LES SENEGALAIS ENTRE ENTETEMENT ET ATTENTE D’ALTERNATIVE
Les sachets plastiques à faible micronnage communément appelés «mbouss», les tasses, assiettes et autres couvercles en plastique à usage unique sont désormais officiellement interdits au Sénégal.

Deux mois après l’entrée en vigueur de la loi n°2020-04 du 8 janvier 2020 relative à la prévention et à la réduction de l’incidence des produits plastiques sur l’environnement, l’usage et la vente des sachets plastiques à faible micronnage, de gobelets et assiettes à usage unique, ont toujours cours en dépit des sanctions prévues contre tout contrevenant et des engagements des autorités à la faire appliquer. Affirmant avoir du mal à gérer cette transition soudaine, les commerçants sollicitent des préalables, notamment des alternatives, pour l’effectivité de la loi.
Les sachets plastiques à faible micronnage communément appelés «mbouss», les tasses, assiettes et autres couvercles en plastique à usage unique sont désormais officiellement interdits au Sénégal. Seulement, la réalité est toute autre sur le terrain. Dans les rues, ruelles et autres espaces, la quasi totalité des déchets qui jonchent le sol ; sachets, tasses à jeter, gobelets et bouteilles, couvercles ; etc., sont à base de plastique.
Un petit détour au marché Sotrac de Keur Massar, permet de constater que pratiquement rien n’a changé dans les usages. Pis, ces sachets en plastique sont aujourd’hui plus que jamais présents dans tous les commerces. De l’emballage de produits achetés, à la vente de jus, d’eau, de glace etc., ces sachets à usage unique qui se retrouvent dans la nature, avec leurs conséquences environnementales néfastes, règnent en maître. Ici, l’information relative à la loi semble n’être pas passée ou du moins pas totalement assimilée.
AUCUNE SOLUTION DE REMPLACEMENT
En atteste, cette jeune fille assise à l’entrée du marché, entourée de glacières remplies de jus et de sachets d’eau qui affirme n’avoir pas eu écho de cette interdiction. «Ce n’est pas la première fois que j’entends ce genres de choses et je sais qu’on va tôt ou tard vers sa soustraction effective. Mais, en ce qui concerne, cette interdiction récente, je ne suis vraiment pas au courant et je n’ai même pas entendu quelqu’un en parler. En plus, je me procure des sachets chaque jour, en grand nombre, comme d’habitude, sans aucune difficulté. Et je n’ai constaté ni manque, ni augmentation des prix», a-t-elle soutenu. A quelques mètres de là, Aliou Dia tient une cantine où il vend du lait caillé écrémé servi aussi dans des sachets imperméables.
Contrairement à sa voisine, il est au courant des dernières mesures, mais continue de passer outre pour assurer la stabilité de son activité. Et d’expliquer : «Ce n’est pas la première fois que l’Etat parle d’interdiction des sachets plastiques. Je me rappelle, à l’époque où j’étais encore à la Medina, le gouvernement avait alors interdit l’utilisation et la vente des sachets plastiques. J’avais tenté de m’y conformer. Mais, quand j’ai commencé à demander à des clients de se munir de récipients pouvant contenir le lait, j’en ai payé les frais. Les clients me disaient souvent : «c’est toi qui vends, tu n’as qu’à nous trouver où le mettre.»
Et certains préféraient même ne pas revenir acheter. C’est là que j’ai réalisé que ça ne pouvait plus continuer et j’ai renoué avec les mbouss plastiques, comme tout le monde». Aussi s’est-il désolé : «je crains que si la loi s’applique dans toute sa rigueur, qu’on perde le fil de notre activité. Je ne sais pas comment faire avec les clients parce que, pour l’instant, aucune solution de remplacement n’est proposée». La même réaction est notée chez son voisin, un vendeur de café nommé affectueusement dans ce marché Assane Baye Fall. Ce dernier ne veut entendre parler ni de retrait des tasses en plastique ni de transition avec les gobelets en papier, de peur de frôler directement la faillite. «Interdire l’usage des sachets et tasses en plastique revient à nous interdire de vendre le café. Déjà les gobelets en papier dur qu’on nous propose, on nous les vend à 2500 F Cfa le paquet, alors que les tasses à jeter coûtent seulement 750 F Cfa le paquet. Il y a une grande différence. En tout cas, si l’Etat nous propose une solution raisonnable et accessible, on est preneur ; mais, au cas contraire, on ne va pas lacher prise», a-t-il martelé.
LES COMMERCANTS PAS ENCORE PRETS
Alors que la loi interdit formellement la vente des sachets et plusieurs gammes de plastiques, avec des amendes conséquentes et peines allant de 3 à 5 ou 10 ans de prison ferme contre les contrevenants, Bass Khouma, vendeur de plastiques de tout genre au marché Sotrac, n’en a cure. Interrogé, il lâche, avec une dose d’amertume : «écoutez, il n’y a rien à dire làdessus. Je ne fais que vendre et tant qu’il y aura des fournisseurs et des acheteurs, je vais continuer d’en vendre, jusqu’à nouvel ordre. Et si je n’en vois plus, je me tournerai vers d’autres activités, c’est aussi simple. Les sachets plastiques font partie de notre quotidien, on en trouvera même au Palais. Mais les Sénégalais aiment trop s’attarder sur des détails», a-t-il laissé entendre. Commerçant depuis plus de 10 ans, Serigne Diop n’a pas l’intention de changer ces vieilles habitudes, à défaut de retrouver une alternative. «Ce n’est pas facile de s’en départir comme ça, du jour au lendemain. Parfois, l’Etat prend des mesures sans étudier leur impact sur le quotidien des Sénégalais.
Les sachets en plastique, nous les boutiquiers, déjà on ne les vend pas, on les offre aux clients comme emballage à l’achat de produits. Parfois, il nous arrive même de vendre un produit de moins de 100 F Cfa et le client réclame un sachet de 25 F Cfa. Vous voyez le manque à gagner. Alors, imaginez la transition avec les sachets ou sacs en papier qui sont plus couteux, mais on ne va pas s’en sortir. Ce n’est même pas envisageable», s’est-il plaint. Avant d’ajouter : «l’Etat, avant de soustraire ces plastiques du marché, devrait mettre en place d’autres alternatives, accompagner les Sénégalais à les adopter. Et, comme ça, il pourra les retirer progressivement du marché et ça ne portera atteinte à personne», a-t-il proposé.
FERMETE ET RIGUEUR
Trouvée dans un magasin, un gros sachet contenant ses provisions posé juste à terre, un bout de papier préfabriqué en éventail à la main, Ndèye Arame fait des mouvements de main pour s’offrir un peu d’air dans cette pièce exiguë. Malgré qu’elle utilise encore les sachets en plastique, elle reconnait leurs effets néfastes sur l’environnement. «Franchement, je reconnais le danger de ces plastiques. J’en ai entendu parler et reparler et j’ai suivi un documentaire sur ça sur une chaine étrangère. Il paraît que le plastique est à l’origine de plusieurs maladies respiratoires, allant même jusqu’à pouvoir causer le cancer. Je suis d’accord avec l’Etat sur l’interdiction et j’exhorte qu’il y ait plus de fermeté. Si les amendes persistent, tout le monde finira par s’en départir», a-t-elle argumenté. Nos tentatives de faire réagir les autorités du ministère de l’Environnement et du Développement durable sur cette «inondation» du marché sénégalais de produits plastiques, malgré l’effectivité de la loi depuis deux mois (le 20 avril 2020) et les garanties du ministre Abdou Karim Sall de la faire appliquer dans toute sa rigueur, tout comme les mesures prises (ou en cours), sont restées vaines.