«LE NIGER QUI VIENT D’ETRE RUDEMENT FRAPPE EST LE SYMBOLE D’UNE VULNERABILITE QUI VA SE GENERALISER»
Selon Dr Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute-African center for Peace Studies, dernière attaque sanglante qui a coûté la vie à plus de 70 soldats nigériens dans la garnison d’Inatès a bousculé l’agenda du G5 Sahel

L’actualité de la sous-région ouest africaine est marquée par la crise au Sahel. Selon Dr Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute-African center for Peace Studies, dernière attaque sanglante qui a coûté la vie à plus de 70 soldats nigériens dans la garnison d’Inatès a bousculé l’agenda du G5 Sahel et le calendrier international avec le sommet extraordinaire qui s’est tenu à Niamey, après le report du sommet de Pau (France). rencontre à laquelle où Emmanuel Macron avait invité les Présidents des pays du Sahel.
La situation sécuritaire devient préoccupante au Sahel surtout avec l’attaque sanglante d’Inates. comment analysez-vous cette situation ?
Cela fait plusieurs années que je dis qu’il y avait un conflit de perceptions du conflit sahélien entre des populations souffrant de plus en plus des mesures sécuritaires draconiennes tout en se sentant de moins en moins en sécurité et l’approche internationale décalée des réalités. De plus, les analystes n’ont pas pris en compte l’évolution de la situation au Sahel. Ils sont restés figés sur des modèles plaqués sur un contexte en mouvement. Une nouvelle dynamique s’installe ainsi sans qu’on y prenne garde tellement les concepts d’extrémisme violent, de radicalisation, de terrorisme ou encore de djihad ont façonné le regard habituellement porté sur la violence qui sévit ces derniers temps dans les pays du Sahel. D’autant plus que ces paradigmes sont rarement renouvelés. C’est cette situation qui produit l’effet de surprise aussi bien pour les Etats de la région que leurs partenaires internationaux. Le Niger qui vient d’être si rudement frappé n’est qu’un symbole d’une nouvelle vulnérabilité qui va se généraliser. Les digues virtuelles qu’étaient les frontières constamment défiées par des groupes de plus en plus mobiles ont sauté. Et tant que les partenaires internationaux du Sahel n’aideront pas à résoudre la crise libyenne, il ne faut pas s’attendre à ce que la situation sahélienne se résolve d’elle-même. L’OTAN n’a jamais assuré le service après-vente de l’intervention libyenne et nous avons tout intérêt que l’Algérie aussi reste stable
Mais les partenaires internationaux, notammentla france, sont de plus en plus critiqués avec même parfois une conception suspicieuse de leur intervention ?
En fait, il s’est progressivement installé une parfaite incompréhension entre l’approche internationale de l’insécurité au Sahel et les perceptions des populations locales, notamment au sujet des présences militaires qui n’ont pas pu éradiquer ne serait-ce que le sentiment d’insécurité. Un sentiment d’incompréhension, parfois nihiliste, des efforts de la communauté internationale commence à prendre le dessus au point de rendre flou le discours des responsables dans certains États devenus cibles de critiques d’une société civile contestataire. La société civile et les populations sont devenues parties prenantes du débat sécuritaire au Sahel. La dernière déclaration d’Emmanuel Macron qui avaitirrité les opinions publiques des pays du Sahel est un signe d’un vieux malentendu jamais avoué et qui a fini par exploser. Le plus inquiétant est que d’un sujet qui bénéficiait d’une forte convergence des vues au sein d’une communauté internationale rapprochée par une vulnérabilité en partage, la lutte contre le terrorisme divise de plus en plus en faisant même ressurgir des suspicions d’impérialisme, ou du moins de retour d’une domination par la fenêtre du sécuritaire. De la même manière que certains responsables politiques sahéliens usent du double langage face à la pression des opinions publiques, Emmanuel Macron, fragilisé par une situation politique interne, n’avait pas besoin d’un discrédit sur sa politique étrangère.
Pensez-vous que la france doit se retirer militairement du Sahel ?
Il ne faut pas verser dans la démagogie. Un retrait éventuel de Barkhane n’apporterait pas plus de sécurité au Sahel de même qu’il ne rendrait pas ipso facto les armées africaines plus efficaces ou aguerries contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme est le domaine des forces spéciales entraînées avec une réelle puissance de feu et rompues aux techniques d’une guerre asymétrique où on n’a pas toujours l’initiative. Face à des combattants qui n’ont rien à perdre, je pense aussi que, de son côté, la France ne trouverait aucun intérêt à renoncer à son engagement au Sahel devenu, progressivement, le terrain d’un nouveau grand jeu avec l’arrivée de nouveaux acteurs cherchant à devenir des «big players». Sans parler des convoitises de la Chine et de la Russie qui ne laissent pas indifférentes les puissances occidentales. La compétition est désormais ouverte au moment où même les Emirats-ArabesUnis scellent des accords militaires dans la région. Mais les Africains doivent aussi réaliser qu’ils sont les meilleurs garants de leur propre sécurité. Dans tous les cas, il ne faut en aucune manière que la critique de l’Occident soit utilisée par les pouvoirs africains comme une malicieuse échappatoire à leur responsabilité dans la faillite de nos Etats. On ne peut dédouaner nos élites politiques des failles et inconséquences produites, depuis les indépendances, par la mal gouvernance qui n’a pas épargné le domaine sécuritaire.
La menace s’approche de plus en plus. que doivent faire des pays comme le Sénégal ?
Le Sénégal fait partie de la typologie 3, celle des pays encore loin de l’épicentre mais frontaliers du Mali et pouvant développer des stratégies de prévention et sortir du déni politique qui n’a pas réussi à des pays comme le Burkina Faso. Les frontières maliennes ne sont plus seulement un problème malien, mais celui de tous ses voisins immédiats. J’avais soutenu depuis longtemps que le Burkina Faso n’a jamais été un objectif final, mais une cible intermédiaire stratégique, un verrou à défoncer pour atteindre les pays côtiers. La prise d’otages aux frontières béninoises avec des interventions de groupes en soutien depuis le Mali est un signal fort. Les groupes terroristes veulent accéder à l’autre forme d’économie criminelle que représente le trafic de la drogue par voie maritime avec tous les autres enjeux stratégiques que représente le Golfe de Guinée. Avec une telle situation, la tentation est grande pour le Sénégal de se lancer dans une stratégie du tout militaire. Mais ce serait une grosse erreur de ne pas d’abord régler le préalable d’une stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent différente de celle de lutte contre le terrorisme. Notre pays doit assumer une réelle politique de prévention de manière inclusive. Les pouvoirs publics doivent s’assurer du plus grand soutien de la population et de l’opinion publique avant un plus grand engagement militaire. Sinon, le risque est grand de voir des critiques fuser de partout alors que la situation sécuritaire dans la sous-région impose une forte unité nationale autour d’une vision commune des enjeux et des menaces. On peut s’étonner encore d’entendre des analystes considérer la menace terroriste comme un phénomène lointain alors que le Mali, c’est aussi la porte du Sénégal.