«L’APPARTENANCE A UNE CASTE EST BRANDIE POUR HUMILIER OU FAIRE MAL»
L’enseignante-chercheuse et éditorialiste de SenePlus, Penda Mbow déplore l’ostracisme contre certaines personnes à cause de leurs origines sociales

L’universitaire, qui a prononcé la leçon inaugurale de la conférence internationale de Trust Africa ouverte hier à Dakar, a indiqué que l’appartenance à une caste est, jusqu’à présent, brandie pour « écarter » des personnes ou même les « humilier ».
Devant des participants venus de plusieurs pays africains et de l’Inde, l’historienne Penda Mbow a fait un rappel historique de l’origine des castes depuis l’Egypte antique. C’était à l’occasion de l’ouverture de la conférence internationale de Trust Africa dont le thème est: «Le partenariat mondial pour des actions communes dans la lutte contre la discrimination basée sur le travail et l’ascendance, y compris le système des castes». Elle était invitée à prononcer la leçon inaugurale. L’enseignant au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar a fait la cartographie des considérations sociales.
Selon elle, on retrouve ces personnes considérées comme étant de rang inférieur dans la pyramide sociale au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie, en République de Guinée, en Guinée-Bissau. On peut les trouver aussi dans le nord de la Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Niger, à l’Est du Ghana, dans une partie du Sahara et dans quelques localités du nord Cameroun, du Libéria et de la Sierra Léone. Au Sénégal, dit-elle, «la condition des "castés" a beaucoup changé sans que ne disparaissent les castes.
Pour elle, cette forme d’organisation de la société sénégalaise où des personnes sont considérées comme inférieures à cause de leurs origines est «une entrave à l’avènement d’une démocratie réelle ». Grâce à l’évolution de la société, on assiste de plus en plus, au Sénégal, à une reconfiguration. Sur le plan politique, indique-telle, des individus appartenant à des castes sont à la tête de formations politiques. Mieux, ils bénéficient de mandats électoraux. Or, dans les années 1990, on trouvait rarement des personnes issues de castes élues au parlement à partir de la liste départementale. Celles qui arrivaient à avoir un siège à l’hémicycle étaient souvent investies sur la liste nationale.
Ostracisme
Toutefois, certaines d’entre elles ont occupé de hautes fonctions nominatives après l’indépendance comme le poste de Premier ministre. Mais, dans l’histoire politique nationale, ajoute l’historienne Penda Mbow, les personnes appartenant à une caste étaient victimes d’ostracisme dans les partis politiques. «Cet ostracisme a toujours été manipulé pour écarter un candidat ou mettre quelqu’un de côté. A chaque fois qu’on avait un adversaire et qu’on voulait l’éliminer, on utilisait ses origines sociales », dit-elle. Même si les choses ont beaucoup évolué entre temps, l’historienne rappelle que «l’appartenance à une caste est souvent brandie pour exclure, humilier ou faire mal ». Dans l’administration sénégalaise, même si le statut social de la personne n’intervient jamais pendant les recrutements ou dans les nominations, la question des castes se reflète jusqu’à présent dans les rapports entre collègues. «Il y a de nombreux cas dans l’administration où des subordonnés refusent d’obéir à leur parton sous prétexte qu’il n’a pas d’ordre à leur donner parce qu’il est bijoutier, cordonnier… », renchérit-elle. Pourtant, elles sont incontournables dans la société sénégalaise. Elles sont dans la bijouterie, dans la cordonnerie…
Certains, plus précisément les griots, explique Mme Mbow, ont envahi le monde de la communication. Par leur talent, ils ont réussi à s’imposer dans ce domaine. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, ils sont appelés communicateurs traditionnels. «Certaines valeurs de gens dits castés se révèlent précieuses dans le monde moderne», ajoutet-elle. Ces maîtres de la parole, selon elle, peuvent aider à véhiculer le message sur la nécessité d’ancrer le civisme chez les Sénégalais. Cependant, elle déplore l’attitude de certains griots qui «passent leur temps à quémander, généralisant ainsi cette pratique». Cela explique, entre autres facteurs, la systématisation de la mendicité, de la facilité avec laquelle la corruption prévaut au Sénégal, déplore Mme Penda Mbow. D’après elle, c’est parce que cette pratique est devenue monnaie courante au Sénégal que personne ne rechigne plus à tendre la main.