À QUAND LA FIN DE L'EXCISION AU SÉNÉGAL ?
rès de 13% des filles de moins de 15 ans en sont encore victimes, avec des taux atteignant 83% dans certaines régions comme Matam. Témoignages de femmes qui se battent pour briser ce fléau

Les mutilations génitales féminines (MGF) constituent une pratique profondément ancrée au Sénégal, qui touche généralement les filles à un très jeune âge. Malgré́ les efforts de l’Etat pour éradiquer le fléau, le taux de mutilations génitales féminines stagne depuis au moins deux décennies.
Ce n’est pas demain la fin de l’excision au Sénégal. Juriste en droits humains et originaire d’une localité dans le nord du pays, cette jeune dame du nom d’Aïssatou Ngom a été excisée à l'âge de 12 ans. «J’étais avec ma petite sœur. On nous a demandées d’aller voir une tante qui était dans le village à qui on devait nous présenter et on ne nous avait rien dit. Quand je suis arrivée, il y avait une dame dans une pièce où il y avait une natte, beaucoup de sable, une calebasse avec des lames et là, j’ai compris que ce n’était pas une visite de courtoisie. Quand j’ai voulu ressortir ma tante qui nous avait accompagnées m’a tiré vers elle. Elles ont fermé la porte et elles m’ont mise par terre car elles étaient trois», rapporte cette victime. «Quand je me suis réveillée, j’avais beaucoup de sang et j’avais une douleur au bas ventre que je ne comprenais pas», narre Aïssatou Ngom. Après avoir subi l’excision, la petite Aïssatou s’était évanouie. «Je me suis évanouie non pas à cause de la douleur ressentie lorsqu’elles ont commencé, mais je n’arrivais plus à respirer parce que je n’avais que 12 ans et je pesais 40 kg, et une dame de 80 kg était assise sur ma poitrine pour me maîtriser. Je me suis évanouie. Il s’y est ajouté une hémorragie mais personne ne m’a amenée à l’hôpital parce que c’était interdit et les personnes qui étaient identifiées comme ayant pratiqué l’excision seraient emprisonnées», affirme-t-elle.
A l’en croire, sa famille a choisi de rester à la maison et de prier pour qu’elle aille mieux. «Des jours plus tard, l’hémorragie s’est arrêtée et je me suis battue pour survivre. Cela a été une période extrêmement difficile. Je suis sortie de cela très colérique, énervée et sur la défensive. Je n’avais plus confiance en personne et j’en voulais au monde entier», se désole Aïssatou Ngom.
Interpellée sur sa vie après ce passage sombre, Aissatou Ngom soutient qu’elle n’est pas sortie indemne de cette épreuve «parce qu'elle a fait place à une autre personne. La petite fille joyeuse et innocente a disparu et a laissé la place à une jeune fille méfiante de sa société, de sa tante et de tout le monde», rapporte-t-elle. Conséquences des douleurs abdominales. «Je ne peux pas me coucher sur le dos. Dès que c’est fait, je sens qu’il y a une pression, je ne dors que sur le ventre car je sais que personne ne va m’exciser dans mon sommeil», avoue Aïssatou Ngom.
A l’en croire, il y a des séquelles qui n’ont pas disparu. « Des années plus tard, je me suis rendue compte que j’avais des séquelles parce que je ne peux pas me coucher sur le dos. Dès que c’est fait je sens qu’il y a une pression, je ne dors que sur le ventre car je sais que personne ne va m’exciser dans mon sommeil. J’ai été voir un spécialiste car c’est un traumatisme. Je ne peux pas accoucher par voie basse. Je ne peux accoucher que par césarienne sinon je risque une fistule. Ce sont des séquelles qui sont sorties de l’excision, la peur de l’intimité. Je survis et j’essaie de me battre pour que personne ne soit excisée», a déclaré Aïssatou Ngom.
« L’association est créée en 2008 et 17 ans plus tard, nous sommes à 95% de filles qui n’étaient pas excisées »
Malgré la souffrance qu’elle a vécue, Aïssatou n’a pas baissé les bras. Elle s’est battue pour mettre en place une association qui lutte contre l’excision. «Trois ans après, j'ai décidé de créer mon association et de mettre ma colère ailleurs. J'ai mis ma colère dans les études, j'étais une très bonne élève et studieuse mais j’ai été très réservée. Parce que les 3 dernières années qui ont suivi mon excision personne ne me reconnaissait, je ne parlais plus à personne et je manquais de respect à tout le monde», se souvient-elle avec tristesse. «Je me suis battue pour que les filles ne soient pas excisées. Quand j’ai créé l’association pour le maintien des filles à l’école (AMFE), nous étions 7 et toutes des victimes. L'année qui a suivi, nous étions plus de 20. L’association est créée en 2008 et 17 ans plus tard nous sommes à 95% de filles qui n’étaient pas excisées», se réjouit-elle.
Les filles qui mènent le plaidoyer et qui parlent aux chefs de village ne sont pas excisées, selon elle. Ces dernières ont réussi à enrôler d’anciennes exciseuses, les chefs de villages, les préfets, les sous-préfets, les médecins chefs. «Moi je m’en suis sortie mais aujourd’hui, bon nombre de mes copines et parents souffrent de fistule à cause de l’excision. Nous accompagnons énormément de femmes qui souffrent de fistule car elles n’ont pas eu la chance d’avoir un gynécologue qui leur dit que vous ne pouvez pas accoucher par voie basse. Elles ont accouché dans leurs cases, dans la pirogue en pleine traversée ou sur la charrette parce qu’elles essayaient de se rendre au poste le plus proche», se désole-t-elle. Elle ajoute qu’il faut que cela cesse parce que trop de personnes meurent à cause d’un ego surdimensionné d’une communauté patriarcale. «Je pense que ce combat n’est pas seulement celui des femmes, les hommes doivent être impliqués et au premier rang. Il faudrait qu’on leur explique parce que mon expérience m’a montré qu’il faut en discuter de manière plus posée avec les religieux et les hommes de culture et cela peut avoir un impact», dit-elle. Awa a connu également l’excision à l’âge de 9 ans et ce jour ne l’a jamais quittée. «Elles m’ont coupée au couteau sans anesthésie. Avec juste un morceau de tissu dans la bouche pour étouffer mes cris», raconte-t-elle les larmes aux yeux.
Aujourd’hui, âgée de 25 ans et résidant à Kolda, Awa est devenue une activiste contre l’excision et les mutilations génitales féminines (MGF) en général. «Une de mes plus grandes fiertés est d’avoir pu faire changer d’avis ma grand-mère, celle qui nous a excisées ma sœur et moi. Aujourd’hui elle a déclaré officiellement son abandon des mutilations génitales féminines», confie-t-elle. En effet, l'excision consiste à enlever une partie du clitoris. Selon les cultures, on coupe une partie du clitoris ou le clitoris en entier ou encore en plus du clitoris les petites et grandes lèvres. Cette pratique est considérée comme une violence dans de nombreux pays, car ses conséquences sur la santé des femmes sont très graves. La principale raison avancée par les acteurs de l’excision est la sexualité, c’est-à-dire qu’elle doit réduire la libido de la femme et se garantir qu'elle n'aura pas de rapports sexuels avant le mariage et qu'elle restera fidèle à son mari pendant sa vie d'épouse. Un point de vue partagé par certains qui pensent que l'excision renforcerait le plaisir sexuel des hommes. Cependant, cette pratique est condamnée au Sénégal par des lois. La première législation au Sénégal à interdire expressément les MGF a été l'article 299 bis introduit en janvier 1999 dans le Code pénal 2 de 1965 (Article 299 bis).
C'est la principale loi au Sénégal qui incrimine et punit la pratique des MGF. Article 299 bis : «Sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à l’intégrité de l’organe génital d’une personne de sexe féminin par ablation totale ou partielle d’un ou plusieurs de ses éléments par infibulation, ou par tout autre moyen. La peine maximum sera appliquée lorsque ces mutilations sexuelles auront été réalisées ou favorisées par une personne relevant du corps médical ou paramédical. Lorsqu’elles auront entraîné la mort, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée. Sera punie des mêmes peines, toute personne qui aura par des dons, des promesses, influences, menaces, intimidations, abus d’autorité ou de pouvoir, provoqué des mutilations sexuelles ou donné les instructions pour les commettre», lit-on sur le texte.
« Il y a 19 condamnations avec des peines prononcées depuis l'adoption de la loi en 1999 »
Selon le coordonnateur du programme de lutte contre les mutilations génitales féminines (Mgf), Mamadou Ndoye, les disparités notées sont liées aux déterminants que sont l'ethnie, la géographie et même la religion. A l’en croire, les régions frontalières qui polarisent les ethnies pratiquantes sont les zones les plus pratiquantes contrairement aux régions du centre. «Il y a donc des groupes ethniques chez qui la pratique est plus répandue.Dans ces régions, la pratique est intégrée dans les mœurs et coutumes et souvent même la religion sert de prétexte pour la légitimer», fait-il remarquer. Interpellé sur les localités qui ont abandonné, M. Ndoye cite les régions frontalières comme Ziguinchor, Matam, Sédhiou, Kolda, Tambacounda, Kédougou et même dans les régions de Kaolack et Fatick. «On est à plus de 7 000 communautés qui ont fait des déclarations publiques d'abandon de l'excision au Sénégal depuis 1999 avec la déclaration de Malicounda», indique Mamadou Ndoye.
Pour ce qui est des condamnations, il révèle qu’il y en a 19 avec des peines prononcées depuis l'adoption de la loi en 1999. «La loi est appliquée même si la dénonciation pose problème parce que dans notre société, le fait de dénoncer quelqu'un est mal vu. C'est pourquoi nous avons privilégié la dénonciation anonyme à travers la ligne verte 116 du ministère de la Famille», renseigne-t-il.
L'implication des hommes constitue un facteur déterminant, selon lui, dans la promotion de l'abandon de la pratique et les données ont montré que les hommes sont plus engagés que les femmes dans l'abandon de la pratique. «La prise en compte des valeurs culturelles est aussi un levier important pour amener les communautés à abandonner», affirme-t-il. Il ajoute que la prévalence a baissé. «De 16%, on est à 12,9% pour les filles de moins de 15 ans en 2023 selon l'enquête démographique et de santé continue 2023. Pour les femmes de 15 à 49 ans, la prévalence est passée de 25 à 20,1 % en 2023. Mais la pratique persiste même si la tendance baissière continue», souligne-t-il.
Les différents types d’excision
Il y a plusieurs types d’excision. Il y a ce qu’on appelle clitoridectomie c'est-à-dire une ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du prépuce. Pour ce qui est du type deux appelé excision, c’est une ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres. La quantité de tissus enlevée varie fortement d'une communauté à l'autre. C’est une pratique principalement présente en Afrique. Seuls 3 pays n'ont pas encore adopté de loi contre ces pratiques. Il s’agit du Libéria, de la Sierra Leone et du Mali. La pratique de l'excision est également présente au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique Latine. Si ces violences persistent encore, c’est surtout en raison des inégalités entre hommes et femmes dans nos communautés, ainsi que des superstitions et valeurs patriarcales qui cristallisent les fantasmes autour du corps de la femme. En plus d’être une violation extrême de leur dignité et de leur liberté, les mutilations génitales impactent sur la santé mentale et sexuelle des femmes.
L’excision en chiffres
Coordonnateur du programme de lutte contre les MGF, Dr Mamadou Ndoye estime que la prévalence nationale des MGF est de 12,9% pour les filles de moins de 15 ans. A l’en croire, 16,4% des filles de 15 à 19 ans sont victimes de cette pratique et 20% pour celles âgées de 20 à 24 ans, 22,8% de celles agréées de 25 - 29 ans, 20,8% pour celles agréées de 30-39 ans et 22% des filles agréées de 40-49 ans. Dans la région de Dakar, le taux est de 13% ; Sédhiou 80,9% ; Kédougou 71,3% ; Matam 83% ; Kolda 68,4% et Ziguinchor 47,3%, selon l'enquête démographique et de santé continue 2023. Des stratégies sont mises en place par l’Etat ainsi que la publication régulière des données de l'EDS continue par l'ANSD, l'existence du comité technique national sur les MGF présidé par le ministère de la Famille et des Solidarités, la disponibilité des argumentaires religieux et sanitaires et les données avec la publication régulière des données de l'EDS continue par l'ANSD.