LES ACTEURS DE LA JUSTICE «CORRIGENT» LE DOMAINE NATIONAL ET PRESSENT MACKY SALL
«Justice et conflits fonciers : application de la loi sur le domaine national», c’est le thème choisi pour la rentrée solennelle des cours et tribunaux.

«Justice et conflits fonciers : application de la loi sur le domaine national», c’est le thème choisi pour la rentrée solennelle des cours et tribunaux. il a permis aux acteurs de la justice de passer au crible les goulots qui étranglent l’efficacité de l’application de la loi sur le domaine national. Ainsi, ils ont demandé la révision des textes sur le foncier, décrié l’absence d’un plan cadastral national et dénoncé la complaisance dans l’octroi des terres du domaine et le laxisme de certains élus. L’application de la loi relative au domaine national contribue-telle au traitement efficace des conflits fonciers ou les exacerbe-t-elle? La réponse à cette question est sans équivoque pour le Procureur général près de la Cour suprême Mahamadou Mansour Mbaye.
A l’en croire, les intentions du législateur de 1964 qui étaient d’adopter une loi qui régirait à la fois les conditions d’accès à l’habitat en milieu rural et urbain et les questions foncières liées aux activités agro-sylvo-pastorales étaient nobles. Lors de la rentrée des Cours et Tribunaux, le procureur a fait le procès de la loi sur le domaine national. «Après plus de 57 ans d’existence, l’esprit pacificateur, la logique de régulation sociale et le renforcement des équilibres socio-culturels que cette loi voulait promouvoir ont été souvent méconnus. Aujourd’hui plus qu’hier, la gestion de la terre est devenue pour certains élus, mais aussi pour certains agents de l’État, soit un moyen d’enrichissement, soit une source d’influence», accuse-t-il avant de trancher : «La terre est l’objet de tous les pactes, souvent, hélas !
Au mépris de la lettre et de l’esprit de la loi». Sans langue de bois, il indique que «des spéculateurs de tous genres ont réussi, par des accointances et complaisances, à posséder des parties importantes du domaine national, au moment où une grande majorité de nos concitoyens ont du mal à accéder à l’habitat et à des terres de culture». Selon le procureur général, des personnes physiques ou morales se voient attribuer de vastes superficies pour un usage agricole, emportant une désaffectation des terres mises à la disposition de paysans qui, depuis des générations, cultivent ces périmètres avec lesquels ils entretiennent une relation tant affective qu’économique. «Ces pratiques, à la limite de la légalité, mises ensemble participent à la récurrence des conflits fonciers qui sont également consécutifs à l’absence d’un plan cadastral national et d’une délimitation adéquate des collectivités territoriales», fulmine Mahamadou Mansour Mbaye. Et de préciser que l’intervention du juge est souvent observée avec une certaine appréhension par le justiciable, mais aussi par certains acteurs judiciaires qui préfèrent souvent recourir à des modes alternatifs de règlement des conflits pour traiter les questions foncières, en saisissant notamment un médiateur ou un conciliateur.
LE BATONNIER ME PAPE LEYTI NDIAYE SUR LE RAPPORT DE LA COMMISSION NATIONALE DE REFORME FONCIÈRE : «MONSIEUR LE PRESIDENT, VOUS VOUS HATEZ LENTEMENT»
Après avoir appuyé les propos du procureur général à la Cour Suprême, le bâtonnier Me Pape Leyti Ndiaye estime que le processus d’exclusion des autochtones du domaine national accentue les contestations par les populations des décisions d’affectation des terres du domaine national. «Leurs sentiment de frustration résulte de l’impossibilité pour ces populations rurales ou autochtones qui exploitent une terre depuis des générations de pouvoir procéder à son immatriculation», souligne la robe noire devant le Président Macky Sall. «Pourtant, la même terre, par le biais d’une délibération, d’un déclassement ou d’un bail, permet au promoteur d’obtenir l’inscription à son profit. C’est pourquoi le conflit foncier, qui est devenu aujourd’hui un conflit collectif opposant souvent une communauté à un particulier, atterrit chez le juge, non pas comme un vrai conflit foncier, mais comme une atteinte aux droits de la propriété ou une entrave au droit de travailler», explique le bâtonnier qui insiste sur la nécessité de démêler la situation inextricable du foncier sénégalais qui, dans son application, dit-il, a révélé des failles, des difficultés et des errements.
Par ailleurs, Me Papa Leyti Ndiaye n’a pas manqué de déplorer les lenteurs notées dans l’application du rapport de la Commission nationale de réforme foncière. «L’histoire retient qu’après 4 ans et demi de travaux, cette Commission nationale de réforme foncière a déposé son rapport définitif, le 20 avril 2017, avant d’être dissoute par décret N°2017-998 du 16 mai 2017. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, d’aucuns ont manifesté des signes d’impatience», se désole le bâtonnier’ Citant à ce tire Pr Abdoulaye Dièye, membre de ladite Commission, qui avait reproché au chef de l’Etat d’avoir purement et simplement classé ce rapport dans les tiroirs, Me Ndiaye lance : «Pour ma part, je préfère penser, Monsieur le Président, que vous vous hâtez lentement, comme le dit Boileau». Cela dit, il propose la création d’une Haute Autorité Nationale du Foncier Autonome et Indépendante qui aura en charge la régulation de toutes les questions foncières et domaniales.
2725 CAS DE CONFLITS FONCIERS TRAITES PAR LES MAISONS DE JUSTICE
Pour sa part, Elisabeth Ndew Diouf Niang, juge au tribunal du Travail de Dakar, a signalé le rôle des maisons de Justice dans la médiation des litiges fonciers. «Selon les statistiques de la Direction de la Justice de Proximité et de la Promotion de l’Accès au Droit, en 2020, plus de 2725 cas de conflits fonciers ont été traités par les maisons de justice, au plan national, dont 600 en 2015, 453 en 2016, 469 en 2017, 352 en 2018 et 851 en 2019. Cela représente 2 725 dossiers en moins sur les rôles», renseigne-t-elle. C’est pourquoi, indique la magistrate, il est important de renforcer l’Office des maisons de justice, sans toutefois s’orienter vers une justice foncière transactionnelle où le délinquant échapperait de facto à une sanction. En outre, elle estime qu’un traitement plus adapté des conflits fonciers par la justice ne peut se faire sans la prise en compte par les juges des nouveaux outils fonciers, en particulier les systèmes d’informations géographiques et foncières. Ces derniers, argue-t-elle, offrent la possibilité d’une maîtrise de l’espace pouvant réduire les délais de traitement des dossiers. «Il est démontré qu’à partir des données cartographiques d’un Système d’information géographique ou foncière d’une collectivité territoriale, on peut vérifier avec exactitude si un terrain litigieux relève du domaine national, le cas échéant, la collectivité territoriale dans laquelle il se trouve, l’historique des affectations et désaffectations sur cette parcelle et l’occupant actuel», dit la juge Elisabeth Ndew Diouf Niang. Elle ajoute qu’au chapitre des nouveaux outils fonciers figurent aussi les plans d’occupation et d’affectation des sols, les commissions de zones de gestion du Plan d’Occupation et d’Affectation des Sols, les commissions de prévention et de règlement des conflits. Par la même occasion, elle préconise la révision générale des textes sur le foncier qui, dans l’idéal, d’après elle, aboutirait à l’adoption d’un code foncier, à la mise en place d’un cadastre rural et à la création d’une agence nationale chargée de la gestion du domaine national.