturé, sauvagement agressé. C’était douloureux. C’était atroce.» Il a demandé que les familles des victimes soient indemnisées à hauteur de 3 milliards F Cfa. «En tant que leur conseil, leur porte-voix, j’ai demandé à ce que les accusés soient condamnés à leur payer solidairement la somme de 3 milliards de francs Cfa.
En taquinant, j’ai dit que ces 3 milliards ne vont pas servir à faire du ‘’pouthie-paathie’’, mais ils vont constituer un plat de résistance digne, un plat de résistance confortable pour ces gens qui ont subi un préjudice doloris, un préjudice économique, social, des coups psychologiques et psychiques, mais qui continuent à vivre dans la dignité et dans l’honneur», dit-il. «Les victimes ont laissé une progéniture à bas âge et leur avenir doit être assuré», rappelle-t-il.
Cette demande n’est pas un moyen de battre monnaie. Il explique : «Aucun montant ne peut réparer le préjudice qui a été causé. Je n’ai pas fait cette demande par pure fantaisie ; j’ai fait cette demande en me fondant sur le droit, sur les faits. Il faut une réparation pécuniaire.
J’aurais pu demander le franc symbolique, mais ce serait triché de ma part. C’est trahir la confiance de mes mandants qui m’ont demandé de frapper fort pour que pareille atrocité ne se reproduise dans ce pays, dans ce beau pays, le Sénégal où l’harmonie, la concorde, la vie en société sont érigées en règles de principe.» Dans sa plaidoirie, Me Touré a aussi épinglé Adja Déthié Pène qui avait déclaré à la barre que «Cheikh Béthio Thioune est Cheikh Ahmadou Bamba».
«J‘ai dit que là, c’est aller trop loin. Cheikh Béthio n’est pas Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ahmadou Bamba n’est pas Cheikh Béthio. Cheikh Ahmadou Bamba était à un autre degré beaucoup plus élevé, beaucoup plus spirituel. Et je dis que c’est une offense à la communauté mouride, c’est une offense à Cheikh Ahmadou Bamba qui n’est pas Cheikh Béthio Thioune, quels que soient le respect et la considération que j’ai pour lui.
Cheikh Béthio Thioune ne peut pas être Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ahmadou Bamba ne peut pas être Cheikh Béthio. Ils ont chacun un champ d’applications bien déterminé», enrage Me Khassimou Touré.
Au final, les avocats de la partie civile espère un verdict à la hauteur de leurs attentes : «Nous attendons de notre justice qu’elle dise le droit, qu’elle se soucie un tout petit peu de la veuve et de l’orphelin, qu’elle réhabilite moralement, socialement, sociologiquement Bara Sow et Ababacar Diagne.Donc les 3 milliards que j’ai demandés rentrent parfaitement dans ce qu’on peut appeler la catégorisation des réparations pécuniaires.»