«SUR LES 10 POINTS QUI COMPOSENT LE PLAN DECENNAL, LES 07 SONT SANS SUITE»
Faute d’ambitions et de culture de préventions, le plan Orsec qui, en réalité, est le dernier recours en cas de catastrophe, n’est propre qu’à l’Afrique. C’est la conviction de l’ancien député et expert en protection civile, Abdou Sané

Le plan Orsec, même s’il a l’avantage de voir les procédures allégées, peut être un moyen d’enrichissement, avec les marchés de gré à gré ou par entente directe, échappant au contrôle de l’ARMP et souffrant de transparence, de rigueur et de probité. Mieux, faute d’ambitions et de culture de préventions, le plan Orsec qui, en réalité, est le dernier recours en cas de catastrophe, n’est propre qu’à l’Afrique. C’est la conviction de l’ancien député et expert en protection civile, Abdou Sané. Interrogé par Sud Fm, il révèle, concernant le Programme national décennal de lutte contre les inondations (PNDLI - 2012- 2022), que sur les dix (10) points qui composent ce plan décennal, à l’exception des deux ou trois, les sept (07) autres n’ont pas eu de suite.
PLAN ORSEC, C’EST QUOI ?
«Le plan Orsec, c’est le plan d’organisation des secours, il doit toujours être perçu comme l’arme ultime dont disposent nos autorités en vue d’apporter une réponse contre les effets néfastes de toutes les catastrophes. Et, là, c’est le cas avec les inondations. Maintenant, force est de reconnaître que le Sénégal vit déjà une autre crise (mondiale) relative à la Covid-19. Et l’Etat a eu à consacrer de lourds investissements pour faire face à la lutte contre la Covid-19. Il va s’en dire que ces inondations sont arrivées donc à un moment où le portefeuille financier de l’Etat a connu un certain nombre de difficultés. Toutefois, l’avantage du plan Orsec, c’est que lorsqu’il est déclenché, les procédures sont allégées ; donc c’est le gré à gré qui fonctionne. Avec le gré à gré, en termes de transparence, de rigueur et de probité, tout laisse à désirer. La souplesse est que, par entente directe, vous pouvez mobiliser des hydro-cureurs, des camions citernes, et un certain nombre de fournisseurs de pompes peuvent vous accorder des faveurs».
«L’ARMP N’A AUCUN CONTROLE SUR LES MARCHES DU PLAN ORSEC, AUNOMDE L’URGENCE»
«Vous savez, les inondations coûtent cher. C’est le deuxième plan Orsec, en matière d’inondation, sous le l’ère de Macky Sall. Le premier plan Orsec, c’était au temps où Mbaye Ndiaye était ministre de l’Intérieur. Et, cette fois-ci, c’est au moment où Aly Ngouille Ndiaye est ministre de l’Intérieur. Pourquoi c’est cher ? C’est que quand vous déclenchez un plan Orsec, vous êtes dans une position d’urgence ; ce qui devait vous coûter vingt-cinq mille (25000) peut vous revenir à cinquante mille (50000). Il n’y a pas d’Appel d’offres, l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics) n’a pas de contrôle sur ça, le marché est ouvert au nom de l’urgence. Conséquence, avec l’absence de gouvernance qui caractérise notre société et nos marchés, si vous êtes aujourd’hui une personne qui n’a pas le sens de l’éthique et de la probité, vous aurez tendance à surfacturer les marchés, moyennant des commissions pour vous. C’est pourquoi on dit que dans les catastrophes, il y a ceux qui pleurent, mais il y a ceux qui applaudissent parce que quelque part, les catastrophes nourrissent et entretiennent une catégorie de personnes».
DES SOLUTIONS STRUCTURELLES POUR VENIR A BOUT DES INONDATIONS, DEFINITIVEMENT
«En réalité, des indépendances à nos jours, nous assistons à un pilotage à vue dans le cadre de la lutte contre les inondations. Et ce pilotage à vue s’explique par le fait que c’est des moyens d’interventions conjoncturelles, plutôt que de situations structurelles qui sont préconisés. Et c’est ce qui fait que les inondations sont récurrentes, les mêmes moyens de lutte sont récurrents. A l’arrivée, c’est l’Etat qui perd par rapport au financement, parce que les inondations empêchent le travail, et menacent la qualité de vie des populations en termes de maladies et autres désagréments.»
PLAN ORSEC, UNE SOLUTION PROPRE A L’AFRIQUE, FAUTE D’AMBITIONS
«Si nous étions ambitieux, si nous avions une culture de préventions, il y aurait un dispositif qui est prévu pour faire face aux inondations. Parmi ces dispositifs, il y a ce qu’on appelle l’aménagement du territoire et la planification urbaine. Donc, c’est ce qui manque et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, la gestion de notre espace se fait au gré du hasard, sans aucun contrôle ; ce qui est toujours à l’origine du mal et c’est ce qui toujours à l’origine du plan Orsec qui, en réalité, est propre à l’Afrique. Ailleurs, les gens sont tellement ambitieux qu’ils jouent la prévention avant d’en arriver au plan Orsec. Pour l’information, lorsque vous entendrez le mot «plan Orsec», sachez que c’est le dernier, c’est comme si vous dites l’alphabet de A à Z. Avant le plan Orsec, il y a ce qu’on appelle le plan contingent. Ce plan s’il avait été élaboré, allait être une très belle parade et réduire, pour ne pas dire atténuer, les souffrances que sont en train de vivre nos populations. Mais encore une fois, nous n’avons pas le sens de l’anticipation ni le sens de la prévention, nous sommes trop hâtifs».
CERTAINES ZONES INONDEES A CAUSE DES TRAVAUX DE L’ETAT : TER, VDN3, ONAS… AYANT OBSTRUELES VOIES NATURELLES DES EAUX
«Là il faut le déplorer. En réalité, les projets qui sont sous la responsabilité de l’Etat refusent très souvent de s’accommoder à la législation et au règlement en vigueur c’est-à-dire de se soumettre à des études d’impacts pour des projets de grandes ampleurs. Il n’y a pas sérieusement des études d’impacts validés, avec un suivi de gestion environnementale. Conséquence, beaucoup de projets aujourd’hui sont à l’origine de l’inondation. Il est fréquent de voir des populations vous dire que chez nous, on ne connaissait pas les inondations. Mais quand on a créé l’autoroute à péage, le TER et d’autres infrastructures, on a constaté que l’eau qui devait s’écouler est obstruée et par conséquent nous vivons les affres des inondations. Au demeurant, l’Etat a tendance à accuser et dire que ce sont les populations qui occupent spontanément des zones non aedificandi. Mais là, c’est un Etat qui ne donne pas le bon exemple. Aujourd’hui, si vous prenez la situation de Kaffrine, qui se trouve dans une cuvette, le quartier de Diamagueune se trouve dans la zone la plus profonde de la cuvette. Et c’est là-bas où l’Etat a bâti une infrastructure scolaire ; conséquence, la capitale des inondations se trouve dans cette école».
«LE PRESIDENT SAURA QUE LES 07 POINTS SUR LES 10 DU PNDLI N’ONT PAS EU DE SUITE...»
«En termes de propositions, c’est simple : il faut qu’on accepte d’améliorer notre politique en matière de gouvernance. Ce qu’on appelle gouvernance, c’est quoi ? C’est d’avoir des Codes de l’urbanisme, donc des lois ; d’être en mesure de les appliquer. C’est d’avoir des textes réglementaires ; c’est d’être en mesure de les respecter, de développer en nous la culture de l’anticipation et de la prévention. Car la prévention en matière d’investissement coûte moins cher que la réforme. Or, le Sénégal dispose aujourd’hui d’un certain nombre d’outils de planification urbaine. Il était question de mettre en place un Observatoire de suivi parce que là aussi, nous n’avons pas la culture de suivi. Nous faisons les actions et on ne les évalue pas. Malheureusement, c’est un programme qui n’a pas vu le jour. Donc, aujourd’hui, à travers l’interpellation formulée par le président de la République vis-à-vis du gouvernement pour lui demander de faire la situation sur le Plan décennal de lutte contre les inondations, sur les dix (10) points qui composent ce plan décennal, à l’exception des deux ou trois, le président saura que les sept (07) autres n’ont pas eu de suite. Et puisqu’il n’y avait pas d’observatoire de suivi des inondations, personne n’était là pour pouvoir l’alerter et lui dire Monsieur le président, vos décisions n’ont pas connu de suite».