«LE PERMIS A POINTS EST UN ELEMENT DE LUTTE INDISPENSABLE CONTRE L'INSECURITE ROUTIERE»
Mactar Faye, Docteur en Géographie sociale et Directeur exécutif de l’Association des Assureurs du Sénégal, vote l’effectivité du permis à points

Malgré les nombreuses décisions du gouvernement, dont les 10 mesures annoncées en 2017 pour lutter contre les accidents, les routes du Sénégal restent très meurtrières. L’on enregistre plus de 500 morts par an dans des accidents de la route et des milliers de blessés dont certains se retrouvent avec des handicaps à vie. Face à ce fléau, Mactar Faye, Docteur en Géographie sociale et Directeur exécutif de l’Association des Assureurs du Sénégal, vote l’effectivité du permis à points qui «est un élément de lutte indispensable contre l'insécurité routière» ; en ce sens qu’il a une vocation pédagogique et préventive, incitant le conducteur à une conduite responsable. Mieux, partant du constat que la plupart des détenteurs de permis de conduire au Sénégal ne sont pas formées dans une autoécole, ce titulaire d’un Diplôme d’Université en sécurité routière et prévention des risques et d’un Master 2 Pro en psychologie de la sécurité routière propose que tout candidat à ce titre de transport puisse passer par une autoécole agréée par le Ministère des Transports et qu’il soit évalué sur le plan théorique et pratique, sans qu’il n’y ait de contact direct avec les examinateurs. Entretien !
En 2017, l’Etat a annoncé 10 mesures à mettre en œuvre pour lutter contre les accidents. Depuis lors, les interdits visés sont toujours constatés. Qu’est ce qui justifie cela ?
Certaines de ces mesures sont en train d’être appliquées. Je pense qu’il faudra y aller étape par étape et à chaque fois les évaluer pour voir leur efficacité. A mon avis, vouloir les appliquer toutes en même temps risque de ne pas donner les résultats recherchés.
Existe-t-il une volonté politique à faire appliquer ces mesures-là ?
La volonté politique de l’Etat dans la gestion de la sécurité routière est cruciale pour enclencher des changements. Son rôle, dans ce système, est prépondérant car lui seul a la responsabilité et les moyens de lancer une politique nationale de sécurité routière. Ce qui explique l’inscription de la lutte contre les accidents parmi les priorités du Gouvernement.
Le chef de l’Etat avait annoncé la tenue d’un Conseil présidentiel sur les accidents de la route. Il n’a toujours pas eu lieu. Qu’est-ce que cela vous inspire?
L’insécurité routière est devenue une préoccupation majeure dans notre pays. Nul ne peut rester indifférent devant ce fléau qui tue, qui blesse qui bouleverse les citoyens à un niveau que beaucoup ignorent. Le Président de la République fait partie des premiers acteurs à définir la sécurité routière comme étant l’axe fondamental d’une politique dynamique des transports. Il a toujours déploré la recrudescence inadmissible des accidents de la route. Peut-être que son agenda ne lui permet pas, pour le moment, d’organiser le Conseil Présidentiel sur les accidents ; mais notez que les différents ministères concernés par la lutte contre l’insécurité routière sont en train de tout mettre en œuvre pour réduire la sinistralité sur nos routes.
Les gros porteurs sont fortement impliqués dans les accidents. Ne pensez vous pas qu’il est important de restreindre leur circulation à des heures?
A ce niveau, il existe déjà un arrêté du Gouverneur de Dakar qui interdit leur circulation à certaines heures. Il faudrait qu’on s’accorde là-dessus pour une meilleure organisation des déplacements dans la capitale qui ne représente que 0,3% de la superficie nationale et concentre l’essentiel des activités économiques
Vous aviez au temps souligné l’importance d’éliminer les voyages nocturnes. Ce souhait tient-il?
Les statistiques ont montré que le nombre de conducteurs des transports publics de voyageurs, (TPV) impliqués dans des accidents graves, est particulièrement élevé. Pour la plupart du temps, ces accidents se produisent la nuit et sont dus à la vitesse, du fait de la fluidité du trafic, et à deux autres facteurs physiologiques que sont la fatigue et la somnolence au volant. La nuit, les risques d’accidents sont multipliés par 4 parce que nos perceptions visuelles sont atténuées de même que notre champ de vision. On note dans les mécanismes d’accidents une prédominance des collisions et de renversements de cars dus aux facteurs précités. Interdire la circulation des TPV la nuit permettrait aux chauffeurs professionnels de se reposer et de reprendre le travail le lendemain en adoptant une conduite sûre et apaisée.
La numérisation des permis de conduire et autres documents de transport est-elle suffisante comme mesure?
La numérisation des titres de transports est plus que jamais nécessaire, surtout dans le cadre des réformes entreprises par le Ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, pour donner un nouveau visage au secteur des Transports. La numérisation permet non seulement d’éliminer les nombreux cas de fraude que nous avions connus dans le passé ; mais elle constitue aujourd’hui l’antichambre du permis à points
Justement, le permis à points qui est encore fustigé par les syndicats de transports ne doit-il pas être appliqué?
Le permis à points est un système qui associe des points à chaque infraction au Code de la route et qui prévoit le retrait du permis à partir d’un certain nombre de points. Il a une vocation pédagogique et préventive dans la mesure où il incite le conducteur à avoir une conduite responsable afin de préserver son capital de points initial. La perte de points du permis de conduire est une forme d’alerte ayant pour but de prendre conscience de la nécessité de changer de comportement. Certaines infractions d’une gravité extrême sont sanctionnées par un retrait temporaire ou permanent du permis, parfois cumulé avec un retrait de points. L’objectif donc est de responsabiliser les conducteurs, avant que les infractions qu’ils commettent ne deviennent trop graves. Le permis à points est un élément de lutte indispensable contre l’insécurité routière. Ce système, très répandu en Europe, est un des points forts de la sécurité routière et de nombreux pays l’ont adopté pour réduire les accidents de la route. Le défi pour le Sénégal est, aujourd’hui, de reproduire ce modèle en l’adaptant aux réalités socio-économiques du pays.
L’indiscipline est vue comme la première cause des accidents. Ne devrait-on pas revoir le mode de formation des conducteurs?
On ne le dira jamais assez, mais la formation joue un rôle éminemment important pour faire reculer l’insécurité routière. Les nombreuses études de référence dans le monde sont unanimes pour reconnaitre à la formation son rôle dans le développement et la conservation des compétences. Dans le domaine de la conduite automobile, la formation vise l’acquisition ou l’amélioration des compétences qui sont, entre autres, la connaissance des règles de circulation, mais aussi le développement des habiletés et des qualités personnelles du conducteur. La formation est synonyme d’acquisition de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. Elle met en avant l’importance de la prise de conscience des risques et la nécessité de comprendre les règles. Elle permet de développer des modes de raisonnement.
Qu’est-ce que vous pensez de la manière d’obtenir le permis de conduire?
Nous savons déjà que la plupart des détenteurs de permis de conduire au Sénégal ne sont pas passés par une autoécole pour y suivre une formation en conduite automobile et au Code la route. Ils conduisent avec des lacunes qui se traduisent par des comportements dangereux et agressifs sur la route, occasionnant de nombreux accidents corporels. La formation est un levier pour un changement de comportement. Et je propose que tout candidat au permis de conduire puisse passer par une autoécole agréée par le Ministère des Transports et que ce candidat lui-même soit évalué sur le plan théorique et pratique, sans qu’il n’y ait de contact direct avec les examinateurs. Cela fait partie des réformes en cours au niveau de la Direction des Transports Routiers que je félicite pour cette belle initiative.