«LA JUSTICE DES HOMMES EST À L’IMAGE DE CEUX QUI LA RENDENT»
Auteur du livre intitulé : «Médiations sur l’acte de juger : l’ultime audience», le juge Souleymane Téliko explique que son acte de méditation n’est pas lié à un problème de remords ou de conscience.

Auteur du livre intitulé : «Médiations sur l’acte de juger : l’ultime audience», le juge Souleymane Téliko explique que son acte de méditation n’est pas lié à un problème de remords ou de conscience. Revenant sur la justice des hommes, le président de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) estime que la position sociale ainsi que l’appartenance politique voire ethnique peuvent favoriser l’impunité. Dans son livre, le juge Téliko n’a pas manqué de faire la comparaison entre le jugement dernier etle jugement ici-bas.
Président, pourquoi des méditations sur l’acte de juger ?
Je vous fais remarquer que l’intitulé exact du titre de l’ouvrage est : «Méditations sur l’acte de juger : l’ultime audience». En réalité, c’est un intitulé qui peut prêter à équivoque dans la mesure où il s’agit de méditations qui portent sur le jugement dernier que j’appelle ici «l’ultime audience». Les mots «acte de juger» se réfèrent ici à l’angle sous lequel j’ai abordé le sujet du jugement dernier, en ce sens que j’ai essayé de faire l’analogie entre la procédure criminelle telle qu’elle se pratique dans nos tribunaux etle déroulement du jugement dernier tel que décrit dans le Saint Coran. En somme, «l’ultime audience» renvoie au sujet traité et «acte de juger» à la démarche adoptée pour traiter le sujet.
Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une comparaison entre le jugement dernier et l’acte de juger ici-bas ?
Il ne saurait y avoir de comparaison entre des choses à tout point de vue incomparables. La justice humaine et le jugement dernier sont un déroulement des univers fondamentalement différents avec des acteurs aussi incomparables que le sont Dieu et sa créature. Il s’y ajoute aussi que la nature des jugements est fondamentalement différente. Ici-bas, notre jugement porte sur des actes isolés qui sont qualifiés selon le cas de faute ou d’infraction. Dans l’Au-delà par contre, Dieu rend un jugement qui, au-delà des actes, porte sur la nature intrinsèque de l’homme. Au terme du jugement dernier, les hommes sont classés en «bons» ou «mauvais» : comme le dit un verset : «Innal abrara lafii naiim et wa innal foudiara lafii djahiim» c’est-à-dire «les bons vont au paradis et les mauvais vont en enfer». La prérogative de classer les hommes en bons ou mauvais revient à Dieu et à Lui Seul. Ceci étant dit, l’analogie, c’est précisément le fait de relever des traits de ressemblances entre deux ou plusieurs choses fondamentalement différentes. C’est une méthode d’explication couramment employée dans le Coran.
Par exemple, dans le Coranvous trouvez dans la sourate Araignée (29), un verset par lequel Allah nous dit : «ceux qui ont pris des protecteurs en dehors d'Allah ressemblent à l'araignée qui s'est donné maison. Or la maison la plus fragile est celle de l'araignée. Si seulement ils savaient !» C’est cette démarche analogique, qui consiste à passer du concret à l’abstrait, à aborder des choses peu connues ou abstraites en faisant le parallèle avec des choses plus ou moins familières que j’ai adoptée dans cet ouvrage en faisant le parallèle entre les séquences de notre procédure criminelle et certaines séquences du jugement dernier.
Est-ce que ce n’est pas une manière de soulager votre conscience si on sait que votre profession est perçue comme une prétention à remplacer Dieu dans ses prérogatives absolues d’être le Seul Juge de l’univers ?
Je pense que toute réflexion sur la vie, le devenir de l’homme ou son salut est une activité de méditation. L’activité de méditation n’est donc pas liée à un problème de remords ou de conscience. Elle est menée par tous les hommes et particulièrement par les croyants.Certes,toutlemondene prend pas le soin de rédiger le fruit de ses méditations mais à mon humble avis, tout le monde médite. Vous-même, il vous arrive de méditer non ?
Vous avez dit dans le livre qu’il y a une unité symbolique à travers la balance qui représente la justice sur cette terre et l’autre monde. A travers le Texte Sacré, il est dit que la Justice sera bien rendue le Jour du jugement dernier. En tant que juge «profane» est-ce que vous pensez qu’elle est bien rendue sur cette terre du Sénégal ?
La justice des hommes est à l’image de ceux qui la rendent. Elle est nécessairement imparfaite. Mais c’est notre devoir à nous d’essayer de la parfaire, de tendre vers un idéal de justice pour qu’il y ait le moins d’injustice possible.
Vous mentionnez aussi le fait que le juge ment dernier sera un tête-à-tête entre l’homme et son Seigneur et nul ne pourra compter sur sa position sociale, l’éloquence magique d’un avocat, la fidélité ou l’entregent d’un ami pour se soustraire à sa responsabilité. N’est-il pas là une critique que vous faites en filigrane à notre système judiciaire ?
Vous pouvez appeler cela une critique. Mais c’est un constat que chacun d’entre nous peut faire. Dans la justice des hommes, la position sociale, l’appartenance politique voire ethnique peuvent favoriser l’impunité. C’est le propre de la justice des hommes de n’être jamais totalement juste ni totalement équitable. Mais comme je viens de le dire, c’est justement pour cette raison que nous devons nous engager pour que la part d’injustice et d’iniquité soit réduite au minimum.
En parcourant le livre, on sent que c’est un juge qui a un profond attachement à la foi qui se livre. On a senti beaucoup plus le musulman que le juge. Est-ce un livre de confession ?
Je ne crois pas qu’on puisse parler de livre de confession. Confession par rapport à quoi d’ailleurs. En revanche, vous avez sans doute raison de dire qu’on sent davantage le croyant que le juge. C’est un livre de méditations que n’importe quel autre citoyen croyant aurait pu écrire. Car le jugement dernier est un sujet qui interpelle tous les croyants sans distinction.