MIGRATION DES ENFANTS, UNE APPROCHE COORDONNEE POUR EN FAIRE UNE OPPORTUNITE PLUTOT QU'UNE MENACE
Pr Aly Tandian, Directeur du GERM-UGB de Saint-Louis apporte un éclairage sur la migration des enfants en Afrique de l'Ouest, suite l’étude faite dans plusieurs pays, avec le soutien de la Coopération suisse

La migration des enfants en Afrique de l'Ouest est un fait complexe, marqué par des dynamiques historiques, économiques et sociales. Professeur Aly Tandian, Directeur du GERM-Université Gaston Berger de Saint-Louis et président de l’Observatoire sénégalais des migrations nous apporte un éclairage à la suite d’une étude faite dans plusieurs pays d’Afrique avec le soutien de la Coopération suisse.
Est-il possible de connaitre la situation des enfants engagés dans la migration de travail en Afrique de l'Ouest ?
La première chose à souligner est la prévalence élevée des migrations des enfants en Afrique l’Ouest et les conditions précaires de ces déplacements. Le nombre exact est difficile à établir en raison de la prédominance du secteur informel et de la mobilité non enregistrée. Ils sont majoritairement des adolescents âgés de 15 à 24 ans mais ily a aussi des enfants plus jeunes, parfois non accompagnés. Les filles représentent une part non négligeable des enfants migrants exposées à des risques spécifiques comme les mariages précoces, l’exploitation sexuelle, etc. A présent, ces enfants évoluent dans les secteurs comme le travail domestique, l’extraction minière en Guinée, au Burkina Faso ou au Sénégal. D’autres enfants évoluent dans l’agriculture saisonnière comme c’est le cas en Côte d'Ivoire ou au Ghana.
Quelles sont les causes de la présence des enfants dans les migrations de travail en Afrique de l’Ouest ?
La pauvreté et les crises économiques sont le plus souvent évoquées pour expliquer la présence des enfants dans les migrations de travail en Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas faux si l’on prend à témoin que dans cette partie du continent plus de 100 millions de personnes vivaient dans la pauvreté en Afrique de l'Ouest en 2002 selon le PNUD. Cette situation incite de nombreux enfants à migrer pour contribuer aux revenus de leur pays. A cela, il faut rajouter les facteurs culturels détournés. Il y a des pratiques traditionnelles comme le confiage c’est-à-dire le placement d'enfants chez des parents pour éducation, le "trokoshi" au Ghana ou au Togo, où des filles sont "louées" à des prêtres vaudous, une situation qui, malencontreusement, facilite la traite des enfants. Dans le Sahel central, plus d’un million d’enfants sont déplacés au Burkina Faso, au Niger et au Mali. En résumé, les causes de la présence des enfants dans les migrations de travail sont plurielles.
Quels sont les risques et violations des droits des enfants engagés dans la migration de travail ?
Au Bénin, au Togo ou au Nigeria, des milliers d’enfants sont exploités et ils n’ont pas accès ni aux services de protection et encore moins à l'éducation. Les filles sont plus touchées à cause des interruptions scolaires. A présent, les défis persistent à cause du manque de données harmonisées et de l’insuffisance des cadres juridiques nationaux pour criminaliser le travail des enfants dans l'informel. Bien que la CEDEAO promeuve la libre circulation, elle ne dispose pas de protocoles spécifiques pour les enfants migrants, laissant des lacunes dans leur protection. L’urgence est de combiner la répression de la traite avec des solutions durables à travers la réintégration scolaire, les formations adaptées qui semblent montrer des résultats positifs.
Alors quelles sont les solutions ?
Je pense qu’il faut à nos États une protection holistique, des initiatives régionales qui peuvent offrir des pistes de réelles solutions. Celles-ci sont à trouver d’abord dans la lutte contre la pauvreté structurelle via des investissements dans l'emploi jeune, ensuite dans l'adaptation des cadres culturels, en transformant des pratiques comme le confiage en dispositifs protecteurs, et enfin dans le renforcement des systèmes de données pour mieux cibler les interventions. Je pense que la migration des enfants restera, mais seule une approche coordonnée peut en faire une opportunité plutôt qu'une menace.