UN LITTORAL ENTRE DEUX MONDES, SACRE, TOURISME ET IDENTITE
De Bargny à Joal-Fadiouth, la Petite Côte sénégalaise déroule un chapelet de paysages d’une beauté singulière, où l’écume de l’Atlantique caresse villages, forêts sacrées et hôtels de luxe.

De Bargny à Joal-Fadiouth, la Petite Côte sénégalaise déroule un chapelet de paysages d’une beauté singulière, où l’écume de l’Atlantique caresse villages, forêts sacrées et hôtels de luxe. Mais derrière la carte postale touristique, cette bande côtière est aussi un terrain d’affrontement symbolique, culturel et économique. Enracinée dans des spiritualités millénaires, nourrie de légendes et de rites, elle se trouve aujourd’hui bousculée par une urbanisation galopante et une croissance démographique exponentielle.
Sur la Petite Côte, le mythe est un tissu vivant. À Nianing, on murmure le nom de Tiemassas, le lit d'une vallée mythique entre baobabs et d'une faune de varans. Le site est aussi célèbre pour les préhistoriens avec ses traces protohistoriques et néolithiques. Mieux encore une sirène protectrice invoquée par les pêcheurs avant chaque sortie en mer est toujours présente dans la mémoire collective. Certains affirment avoir entendu ses chants pendant les nuits de pleine lune, d’autres prétendent qu’elle se manifeste quand les équilibres naturels sont rompus.
À Joal-Fadiouth, les îles aux coquillages témoignent d’une relation ancienne et sacrée avec l’océan. Les anciens racontent que ces amas sont les vestiges d’un pacte mystique entre les hommes et la mer, aujourd’hui trahi par la surexploitation. Ces amas coquilliers sont des illustrations de pratiques socio-économiques et culturelles.
Lieu unique au Sénégal, Joal-Fadiouth abrite aussi des cimetières mixtes, chrétiens et musulmans, symboles d’un syncrétisme religieux ancien où la cohabitation précède le dogme. Dans les familles joalfadiouthiennes il est souvent fréquent de voir un couple mixte, expression du dialogue inter religieux.
La Somone, fief du génie protecteur de la lagune intégrée dans l'aire marine protégée communautaire, abrite la demeure de "Jean" le djinn du cours d'eau, une créature blanche.
À Ngaparou, les baobabs sacrés ont fini de répondre aux préoccupations des populations locales en partie ancrées dans des croyances ésotériques. Des libations et autres passes cabalistiques y sont faites pour inviter les génies protecteurs à subjuguer certains esprits malveillants, auteurs de faits comme la maladie et le mauvais œil.
La forêt de Bandia, aujourd'hui, en grande partie, menacée par les projets immobiliers, abrite des lieux de rituels initiatiques. Ses arbres millénaires sont les témoins muets des dialogues entre générations, vivants et ancêtres, visible et invisible.
Mballing est le marigot de Mbour, objet de mille menaces et convoitises. Sur ses berges se trouvait l'un des plus grands baobabs de la Petite côte, Gouye- Salamalekoum, la demeure des Pélicans mais aussi celle du génie titulaire de l'agglomération mbouroise, Coumba Balenneu, est détruit suite à un projet immobilier.
SYNCRÉTISME RELIGIEUX ET PRATIQUES SPIRITUELLES
Gandigal dans la commune de Sindia jouxtant la Nationale1 est l'un des foyers mandingues du département avec Keur Thiam près de Nguékokh. Son importance historique et sociocultu relle semble être ignorée par ses nouveaux habitants. Pourtant, il y était effectué un bain mystique des Damels du Cayor. La Petite Côte est une terre de croisements religieux. À Popenguine, le pèlerinage marial du mois de mai attire chaque année des dizaines de milliers de fidèles, dans une ferveur qui transcende les appartenances ethniques. Ce sanctuaire catholique, né d’une apparition supposée de la Vierge en 1888, coexiste avec des formes d’Islam confrérique (tidjane, mouride) et des cultes animistes enracinés. L'état de la recherche montre de manière claire que la localité de Malicounda est liée à un lieu sanctuaire des manguiers et baobabs sacrés. Devenu cosmopolite, le peuplement a connu des vagues de Sérères, bambaras, wolofs et peuls. À Toubab Dialaw, l’art et le sacré se mêlent. La légende veut qu’El Hadj Oumar Tall y ait fait jaillir une source miraculeuse. Aujourd’hui, des artistes y convoquent djinns et ancêtres dans des performances où la spiritualité africaine trouve un nouveau souffle.
MUTATIONS ECONOMIQUES ET SOCIALES : LE CHOC DU BETON ET DE LA MONDIALISATION - Saly, vitrine et cicatrice du tourisme balnéaire
Hier simple village de pêcheurs, Saly-Portudal est devenue l’épicentre du tourisme de masse au Sénégal. Resorts, golfs, night-clubs, villas haut de gamme : cette enclave touristique, surnommée « la banlieue chic de Dakar », attire les investisseurs... mais fait fuir les autochtones. On constate alors l’explosion du foncier. Entre 2018 et 2023, les prix des terrains ont quadruplé. Les familles modestes sont expropriées ou repoussées vers des zones non viabilisées, sans accès à l’eau ou à l’électricité. Quid des emplois précaires ? Si le tourisme offre des opportunités, elles restent concentrées dans le nettoyage, la sécurité ou les petits commerces, avec des salaires bas et peu de perspectives d’évolution. Les infrastructures sont elles à deux vitesses. Le contraste est frappant entre les quartiers pavillonnaires bien entretenus et les zones d’habitats spontanés où s’entassent les ouvriers du secteur.
DÉCLIN DES PRATIQUES ÉCONOMIQUES TRADITIONNELLES
Dans la course au développement, les activités locales s’effacent. La pêche artisanale marginalisée : À Guéréo, en 2020, un projet hôtelier sur une zone de débarquement a provoqué des tensions violentes. L’accès à la mer est désormais régulé par des clôtures et vigiles, éloignant les pêcheurs de leur gagne-pain. L’agriculture est pour sa part reléguée. À Somone, les terres cultivables sont grignotées par des résidences secondaires. Des femmes qui produisaient mil et arachide importent désormais de la farine industrielle pour survivre.
L’ÉMIGRATION : L’ELDORADO FANTASMÉ
Pour beaucoup de jeunes, la migration vers l’Europe devient la seule issue. Les récits glorifiés des « Barcelonais » ou des « Parisiens » nourrissent un imaginaire puissant. Pourtant, peu reviennent vraiment enrichis. Les familles vendent terres et bétail pour financer des départs souvent périlleux, via la Mauritanie ou les Canaries. L’exil devient un nouveau mythe, à la fois promesse et tragédie
RESISTANCES ET RENAISSANCE CULTURELLE Des acteurs locaux s’organisent pour préserver les identités
À Joal-Fadiouth, les visites guidées s’accompagnent de récits sur la culture sérère, les techniques de pêche traditionnelle, les chants liturgiques. Une muséographie locale tente de transmettre ce patrimoine aux plus jeunes. À Mbour, les troupes de théâtre et de danse reprennent les sabar, ndut, taasu, pour revaloriser les langues et traditions face à l’uniformisation culturelle. Dans le delta du Saloum et certains villages de la Petite Côte, un tourisme communautaire émerge : écolodges tenus par les habitants, circuits intégrant les rites locaux, hébergements chez l’habitant, restauration avec produits du terroir… À Popenguine, des associations replantent la mangrove alors qu’à Ngazobil, on protège les tortues marines. À Toubab Dialaw, les artistes sénégalais et étrangers réinventent les mythes à travers théâtre, musique, slam et peinture. Le Centre culturel de Germaine Acogny, figure de la danse contemporaine africaine, accueille chaque année des résidences qui mêlent art, spiritualité et engagement. La Petite Côte est aujourd’hui à la croisée des chemins. Elle incarne les tensions contemporaines entre développement économique, respect du vivant et héritage culturel. Si les mythes résistent, ils ne peuvent à eux seuls endiguer la marchandisation du littoral. Mais des formes de résistance émergent, portées par des femmes, des jeunes, des artistes, des pêcheurs, des croyants... Tous refusent que leur territoire ne devienne un décor vide. L’avenir dépendra de la capacité collective à imaginer un modèle où le sacré, le social et l’économique cohabitent. « Ce qui se passe ici fait sourire les maçons et pleurer les pêcheurs », confie un élu local sous couvert d’anonymat.