C’EST L’ARGENT QUI MANQUE LE PLUS
Cité Millionnaire est un nom que portent trois quartiers de Dakar, Pikine et Rufisque. Des quartiers dont le nom suggèrent l’aisance de leurs habitants mais où la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Cité Millionnaire est un nom que portent trois quartiers de Dakar, Pikine et Rufisque. Des quartiers dont le nom suggèrent l’aisance de leurs habitants mais où la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.
Dans la commune de Diamagueune-Sicap-Mbao, non loin de la pharmacie éponyme, à proximité de la nationale 1, au détour d’une ruelle pavée qui lui est perpendiculaire et qui rejoint les profondeurs de la commune, est nichée «Cité Millionnaire». Elle est parcourue par d’innombrables venelles aux tracés inégalés et exigus, formant un dédale ou l’on se perd facilement. Dans ce patelin, rien ne renvoie au clinquant «Millionnaire» qui donne son nom au quartier, du moins actuellement.
A l’heure où le soleil n’impose pas encore ses rigueurs aux badauds, les ruelles sont le passage de files continues de personnes en partance pour le travail. Les herbes qui émergent, les traces d’humidité au sol, les gravats qui jonchent les artères, en plus des sillons visibles qui ravinent le terrain, montrent qu’on est en zone inondable. Le quartier est plein de vie malgré l’heure matinale. Les femmes sont visibles à intervalles réguliers en cette heure matinale. Elles balaient la devanture de leurs maisons. Les bêlements des moutons qui divaguent ou qui occupent des enclos aux abords des maisons rendent le décor atypique.
Au détour d’une des ruelles, nous débouchons sur la place baptisée «Xaar Yalla» (Avoir en espoir en Dieu). Sous un toit en zinc, tenu par des piquets de bois, une assemblée s’est formée. Ici, c’est le lieu de regroupement d’hommes et de femmes majoritairement originaires de la région naturelle de Casamance. Ils sont mécaniciens, peintres, menuisiers, touche-à-tout.
Sur les chaises de fortune en plastique, stabilisées par des bidons vides, ils partagent leurs brèves connaissances de l’histoire du quartier. Un chauffeur svelte, teint ébène, chemise jaune, témoigne: «Je suis venu en 1974 dans ce quartier. Il portait déjà le nom de Cité Millionnaire. Cette cité est issue des flancs de la Cité Sabé qui porte le nom d’une entreprise de construction.» A l’agora local, une femme, le corps décharné, des scarifications au visage, les rides prononcées, est assise sur un banc, un bol sur les genoux. Gnima Seydi habite depuis 34 ans dans ce quartier. «A l’époque, révèle-t-elle, l’espace était essentiellement occupé par des arbres.» Elle nous montre trois piles de briques sur un terrain nu.
L’endroit ne montre plus aucune trace de vie antérieure. Elle y a longtemps vécu avec son époux rappelé à Dieu. Ce quartier contrairement à la richesse à laquelle pourrait renvoyer son nom, est le siège d’une pauvreté extrême de ses habitants. La sexagénaire a vécu nombre d’inondations qui la poussait, elle et d’autres familles qui occupaient ce qui est devenu un terrain vague, à abandonner leur maison chaque hivernage pour s’établir dans le voisinage. Cette situation précaire a finalement eu raison de sa maison. Aujourd’hui, Gnima Seydi exerce, malgré son âge avancé, le métier de lavandière. Elle est actuellement en congé forcé. «Cela fait 3 ou 4 mois qu’on ne requiert plus mes services à cause de la pandémie de la covid. Il ne me reste plus qu’à mendier, ce que ma dignité m’interdit. Le bol que je tiens entre mes mains, je dois aller le rendre. C’est le dîner qu’on m’a offert hier», confie-t-elle amère.
La dame et tous ceux qui sont sous la tente de fortune regrettent leur non inscription sur les listes des aides alimentaires dues à la covid-19. Elle rajoute au tragique de son histoire : «Je loue une chambre durant l’hivernage où l’on retire l’équivalent de trente bassines d’eau journellement avec l’aide de quelques voisins. Et la nappe se recharge vite après cela.» Elle vit un cauchemar lors de la saison des pluies qu’elle entrevoit avec appréhension.
Son vis-à-vis, Gorgui Diop, chemise pourpre, bonnet serré, est peintre-décorateur. Il avoue ignorer l’origine du patronyme du site. Ce n’est pas l’essentiel pour lui. Ce qu’il souligne non sans le regretter, c’est le lotissement irrégulier du quartier, leurs difficultés en saison pluvieuse : «Tout le monde patauge sans qu’on ait le soutien d’aucune autorité, fut-elle municipale ou étatique. Nous considérons que nous n’avons pas de maire. Notre édile avec toutes les souffrances qu’on vit, a voulu nous donner 20.000 pour l’achat de gasoil lors des dernières inondations», regrette-t-il.
En chœur, les populations de la zone affirment se cotiser durant les mois pluvieux pour louer des machines. Avec pour seule aide, celle de Bara Dieng, un jeune délégué de quartier intérimaire apprécié pour son dévouement à la communauté et sa débrouillardise. Agé de 36 printemps, il est d’abord facile. Ce menuisier métallique est activiste dans plusieurs mouvements de défense des droits des populations. Trouvé chez lui dans les profondeurs du quartier, il lie le nom du quartier à ses premiers habitants. «Il se dit qu’à l’époque dans la cité, il y avait des millionnaires, mais aujourd’hui c’est tout le contraire, ajoute-t-il sourire aux lèvres. Il y avait plus précisément des Ndiambour-Ndiambour, des émigrés. Je me souviens encore de la famille Mboup avec Cheikh et son frère Modou.» « Vous n’avez pas besoin d’aide »
Après le Km 16 de la route de Rufisque, cap sur le Km 25, chez la dernière née des «Cités Millionnaires», dans la commune de Rufisque Ouest. Elle est prise en étau par les quartiers de Ndar Gou Ndaw au Nord, Diokoul à l’est, et les Hlm à l’ouest. Son nom officiel est Mousdalifa. Chose que beaucoup de personnes ignorent selon le délégué du quartier et président des délégués de la commune de Rufisque Ouest, Babacar Ndiour. Il parle d’un sobriquet affublé au quartier quand les constructions en dur ont commencé à essaimer. «Cela ne renvoie nullement à une question de richesse», énonce-t-il, péremptoire. Ce quartier est très calme contrairement aux autres «Cités Millionnaires». Ce qui se remarque, c’est un lotissement règlementaire puis des constructions qui font penser à des habitants aisés. Elle renvoie au Rufisque nouveau, bien différent des formes d’habitations traditionnelles en communauté des quartiers traditionnels lébous. Le quartier dénombre également beaucoup d’originaires de ces quartiers anciens de la vieille ville. Le délégué septuagénaire de la «Cité Millionnaire» de Rufisque, se rappelle les collectes d’argent pour la construction des mosquées, ou encore plus récemment les aides aux familles pauvres dans le contexte de la covid-19. "Vous êtes un quartier de millionnaires, vous n’avez pas besoin d’aide nous répétait-on, balance-ton", révèle-t-on. Plus sérieusement, il relève que «le quartier compte autant de pauvres que de personnes aisées, comme le Plateau et tous les quartiers de Dakar.»
C’est en 1998 qu’a été installé son premier délégué. Aujourd’hui, cette «Cité Millionnaire» compte près de trois cents maisons, deux mosquées, un centre spirituel catholique, le Mont Tabor,etc. Le calvaire du pont Sénégal Emergent Après Pikine et Rufisque, c’est dans le département de Dakar qu’on trouve la dernière «Cité Millionnaire». Coincée entre les quartiers Arafat, Hlm Patte-d’oie et le Pont Sénégal Emergent, elle est la plus célèbre. C’est un quartier très populeux aux rues constamment animées. On y trouve des commerces, des cantines d’artisans et des ateliers de couture à foison.
Imam Moussa Fall le délégué de quartier fait également office d’imam. Le vieil homme au crâne rasé occupe ce rôle depuis 2016 après avoir remplacé son frère. En 1989, quand il s’installait dans ce quartier, il ne recensait que trois maisons. Le quartier s’appelait Minam. «C’est simplementpar hasard qu’il porte le nom de «Millionnaire», relate-t-il. Maciré Kanté, courtier de son état disait tout le temps que le quartier était riche. Par la suite, beaucoup de personnes ont continué à l’appeler quartier Cité Millionnaire et cela s’est imposé. Chemin faisant, quartier Cité Millionnaire est devenu tout simplement Cité Millionnaire.» L’imam réfute la thèse selon laquelle le nom du quartier serait dû à la richesse de ses premiers habitants. A l’en croire, cela n’avait rien à voir avec une question d’opulence. «Il y avait des gens de toutes les classes sociales, avance-t-il. Peut-être, est-ce dû aux premières constructions en hauteur alors que dans certains quartiers il y avait beaucoup de baraques.» Le nom du quartier vaut souvent des plaisanteries à ses habitants. L’imam pioche dans ses réminiscences le souvenir d’une prière qu’il avait dirigée. «A la fin et alors qu’on sollicitait des aides pour des travaux de la mosquée, l’édile d’alors de la ville de Dakar Mamadou Diop, présent, avait rigolé et dit que les habitants de la cité n’en avaient pas besoin, puisqu’ils étaient des millionnaires.» Malheureusement, ce n’est pas forcément la réalité dans ce quartier dont le plan du lotissement d’origine comptait 444 parcelles. «Les besoins sont nombreux y compris pour ma propre personne », ironise le délégué. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il y a des personnes plus ou moins riches, d’autres qui sont pauvres, d’autres encore qui sont à un niveau intermédiaire.» Il n’y a pas que des problèmes pécuniaires dans cette «Cité Millionnaire». Le quartier souffre aujourd’hui d’énormes difficultés, particulièrement son blocage par le pont Sénégal Emergent qui rend plus que difficiles les déplacements des populations contraintes de faire des détours pour atteindre certaines zones.