DE REELLES MENACES SUR L’ENVIRONNEMENT
L’environnement du département de Bignona est, sans doute, le plus agressé avec une déforestation à outrance qui a atteint des proportions plus qu’alarmantes.

Le pillage des ressources forestières du département de Bignona, la destruction des dunes de sable dans la commune de Diembéring etles changements climatiques ont fortement agressé ces dernières décennies l’environnement de la région de Ziguinchor. A part le Bubajum Ayi (royaume d’Oussouye) qui fait figure d’exception, toute la région est sous la menace d’un péril environnemental.
L’environnement du département de Bignona est, sans doute, le plus agressé avec une déforestation à outrance qui a atteint des proportions plus qu’alarmantes. Ce fléau entretenu par un trafic international et illicite du bois bien organisé a participé à décimer toutes les forêts situées le long de la bande frontalière entre le Sénégal et la Gambie. Les arrondissements de Sindian et Kataba 1 sont les plus touchés par le phénomène.
Lors d’une visite organisée dans la forêt de Sindian en janvier 2020 à l’intention du forum des journalistes africains, le maire de la commune avait manifesté son désarroi et affiché de grosses inquiétudes. «Votre déplacement est très important pour nous, car il nous permet de montrer à la face du monde le danger qui nous guette. L’ampleur des dégâts est incommensurable et aujourd’hui, nous craignons même de voir disparaître le peu deTecks qui nous reste», avait soutenu Yancouba Sagna.
Le maire de Sindian avait même détaillé le mode opératoire des auteurs de ce crime organisé. «C’est une mafia quifait ce trafic international de bois vers la Chine via la Gambie. Les brigands opèrent en pleine nuit, avec un imposant arsenal composé de scieries mobiles, de véhicules et parfois même d’armes», avait-il révélé avant d’avouer l’impuissance de la collectivité territoriale et des populations de la zone à freiner les détracteurs des forêts. «Les populations n’ont pas les moyens de les contrecarrer. Elles ne constatent souvent les dégâts qu’au petit matin après la razzia opérée la nuit par les trafiquants. Notre collectivité n’a pas non plus les moyens de faire face», avait indiqué le maire de Sindian.
Le président du Forum des Journalistes Africains, qui avait alors constaté avec stupéfaction l’ampleur des dégâts, n’avait pas manqué d’exprimer son amertume. «Aucun impact n’est noté sur le terrain, en dépit des moyens de dissuasion et de répression mobilisés par l’État pour lutter contre le phénomène. La nature est agressée, le désastre s’installe et les délinquants agissent sans être inquiétés. C’est écœurant», s’était insurgé Massiga Diouf, président de l’AJF et spécialiste de l’environnement. Ce trafic illicite de bois est orchestré par de gros bonnets établis en Gambie, avec la complicité de certains Sénégalais dont des éléments supposés appartenir au Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Les délinquants forestiers profitent de l’insécurité qui prévaut dans les arrondissements de Sindian et Kataba1 pour commettre leurs forfaits. Ils n’hésitent pas à tirer sur tout individu qui tenterait de leur barrer la route. En attestent les échanges de tirs ayant opposé, le 27 mai dernier, des agents des Eaux et Forêts partis récupérer du bois saisi dans la forêt de Koudioubé et des éléments armés. Cet accrochage avait coûté la vie à un pisteur qui aidaitla brigade des Eaux et Forêts de Bignona.
A Bignona, beaucoup avaient nourri l’espoir de voir cette pratique cesser avec le départ de Yaya Jammeh de la tête de la Gambie. Mais hélas ! Ils ont vite déchanté, puisque le fléau perdure encore avec l’actuel Président, Adama Barrow, malgré ses assurances au Président sénégalais Macky Sall. En 2020, beaucoup de produits forestiers, de dérivés de produits forestiers et de matériel de coupe et de transport ont été saisis par les agents des Eaux et Forêts de la région de Ziguinchor. Le département de Bignona a enregistré plus de ¾ des saisies. Dans cette zone, les hommes du lieutenant colonel Dione ont mis la main sur 357 billons de vène, 51 billons de caïlcédrat contre 3 à Ziguinchor et 2 à Oussouye. Outre le bois de vène, les agents des Eaux et Forêts ont saisi 56 billons de linké, 104 plateaux de caïlcédrat, 290 planches de fromager, 196 planches de vène, 1723 lattes de rôniers, 125 stères (bois de chauffe), 1846 sacs de charbon de bois etc. En plus du bois et autres produits forestiers, les agents des Eaux et Forêts ont mis la main sur une voiture, une charrette, untracteur, trois motos, une tronçonneuse etc. Des chiffres révélés par l’inspecteur régional des Eaux et Forêts de Ziguinchor, le lieutenantcolonel Babacar Dione.
A DIEMBERING, LES AUTORITES VALIDENT L’AGRESSION DE L’ENVIRONNEMENT
A Diembéring, les populations assistent, impuissantes, à une mafia autour du sable des dunes. Cette exploitation est l’œuvre d’une entreprise franco-sénégalaise dénommée DJ, avec la complicité des élus locaux et des services déconcentrés de l’État. Le 4 décembre 2020, Mangoné Diagne, chef de la division régionale de l’Environnement et des Etablissements classés et Ousmane Baldé, chef du service régional des Mines, se sont déplacés à Diembéring pour voler au secours de l’entreprise DJ, en autorisant l’ouverture d’une carrière sur la plus grande dune de sable du village. Et ce, malgré l’opposition de la plupart des cadres de Diembéring. «Ces dunes de sable ont mis des siècles à se former. Elles n’ont jamais été prélevées pour la commercialisation. Alors comment un couple franco sénégalais peut-il se permettre d’extraire des quantités industrielles pour les vendre sans se soucier de la menace maritime qui guette notre village», avait dénoncé Augustin Diatta, opérateur touristique, natif de Diembéring.
L’association Urok Juwatt, qui regroupe les fils et filles de Diembéring, Bouyouye, Nikine et Etamboudial, par le biais de son président Abdoulaye Ndiaye, avait même porté plainte contre la société qui exploite la carrière. Mais la procédure judiciaire peine toujours à se mettre en branle. Avant cette dune de sable, c’est d’abord le littoral qui a été la cible de cette exploitation industrielle. Mais l’entreprise franco-sénégalaise DJ a été contrainte d’arrêter les prélèvements par une partie de la population qui était foncièrement opposée à l’extraction de sable, en barrant la route aux camions. Cet acte avait poussé les exploitants à se retirer de cette zone vulnérable. Le village de Diembéring est l’un des plus menacés, en Casamance, par l’avancée de la mer. C’est dans cette zone qu’il y a la plus importante vitesse de décapage de la côte. Celle-ci est de l’ordre de 20 mètres par an, alors que la moyenne nationale est de l’ordre de 3mètrespar an, selonplusieurs spécialistes.
OUSSOUYE, L’EXEMPLE A SUIVRE
S’il y a une zone géographique qui garde encore, intactes ou presque, ses ressources forestières, c’est bien le Bubajum Ayi (conglomérat de 17 villages sous l’autorité du roi d’Oussouye). A Oussouye, les forêts luxuriantes, qui font le charme de l’un des départements les plus écologiques du Sénégal, sont jalousement conservées par les populations. «Le réflexe de protection de la nature développé par les populations nous facilite le travail. Ce comportement vis-à-vis de l’environnement, bien ancré à Oussouye, est sans doute à chercher dans les croyances ancestrales», avait indiqué le chef de la brigade des Eaux et Forêts d’Oussouye, lors d’une journée de reboisement organisée dans le département.
Cette hypothèse est confortée par un membre de la cour royale d’Oussouye. «La vie du Diola dépend essentiellement de la nature. On se nourrit à partir de la nature. C’est la nature qui nous soigne et c’est elle qui nous donne un cadre de vie propice à notre épanouissement. Alors pourquoi scier l’arbre sur lequel on est assis», raconte Philippe Diédhiou dit Filidié, un des porte-paroles du royaume d’Oussouye. «A Oussouye, la forêt est sacrée puisqu’elle abrite la plupart de nos fétiches. Il est formellement interdit d’abattre des arbres sans respecter certains rituels. La préservation de l’environnement est un devoir chez nous. Nos parents nous ont appris que les arbres nous procurent la vie. Donc s’ils disparaissent, nous ne pourrons pas survivre», poursuit-il. Philippe Diédhiou estime que les exigences issues des croyances ancestrales ont permis de préserver l’environnement dans le royaume. «Je pense que toutes les communautés du Sénégal doivent œuvrer dans ce sens, même si c’est avec des paradigmes différents», conclut M. Diédhiou.