GABON : L'OPPOSANT ALBERT ONDO OSSA DÉNONCE UN COUP D'ÉTAT ÉLECTORAL
Le candidat de l'opposition qui estime avoir gagné la présidentielle décrit une "révolution de palais" et affirme que c'est Pascaline Bongo, la sœur d'Ali, qui se trouverait derrière le général Brice Oligui Nguema à la tête des putschistes
Albert Ondo Ossa, candidat de l'opposition qui estime avoir gagné la présidentielle s'est exprimé sur TV5Monde pour la première fois depuis le coup d'Etat. Il dénonce une "révolution de palais" et affirme que c'est Pascaline Bongo, la sœur d'Ali Bongo, qui se trouverait derrière le général Brice Oligui Nguema à la tête des putschistes.
NIGER : LA JUNTE MILITAIRE MAINTIENT SA DÉCISION D'EXPULSER L'AMBASSADEUR DE FRANCE
Les putschistes indiquent que l'ambassadeur ne bénéficie plus des privilèges et immunités liés à son statut. Paris menace de riposter à tout regain de tension qui porterait atteinte aux emprises militaires et diplomatiques françaises sur place
La junte militaire au pouvoir au Niger a envoyé une lettre au ministère français des Affaires étrangères, ordonnant l'expulsion de l'ambassadeur de France. Malgré le rejet par le Quai d'Orsay de la demande des putschistes de voir partir l'ambassadeur, la junte a maintenu sa décision et a fixé un ultimatum à l'ambassadeur pour quitter le pays.
La lettre du ministère des Affaires étrangères nigérien, datée de mardi, indique que l'ambassadeur Sylvain Itté ne bénéficie plus des privilèges et immunités liés à son statut de membre du personnel diplomatique de l'ambassade de France. Les cartes diplomatiques et visas de l'ambassadeur et de sa famille ont été annulés, et les services de police nigériens ont reçu l'instruction d'expulser Sylvain Itté.
Malgré l'expiration de l'ultimatum fixé par la junte, l'ambassadeur français était toujours en poste à Niamey. Le gouvernement français considère la junte comme illégitime et n'a pas reconnu son autorité pour formuler une telle demande.
Le porte-parole de l'état-major français, le colonel Pierre Gaudillière, a averti que les forces militaires françaises étaient prêtes à répondre à toute augmentation des tensions qui menacerait les emprises militaires et diplomatiques françaises au Niger. Des mesures ont été prises pour protéger ces installations.
Cette décision de la junte militaire d'expulser l'ambassadeur de France a intensifié les tensions entre les deux pays.
par Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye
NOS INSTITUTIONS, RAVISSEUSES DE LA DÉMOCRATIE
Nos institutions ont un A.D.N. anti-démocratique. Elles sont généralement créées pour contrôler les citoyens, s’imposer à eux, et non pour être à leur service
La démocratie est un bienfait. Elle est juste entourée de mauvais amis. Tout le monde se revendique d’elle, du dictateur le plus inhumain au candidat le plus opportuniste. C’est la voix du Peuple, cette réalité si tangible, faite d’esprit, de chair et d’os ; qui pourtant, aux yeux de certains, n’est qu’un mythe, une masse anonyme, du vide.
Dans nos pays, nous ne vivons pas encore la démocratie. C’est une terre promise qui, hélas, peut paraître lointaine. Certains désespèrent même de la rencontrer un jour. Ce qui a de quoi meurtrir les plus illustres de nos devanciers qui auront combattu toute leur vie pour nous faire voir ce jour. Je pense notamment à Solomon Malhangu, 23 ans, pourfendeur de l’apartheid, et auteur de ces mots lors de sa pendaison en 1979 par le gouvernement sud-africain : « Mon sang arrosera l’arbre de la liberté.»
La démocratie n’est pas hors de portée de l’Afrique, ni un objectif auquel nous devons renoncer pour accéder à quelque bien-être. Dans son érudition raciste, Jacques Chirac prétendait sur les ondes de RFI, à Abidjan, le 26 février 1990, que « le multipartisme est une sorte de luxe que ces pays en voie de développement n’ont pas les moyens de s’offrir. » En vérité, la démocratie, denrée de première nécessité, fait l’objet d’une confiscation, d’un détournement : au même titre que les ressources humaines et naturelles de notre continent.
L’expression « jeu démocratique » prend un tout autre sens sous nos cieux. Il ne s’agit pas là d’un mécanisme de distribution du pouvoir, d’auto-régulation, mais d’une comédie, d’un cirque, ayant pour apogée la tenue des élections. Celles-ci, approuvées par des cohortes d’« observateurs internationaux », nous font valoir des félicitations paternalistes dès lors qu’il y a eu « peu de morts », « peu de violences », et des fraudes moins flagrantes.
S’appropriant ce manque d’exigence, les élites économico-politiques africaines poursuivent l’asservissement de leurs compatriotes sans difficulté. Elles manient à la perfection les éléments de langage de la démocratie, comme si elles la vénéraient : alors qu’elles sont les premières à la détester, la dévoyer, l’anéantir.
Nos institutions sont aujourd’hui les armes les plus redoutables dressées contre la démocratie. Jouissant d’une présomption de légalité, sous couvert du manteau régalien, les institutions infligent les injustices avec la même cruauté. Elles existent, sont dotées de chartes honorables, fonctionnent avec des budgets colossaux, dans un brouillard organisé et avec une goût prononcé pour la répression (physique ou judiciaire : accusations d’offense ou de discrédit des institutions). Si la démocratie se résumait aux textes, aux discours et aux professions de foi, un pays comme le Sénégal allait être modèle irréprochable.
Nos institutions ont un A.D.N. anti-démocratique. Elles sont généralement créées pour contrôler les citoyens, s’imposer à eux, et non pour être à leur service. La notion de service public est vide dans la plupart de nos Pays. Ceux qui sont censés être les destinataires ou interlocuteurs principaux de ces institutions sont les derniers à être pris en compte, à être considérés. C’est pourquoi ces institutions continuent d’employer des langues coloniales minoritaires que les usagers ne comprennent pas. C’est pourquoi les institutions continuent de rester silencieuses sur leurs propres missions, se font injoignables (qui pense appeler la police ou les pompiers en cas d’urgence ?), et ne se remettent pas en cause quand la majorité des citoyens ignorent leur existence.
La discrimination linguistique n’est pas l’unique moyen de faire étouffer l’embryon de la démocratie par les institutions. Avoir une assemblée nationale, un conseil constitutionnel, des magistrats, des corps de contrôle, n’est hélas pas une garantie absolue contre l’injustice et les excès de pouvoir. Quand il est possible pour un politicien de faire et défaire les carrières au sein des institutions, quand l’exécutif peut faire des incursions dans tous les autres pouvoirs sans difficulté, toute l’architecture devient vulnérable. Le risque devient réel que ces institutions ne soient jamais incarnées par des femmes et hommes de conviction, mais qu’elles soient factices et conduites par des arrivistes capables de toutes compromissions. Ainsi se retrouve-t-on avec des parlements aux ordres, prêts à applaudir à toutes les dérives, pourvu que ce soit leur leader qui parle. Ainsi voit-on des forces de l’ordre et de sécurité, en uniforme ou accompagnées de nervis, gifler des citoyens, casser des vitres de voitures ou défoncer des portes de maisons en tout zèle. Ainsi finit-on par comprendre qu’un arbitrage impartial attendu des juges suprêmes est une quête perdue d’avance.
Les institutions compromettent la démocratie d’autant plus que les commandes auxquelles elles doivent répondre sont nombreuses et variées. L’influence étrangère, celle des anciennes « puissances » coloniales notamment, est une partie à part entière. Dans l’esprit de nombreux prétendants aux présidences africaines, recevoir l’onction de ces « puissances » étrangères est une condition sine qua non. En Afrique de l’Ouest, les ambassades françaises ne désemplissent pas. Des profils mal ambitieux, en quête de nominations par leurs gouvernements, s’y bousculent. Spectatrice de ce ballet dégradant, la population comprend que ceux à qui elle a confié le pouvoir pour commander n’ont rien d’autre à faire que jouer les petits valets. Dans nos agendas institutionnels figurent ainsi tous les intérêts du monde, sauf les nôtres. Quand le président décide, nous doutons qu’il pense à nous. Quand il s’exprime, nous savons qu’il nous faut nous abonner à des médias étrangers pour l’entendre.
L’attitude honteuse de la Cédéao illustre à merveille ce dévoiement ou aliénation de nos institutions. Restée silencieuse face au troisième mandat anticonstitutionnel d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, face aux emprisonnements et répressions meurtrières du régime de Macky Sall, face aux refus répétés du Sénégal d’exécuter les décisions de la Cour de justice de la communauté, la Cédéao veut aujourd’hui embraser la sous-région, malgré l’opposition de nos populations. Derrière les déclarations de guerre d’Alassane Ouattara, venu en renfort du soldat nigérian Bola Tinubu que les médias occidentaux ont voulu mettre en selle, se lisent facilement les positions de la France. Ces mêmes positions françaises qu’il a tenues en assimilant en décembre 2019, aux côtés d’Emmanuel Macron et à la surprise générale, le lancement de la monnaie unique de la Cédéao (devise nommée Eco) aux prétendues réformes du franc CFA. Une telle sortie, faite alors qu’il était président en exercice de l’Uémoa, était une claire tentative de récupération, de sabotage, du projet de l’Eco par la France.
Qu’une personne comme Alassane Ouattara parle au nom d’une institution pour défendre son agenda personnel ou celui de ses alliés étrangers est chose courante sous nos cieux. Dans un récent communiqué issu du deuxième Sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’État du 10 août 2023, la Cédéao a appelé « l’Union africaine à entériner l’ensemble des décisions prises par la Cédéao sur le Niger ». À la lecture d’une telle invitation, on comprend vite que le deal institutionnel était scellé d’avance. Ainsi, sans surprise, Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine, s’est fendu d’un communiqué dès le lendemain : en exprimant « son ferme soutien aux décisions de la Cédéao sur le changement anticonstitutionnel au Niger ». Seulement, Moussa Mahamat Faki n’avait pas la compétence pour lancer l’Union africaine dans une aventure guerrière. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union l’a heureusement remis à sa place en coupant court au coup de force dont il s’est fait complice.
De tels agissements nous font davantage comprendre pourquoi certaines « puissances » étrangères se font la guerre pour monopoliser la formation des élites africaines. Les investissements consentis dans la création de « liens » avec les futurs « leaders » ne sont rien d’autre qu’un moyen de disposer de commis, de sous-préfets, à la tête de nos institutions. Que l’enfer s’abatte sur nos populations : ces commis n’en ont que faire, tant que leurs positions et privilèges ne sont pas menacés. Face aux terroristes qui massacrent depuis une décennie la sous-région ouest-africaine, la Cédéao brille par son silence. Le même silence prévaut devant l’Union européenne et la Tunisie qui violentent les migrants subsahariens et les jettent dans le désert. Le même silence est connu des Sénégalais qui enterrent chaque jour leurs enfants fuyant le Pays, quand le gouvernement ne tente pas de dire qu’aucune pirogue n’a quitté notre sol ou que telle pirogue partie était essentiellement remplie… d’« étrangers ».
Des institutions qui ne font pas leur travail sont des plaies pour la démocratie. Des institutions qui ne représentent pas les intérêts des populations deviennent illégitimes de fait. Des institutions sans la confiance des populations sont des institutions fragiles, menacées de mort. Et la confiance ne se décrète pas : elle se mérite. Quand un président dirige son Pays avec cœur et intégrité, aucune armée n’est folle ou assez forte pour le destituer. Quand les forces de l’ordre refusent de jouer les rôles de broyeurs d’opposants et échappent à la corruption, le moins gradé des soldats devient tout aussi respecté qu’un martyr. Quand les magistrats disent le droit quoi qu’il en coûte, ils deviennent l’abri vers lequel le Peuple accourt.
Partout où il y a le chaos, il y a des institutions sans incarnation. Des gens qui utilisent la force publique pour rabaisser la République. Des femmes et hommes qui se forment, prêtent serment, pour ensuite se comporter comme des brigands. Ils oublient que les plus beaux titres, les plus amples toges, les plus brillantes médailles, les plus arrogantes impunités, ne guérissent pas les blessures de conscience. Toute personne, institution, injuste, se retrouvera seule, face à elle-même, et se haïra plus qu’elle n’a haï son pire ennemi. Le bonheur, cet havre de ceux qui n’ont rien à se reprocher, leur sera éternellement étranger.
Lorsque l’intellectuel perd sa capacité à défendre des valeurs pour le bien commun, soit par partisanerie soit par mercenariat de la plume, la malhonnêteté intellectuelle devient son arme la plus redoutable
« Les prémices de la campagne présidentielle sont symptomatiques de l’état de délabrement moral et politique de notre pays. Dans une société en quête de sens, de direction, de projet, il est urgent que les intellectuels renouent avec l’engagement, osent intervenir dans l’espace public, et s’affirment devant les néo-réactionnaires qui dominent le paysage médiatique. Il en va de notre démocratie. ».
Cet extrait d’une tribune parue en janvier 2022, signée des juristes français Beligh Nabli et Jean-Pierre Mignard, intitulée : « Intellectuels, trahison ou loyauté », pourrait s’appliquer mot pour mot au contexte sénégalais du moment. Les auteurs interpellent les intellectuels français contre les dérives racistes et fascistes, là où aujourd’hui les intellectuels sénégalais sont eux aussi appelés à prendre leurs responsabilités devant l’histoire face au tournant autoritaire que prend le pays. Certaines plumes alertes qui font autorité dans le paysage intellectuel national et international sont en train de répondre à cet appel, à travers des pétitions et autres tribunes qui font écho ici et ailleurs.
Mais leur encre n’a pas encore séché, qu’elles se voient déjà attaquées par media interposée, par les sbires du pouvoir en place, créant ainsi ce que la presse locale appelle maladroitement « la guerre des intellectuels ». Mais cette « guerre » serait malsaine si elle devenait une querelle de personnes, loin des idéaux et principes d’un engagement citoyen des belligérants pour qui, seul l’intérêt d’une gestion du peuple pour le peuple et par le peuple, devrait prévaloir. Dès lors, il y a lieu de clarifier le jeu en cours et d’inviter à plus de responsabilité de la part de nos intellectuels et de nos gouvernants ; ce qui est l’objectif recherché de la présente contribution.
Depuis quelque temps, la clameur de la rue sénégalaise s’est estompée, de guerre lasse, comme subjuguée par la déclaration de non-candidature du président de la République à l’élection de 2024 et encore sous le choc de la saga de l’incarcération d’Ousmane Sonko. En attendant de reprendre un nouveau souffle, dans un contexte marqué par le caractère inquiétant de la situation clinique du leader du Pastef désormais dissous, la rue fait une place de plus en plus sonore aux claviers des intellectuels qui se font désormais l’écho de la noble cause, pour un Sénégal meilleur, plus juste et plus démocratique. Toutefois, que l’écrit prenne le relais de la rue pour poursuivre la lutte contre l’oppression n’est pas une nouveauté.
En effet, entre le sabre et la plume, entre la force et l’érudition, entre la rue et les claviers, les modes de résistance se suivent et se ressemblent devant l’oppression, au fil de notre évolution historique. De Lat Dior Diop à Aline Sitoe Diatta, de El Hadj Omar Foutiyou Tall à Maba Diakhou Ba, de Léopold Sédar Senghor à Cheikh Anta Diop, les formes de lutte se croisent, se rejoignent et se séparent selon les contextes, tantôt se renforçant mutuellement, tantôt s’affaiblissant involontairement, au gré des enjeux du moment. Les relations entre les intellectuels et la politique ont toujours été complexes. Si nous remontons l’histoire, la révolution Torodo de Cerno Suleman Baal a été parachevée par le livre en 1776, mettant fin au règne monarchique trois fois séculaire de la dynastie Denyanke et instaurant un nouvel ordre social et politique. Plus récemment, la négritude de Senghor et Césaire comme courant d’affirmation du peuple négro-africain a été l’expression par la plume, de la lutte pour l’émancipation de l’homme noir, de même que les écrits de Cheikh Anta Diop ont contribué à recentrer le débat sur l’antériorité des civilisations nègres, et à faire regagner sa dignité à tout un continent.
De plus, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels sénégalais ont été de tous les combats de décolonisation, à l’instar de ceux d’autres pays avec le même objectif de libérer l’Afrique du joug de la colonisation. Durant cette période, un double phénomène de musellement des voix discordantes a consisté d’un côté, à la liquidation par l’ancienne métropole, des intellectuels récalcitrants, et de l’autre, à la collusion entre l’intelligentsia et l’élite au pouvoir dans les jeunes états africains, relayant dans la clandestinité une partie des contestataires de l’ordre établi. Ce qui à faire dire à beaucoup d’observateurs que les intellectuels ont échoué à aider les peuples assoiffés de liberté et de développement pour assoir des bureaucraties encore au service de l’ancien colonisateur. Nous disions dans une autre tribune (Sénégal : anthropologie de la colère) que « les intellectuels opprimés au lendemain des indépendances, n’ayant pas pu accompagner les masses populaires en raison de la répression du système de l’époque, se donnent aujourd’hui le devoir d’accompagner la jeunesse africaine à se libérer des derniers maillons de la décolonisation et des leaders complexés, pour affranchir leurs peuples ».
C’est dire que l’intelligentsia sénégalaise et la diaspora sont interpelées et devraient retrouver leur lustre d’antan à travers des débats d’idées et des forums d’échanges contradictoires pour nourrir l’espace public, pour éveiller les consciences et influencer les politiques publiques, particulièrement dans le contexte préélectoral actuel. La gauche qui a dirigé le Sénégal les 40 premières années de son existence en tant qu’Etat indépendant, nous avait habitués à des cercles de réflexion et d’initiatives pour accompagner nos politiques dans le sens du développement. Dommage que cet engouement se soit édulcoré voire travesti durant l’ère libérale où l’incitation à la transhumance, érigée en arme politique, et l’appât du gain personnel, ont poussé plusieurs intellectuels à changer d’encre, d’encrier et de buvard en se logeant confortablement avec des œillères, du côté du pouvoir, annihilant tout esprit de critique interne et de discernement.
L’intellectuel est décrit comme « une personne dont l'activité repose sur l'exercice de l'esprit, qui s'engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, qui n'assume généralement pas de responsabilité directe dans les affaires pratiques ». Lorsque l’intellectuel perd sa capacité à défendre des valeurs pour le bien commun, soit par partisanerie soit par mercenariat de la plume, la malhonnêteté intellectuelle devient son arme la plus redoutable. C’est à ce triste spectacle que nous assistons au Sénégal, particulièrement depuis la déclaration du Président Macky Sall de ne pas briguer un troisième mandat, avec une suite de ses conseillers et proches collaborateurs, naguère ardents défenseurs d’une troisième candidature, désormais laudateurs du président, toute honte bue. Ce qui montre qu’ils n’étaient pas du côté du droit et de la loi fondamentale mais juste guidés par leurs intérêts claniques.
Dans son ouvrage « la paysannerie non-capturée », Goran Hyden argumente qu’une partie des producteurs africains, restant dans leurs propres modèles empiriques, profitent d’un certain degré d’autonomie structurelle par rapport aux autres groupes de la société, ce qui leur évite d’être capturés par le système de production capitaliste. Par analogie, une partie de l’intelligentsia et de la diaspora sénégalaises bénéficie d’une autonomie structurelle de pensée par rapport aux autres groupes de la société, ce qui lui évite de tomber dans le piège de la pensée unique qu’un Etat tout-puissant serait tenté de lui imposer. C’est cette « intelligentsia non-capturée » qui, aujourd’hui donne de la voix à la lutte pour les libertés dans un Sénégal où il fait bon tresser des lauriers au prince. Cette intelligentsia est restée libre et critique et certains de ses membres font entendre leur indignation depuis quelques mois déjà, à travers une série de pétitions et tribunes signées par d’éminents intellectuels du Sénégal et d’ailleurs, pour tirer la sonnette d’alarme et appeler le président de la République à revenir à la raison, à libérer les prisonniers politiques et à rétablir le parti Pastef dans ses droits, entre autres. Cette frange d’intellectuels donne de la voix au moment où le processus de musellement de la pensée libre semble prospérer avec le spectre de l’emprisonnement qui plane sur la tête des journalistes et hommes politiques aux opinions divergentes de celles du régime au pouvoir, sans raison.
Justement, la raison est la denrée la plus rare dans les rangs de la coalition au pouvoir où est retranchée la frange d’intellectuels « captifs » du régime, qui s’inscrivent plutôt dans la réaction, sans hauteur ni détachement, et s’empressent d’apporter des répliques pathétiques à chaque sortie des intellectuels engagés du côté du peuple. Cela est symptomatique d’une ère qui s’achève.
L’intellectuel a le droit d’être engagé fusse-t-il du côté du pouvoir, mais il devrait être guidé par un principe de base qui est celui de défendre des valeurs, en toute responsabilité et avec autorité. Le philosophe et éminent professeur américain Cornell West qui disait toute son admiration à voir le Président Barack Obama à la télé comme président de la république, avait son franc-parler lors de ses critiques du président Obama particulièrement dans la gestion de la question du racisme sous son magistère.
Au Sénégal aujourd’hui, il y a une sérieuse crise de valeurs exacerbée par l’attitude des leaders adeptes du « wax waxeet », qui n’ont pas le respect de la parole donnée et qui font la promotion de la médiocrité pour des gains politiciens. D’où le bas niveau du débat intellectuel dans l’arène politique. A l’exception des « think tanks » (groupes de réflexion) qui restent droits dans leurs bottes en matière de production intellectuelle, le niveau de débat proposé par le régime actuel est plutôt faible, et cela s’explique principalement par le refus de la contradiction et le diktat de la pensée unique qu’il veut imposer et qui résulte de la politique du chef de réduire toute opposition à sa plus simple expression, c’est-à-dire le silence pour toute voix discordante.
Devant leur responsabilité, le silence des intellectuels est violent. Selon Noam Chomsky, la responsabilité des intellectuels est celle de n’importe quel « honnête homme : elle consiste à dire la vérité. ». Il trouve que « la responsabilité de l’intellectuel en tant qu’agent moral – et c’est à peu près tout ce qui le distingue du monstre – est de tenter de révéler la vérité à des interlocuteurs à même d’intervenir ». Tout est dit.