«L’UMS CONDAMNE ENERGIQUEMENT LES ATTAQUES PERSONNELLES DIRIGEES CONTRE LES MAGISTRATS…»
Ousmane Chimére Diouf, Président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) a choisi « Le Témoin » quotidien pour sa première interview exclusive

Contrairement à son prédécesseur, beaucoup plus médiatique, en tout cas plus porté sur les médias, Ousmane Chimère Diouf, l’actuel président de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums), fuit volontiers les feux de la rampe ainsi que les projecteurs des télévisions. Et rares sont nos compatriotes qui peuvent mettre un visage sur son nom tellement l’homme cultive la discrétion. Calme, posé, jamais un mot plus haut que l’autre, ce magistrat dont la compétence est unanimement reconnue par ses pairs n’est pas un adepte des coups d’éclat. Il a choisi « Le Témoin » quotidien pour sa première interview exclusive. L’occasion pour lui de s’exprimer sur les questions judiciaires en cours, sa mission à la tête de l’UMS, ses rapports avec le ministre de la Justice, la perception de celle-ci par l’opinion et notamment les nombreuses critiques dont elle fait l’objet, les attaques personnelles contre certains de ses collègues, la récente sortie d’universitaires sur la justice etc.
Le Témoin : Monsieur le président, depuis votre élection à la tête de l’Ums, vous vous contentez de sortir des communiqués pour faire de condamnation de principe et n’avez pas voulu jusqu’ici accorder des interviews à la presse. Pourquoi ce long silence ?
Ousmane Chimère Diouf : Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez pour parler des problèmes d’actualité. Disons qu’on a estimé que la Justice ne devait pas occuper de façon permanente l’espace médiatique du fait de l’obligation de réserve. Mais force est de reconnaître que c’est parfois à son détriment du fait de l’avènement des réseaux sociaux et d’un excès de communication négative à son endroit. Il est temps pour la Justice de s’adapter à ce nouvel environnement tout en évitant de rentrer dans une quelconque polémique. Nous sommes incontestablement dans un monde de communication, ce qui ouvre la porte à toutes sortes d’abus.
Il y a quelques mois, le président de la République a formé un nouveau gouvernement dit « de combat social ». Et la semaine passée, en présidant la réunion du Conseil supérieur de la Magistrature, il a chamboulé les Cours et Tribunaux à travers ce que certains observateurs qualifient de remaniement judicaire visant à neutraliser un adversaire politique. Que répondez-vous…
Ecoutez ! Les magistrats n’ont pas pour mission de neutraliser des adversaires politiques mais de juger. Ceux qui le feront (Ndlr, neutraliseront des adversaires politiques du pouvoir) sortiront du cadre de leur serment. Ceux qui ont été nommés à ces postes lors du dernier Conseil supérieur de la magistrature ont le grade nécessaire et plusieurs années d’expérience, et il est prématuré d’évaluer un travail non encore accompli, on ne peut pas faire de commentaires sur la base de simples suspicions.
Précédemment, Président de chambre à la Cour d’Appel de Dakar, Ousmane Chimère Diouf est nommé voire muté à Saint-Louis comme Président de la Cour d’appel. N’est-ce pas là une façon de vous éloigner de la base en votre qualité de Président de l’Ums ?
(Rires) Je ne pense pas, la base est partout ! Et je parle sous le contrôle de mes collègues. Je viens d’entamer ma neuvième année comme président de Chambre à la Cour d’Appel de Dakar et après trente ans de service, il est normal de vivre une autre expérience.
« Le Témoin » comme tous les syndicats, rédactions et organisations de presse condamne l’arrestation de notre confrère Pape Ndiaye de Walfadjri pour délit d’outrage à magistrat. Là, n’êtes-vous pas encombrés par une détention arbitraire de trop après celle de Pape Alé Niang ?
Vous me permettrez de ne parler d’aucune procédure en cours conformément à la ligne de conduite observée depuis le début de mon mandat. Je pense que vous m’avez bien compris !
D’accord, je vous comprends ! Mais dans des Etats de droit comme la France où la liberté d’expression devient le fondement de toute démocratie, les délits d’offense au chef de l’Etat et d’outrage à magistrats sont abrogés du droit pénal moderne puisqu’ils étaient considérés comme des lois potentiellement « liberticide ». Alors, pourquoi n’en est-il pas de même au Sénégal ?
La France après plusieurs années d’application, a opté pour la suppression de ces qualifications. Le Sénégal, en tant qu’Etat souverain, n’a pas suivi. Par conséquent, ces faits sont toujours répréhensibles chez nous. La liberté de la presse est le fondement de toute démocratie, j’en conviens, mais c’est une liberté encadrée et la limite c’est le respect des droits d’autrui. Pour étayer mes propos, je vais convoquer les dispositions de l’article 10 de la Constitution selon lesquelles « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public ». Les magistrats ne peuvent pas restreindre la liberté d’expression mais sont obligés quand ils sont saisis de veiller au respect de la loi. Il appartient donc à chaque organe de presse de prendre toutes les garanties nécessaires avant de publier une information dans le but d’éviter toute poursuite.
On entend souvent les associations et autres organisations de défense des droits humains rappeler les magistrats à l’ordre pour le respect des droits de la défense, de la liberté d’expression, des acquis démocratiques etc… C’est comme si les magistrats ont, quelque part, failli à leur mission. Qu’en dites-vous ?
Chacun joue son rôle. Les droits de la défense sont le socle de tout procès. La recherche d’infractions n’a absolument rien à voir avec la liberté d’expression ou autres droits reconnus par la Constitution aux citoyens. Notre rôle n’est pas d’interdire l’exercice de droits mais de veiller au respect de la loi.
Monsieur le président, nous sommes, en cette année 2023 à la croisée des chemins judiciaires sur lesquels se trouvent l’affaire « Sweet-Beauté », le dossier des parrainages en vue de la présidentielle de 2024, la question du 3e mandat et autres. Peut-on s’attendre à ce que, en ces échéances cruciales, la justice joue son rôle d’arbitre et de dernier rempart ?
La Justice doit nécessairement jouer son rôle. Je vais quand même rappeler que les tensions pré-électorales ne datent pas d’aujourd’hui et que le débat consistant à accuser la justice d’être de connivence avec les pouvoirs en place à l’époque ne l’avait pas empêché de prononcer les résultats issus des urnes qui ont abouti à deux alternances dans notre pays. Doit-on rappeler que, de par la loi, seule la magistrature est appelée à prononcer des résultats d’élections ? Je tiens également à préciser qu’en dehors du travail de supervision effectué par les délégués de la cour d’appel, nous n’avons aucun rôle actif à jouer au niveau des bureaux de vote qui sont présidés par d’autres fonctionnaires en présence des représentants de chaque candidat et de la Cena, et que chaque membre a le droit de se faire délivrer une copie du procès verbal de proclamation des résultats. Ledit procès verbal est affiché dans chaque bureau de vote, et en commission de recensement présidée par un magistrat accompagné de deux de ses collègues. Mieux, tous les représentants de candidats sont également présents au même titre que celui de la Cena et chacun est censé détenir une copie du procès verbal de proclamation des résultats issus des bureaux de vote. C’est dire qu’on ne peut en aucun moment modifier les résultats et on n’a même pas cette vocation. Tout le monde doit respecter les règles et accepter les résultats des urnes. Je vais également rappeler que le Conseil constitutionnel qui ne fait pas partie de l’ordonnancement judiciaire, donc ne dépendant pas du ministère de la Justice, est la seule juridiction compétente pour se prononcer sur le contentieux de l’élection présidentielle. La haute juridiction a une autonomie de fonctionnement. A propos de ces affaires dont vous faites exemple, comme je l’ai dit tantôt, je ne ferai aucun commentaire sur une procédure en cours. Il ne faut pas insister sur cette question…
Monsieur le président, il y a trois ans, le bureau sortant de l’Ums avait remis un rapport contenant plusieurs recommandations au ministre de la Justice. Il s’agissait entre autres de l’épineuse question relative à l’Indépendance de la magistrature ; du principe d’inamovibilité des juges ; de la fin de la mainmise de l’Exécutif sur la carrière des magistrats ; de la suppression de la dépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la justice qui rend possibles les immixtions dans des affaires judiciaires etc. Où en êtes-vous avec toutes ces recommandations d’alors ?
Effectivement, ce rapport existe et les discussions à l’interne se poursuivent sur certains points et nous vous tiendrons informés de l’évolution de la situation au moment opportun. Je vous précise cependant que la contradiction vient de la Constitution elle-même qui pose le principe de l’indépendance du judiciaire vis-à-vis de l’exécutif en faisant en même temps du Chef de l’exécutif, le Président du Conseil supérieur de la Magistrature. Les magistrats ne sont pas à l’origine des lois, ne les votent pas et ne les publient pas. Dans son fonctionnement actuel, le Conseil ne compte que deux membres de l’exécutif à savoir le président de la République et le Garde des Sceaux. Vous conviendrez avec moi que les magistrats y sont largement majoritaires, et quand il (Ndrl : Conseil) statue en matière disciplinaire, le président de la République et le ministre de la Justice ne siègent pas. Donc, on peut pleinement jouer notre rôle dans la gestion de nos carrières en attendant l’évolution de la situation. Chaque magistrat détient sa propre indépendance et aucune excuse valable n’est recevable en la matière. Nous savons pourquoi nous avons prêté serment, donc à nous d’assumer. Même la subordination hiérarchique du parquet a une limite légale puisqu’à l’audience, il retrouve sa liberté de parole et peut aller à l’encontre d’un ordre reçu, la plume étant serve, la parole libre. Pour le juge aucune dépendance vis-à-vis d’une autorité n’est prévue par un texte. Dans l’exercice de nos fonctions, nous ne sommes soumis qu’à l’autorité de la loi. Justice rime avec pression, il faut faire face ! En dehors de la forme d’ingérence traditionnellement dénoncée, il y a la pression sociale symbolisée par le phénomène des interventions. Je me pose d’ailleurs la question de savoir à qui est-ce que je dois aller réclamer mon indépendance ? Qui la détient à part ma personne ? En clair, les magistrats ne sont pas des porteurs de pancartes !
Face à ces recommandations, l’Exécutif ne craint-il pas de voir surgir devant lui un « gouvernement des juges » ?
C’est un vieux débat ! D’ailleurs du 19 au 25 février dernier, en compagnie de deux collègues, on était à Bamako pour les besoins des travaux du congrès du groupe africain de l’Union internationale des magistrats, et, après discussion avec les collègues des autres pays, on a eu l’impression que nous vivions dans les mêmes pays, c’est pour dire que les problèmes entre les politiques et la justice sont universels. Nous sommes conscients que nous détenons beaucoup de pouvoirs, mais cela ne peut justifier un contrôle de l’exécutif sur le fonctionnement du judiciaire puisque ces deux pouvoirs tiennent leurs attributions de la Constitution.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le président de l’Ums, Ousmane Chimère Diouf, adopte une attitude jugée trop conciliante vis-à-vis du ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, Garde des Sceaux…
Je dois être agressif pour me faire comprendre ? Pourquoi je le ferais ? Non ! Ceux qui soutiennent cela sont-ils témoins de mes discussions avec le Garde des Sceaux ? Dans la vie, il faut savoir raison garder et apprendre à se respecter mutuellement. J’avais la même attitude avec son prédécesseur. Si un problème mérite d’être posé, il le sera.
Le bracelet électronique n’encourage-t-il pas la délinquance voire la criminalité en col blanc ?
Je ne pense pas. C’est une autre forme d’exécution de la peine qui a l’avantage de favoriser la réinsertion sociale du condamné et le désengorgement des lieux de détention. Chacun a droit à une seconde chance. L’essentiel c’est que ce soit accessible à tous les ayants droit.
Avez-vous un bilan à mi-parcours à dresser dans le domaine social et professionnel notamment en ce qui concerne le recrutement du personnel, les problèmes d’habitat, les allocations, les conditions de travail dans les juridictions, les budgets jugés insuffisants pour l’organisation permanente des chambres criminelles, la formation des magistrats, les longues détentions dans les prisons etc…
Pour le bilan, vous me permettrez de réserver la réponse à mes mandants. Les chambres criminelles, contrairement aux Cours d’assises, fonctionnent de façon permanente aussi bien au niveau des tribunaux de grande instance que des cours d’appel. Les longues détentions s’expliquent par le déficit de personnel, 516 magistrats pour 17 millions d’habitants, c’est largement insuffisant pour espérer les résultats escomptés et si on y ajoute les nombreux départs à la retraite les années à venir, ce déficit s’aggravera.
Avez-vous un commentaire ou une réplique à faire sur les nombreuses attaques dirigées contre la justice ?
Bien entendu car c’est une bonne question ! Je précise d’emblée que toute critique objective visant aussi bien le fonctionnement de la justice que le contenu des décisions rendues est la bienvenue. La notion de critique est intégrée dans l’organisation judiciaire elle-même puisque toutes les décisions rendues par les tribunaux peuvent être critiquées devant les juridictions d’appel jusqu’à la cassation. Cependant, l’Ums, par ma voix, condamne énergiquement les attaques personnelles dirigées contre les magistrats et l’institution. Nous n’avons pas la prétention de monopoliser la vérité mais la légèreté avec laquelle ces attaques sont faites parfois est à déplorer. Récemment, des collègues ont été injustement accusés l’un d’être pressenti pour juger une affaire comme si c’était interdit, l’autre d’avoir une sœur qui travaillerait dans une fondation appartement à la Première dame. Autant d’affirmations sans aucun fondement puisque le premier ne préside aucune chambre criminelle au niveau du tribunal de grande instance de Dakar et est même actuellement affecté, et l’autre n’a aucun lien de parenté avec la personne présentée comme étant sa sœur. Rien que pour cela, ils ont été jetés à la vindicte populaire. D’autres, qui ont eu le malheur d’avoir été promus lors de la dernière réunion du Conseil supérieur, ont subi le même sort, et avant eux des procureurs de la République dans l’exercice de leur fonction, le Doyen des juges et d’autres juges d’instruction. Il en est de même de la sortie d’un ministre de la République traitant les magistrats de la Cour des comptes de politiciens, eux qui ont, en leur qualité de professionnels de l’audit, fait un travail remarquable salué par tous.
Président, c’est comme si vous vouliez dire qu’aucun magistrat voire juge n’est épargné de ces attaques…
Oui et c’est regrettable. Même en dehors de la magistrature, d’autres corps et institutions sont attaqués, critiqués… D’ailleurs, pour cela, je vais profiter de l’occasion pour m’adresser aux familles des collègues concernés en leur demandant de ne prêter aucune attention à ces nombreux dérapages dont sont victimes leur conjoint, père, mère, frère, sœur, grand-père ou grand-mère, pour la simple et bonne raison que tout ce qui se dit sur eux ne correspond pas à la réalité et les auteurs de ces actes ne sont pour la plupart animés que par une intention de nuire. Les trois ministères qui assurent au citoyen sa quiétude sont les plus critiqués à savoir la Justice, l’Intérieur et les Forces armées puisque la gendarmerie dépend de ce dernier département. Quoi de plus normal tant que la limite n’est pas franchie. Le plus déplorable est la réaction de professionnels du droit ayant ou pas accès aux dossiers qui anticipent sur des décisions judiciaires en faisant des commentaires publics sur des procédures en cours. Je tiens à rappeler que le seul débat judiciaire valable se tient au prétoire, devant des professionnels dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense. Aucune décision de justice ne peut être fondée sur la clameur publique, des articles de presse, des débats organisés au niveau des médias, et de façon générale sur la vox populi mais sur des éléments de preuve rapportés et discutés devant la juridiction de jugement et sur les pièces produites par les parties. Et j’ajouterai qu’il est formellement interdit au juge de faire appel à ses connaissances personnelles d’une affaire pour trancher un litige. Comment peut-on qualifier la malheureuse sortie de trois universitaires qui ont cru devoir s’attaquer ouvertement à la magistrature, ce qui n’honore ni leur institution ni leur rang. La doctrine étant source de droit comme la jurisprudence, on s’attendait à un travail scientifique basé sur des questions de droit déterminées et non sur des élucubrations. Pour toute contribution scientifique, ces éminents juristes n’ont rien trouvé d’autre que de demander au juge de s’inspirer de la jurisprudence française simplement et je le rappelle pour des procédures en cours. A la faculté, les étudiants sont initiés au commentaire d’arrêt pas à l’anticipation de décisions de justice. Nos éminents professeurs de l’époque Lamine Sidime, Babacar Kante, Dominique Sarr, Serigne Diop, Elisabeth Michelet, Monique Caveriviere, Jean Pierre Tosi, Joseph Issa Sayegh, … ainsi que les brillants assistants de l’époque ne nous ont pas appris cela. Ramener toute l’activité judiciaire à quelques procédures à connotation politique pour manquer de respect à toute une institution qualifiée de bananiere est à dénoncer. Tout citoyen quel que soitson rang est cependant libre d’émettre son avis.