SAINT-LAZARE, RUEE VERS LES TOMBES !
Comme qui dirait les prémices de l’apocalypse, la flambée des enterrements notée dans les cimetières a fini d’entrainer une spéculation foncière jusque dans les tombes.

Comme qui dirait les prémices de l’apocalypse, la flambée des enterrements notée dans les cimetières a fini d’entrainer une spéculation foncière jusque dans les tombes. Si à Yoff, la réserve tombale et transaction financière se font en toute discrétion, à Saint-Lazare de Béthanie (cimetière catholique situé à la Sacré-Cœur-Vdn), la vente de places est de mise, depuis un certain temps.
La trentaine, mine triste, Clotilde Guèye marche nonchalamment bras dessus bras dessous avec son mari. De l’entrée des cimetières, le couple s’avance lentement vers les tombes. Après avoir effectué quelques pas, il bifurque instinctivement à gauche puis se dirige vers un coin rempli de caveaux situé pas très du portail principal. « C’est la section Une. Parmi les dizaines, c’est celle qui est dédiée aux défunts enfants de notre communauté », nous souffle, de l’autre côté, le gestionnaire des cimetières de Saint-Lazare de Béthanie, M. Sagna. Debout, les regards religieusement fixés sur une tombe, Clotilde et son mari prient en murmurant un chapelet de bénédictions à l’endroit de leur mort. Figés sur la même posture pendant une dizaine de minutes, les deux visiteurs se retournent soudain avant d’arpenter de nouveau les caveaux. Daté Bénissant est l’époux de Clotilde. Habitué à venir prier sur la mémoire de sa défunte nièce disparue en bas âge, et ses parents, sa présence fréquente dans les lieux semble l’avoir imprégnée du danger foncier encouru par ce cimetière. « Je ne reste pas plus d’un mois sans venir ici en compagnie de ma femme. Du point de vue de l’organisation, tout est impec. Mais, de plus en plus, je remarque que ces cimetières sont confrontés à un problème d’espace. Et, à vrai dire, c’est un problème de terre qui se pose. D’ailleurs, cette situation est en train même d’empiéter sur la manière dont nous enterons nos morts. Car actuellement, dans ce cimetière, je vois de plus en plus que la plupart des tombes sont superposées », se désole Daté Bénissant. A l’image d’un saint, la tête baissée, les deux mains pieusement posées sur la poitrine, dans un air cardinal, notre interlocuteur détaille ses soucis. Même la religion, confie-t-il, n’a pas recommandé de telles pratiques funèbres. « J’ai étudié le Coran ainsi que la Bible. Mais, nulle part, je n’ai vu ces deux religions suggérer la superposition des morts. Et pire encore, malgré cette saturation, on voit de riches Libanais réserver de grands espaces pour l’enterrement d’un seul corps. Or, ils devaient aussi songer aux personnes démunies qui risquent de ne pas se retrouver avec une tombe une fois décédées », prêche M. Bénissant, d’une voix piteuse.
Des réserves tombales allant de 19.000 francs à 225.000 francs
Assis à la devanture de son bureau, une tasse de thé soigneusement coincée entre deux doigts, Abib Sagna, le gestionnaire du cimetière Saint-Lazare de Béthanie observe avec on ne sait quel sentiment son environnement rempli de tombes. Gardien de ce temple des morts depuis 2015, Sagna, la quarantaine, a vu pousser comme des champignons des milliers de caveaux renfermant les corps des siens venus répondre à l’appel du Seigneur. Une situation qui, d’après lui, aurait suscité, chez la plupart des fidèles la crainte ne pas trouver une dernière place sur terre. « SaintLazare est quasiment le seul cimetière chrétien dans toute la région de Dakar. Et bien que sa superficie soit de 7 hectares, son espace est presque saturé. C’est pourquoi, de plus en plus, on voit des fidèles solliciter des réservations de tombes pour que, lorsqu’ils décèderont, leurs corps ne soient pas confrontés à un problème d’enterrement », confie sereinement M. Sagna.
Exposant les tarifs de l’enterrement hors réservation, le gestionnaire du cimetière indique qu’il existe différents types de tombes suivant la somme décaissée. « Pour l’obtention d’une tombe simple sans ornement, il suffit juste de débourser 5.000 francs en plus des 14.000 francs destinés à la perception municipale de la ville de Dakar. Mais pour une tombe avec caveau, le montant à payer est de 94000 francs avec la quittance incluse », informe-t-il. Au sujet des tombes faisant l’objet de réservation, Abib Sagna révèlent qu’« elles sont souvent commandées sous une forme superposée. La plupart de ces réservations se fait par des couples qui souhaitent être enterrés ensemble. Et la tombe pour deux places avec caveaux coute 130 mille francs. Il existe aussi des réservations de tombes pour trois places que certains font en payant la somme totale de 225 mille francs. Comme quoi, même les dernières demeures ne sont pas gratuites et reproduisent furieusement les inégalités sociales observées sur terre !