LES BARREAUX DU TEMPS COLONIAL
De Kinshasa à Abidjan, les prisons africaines fonctionnent selon des codes pénaux importés par les colonisateurs et jamais réformés. Ces systèmes judiciaires, conçus pour exploiter et contrôler, perpétuent aujourd'hui une criminalisation de la pauvreté

(SenePlus) - La prison de Makala, à Kinshasa, symbolise à elle seule les maux qui rongent les systèmes pénitentiaires africains. Construite en 1957 par le colon belge, elle est aujourd'hui l'une des plus surpeuplées au monde. En septembre 2024, une tentative d'évasion y a abouti à un drame : 269 femmes violées sur les 348 que comptait le pavillon féminin, selon un rapport de l'ONU.
Cette tragédie illustre un problème structurel qui dépasse les frontières congolaises. Comme l'explique Clémence Bouchart, responsable des productions éditoriales à Prison Insider, dans un entretien accordé au magazine Afrique XXI, « beaucoup d'établissements pénitentiaires en Afrique ont été construits durant la colonisation ». Ces bâtiments, souvent inadaptés à leur fonction carcérale, « ne sont pas adaptés aux défis sécuritaires ni pour accueillir du public vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».
Avant la colonisation, les sociétés africaines avaient développé leurs propres mécanismes de justice. « Durant le précolonial, les comportements qui faisaient du tort à la communauté étaient sanctionnés avec une logique différente de celle de l'enfermement », précise Clémence Bouchart. En Côte d'Ivoire, par exemple, existait un système d'« amendes » qui « n'étaient pas versées à l'État, comme c'est le cas aujourd'hui, mais directement à la victime ou à ses proches ».
L'arrivée des colons a bouleversé ces traditions. « La prison a d'abord été installée et utilisée pour contrôler les territoires et les populations rétives à la colonisation, hors de tout procès », explique l'experte. Au Kenya, « les premiers bâtiments construits par les Britanniques étaient des prisons. Il n'y avait pas d'État en tant que tel et, bien sûr, aucun système de justice ».
Cette logique répressive visait avant tout à assurer la rentabilité des colonies. « L'enfermement était avant tout un outil de répression politique et de contrôle du travail pour la mise en valeur de la colonie : construction des bâtiments publics, des routes, exploitation des plantations », souligne Clémence Bouchart.
La criminalisation de la pauvreté
L'héritage colonial se manifeste aujourd'hui par une criminalisation systématique des plus démunis. « Au départ, on assiste à une criminalisation des pratiques ancestrales », observe l'experte de Prison Insider. Les codes pénaux ont introduit des délits comme « l'oisiveté, le vagabondage, la consommation d'alcool et de drogues », autant de lois qui « vont se retrouver dans les codes pénitentiaires au moment des indépendances ».
Le Nigeria illustre parfaitement cette continuité. Selon l'avocat Damilare Adenola, cité par Afrique XXI, le système pénal nigérian est « devenu un outil contre les pauvres et les marginaux ». Un constat que partage Clémence Bouchart : « Le fait que les personnes détenues soient en majorité des gens pauvres est un héritage de la colonisation ».
À Haïti, cette logique atteint des proportions dramatiques. Roberson Edouard, expert cité dans l'étude, explique qu'on assiste à « une criminalisation systématique de la pauvreté ». Les infractions mineures représentent 25% des affaires traitées par la justice haïtienne, et « avec les larcins, on monte à 60% ».
Paradoxalement, l'aide internationale perpétue souvent ces dysfonctionnements. Clémence Bouchart dénonce un véritable « néocolonialisme » dans les programmes de réforme pénitentiaire. « L'exportation du modèle carcéral états-unien est incluse dans la politique étrangère des États-Unis au nom de la guerre contre le terrorisme et contre le narcotrafic », explique-t-elle.
L'Union européenne n'échappe pas à cette critique. En Côte d'Ivoire, une étude de la Fédération internationale des Acat a montré que « les solutions mises en place, notamment grâce à l'argent européen, ne sont pas adaptées aux réalités locales ». Ces projets proposent des diagnostics et solutions identiques « en Côte d'Ivoire, à Madagascar, en Centrafrique, au Tchad », sans tenir compte des spécificités locales.
Face à ce constat accablant, la question de la réforme des systèmes pénitentiaires africains devient urgente. Avec 11,5 millions de personnes incarcérées dans le monde, un chiffre en constante augmentation, et des infrastructures coloniales inadaptées, l'Afrique doit repenser ses modèles de justice.
La solution ne semble pas résider dans l'importation de nouveaux modèles occidentaux, mais plutôt dans un retour aux sources et une adaptation aux réalités contemporaines. Car comme le rappelle Clémence Bouchart, « contrairement à ce qu'en disent les colons, l'exécution était en fait extrêmement rare » dans les systèmes précoloniaux, où « l'idée était de réparer la faute et que ça ne déstructure pas la communauté ».