ENTRE AVANCEES, OBSTACLES ET DEFIS A RELEVER
Entre difficultés financières, manque de sponsors, de visibilité et d’attractivité liée à un déficit d’infrastructures sportives, le football professionnel sénégalais est à la croisée des chemins après 12 ans d’existence.

L’Association nationale de la presse sportive (ANPS) a réuni ce samedi 7 mai les autorités sportives pour une évaluation du football professionnel. Lors de ce panel qui a porté sur le «bilan des 12 ans de football professionnel au Sénégal», les différents intervenants ont passé en revue les maux qui plombent l’envol de ce secteur et proposé des solutions visant à le sortir de l’ornière.
Entre difficultés financières, manque de sponsors, de visibilité et d’attractivité liée à un déficit d’infrastructures sportives, le football professionnel sénégalais est à la croisée des chemins après 12 ans d’existence. C’est ce qui ressort d’une évaluation faite avant-hier, samedi 8 mai à l’occasion d’un panel sur le thème «Bilan des 12 ans de football professionnel au Sénégal» organisé par l’Association Nationale de la Presse Sportive (ANPS). Né d’un football amateur dépourvu de presque tout en 2009, le football professionnel souffre aujourd’hui de plusieurs maux même si le Directeur Exécutif de la Ligue sénégalaise de football professionnel, Amsatou Fall parle d’une «remise en cause positive» avec l’implication de l’Etat, de la Fédération sénégalaise de football et du soutien de la FIFA dans le cadre de son projet consistant à bénéficier l’Afrique des efforts de la Coupe du monde 2010. Amsatou Fall a aussi fait savoir que le « football professionnel ne constitue pas une priorité dans les grilles des programmes des télévisions et que les chaines de télévision ne paient pas les droits ». Toutefois, il estime « qu’en presque 12 ans, le football professionnel a franchi beaucoup d’étapes mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir ».
LES PAYS AFRICAINS RESTENT DES « FOURNISSEURS DE JOUEURS » AUX EUROPEENS, SELON PR SAKHO
En effet, le cadre juridique du football professionnel reste également à refaire, si l’on se fie aux propos du spécialiste en Droit et Economie du Sport, Pr Abdoulaye Sakho. Dans communication, il a indiqué que le modèle économique libéral sur lequel est bâti le football européen rend plus vulnérable nos clubs. Les pays africains restent pour l’heure des « fournisseurs de joueurs ». « Le drame, c’est que le modèle économique du football européen n’a pas besoin de notre spectacle, n’a pas besoin de nos rencontres et compétitions. Ce qui l’intéresse, ce sont des talents, les joueurs qui deviennent des produits à façonner pour une opération de vente, pudiquement appelé transfert, dans le marché final qui est l’endroit où se déroule le spectacle mondial du foot», a-t-il soutenu. Dès lors, des réformes sont nécessaires pour changer la donne. Sur ce point, Pr Abdoulaye Sakho est d’avis qu’il faut «créer les conditions de l’émergence de notre propre marché domestique du football (une sorte de marché secondaire en référence au marché européen qui serait le marché primaire pour utiliser le langage des marchés financiers) ». Parmi ses recommandations, il y a aussi le fait de «prendre un manager qui trouve des sponsors». Autrement dit «donner le pouvoir de développer le marché du football de la ligue à un Directeur Général et non un Directeur Exécutif ». A en croire Pr Sakho, on a trop de clubs professionnels au Sénégal (28 en ce moment) : «l’Etat peut décider qu’on est tenu d’avoir une dizaine de clubs et on fixe les cahiers de charge, on limite nos clubs et on fixe l’âge». Non sans recommander la création d’un tribunal interne du sport pour «régler nos litiges entre nous».
CE QUE L’ETAT DOIT FAIRE POUR DEVELOPPER LE FOOTBALL PROFESSIONNEL, SELON L’ANCIEN DHC
Pour sa part, l’ancien Directeur de la Haute Compétition, Souleymane Bou Daoud Diop a évoqué le «rôle de l’Etat dans le financement du football professionnel». Il trouve insuffisant l’appui de l’Etat aux clubs professionnels et pense qu’il a le devoir de les aider. A l’en croire, ce qui fait la pertinence de l’intervention de l’Etat dans le domaine du football professionnel, c’est la «signification du sport et notamment du football». «Le football a trois significations économiques : il est d’abord producteur de spectacle, un consommateur de biens et de services parce qu’il utilise des stades, un créateur d’opportunités parce quand il y a un match, beaucoup de corps métiers vivent de l’évènement sportif», a expliqué Souleymane Boun Daoud Diop. A cela, il ajoute le fait que le football est un facteur de «cohésion sociale» et «d’identification à des nations». Ce qui lui permet de dire : « il faut doter les clubs de patrimoine, mettre à disposition des infrastructures et les appuyer en ressources humaines, encourager nos clubs à diversifier les ressources par la participation dans l’économie sociale et solidaire et encourager les sociétés nationales à la prise en charge des clubs professionnels».
PAPA MASSATA DIACK SUR LE MARKETING DANS LE FOOTBALL : «TOUT TOURNE AUTOUR DU SUPPORTER»
En effet, le marketing reste essentiel pour doter le football professionnel de moyens financiers. Et pour le PDG de Pamodzi, Papa Massata Diack qui a axé sa communication sur ce thème, «tout tourne autour du supporter car le supporter, c’est lui qui doit payer les impôts à l’Etat, qui achète les billets pour le match, l’abonnement TV pour suivre le match». Du coup, sa mobilisation et sa motivation devront être au cœur des actions. «Il nous faut mutualiser nos droits commerciaux. Il faut que la visibilité au niveau des médias soit négociée, proposer un partenariat avec les télévisions, améliorer les primes de victoire, avoir un véhicule de commercialisation et il nous faut des mesures d’incitation ». C’est en substance la recette livrée par Papa Massata Diack pour l’essor du football professionnel.
DEMBA VARORE : «PERMETTRE A CE QU’IL Y AIT PLUS D’ENJEUX DANS LES MATCHS»
S’il y a une chose qui va de pair avec le football, c’est bien la télévision. Ce qui pose le rôle et la place de la presse dans le football. Le journaliste Demba Varore est d’avis que la « presse joue bien son rôle d’informer » en la matière. Toutefois, le constat est presque général. Le football local n’est pas mis en lumière dans la presse nationale. La raison ? « Ce ne sont pas encore les joueurs locaux qui permettent de vendre les journaux et les entreprises de presse ont besoin de payer leurs employés », a expliqué Demba Varore. A cela, il ajoute que les stades n’ont pas de « cadre favorable » pour prendre des photos avec le manque de lumière et parfois aussi les stades sont vides. « La ligue professionnelle devra permettre à ce qu’il ait plus d’enjeux dans les matchs, tout le monde en gagnerait, la presse, les sponsors viendraient », a soutenu Demba Varore.
LA RECETTE DE MAMA SOW POUR LES CLUBS SENEGALAIS SUR LA SCENE AFRICAINE
Développant le sous-thème « nos clubs et l’Afrique : comme combler le fossé ? », l’ancien Directeur Technique National, Mama Sow soutient le fait que le football professionnel ne s’affirme pas sur la scène africaine malgré ses 12 d’existence est « dû à la transition rapide qui n’a pas permis à la ligue de mettre les conditions d’un environnement adéquat ». Ce qui justifierait les « échecs récurrents », selon lui. A son avis, même si tous les efforts sont faits et que l’Etat investit énormément, « c’est à travers l’expression du joueur qu’on peut les juger». Face à la vulnérabilité des clubs due à «l’instabilité de nos équipes», la «vétusté des infrastructures», «l’amateurisme dans la gestion des clubs», Mama Sow insiste un nouveau mode gestion. Il s’agit d’avoir plus de financement dédié au football professionnel, un suivi évaluation de la lettre sectorielle, entre autres. Il faut dire qu’aujourd’hui, le football professionnel vit encore mal au Sénégal malgré l’accompagnement de l’Etat. La covid-19 est venue s’ajouter à cette détresse avec l’arrêt des championnats pendant 10 mois.
AUGUSTIN SENGHOR, PRESIDENT DE LA FEDERATION SENEGALAISE DE FOOTBALL : «Il était important qu’on puisse faire une évaluation»
Quand on parle d’un football professionnel dans un pays, on parle de l’élite. Aujourd’hui, on le sait dans le football sénégalais, nous avons lancé le football professionnel depuis 2009. Il était important qu’on puisse faire une évaluation. Ce panel, va dans ce sens-là et il faut saluer cette initiative qui est pratiquement la première parce ce que je pense que, aussi bien la fédération que la ligue professionnelle ont eu à plusieurs reprises à prévoir de se rencontrer dans des symposiums ou dans des séminaires pour évaluer le foot professionnel mais ça n’a jamais pu se faire et quelque part ça peut paraitre que ça vient de l’extérieur. Mais je pense que c’est un mal pour un bien. Ça permet d’avoir le regard extérieur sur notre football professionnel avant que nous-mêmes de l’intérieur puissions faire une évaluation en tenant de compte des observations qui nous seront portées par ce panel. Au-delà de la volonté de dire, on va lancer le football professionnel, est-ce que nous ne devons pas nous poser la question primordiale de savoir si l’environnement est propice ? Parce qu’aujourd’- hui, lancer un football professionnel, ce n’est pas que payer des salaires, viser des titres, c’est un environnement qu’il faut mettre en place et c’est tout le questionnement qu’on doit se poser 12 ans après sans tout jeter à la poubelle parce qu’il y’a de bonnes choses qui ont été faites et aussi on a de belles prémices. On a attendu longtemps presque 10 ans pour voir deux clubs du Sénégal arriver dans les phases de groupe et voir une des équipes sortir des phases de club pour jouer les quarts de finale. Est-ce que c’est juste un feu de paille ou un accident de l’- histoire, l’avenir nous le dira mais nous devons capitaliser sur ça».
SAER SECK, PRESIDENT DE LA LIGUE SENEGALAISE DE FOOTBALL PROFESSIONNEL : «Ce travail vient à son heure»
«Je pense que personne n’est plus crédible que l’ANPS pour pouvoir rendre compte et impulser une réflexion, apporter une contribution qui peut être décisive pour la vision que nous allons avoir demain pour le développement de notre football professionnel. J’ai bien noté que les rapporteurs vont faire un excellent travail de manière à ce que les conclusions puissent être mises entre les mains de la FSF et également la ligue de manière à ce que les dirigeants puissent s’en inspirer la réflexion sur la vision, sur ce que nous souhaitons que notre football professionnel soit dans cinq ans, dans 10 ans et quels sont les premiers pas que nous devons poser pour y aller. Ce travail vient à son heure mais il viendra aussi compléter le symposium que la ligue sénégalaise de football professionnel souhaite organiser de concert avec la Fédération sénégalaise de football. On sait qu’il y a des efforts colossaux qui ont été faits pendant ces 12 années mais il y a également un certain nombre de secteurs sur lesquels les efforts sont encore à faire sur lesquels des correctives sont encore à apporter et je pense qu’il est bon que nous puissions en faire la revue et par l’aide de la réflexion de tous les experts, de leur expérience, de leurs connaissances que nous puissions mettre en place ensemble de concert toutes les solutions qui permettront à notre football professionnel de progresser. Tous les panélistes qui sont là et tous les gens de la presse sportive évidemment seront conviés à ce symposium qui devrait avoir lieu vers la fin de la saison entre le mois de juin et de juillet avec une journée pour évoquer l’ensemble des questions et aller au fond.
ABDOULAYE THIAM, PRESIDENT DE L’ANPS : «Un rapport final sera remis à la Ligue Pro»
Au delà de la collecte, la diffusion et le traitement de l’information, la presse a aussi un autre rôle. C’est-à-dire de participer positivement dans le développement du sport dans sa globalité et du football en particulier. L’objectif fondamental aujourd’hui, c’est de construire. Ça fait quand même 12 ans que la ligue professionnelle a été mise sur les fonts baptismaux. Nous étions même associés en 2007 lors de ce fameux séminaire qui s’était tenu à Saly. Depuis lors, nous avons accompagné cette ligue professionnel-là en collectant, en diffusant et en traitant, aussi bien la presse écrite, tabloïde, que ça soit sur les sites, la télévision et à la radio. Mais au-delà aujourd’hui, nous voulons quand même s’arrêter à un certain moment donné pour faire un bilan d’étape, revoir ce qui n’a pas marché. Qu’est-ce qu’on aurait du faire ? Qu’est-ce qu’on n’a pas fait ? Qu’est-ce qu’on peut faire davantage pour améliorer notre football. C’est extrêmement important et ça tombe à un moment où il y’a deux clubs sénégalais. Teungueth Football Club dont la naissance ne dépasse même pas une dizaine d’années qui a réussi pur la première fois depuis la Jeanne d’Arc de Dakar en 2004 à franchir le premier tour et rentrer même dans le top 16, dans les phases de poule. Donc, notre rôle en tant que journaliste aujourd’hui, c’est de revoir tout ça. A la fin des travaux, nous allons tout mettre dans un rapport que nous allons déposer auprès du ministère des Sports, de la FSF, de la ligue professionnelle. Ce sera une sorte de contribution de l’ANPS pour le développement de notre football mais nous n’allons pas nous arrêter aussi dans le football. Nous ferons la même chose avec le basketball. C’est extrêmement important que l’ANPS puisse se repositionner davantage, porter sa contribution au-delà de la collecte et de la diffusion de l’information.