TRANCHES DE VIE DES «DEPORTES» MAURITANIENS
Témoignages : ostracisme et misère; résilience et intégration (3ème et dernier jet)

«9 avril 1989.» Cette date reste gravée dans la mémoire des réfugiés mauritaniens. Mais elle n’a été que le reflet d’une progressive détérioration de la vie politique en Mauritanie dans les années 80. Comme le décrit si bien l’enseignant Abdoul Khadre Bomou dans son mémoire de fin d’études à la Faculté des Sciences et Techniques de l’Education et de la formation (Fastef), département histoire-géographie.
Dans le document intitulé «Diawara, foyer originel du conflit sénégalo-mauritanien : reconstitution des faits à travers la mémoire collective», Monsieur Bomou revient sur cet épisode. il écrit : «les années 80 en Mauritanie, sont marquées par les actions des FlaM (les Forces de libération africaines de la Mauritanie) et les coups d’État manqués de 1987. En effet, Maouya Ould Sidi ahmed Taya est arrivé au pouvoir en décembre 1984 à la suite d’un coup d’État. À peine arrivé, le régime du Président Taya est secoué par une publication du Manifeste du Négro-africain opprimé par les Flam en 1986.
Dans ce Manifeste, les Flam dont la majorité des membres sont des Halpulaar ont mis le doigt sur toutes les tares du régime Taya. Les membres des Flam pensent qu’on assiste à une «baydanisation» du pays et parlent même de «l’apartheid mauritanien». Ils dénoncent un néocolonialisme des «Baydan», la manipulation des statistiques démographiques qui fait des Baydan une population majoritaire avec 80% contre 20% pour les Noirs, la mainmise des Baydan sur l’appareil politique, l’économie, l’armée, les mass-médias et le système éducatif.
La réaction du Président Taya ne tarda pas. il limoge le ministre de l’intérieur de l’époque Ane amadou Babali, un proche des membres des Flam, et une série de cadres négro-africains. Des flamistes sont arrêtés, emprisonnés et condamnés. Un an plus tard, le régime de Maouya Ould Sidi Ahmad Taya est secoué par une tentative de coup d’État dont les auteurs sont des officiers halpulaar. Toutes ces actions ne font qu’augmenter l’assentiment du régime de Taya à l’égard des Négro-africains. Dans la même année, un autre coup d’État a été déjoué. Cette fois-ci, l’attaque vient de la part des ultranationalistes arabes.
Face à ces multiples menaces, Maouya décide de réagir contre ses détracteurs. Il procéda par expurger l’administration et l’armée en ciblant prioritairement les Halpular.» il s’est ensuivi les événements de 1989 qui, à en croire l’historien, a été un prétexte pour se «débarrasser» des Négro-Mauritaniens. D’ailleurs la plupart des réfugiés rencontrés se considèrent comme des «déportés». 30 ans après, certains d’entre ont su être résilients, là où d’autres vivent dans la peur, le traumatisme etle désarroi. De Bakel à Dakar en passant par Matam et Podor, ils nous racontent leur parcours de vie.
MAMADOU BIRAME DIALLO, ANCIEN MILITAIRE REFUGIE AU SENEGAL «MON PREMIER ENFANT A ETE TUE LORS DE CES EVENEMENTS»
Il s’était fait remarquer en campant pendant des jours en face du (siège ?) du HCR avec sa famille où ils avaient élu domicile et passaient la nuit à la belle étoile. Né en 1949 à Helbir dans la région d’Aleg en Mauritanie, il est aujourd’hu niché avec sa famille au fin fond de la banlieue dakaroise à Tivaouane Peul «Toll général». Il a pris en location une maison entière (deux chambres, salon) où il vit avec sa femme et ses enfants. Grâce au HCR, il a pu se payer six mois de loyer en raison de 75.000 Fcfa le mois. Mais les six mois de location épuisés, il est depuis sous la menace d’une expulsion. «Marhaban», nous accueille Mamadou Birame Diallo dans sa chambre à coucher qui fait en même temps office de salon avec un sofa installé à l’entrée, un petit ventilateur et un mini téléviseur sur le côté.
Sur le mur, ses photos rappelant sa présence très jeune dans l’armée mauritanienne. Alité et en sueur, il se confie : «Avant 1989, j’étais dans l’armée où j’ai fait presque dix ans. Il y a eu des problèmes de racisme à partir de 1986 voire 1987 faisant que les militaires noirs étaient constamment rayés de l’armée sous de faux prétextes souvent liés à la limite d’âge. Avec la guerre du Sahara, beaucoup de noirs avaient intégré l’armée. Après la guerre sous le règne du premier Président mauritanien Moktar Oul Daddah qui avait d’ailleurs commencé le conflit, le pays s’est fortement affaibli et se trouvait à genoux. Finalement, après un coup d’État, la Mauritanie va sortir de cette guerre. Mais il s’est avéré que la présence de militaires noirs dans l’armée gênait le régime, vu que ces derniers commençaient à avoir une certaine force. C’est ainsi que le racisme a commencé dans l’armée. Des gens comme moi, frustrés, ne voulaient que sortir de l’armée.
D’autant que les noirs ne pouvaient plus bénéficier de promotion et voyaient des novices qui ne savaient ni lire ni écrire être promus à leur place. Parce que tout simplement c’était des maures blancs. Par la suite, après une tentative de coup d’État des Négro-Mauritaniens, de nombreux militaires noirs ont été tués et d’autres emprisonnés. J’ai fait deux mois de prison avant qu’ils ne m’amènent dans mon village où j’ai purgé encore six mois derrière les barreaux puis libéré et rayé de l’armée sans droit. On est resté dans notre village Helbir jusqu’aux évènements de 1989. Ils ont profité de cette situation pour nous dégager tous et nous ramener au Sénégal. On nous a chassés dans notre propre pays en 1989. On a été chassés de notre village, privés de nos terres et amenés de force de l’autre côté de la rive. () Je suis venu m’installer à Dakar avec ma famille en 2000. J’étais en bonne santé et je faisais de petits boulots pour gérer ma famille. En 2006, je suis tombé malade. J’ai subi une opération grâce à l’aide de HCR qui avait payé. Mais depuis ma santé est fragile et je ne peux plus travailler. C’est la descente aux enfers. Avec de petits boulots, il m’était difficile de payer la location. Finalement je suis venu m’installer avec ma famille au Centre social des réfugiés de Rebeuss. J’y ai vécu dans une seule pièce avec ma famille pendant neuf ans. En 2019, on nous a expulsés de la maison. Et le HCR m’avait signifié qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi et qu’on avait qu’à partir. C’est ainsi que j’ai décidé de venir camper en face des locaux du HCR en plein air parce que je n’avais nulle part où aller. Nous est venus là-bas le 13 mars pour quitter le 21 mars. Nous y avons fait neuf jours. C’est ainsi que le HCR m’a donné le montant de six mois de loyer. J’ai décidé de venir chercher un logement ici à Tivauoune Peul.
Les six mois sont arrivés à terme et le propriétaire de la maison me réclame tous les jours le loyer. Aujourd’hui, je me sens délaissé. Je dois être opéré. Et il me faut 195.000 F CFA pour l’intervention. Je sollicite depuis le HCR. Je ne veux plus retourner en Mauritanie. C’est des racistes. Mes enfants ne connaissent pas ce pays et ne comprennent pas la langue. Ils auront du mal à s’y intégrer surtout avec cette histoire de déportation. Mon premier enfant a été tué lors de ces évènements. Il était parti alimenter le bétail et il n’est pas revenu. Il avait 14 ans. On nous a dit plus tard qu’il était mort. Avec tout ce traumatisme, il me serait difficile d’y retourner et vivre avec les gens qui ont tué mon fils. Je ne retournerai pas dans ce pays tant que la situation n’aura pas changé et qu’il n’y ait plus de racisme. Je voudrais qu’on me réinstalle ailleurs dans des pays comme l’Australie qui sont prêts à accueillir des réfugiés. Je suis vieux et malade. Mes enfants ne peuvent pas travailler convenablement. Du moment où ils ne peuvent plus s’occuper de nous, qu’ils m’aident à sauver ma famille avec une procédure de réinstallation.»
THIERNO SOW, COORDONNATEUR DES REFUGIES DU DEPARTEMENT DE PODOR «L’ADMINISTRATION ETAIT TELLEMENT NOIRE QU’IL FALLAIT LA BLANCHIR»
«J’étais fonctionnaire de l’Etat, technicien en télécommunications. La déportation m’a trouvé à Kiffa dans la région de Assaba. Un beau matin, un officier est entré dans notre centrale, a sorti sa carte et m’a donné une notification du commissaire. Je sors et je ne vois que des noirs dans la cour de notre service. C’était en avril 1989. On nous amène comme ça à Nouakchott puis au Sénégal. J’étais le seul de ma famille à être déporté. L’administration était tellement noire qu’il fallait la blanchir.(…)Je n’ai pas oublié et je n’ai pas pardonné. Ils nous ont sortis de la Mauritanie mais ils n’ont pas sorti la Mauritanie de notre cœur. C’est un problème douloureux et regrettable. Heureusement que le Sénégal, un pays avec sa Teranga légendaire, nous a accueillis. Si c’était un autre pays, on ne serait pas resté un an. (…)».
DEMBA SANE, COORDONNATEUR DES REFUGIES MAURITANIENS DU DEPARTEMENT DE BAKEL «NOS ENFANTS SE POSENT BEAUCOUP DE QUESTIONS»
«Les événements de 1989, je me rappelle comme si c’était aujourd’hui. C’était une stratégie bien réfléchie pour déporter les négros mauritaniens. Je vivais avec ma famille à Woringuel dans le département de Kankossa. J’avais à peine sept ans quand on nous déportait vers le Sénégal. Avec mes frères, on était à l’école quand on a appris qu’on rapatriait les Sénégalais et qu’on les chassait. Finalement, ce n’est plus les Sénégalais. C’est devenu une affaire ethnique. Ils disaient tout simplement que tous les Peuls étaient sénégalais et rapatriaient tout le monde. Mon père était un berger. Des soldats sont venus une soirée demander après lui. Mes frères se sont opposés à ce qu’ils soient embarqués. Les gendarmes ont braqué une arme sur eux. Je me rappelle qu’un des gendarmes disait : «je vais vous tirer dessus si vous ne faites pas attention». Sur ces entrefaites, un camion est venu et nous avons tous été embarqués dedans sans bagages ni rien. Nous avons passé deux nuits au poste de gendarmerie du département avant d’être amenés à Goureye dans des camions de 10 tonnes comme du bétail, puis mis sur des bacs pour nous faire traverser à Bakel.
C’était un mois de juin. L’armée sénégalaise était positionnée tout au long de la rive sénégalaise en face de l’armée mauritanienne de l’autre côté. Lorsque nous sommes arrivés, la gendarmerie sénégalaise nous a transportés dans des minicars à la brigade où nous avons passé trois jours pour les besoins des dépositions et autres. Après, nous avons été logés dans un camp de réfugiés derrière l’hôpital de Bakel. Nous y avons campé nos bâches. C’était horrible. En tant qu’enfant, j’étais dépassé surtout de voir des personnes malades déportées. Certains avaient la diarrhée et souffraient durant tout le périple. Nous étions traumatisés. Et il n’y a jamais eu de suivi psychologique. Nous étions entassés dans les camions. Et des gens piquaient des crises dans le camion. Il y a beaucoup de personnes qui sont tombées malades après. D’autres sont décédés. Je ne pourrais jamais admettre ce qui s’est passé. Cette déportation a été une torture pour les Négro-Mauritaniens. Il y a de ces choses qu’on ne peut pas pardonner. C’est impardonnable ce qui s’est passé. Nos enfants aujourd’hui se posent beaucoup de questions. Déjà, ils sont choqués quand ils voient les gens venir nous recenser. On doit régler cette question de façon définitive. C’est au Sénégal que j’ai passé toute ma vie et où j’ai grandi et étudié. J’ai fait cinq ans à l’Université Gaston Berger (UGB) au département des Sciences et Techniques où j’ai obtenu mon Master en développement de Systèmes d’informations. J’ai bénéficié d’une bourse du HCR et cela m’a beaucoup aidé.»