«NOUS REVENONS AUX PERIODES NOIRES DE LA GESTION DE LA CARRIERE DES MAGISTRATS»
Le système judiciaire sénégalais est sur le point de faire plusieurs bonds en arrière. C’est l’appréhension du juriste me Assane Dioma Ndiaye, par ailleurs président de la Ligue sénégalaise des droits de l'homme.

Le système judiciaire sénégalais est sur le point de faire plusieurs bonds en arrière. C’est l’appréhension du juriste me Assane Dioma Ndiaye, par ailleurs président de la Ligue sénégalaise des droits de l'homme. Pour le droit-de-l'hommiste, une reconfiguration totale du Conseil supérieur de la magistrature et l’extirpation du président de la république et du ministre de la justice de ce même Conseil sont toujours d’actualité.
«On nous a toujours dit que l’Exécutif tenait à la préservation de ces principes. Mais aujourd’hui, avec l’affaire Ngor Diop, nous revenons aux périodes noires de la gestion de la carrière des magistrats dans ce pays. Le magistrat du siège est dans une sorte de vulnérabilité totale. C’est-à-dire, selon la volonté de l'Exécutif, il peut être affecté, sanctionné négativement et affecté à tout moment parce qu'on aura pensé que c’est un magistrat récalcitrant», a réagi Me Assane Dioma Ndiaye dans l’affaire Ngor Diop, du nom de ce magistrat dont l'affectation a fini d'installer une très vive polémique dans le milieu judiciaire. «C'est vrai que cette affaire sonne le glas d'un long processus tendant à rendre plus ou moins effective l'indépendance des juges.
À partir du moment où la revendication maximale de l’Union des magistrats du Sénégal et des organisations de défense des droits de l'Homme ne pouvait pas être satisfaite, c’est-à-dire une reconfiguration totale du Conseil supérieur de la magistrature et l’extirpation du président de la République et du ministre de la justice de ce Conseil supérieur, notre stratégie était d'obtenir des acquis par escalier. C'était de faire en sorte qu'on donne corps à un certain nombre de garanties statutaires du magistrat du siège relativement au principe de l'inamovibilité, et surtout au fait qu'on ne recoure plus de façon systématique aux consultations à domicile», a renchéri le Président de la Ligue sénégalaise des droits de l'Homme (Lsdh). Il poursuit : «Donc, au moins nous pensions avoir des acquis sur ces deux points. Parce que la consultation à domicile ne permet pas de savoir ce que les consultés ont pu dire alors qu'il faut un vote pour prendre une décision.
Et les représentants élus des magistrats ne peuvent savoir les résultats des personnes consultées. Le principe de l'inamovibilité voudrait qu'aucun juge du siège, sous quelque réserve, ne puisse être affecté sans son consentement. C’est pourquoi nous pensons que cette affaire Ngor Diop est très grave et nous exhortons l’Union des magistrats du Sénégal à l’assister pour attaquer cette décision devant la Chambre administrative de la Cour suprême. Parce qu'il y va de la crédibilité de la justice ou au moins de ce qu'on peut avoir comme garantie statutaire relativement à la carrière des magistrats du siège.» Abordant le conflit opposant l'Etat au Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust), Me Assane Dioma Ndiaye pense que la négociation est impérative pour un heureux dénouement. «Il faut retenir que pour la grève du Sytjust, nous avions dès le départ dit au gouvernement qu’il n’y a en matière de résolution de conflit que deux méthodes de procéder : la médiation et la négociation. Mais pour que ces deux mécanismes puissent être mis en jeu, il faut au moins que le gouvernement fasse preuve de disponibilité. Mais à partir du moment où le gouvernement dit : je ne négocie pas, je ne parle pas avec ce syndicat, on comprend pourquoi nous en sommes arrivés à ce paroxysme. Et les pseudos solutions qui sont envisagées risquent de désarticuler à jamais le fonctionnement du système judiciaire. C’est-à-dire qu’on va disloquer le système judiciaire en intégrant un personnel militaire dans la composition des tribunaux de droit commun et qui n'ont pas compétence pour accomplir les actes dévolus à un greffier de profession», dit-il.
Et d'ajouter : «Et si nous persistons dans cette voie, ce sera la catastrophe et la désagrégation irréversible de la chaîne judiciaire. Le greffe, c'est le socle pyramidal de la chaîne judiciaire. C'est pourquoi de nouveau, nous lançons un appel pour l'ouverture de nouvelles négociations afin qu’une solution acceptable soit trouvée, que certains acquis puissent être matérialisés de la part du gouvernement, et que le Sytjust fasse des concessions pour que nous allions vers une situation normale.»