DEUX CORPS DE SÉNÉGALAIS BLOQUÉS POUR MOINS DE DIX MILLIONS
Alassane Diallo né le 16 juin 1993 à Hamdallaye et Abdoul Diallo né le 1 er janvier 1992, deux cousins, sont morts asphyxiés dans une ferme à Yegen, en Espagne, depuis plus deux mois.

Alassane Diallo né le 16 juin 1993 à Hamdallaye et Abdoul Diallo né le 1 er janvier 1992, deux cousins, sont morts asphyxiés dans une ferme à Yegen, en Espagne, depuis plus deux mois. Originaires du village de Gourel Bocar, département de Tambacounda, arrondissement de Missirah, les victimes, mariées et pères de deux enfants, vivaient ensemble dans la province de Grenada. Ils ont été tués dans leur sommeil dans des conditions dramatiques. L’enquête a conclu à une mort par asphyxie. Depuis plus d’un mois, les corps ont été remis aux autorités consulaires et se trouvent dans un funérarium en attendant d’être rapatriés. Pour seulement six millions, le ministère des Affaires étrangères se conforte dans du dilatoire ou dans des lourdeurs administratives qui accréditent la thèse de la crise de trésorerie. Ni le Ministre Amadou Bâ ancien grand argentier de l’Etat, encore moins le secrétaire d’Etat Moïse Sarr contactés par «L’As», n’ont su apporter la réponse qui soulagerait la famille des défunts. Les enfants et les veuves des disparus ne peuvent faire leur deuil faute de corps «oubliés» par nos autorités plus préoccupées par les fastes. Peut-être que le chef de l’Etat, ou la Première Dame, répondra à l’appel de détresse de ces familles doublements meurtries.
VOICI L’HISTOIRE …
Un ressortissant sénégalais nommé Moussa, 30 ans, travaillait depuis quatre mois pour le compte d’un propriétaire de ferme à Cortijo la Zulla à Yegen (Grenade). Pour dix heures de travail, il faisait la cueillette de tomates et d’haricots et était payé 45 euros par jour. Il n’avait pas de contrat. Il vivait dans une sorte de grange à l’intérieur du domaine. Début septembre, son patron lui a demandé de lui chercher plus d’immigrants pour l’aider dans une campagne de récoltes. Quelques jours plus tard, le propriétaire conduit Moussa à Roquetas de Mar où vivaient ses trois frères. Ils ont ramené avec eux les deux frères Abdoulaye et Alassane Diallo, âgés de 21 et 26 ans respectivement, et sont retournés à la ferme. Le 23 octobre, ils sont retrouvés morts sur leur lit. Ils ont inhalé du monoxyde de carbone alors qu’ils dormaient dans la grange qui servait à garder des outils et des produits phytosanitaires toxiques. Ils se levaient toujours à six heures du matin. Quand Moussa est allé les chercher, il les a découverts sans vie, allongés sur le matelas où ils dormaient sur le sol froid. Affolé, il a couru pour avertir le propriétaire. Après constat de la mort des deux frères, le propriétaire lui a dit de partir au risque de voir la garde civile arriver et l’arrêter pour défaut de papiers et complicité d’homicide involontaire.
DECLARATION DEVANT LE JUGE
Après le drame, Moussa a téléphoné à son frère aîné et lui a raconté ce qui s’était passé. Quelques heures plus tard, le grand frère nommé Mamadou Diallo, 45 ans, est venu à Yegen et ensemble, ils se sont rendus au siège de la Garde civile. Ils ont raconté aux agents la même chose qu’ils avaient dite la veille au chef adjoint du tribunal d’Órgiva, qui a demandé que l’affaire soit instruite. D’une voix brisée, Mamadou avoue : «Cela fait très mal. Deux personnes très jeunes sont mortes comme ça, dans la même pièce. Le 19 septembre, cet homme les a pris ici dans ma maison et après cette tragédie, il dit qu’il ne les connaît pas comme s’il s’agissait de vulgaires chiens !» Moussa n’a pas encore retrouvé tous ses esprits et rappelle le moment où il a retrouvé ses frères sans vie. «C’était très difficile de se souvenir de tout à nouveau, devant le tribunal. Il se désole de les avoir amené travailler làbas. Moussa avait rencontré le propriétaire «EG» en 2018 à la gare routière de Roquetas de Mar. Il l’avait recruté pour venir travailler dans sa ferme sachant qu’il n’avait pas de papiers.
L’immigrant avait travaillé pendant une saison, après l’été, mais l’homme n’avait payé que la moitié de ce qu’il devait, prétextant qu’il y avait eu de nombreuses tempêtes et que les jours concernés ne comptaient pas. Malgré tout, en juin de cette même année, le propriétaire l’a rappelé et le Sénégalais a accepté le poste, de même pour ses frères morts. Ils disent qu’une douzaine de personnes de nationalités différentes travaillaient dans la même ferme, même si seuls les trois Subsahariens y dormaient. Quand la communauté sénégalaise a eu écho de ces conditions de vie, elle était consternée, explique As Mané Kanté, un ami compatriote de la famille Diallo. «Les deux étaient mariés et avaient des enfants. L’un avaient trois enfants et l’autre deux. Le premier arrivé était Moussa et le propriétaire l’avait hébergé dans une cabine qui n’avait pas de lumière, mais un panneau solaire. Ils avaient une douche mais l’eau n’était pas potable. S’ils voulaient boire, ils devaient aller la chercher dans un réservoir.» Sur les 45 euros qu’ils ont gagnés en travaillant dix heures par jour, EG en déduisait les frais pour la nourriture et pour le dortoir.
CE QUE LE PROPRIETAIRE DE LA FERME A TENTE DE CACHER
À 11 h le 23 octobre 2019, EG a appelé la Garde civile pour l’avertir qu’il avait trouvé deux corps sans vie dans une cabine de sa ferme. À leur arrivée, les agents lui ont demandé s’il connaissait les défunts, mais il a répondu non, qu’il ne connaissait même pas leurs noms, qu’il leur avait donné refuge deux jours auparavant car ils n’avaient nulle part où se réfugier. Seulement les Gardes civiles n’ont pas cru à cette version des faits. Des agents scientifiques ont inspecté l’intérieur de cette cabine et lorsqu’on lui a demandé s’il avait touché quoi que ce soit, l’homme a répondu qu’il n’avait sorti qu’un bocal de métal avec des braises. Le même jour dans l’après-midi, Moussa et Mamadou Diallo se sont présentés au siège de la garde civile comme étant des frères des défunts qui travaillaient pour EG depuis le 19 septembre. Ils n’étaient pas enregistrés à la Sécurité sociale car ils se trouvaient en situation irrégulière en Espagne. Ils résidaient à Roquetas de Mar où ils travaillaient avant de participer à la campagne de récolte de fraises à Huelva. Moussa dormait dans une grotte, à environ 50 mètres de la cabine. Le 22 octobre, les trois frères avaient terminé leur journée à 18h30. Ils ont dîné ensemble dans la cabine et après avoir regardé la télévision, ils se sont couchés.
À six heures du matin, il est allé les chercher. Il a trouvé la porte et les fenêtres fermées et ses deux jeunes frères étaient morts. Le propriétaire aux initiales «EG» a été arrêté pour présumé meurtre et non-respect des droits de travailleurs, le 29 octobre passé. Il a été remis en liberté provisoire, avec obligation d’aller se présenter le 1er de chaque mois. Il notait dans un cahier les sommes d’argent qu’il leur donnait et ce qu’il escomptait pour la nourriture et pour dormir dans la maison de l’outillage où Abdoulaye et Alassane avaient été retrouvés morts. Jusqu’à ce matin fatidique, il n’avait remis que 400 euros à Moussa et les enquêteurs avaient retrouvé la décharge. Après avoir été libéré, le propriétaire de la ferme s’est déplacé à Roquetas de Mar pour aller remettre à Moussa et Mamadou en mains propres l’argent qu’il devait à ses défunts frères. Un montant de 990 euros pour Abdoulaye, 740 euros pour Alassane et une contribution de 250 euros pour couvrir les frais funéraires. Jusqu’à ce jour, les corps n’ont pas été enterrés et sont en attente d’être rapatriés. Les frères Moussa et Mamadou veulent qu’on les aide à ramener les dépouilles de leurs frères au Sénégal. Le consulat du Sénégal avait offert son aide pour le rapatriement mais jusque-là, aucun acte n’a été posé.
Avec le site Samarew.com