QUAND L'INDIVIDUALISME ATTEINT SES LIMITES
La défaite cuisante d'Inter Miami en Coupe du monde des clubs révèle les dérives d'un football américain et d'une FIFA prêts à tout pour vendre du rêve, quitte à sacrifier la méritocratie sportive

(SenePlus) - La gifle était magistrale. Menés 4-0 à la mi-temps face au Paris Saint-Germain, les joueurs d'Inter Miami venaient de subir ce que leur entraîneur Javier Mascherano a qualifié de "massacre", selon The Athletic. Pour Lionel Messi, la perspective de connaître la plus lourde défaite de sa carrière se précisait dangereusement, lui qui n'avait perdu par plus de quatre buts qu'à deux reprises : lors du 8-2 infligé par le Bayern Munich à Barcelone en 2020, et le 6-1 subi face à la Bolivie avec l'Argentine en 2009.
Cette débâcle en Coupe du monde des clubs illustre brutalement les limites d'une stratégie marketing qui a transformé Messi en produit d'appel au détriment de la construction d'une véritable équipe. Car derrière l'humiliation sportive se cache une histoire plus large : celle des dérives d'un football américain et d'une FIFA obsédés par les stars individuelles.
L'entrée d'Inter Miami dans cette compétition relevait déjà de la manipulation. Lors du dernier match de saison régulière 2024 de Miami, le président de la FIFA Gianni Infantino s'était "inséré dans les célébrations" de la victoire du Supporters' Shield, rapporte The Athletic. Dans une démarche "hautement inhabituelle", Infantino avait pris le micro après un match de championnat domestique - "que la FIFA n'organise ni ne promeut" - pour annoncer que Miami obtenait une place en Coupe du monde des clubs.
Cette qualification récompensait le meilleur bilan de saison régulière, pas les vainqueurs des play-offs de MLS Cup, "largement considérés comme les champions américains". Pour The Athletic, "de l'extérieur, il semblait qu'Infantino était déterminé à trouver un moyen de faire entrer Messi, le joueur le plus célèbre aux États-Unis, même si cela signifiait passer outre la façon dont le pays juge habituellement son équipe la plus performante de la saison."
L'obsession d'Infantino pour les têtes d'affiche s'est confirmée quand il a suggéré dans une interview que des discussions étaient en cours pour faire venir Cristiano Ronaldo dans le tournoi. Un transfert qui ne s'est jamais matérialisé.
Cette stratégie révèle les difficultés de la FIFA à donner de la crédibilité à sa nouvelle compétition. Infantino espérait "des milliards de dollars de la part des diffuseurs, mais a finalement eu besoin d'un renflouement d'un milliard de dollars de DAZN financé par l'Arabie saoudite, ce qui restait très en deçà de ses ambitions initiales", révèle The Athletic.
Les sponsors sont arrivés tardivement, "plusieurs étaient d'humbles ajouts aux accords FIFA existants pour la Coupe du monde de l'année prochaine". D'autres, via des entités saoudiennes et qataries, semblaient être "des extensions de relations plus étroites développées avec la FIFA" en tant qu'hôtes des Coupes du monde masculines de 2022 et 2034.
Même la billetterie témoignait de cette difficulté à susciter l'intérêt. Pour le match d'ouverture contre Al Ahly, la FIFA vendait initialement "les billets les moins chers à 349 dollars", un prix qui a "chuté de centaines de dollars" à l'approche du match. Les étudiants locaux du Miami-Dade College se sont même vu proposer "cinq billets pour 20 dollars dans la semaine du match pour remplir le stade".
L'illusion de la star system
Malgré tout, la stratégie Messi a partiellement fonctionné sur le plan commercial. "Les matchs d'Inter Miami ont dépassé les 60 000 spectateurs lors de trois de leurs quatre rencontres", note The Athletic. Sur le terrain aussi, Messi a justifié sa présence avec un coup-franc décisif contre Porto qui a fait basculer le sort de son groupe.
Mais les limites de l'individualisme ont vite rattrapé la réalité. Selon les classements Opta Sport basés sur les résultats pondérés, "Inter Miami est la 151e meilleure équipe du football mondial, une place en dessous de Wrexham, cinq places derrière Preston North End et juste au-dessus de Charlton Athletic". Observer Miami dans ses périodes les plus difficiles contre Al Ahly et Palmeiras révélait "une équipe qui a investi presque toutes ses dépenses dans à peine une poignée de joueurs, et cela se voit dans leurs insuffisances".
Face à cette approche, le PSG offre un contraste saisissant. Pendant plus d'une décennie, le président Nasser Al-Khelaifi était "obsédé par les vedettes, présumant qu'elles offraient un raccourci vers le succès. Il les a toutes signées : David Beckham, Zlatan Ibrahimovic, Messi, Neymar, Kylian Mbappe et bien d'autres." Ce n'est qu'après leur départ qu'une équipe a pris forme sous Luis Enrique, "une équipe de joueurs qui se battent les uns pour les autres".
Interrogé par The Athletic sur cette évolution, l'entraîneur parisien a conclu : "C'est spécial (notre esprit collectif). Chaque équipe veut jouer de manière collective. Ce n'est pas un sport individuel. Le plus important est d'être une équipe avec et sans ballon. C'est notre idée."
Cette philosophie a permis au PSG de "massacrer" Inter Miami, révélant que "même les super-pouvoirs de Messi ont leurs limites, parce que le football est un sport d'équipe, composé de 11 joueurs", conclut The Athletic.
Alors que le football cherche à grandir aux États-Unis, cette approche marketing peut sembler payante à court terme. Mais les questions de fond demeurent : "Ces fans reviendront-ils voir Miami après le départ de Messi ? Y a-t-il un joueur qui pourrait même à moitié reproduire l'attrait que Messi laissera derrière lui ?" Des interrogations qui dépassent largement le cas d'Inter Miami et questionnent l'avenir d'un football américain en quête d'identité.