Le coût des denrées de grande consommation est devenu presque insupportable pour les Sénégalais. Les produits alimentaires et le loyer sont chers, surtout à Dakar, alors que les revenus des ménages ne connaissent pas d’amélioration.
Le prix de la baguette de pain, récemment porté de 150 à 175 F Cfa, avec une clause d’augmentation du grammage qui devait passer de 190 à 200 g (mais, visiblement, il n’y a encore aucun changement sur la baguette, du moins selon le constat des consommateurs), après de longues négociations entre l’Etat et les boulangers, est un coup de plus que le Sénégalais devrait encore supporter. Avant la baguette de pain, les prix des denrées de première nécessité avaient connu une hausse considérable, amenant même le gouvernement à tenir un Conseil sur la consommation.
Plusieurs décisions ont été prises par les autorités étatiques pour soulager les populations et… le panier de la ménagère. Mais, à l’arrivée, le prix des denrées reste toujours cher. Pis, entre 2012 et maintenant, ils ont connu une flambée. A titre d’exemples, le litre d’huile en bouteille est à plus de 1500 F Cfa, le sac de riz de 50 kg qui était vendu à 12.000 en 2012 est à plus 15.000 F Cfa, atteignant 17.000 F Cfa dans certaines zones. Celui parfumé s’échange moyennant jusqu’à 22.000 F Cfa, selon la marque. Cette hausse des denrées vient s’ajouter à la cherté du loyer à Dakar et même dans plusieurs grandes villes.
Se loger dans la capitale est devenu un chemin de croix. Le prix des appartements dépasse 200.000 F Cfa dans plusieurs quartiers. Et comme si cela ne suffisait pas, il y a la surenchère sur les avances et cautions demandées par des intermédiaires (agences, courtiers) qui exigent désormais 3 à 4 lois d’avance, au lieu des 2 mois prévu par la loi, en plus des frais de déplacement exorbitants. Cette spéculation sur le prix et l’impossible régulation du secteur de l’immobilier viennent anéantir les efforts des Sénégalais.
La cherté de l’eau aussi bien en milieux urbain, périurbain que rural, avec les nombreuses récriminations des populations contre les sociétés concessionnaires et exploitants des forages, et de l’électricité est aussi une réalité que les Sénégalais sont obligés d’affronter. La cherté de la vie, c’est également le prix du kg de viande qui a connu une augmentation. Désormais, il débourser 3500 F Cfa pour se procurer 1 kg de viande de bœuf dans plusieurs quartiers de Dakar.
UNE HAUSSE CONFIRMEE PAR L’ANSD : «LES PRIX DE LA CONSOMMATION ONT PROGRESSÉ DE 3,8% AU TROISIÈME TRIMESTRE 2021…»
Cette hausse généralisée des denrées est confirmée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd). Selon sa note d’analyse de l’Indice harmonisé des prix de la consommation au troisième trimestre de l’année 2021, les prix de la consommation ont progressé de 3,8% au troisième trimestre 2021, après un léger relèvement de 0,4% au trimestre précèdent. Cette évolution est essentiellement expliquée par la flambée des prix des «produits alimentaires et boissons non alcoolisées. En comparaison au troisième trimestre de l’année 2020, les prix à la consommation se sont accrus de 2,9%».
L’Ansd relève que les prix à la consommation des «produits alimentaires et boissons non alcoolisées» se sont accrus de 7,0% après une légère hausse de 0,6% au trimestre précèdent. Cet accroissement est expliqué par la flambée des prix des «légumes frais en feuilles» (+58,9%), des «légumes frais en fruits ou racines» (+24,9%), des poissons frais (+24,9%), des tubercules et plantains (+15,8%), ainsi que de la viande de bœuf (+7,2%). Une chute de la production maraichère et de l’offre en poissons frais est à l’origine de cette tendance haussière des prix des produits alimentaires.
En variation annuelle, les prix ont progressé de 4,3%, sous l'effet de l'augmentation des prix de la viande de bœuf (+17,1%) et des poissons frais (+16,5%). Les prix des produits de la fonction «logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles» ont connu un accroissement de 0,5% au troisième trimestre 2021. Cette hausse est principalement liée au renchérissement des combustibles liquides (+2,1%), des produits pour l'entretien et réparation courante (+1,9%), ainsi que des services d'entretien et de réparations courantes (+1,2%). Sur un an, les prix ont progressé de 1,5%, comparativement au troisième trimestre 2020.
L'INFLATION, UNE PILULE MAL DIGÉRÉE PAR LES MÉNAGES
Force est de constater que, depuis quelques temps, beaucoup de produits ont connu une hausse vertigineuse sur le marché sénégalais
Depuis quelques temps, Gorgorlu est confronté à une hausse généralisée de prix des denrées alimentaires, du loyer, de l’électricité, de l’eau, bref de toutes les denrées de première consommation. Cette nouvelle situation plonge les ménages dans une atmosphère infernale. Les pères de famille pointent du doigt le président Macky Sall et les femmes ne cessent de se lamenter sur la flambée des prix des denrées. Une décision qu’elles qualifient de manque de considération. Entre inquiétude et cris de désespoir, chacun veut se faire entendre.
Force est de constater que, depuis quelques temps, beaucoup de produits ont connu une hausse vertigineuse sur le marché sénégalais. Une situation mal vécue par les ménages qui ne savent plus où se donner la tête. Entre cherté des denrées de première nécessité, eau, électricité, vient s’ajouter la hausse du loyer qui fait basculer la balance. Les portefeuilles en souffrent et les pères de famille vivent dans la crainte, surtout ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Cette flambée semble créer une vague de tourbillon dans la vie quotidienne des Sénégalais. Selon Khady Kébé, une dame interrogée, les denrées n’ont connu une hausse aussi pareille que sous le régime de Macky Sall : « Depuis que Macky Sall a pris le pouvoir, les prix des produits ne cessent d’augmenter chaque année. Nous le vivons avec beaucoup de difficultés au niveau des marchés parce que tout a augmenté. Parfois même, il nous semble avoir perdu de l’argent, tellement le peu que nous avons s’épuise vite. Ce que nous recevons comme dépense quotidienne, cela ne couvre plus les besoins alimentaires », fait-elle savoir. Adji Niass, vivant dans une maison familiale à Usine Bène Tally, embouche la même trompette : « On dirait que nous ne faisons pas partie de la population car nous, issus des familles démunies, nous sommes ceux qui sont les plus affectés par cette hausse. Mon mari se débrouille pour me donner la dépense. Maintenant, même ce qui coutait 25F est passé à 50F. J’ai du mal à m’y faire d’autant plus qu’il me dise de ne pas pouvoir augmenter la somme qu’il me donnait. C’est vraiment très difficile », explique-t-elle. Poursuivant, elle fera comprendre que « si les choses continuent ainsi, le nombre de familles qui dormira avec le ventre vide sera nombreux ».
MAL-VIVRE ET MALAISE AMBIANT
Sur le mal-vivre des Sénégalais face à la hausse des prix des denrées, les avis sont unanimes. Mohamed Mansour Ba, père de 6 enfants dont 4 garçons et 2 filles, dit être content de la question posée car, selon lui, les journalistes doivent beaucoup s’intéresser à la vie quotidienne des citoyens surtout pour ce qui est des préoccupations liées à la survie de la population. « Les factures d’eau explosent, l’électricité, l’alimentation, tout est cher et franchement, c’est injuste. Dans un pays normal avec des règles appliquées, l’alimentation ne doit pas poser de problème pour que la population ne souffre pas de faim. Mais au Sénégal, il y a des familles qui ne mangent pas assez. Tout simplement parce que la vie est trop chère et nous devons nous mobiliser, faire une marche pour que ça cesse, car on n’en a marre », peste-t-il. Trouvé assis à la Grande-place de Cité Bissap où se rencontrent des pères de famille qui s’adonnent à des jeux pour gagner du temps ou pour fuir la dure réalité quotidienne, Alpha Diouf Diagne, la quarantaine bien sonnée, nous parle à cœur ouvert. « Ah, la vie ! », dit-il avec un sourire mélancolique. « Toute cette hausse nous affecte, nous les pères de famille surtout quand on a un maigre salaire. Le matin, après avoir déposé l’argent sur la commode, je reste à la mosquée ou à la Grande-place pour ne pas affronter ma femme qui me demande d’augmenter la somme parce que les denrées alimentaires connaissent une hausse. Et chaque jour, c’est le même refrain », fait-il savoir, Toujours, selon Alpha Diouf Diagne, les choses ne sont plus de ce qu’elles étaient sous le régime de Wade. « Sous le régime de Wade, on ne se plaignait pas contrairement à aujourd’hui où tout a changé de la pire des manières ».
LES POUVOIRS PUBLICS AU BANC DES ACCUSES
Au-delà des avis partagés sur la hausse des denrées, de l’électricité, de l’eau, le loyer ne reste pas en rade. Conscient du calvaire des Sénégalais sur la cherté du loyer, le président de la République avait exigé la baisse du loyer. Mais cette décision n’a duré que le temps d’une rose car tout est revenu à la case de départ. Pantalon bleu de nuit avec une chemise bien enfilée, Boubacar Dappa nous livre son avis : « les denrées sont chères, l’électricité pareillement car tu es obligé d’acheter une carte toutes les deux semaines ou un mois. L’eau, n’en parlons pas et le loyer à Dakar, c’est inconcevable. Un appartement à 250 000 FCFA ou 300 000 F CFA, une chambre simple avec salle de bain, on te dit 50 000 ou 60 000 F CFA. Le comble, c’est que les bailleurs nous collent comme du chewing-gum à la fin du mois, ils ne nous donnent pas de répit. C’en est trop ! On nous étouffe avec cette hausse chaque mois », martèle-t-il. Pourtant, il pense que les bailleurs ont raison d’augmenter le loyer pour la bonne et simple raison que le prix du ciment, sable, fer et autres n’a pas été baissé. Autant d’éléments qui montrent à point la hausse généralisée des produits de consommation courante a fini par installer une sorte de malaise sourde au niveau des populations.
EVÊQUES, IMAMS ET OULÉMAS APPELLENT À LA NON-VIOLENCE LORS DES LOCALES
Les évêques, imams et oulémas du Sénégal entendent eux aussi jouer leur partition dans cette dynamique.
Les menaces de violences politiques qui guettent les élections locales ne laissent pas indifférents les évêques, imams et oulémas du Sénégal. Aussi ont-ils tenu une conférence de presse hier, lundi 20 décembre 2021, pour appeler les divers acteurs de ces joutes électorales, populations comme candidats, à cultiver la non-violence.
Dans la foulée des organisations religieuses et autres de la société civile, à l’instar du Cudis, de la plateforme Jammi Rewmi, du Gradec qui s’activent dans la préservation de la paix lors des Locales de janvier prochain, les évêques, imams et oulémas du Sénégal entendent eux aussi jouer leur partition dans cette dynamique.
Hier, lundi, ils ont tenu une conférence de presse pour sonner l’alerte et inviter à la préservation de la paix au cours de ces joutes qui ont fini de susciter mout inquiétudes. «Nous nous adressons à vous, en tant que guides religieux, imams oulémas et évêques du Sénégal pour vous inviter tous au calme et à la sérénité devant les enjeux que suscite une telle étape dans la vie de notre nation ».
Et de poursuivre : « Il demeure clair, qu’en de pareilles circonstances, les légitimes rivalités politiques peuvent se transformer en de graves conflits pouvant entrainer de regrettables agissements à l’encontre de la paix et de la stabilité de notre pays si on n’y prend pas garde ».
Loin de s’en tenir là, ces acteurs religieux diront : « C’est pourquoi, fidèles à notre responsabilité de guides spirituels, faisant confiance à la maturité démocratique de nos concitoyens, nous avons décidé dans une parfaite communion de cœur et d’esprit, de vous adresser ce message fraternel. Nous vous invitons d’abord à vous tourner vers Dieu dans une fervente prière pour Lui confier notre pays et ses habitants. Que sa toute puissante bonté éloigne de nous le mal et la division ».
Poursuivant, ils diront : « Nous en appelons ensuite, à la conscience citoyenne de tous surtout des acteurs politiques pour adopter des comportements responsables en vue d’élections crédibles, transparentes et paisibles ».
Les imams, oulémas et évêques du Sénégal relèveront par suite que leur propos s’adresse, de façon particulière à tous les candidats des élections territoriales, ceux de la mouvance présidentielle, de l’opposition, comme de la partie civile.
Et de conclure : « Nous les invitons tous au respect des personnes et des institutions tant dans leur discours que dans leur façon de faire. En effet, personne ne doit mettre en danger la vie et la stabilité de notre nation à travers des propos et des comportements qui incitent à la violence».
PACIFICATION DES UNIVERSITES, LE MINISTRE «ADOUBE» LE SAES
Ce retour à la paix est le fruit d’une médiation du SAES dans une crise où le ministère n’avait pas les moyens, ni le droit d’intervenir, selon le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Le ministre de l’enseignement supérieur a remercié le SAES pour son implication dans la sortie de crise à l’université de Bambey. Face à la presse, Cheikh Oumar Hanne a annoncé que grâce à cette médiation, deux UFR sur cinq ont donné un avis favorable pour l’organisation de deux sessions d’examens à l’université Alioune Diop de Bambey.
C’est la décrispation dans les universités du Sénégal, notamment celle de Bambey, après une semaine de confrontation avec les forces de l’ordre. Ce retour à la paix est le fruit d’une médiation du SAES dans une crise où le ministère n’avait pas les moyens, ni le droit d’intervenir, selon le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
En effet, suite à la médiation entamée par le SAES, les assemblées des UFR qui avaient programmé de faire une session unique pour l’année universitaire 2021 ont promis de reconsidérer leur position sur cette décision. Et selon Cheikh Omar Hanne, deux UFR ont déjà décidé d’abroger cette décision qui émanait de leurs assemblées respectives, pour organiser deux sessions. Les autres Unités de formation et de recherches sont dans les discussions pour voir quelle suite donner à cette exigence des étudiants, principal motif de la grève. En attendant, Cheikh Oumar Hanne a remercié le SAES pour son initiative de médiation dans cette crise qui mettait en conflit deux composantes de la communauté universitaire (étudiants et professeurs) et dans laquelle, il était tenu par la loi. « Cette mesure vient d’être prise par les assemblées des UFR conformément aux textes qui confèrent aux universités leur autonomie ».
Ainsi, le ministre a expliqué les raisons de son mutisme sur le sujet. Selon le ministre Hanne, l’origine de la crise se trouvait sur des questions académiques auxquelles sont venus se greffer, l’affaire de la mort de l’étudiant de Bambey, dont les résultats de l’autopsie ont montré qu’elle n’était pas causée par l’intoxication, et les mouvements de soutiens de leurs camarades de Saint-Louis et Dakar. De l’avis de Cheikh Oumar Hanne, les questions pédagogiques sont du ressort des assemblées des universités qui jouissent elles-mêmes du privilège de l’autonomie des universités. « La gestion des crises relevait des instances académiques et la revendication portait sur l'annulation d'une décision prise par des instances qui ont des prérogatives que leur confère la loi. Et, les décisions prises par les assemblées ne peuvent pas faire l’objet de recours. A moins que le concerné ne reconnaisse pas la décision et introduise un recours gracieux pour une révision. Et dans le fonctionnement de ces instances, le ministère ne peut ni ne doit intervenir », a dit le ministre. C’est là que réside l’importance de la réaction des instruments de discussion, selon lui. «Le ministère ne pouvait intervenir et le SAES a pris sur lui d'entamer des démarches. Ce qui a amené des UFR à reconsidérer la position d'organiser une session unique. Déjà, deux UFR ont déjà donné leur accord pour l'organisation de deux sessions », a soutenu le ministre.
Cette dynamique de paix sera poursuivie et toutes les autorités des universités ont été instruites à cet effet. Le ministre a également souligné que pendant cette crise, les franchises universitaires ont été respectées, conformément à la loi. Mais il a tenu à rappeler qu’en cas de nécessité, les autorités universitaires pouvaient réquisitionner la force publique pour circonscrire le mal et faire revenir l’ordre. Enfin, le ministre s’est aussi prononcé sur le sujet de la future université Souleymane Niang de Matam pour dire qu’elle sera implantée sur un seul site, dans la région.
René Lake analyse sur VOA, les contours et les implications du refus du sénateur démocrate Joe Manchin III, de voter en faveur de Build Back Better, épine dorsale du programme du nouveau président américain
Build Back Better, le projet de 1 750 milliards de dollars, épine dorsale du programme socio-écologique du nouveau président américain, pourrait avoir reçu le coup de grâce avec la décision ce week-end de Joe Manchin III de voter contre. Le Sénateur démocrate évoque notamment le contexte de hausse des coûts et une dette déjà très importante pour justifier son refus. Au grand dam de la Maison Blanche qui espérait un vote au Sénat avant la fin de l'année.
Comment faut-il comprendre cette décision assimilée par l'administration Biden à un revirement ? Quid de son incidence sur le vote à venir désomais programmé pour courant janvier au Sénat ? Le président américain reputé conciliateur parviendra-t-il à arrondir les angles ?
Éléments de réponses avec René Lake au début du journal de VOA.
SENGHOR A POSÉ LES BASES DES ALTERNANCES DÉMOCRATIQUES AU SÉNÉGAL
L'ancien président aura marqué durablement le monde francophone des idées et de la culture, ainsi que l’édification de la démocratie dans son pays. Le journaliste Ibou Fall, qui lui consacre une biographie, revient sur cet homme d’État atypique
Décédé le 20 décembre 2001, le président Léopold Sédar Senghor aura marqué durablement le monde francophone des idées et de la culture, ainsi que l’édification de la démocratie dans son pays. Le journaliste Ibou Fall, qui lui consacre une biographie, revient sur cet homme d’État atypique, qui aura renoncé de lui-même au pouvoir en cours de mandat.
Sur un continent abonné aux mandats présidentiels illimités et autres coups d’État à répétition, l’exemple que Léopold Sédar Senghor a légué reste emblématique. Le 31 décembre 1980, alors que son cinquième mandat courait jusqu’en 1983, le président sénégalais annonce sa démission après avoir exercé le pouvoir depuis l’indépendance, en avril 1960.
Son Premier ministre de l’époque, Abdou Diouf, le remplace jusqu’à la fin de son mandat. Senghor fait ses valises et rejoint la France, où il passera en Normandie – région d’où est originaire la famille de son épouse française, Colette – les vingt dernières années de sa vie. C’est là, à Verson (Calvados), qu’il s’est éteint le 20 décembre 2001, il y a tout juste vingt ans, avant d’être inhumé à Dakar, au cimetière catholique de Bel-Air.
Chantre de la négritude aux côtés, notamment, d’Aimé Césaire et de Léon-Gontran Damas, avec qui il fonda en 1935 la revue contestataire L’Étudiant noir, Léopold Sedar Senghor s’illustrera ensuite par sa francophilie assumée, à l’heure des indépendances, désireux de conserver un lien privilégié avec l’ancienne puissance coloniale plutôt que de couper franchement le cordon ombilical. Au point de déporter dans un bagne du Sénégal oriental, pendant plusieurs années, son Premier ministre Mamadou Dia, adepte d’une vision intransigeante de l’indépendance, mâtinée de socialisme, et trois autres de ses ministres.
Une posture qui lui vaut une réputation mitigée sur le continent et dans la diaspora où, du fait de son approche fort conciliante avec Paris, il écoperait sans doute aujourd’hui du surnom péjoratif de « Bounty » (Noir à l’extérieur, Blanc à l’intérieur).
Vieux briscard de la presse sénégalaise – notamment satirique -, Ibou Fall vient de consacrer un ouvrage à cet homme complexe, à la fois despote éclairé (durant les années qui ont suivi l’indépendance) et père fondateur de la démocratie sénégalaise (du parti unique au multipartisme intégral), poète enraciné dans la culture sénégalaise et africaine, mais aussi académicien français à partir de 1983, militant de la négritude et Normand d’adoption, président catholique d’un pays à 90 % musulman…
Si Senghor : sa nègre attitude (Forte impression SA, Dakar) n’élude pas les zones d’ombre du personnage, Ibou Fall se montre plutôt favorable à ce monument de l’histoire sénégalaise, à la fois culturelle et politique. Il revient pour Jeune Afrique sur la trajectoire ambivalente du président-poète.
Jeune Afrique : Êtes-vous parvenu à faire la part des choses entre Senghor l’Africain, chantre de la négritude, et Senghor le francophile, régulièrement accusé d’être demeuré le vassal de l’ancien colonisateur ?
Ibou Fall : Selon moi, Senghor avait raison quant à la démarche à adopter par rapport à la décolonisation et aux liens qu’il souhaitait maintenir avec la France. Il avait compris que nous avions des lacunes en ce qui concerne notre stature dans l’histoire et qu’une alternative se posait à nous à l’heure de la décolonisation : soit nous adoptions une posture guerrière en nous démarquant complètement de ce que la France avait pu nous apporter ; soit nous en faisions une rencontre, une forme de métissage. Senghor a choisi de retenir ce que la France avait pu apporter au Sénégal, afin d’en faire un atout plutôt qu’un handicap.
En visite à Yaoundé, le président de la Confédération africaine de football, Patrice Motsepe, a confirmé que la CAN 2021 se jouerait bien aux dates prévues, du 9 janvier au 6 février 2022, au Cameroun
Une journée aura suffi à lever les doutes. A l’issue de sa visite du stade d’Olembe, en périphérie de Yaoundé, Patrice Motsepe a annoncé que la CAN 2021, menacée par les desseins de la FIFA et les réticences des clubs européens, aurait bien lieu aux dates prévues, du 9 janvier au 6 février 2022, au Cameroun. « Nous serons tous présents au Cameroun dans quelques semaines, a lancé le dirigeant sud-africain, plus détendu et prolixe qu’à son arrivée à Yaoundé. Je suis si fier du travail effectué. On peut se rendre compte de l’ampleur des engagements pris pour que les problèmes évoqués ces derniers jours soient réglés. Nous allons organiser cette CAN, en partenariat avec le gouvernement du Cameroun, le peuple du Cameroun, la CAF et le nouveau président de la Fédération camerounaise (Samuel) Eto’o. Nous sommes prêts à montrer au monde le meilleur du football africain, le meilleur de l’hospitalité africaine. Ce sera une CAN réussie, la plus réussie de toutes ! »
Retour sur les recettes de ce plat devenue une tradition culinaire au Sénégal, à l'heure de son incription par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, avec René Lake au micro de VOA Afrique
Retour sur les recettes de ce plat devenue une tradition culinaire au Sénégal, à l'heure de son incription par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, avec René Lake au micro de VOA Afrique. Ecouter à partir de la 6'50".
par Florian Bobin
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR, PRÉSIDENT SANS POÉSIE
EXCLUSIF SENEPLUS - Vingt ans après sa mort, l'heure est à son éloge en France. Il fut pourtant un ardent défenseur du système imaginé à Paris pour perpétuer la domination coloniale, et un président autoritaire dont la police pratiquait la torture
Vingt ans après sa mort, le 20 décembre 2001, l’heure est, en France, à l’éloge du « poète-président ». Qualifié par Le Monde de « chantre de la fierté noire », il est érigé par Le Figaro en pionnier du combat contre la « cancel culture ». Il fut pourtant un ardent défenseur du système imaginé à Paris dans les années 1950 pour perpétuer la domination coloniale et, à partir de 1960, un président autoritaire dont la police pratiquait la torture. Le second volet de cette série s’intéresse au Senghor d’après l’indépendance.
« La résistance à l’oppression est le devoir le plus sacré en démocratie. » En février 1957, lors du congrès de son parti, le Bloc populaire sénégalais (BPS), Léopold Sédar Senghor, député français de la circonscription du Sénégal, harangue les foules et lance un appel à la mobilisation. « Nous arriverons à ce but, dussions-nous aller en prison, dussions-nous mourir », disait-il déjà à ses partisans quelques mois plus tôt [1]. Des mots inhabituels dans la bouche du poète. C’est qu’il a perdu la bataille de la loi-cadre Defferre, promulguée à l’été 1956, qui disloque l’Afrique-Occidentale française (AOF) et l’Afrique-Équatoriale française (AEF) en même temps qu’elle instaure des gouvernements semi-autonomes dans chacun des territoires qui les composent.
Au député sénégalais, qui rêvait de transformer l’AOF et l’AEF en fédérations africaines, le gouvernement français a préféré l’option défendue par son rival ivoirien, Félix Houphouët-Boigny. Ministre du gouvernement français et cosignataire de la loi-cadre, ce dernier voit d’un mauvais œil le système fédéral promu par Senghor qui transforme, selon lui, la Côte d’Ivoire en « vache à lait de l’AOF ». Le Sénégalais devra se résigner à une Afrique « balkanisée ».
Capable d’analyses subtiles et de protestations lucides, Senghor dépense une énergie considérable, sous la IVe République, à défendre la modernisation du système colonial. Déterminé à maintenir son pays dans l’aire d’influence française, l’ancien député devient, sous la Ve République, l’un des piliers du néocolonialisme français en Afrique. Le poète dont on chante les louanges à Paris se transforme en despote dans son propre pays.
L’impensable séparation
Alors que l’État français vacille en Algérie en 1958, le président de Gaulle soumet au vote par référendum son projet de Ve République, qui prévoit de remplacer l’Union française par une « Communauté française ». Selon la nouvelle Constitution, qui reprend les principes de la loi-cadre, l’État français conserve le contrôle des affaires « communes » (politique étrangère, défense, monnaie, justice, enseignement supérieur, etc.) tandis que les États africains se voient confier la gestion de leurs affaires intérieures.
Peu avant le référendum, fixé au 28 septembre, Senghor, dirigeant du BPS, et Lamine Guèye, responsable de la branche sénégalaise de la SFIO, qui viennent de fusionner leurs partis au sein de l’Union progressiste sénégalaise (UPS), se retrouvent pour décider de l’attitude à adopter à l’approche du scrutin. À la grande surprise de Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement et bras droit de Senghor, ce dernier lui confie ses réserves, ne voulant « pas déroger à une promesse non avouée qu’il avait faite au gouvernement français […] de rester dans la Communauté ». L’indépendance du Sénégal est sans doute envisageable, précise-t-il, mais pas avant « vingt ans » [2]. Signe du malaise que cette décision provoque au sein du BPS, Senghor et Dia s’absentent lors de la visite de De Gaulle au Sénégal le 26 août 1958 : le premier est en vacances en Normandie avec sa belle-famille, le second est en Suisse pour une cure de repos. Un mois plus tard, les résultats du référendum sont formels : le Sénégal restera dans le giron français.
Fin décembre 1958 à Bamako, Senghor orchestre l’officialisation de la Fédération du Mali, ensemble regroupant le Sénégal, le Soudan français, la Haute Volta et le Dahomey. Mais les pressions de la France et de la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny découragent les deux derniers. Le projet fédéral, désormais limité au duo soudano-sénégalais, se structure alors autour de trois hommes forts : Léopold Senghor (président de l’Assemblée fédérale), Modibo Keïta (président du gouvernement), Mamadou Dia (vice-président du gouvernement).
« Le général de Gaulle est un bon père de famille »
Le vent de la décolonisation soufflant sur l’empire, de Gaulle saisit l’opportunité pour octroyer des indépendances encadrées aux colonies françaises d’Afrique, conditionnées à la signature simultanée d’« accords de coopération » dans tous les domaines clés de l’action de l’État. Le chef de l’État officialise cette évolution devant l’Assemblée de la Fédération du Mali en décembre 1959. Interrogé par la télévision française un mois plus tard, Senghor rassure les téléspectateurs : « Quand un enfant est devenu grand et a atteint sa majorité, il prend ses responsabilités et décide de fonder un foyer. Les parents s’en émeuvent d’abord, et puis ils acceptent car les liens familiaux ne sont pas rompus. Le général de Gaulle est un bon père de famille et c’est pourquoi il a accepté l’accession du Mali à l’indépendance » [3].
Mais les tensions ne tardent pas à éclater. Proclamée le 20 juin 1960, l’indépendance de la Fédération du Mali attise les rivalités entre les dirigeants sénégalais et soudanais. Les deux camps s’accusent mutuellement de vouloir prendre le dessus [4]. Keïta dénonce une « tentative de sécession du gouvernement du Sénégal » et des « dirigeants Sénégalais plus français que les Français et qui voulaient franciser le Mali ».
Proclamant le 19 août 1960 le retrait de son pays de la Fédération, Senghor s’emporte sur les ondes de Radio Sénégal accusant les Soudanais de vouloir « coloniser » les Sénégalais et les réduire « en esclavage ». Et le voilà qui appelle une nouvelle fois à la résistance en invoquant les mânes des glorieux ancêtres, Ndiadiane Ndiaye et Lat Dior Diop en tête. « Pour ma part, je suis prêt à mourir […] pour que vive le Sénégal », ajoute-t-il [5].
La République du Sénégal fait le choix d’un parlementarisme à deux têtes : Senghor dispose du prestige de la fonction de président de la République tandis que Dia, président du Conseil des ministres et ministre de la Défense, détient le véritable pouvoir décisionnel. Dès l’été 1960, le régime affirme son autorité en interdisant le Parti africain de l’indépendance (PAI), marxiste-léniniste et anti-impérialiste, et écartant la contradiction en dehors de l’UPS, qui se transformera en quelques années en parti unique. Mais au sommet de l’État naissent des clivages de plus en plus difficiles à canaliser.
Vers un présidentialisme autoritaire
Senghor et ses fidèles se réjouissent de la place privilégiée que lui accorde l’ancienne puissance coloniale : « L’indépendance est complétée par la coopération », estime-t-il, et « la dignité nationale ne s’oppose pas au maintien de notre amitié avec la France » [6]. En face, Dia et ses sympathisants – qui se rapprochent du bloc soviétique, et, dans le cadre d’une planification agricole ambitieuse, souhaitent renforcer les coopérations paysannes – inquiètent les milieux d’affaires franco-sénégalais ainsi que les chefs religieux tirant bénéfice de la traite arachidière.
En décembre 1962, un groupe de députés senghoristes dépose une motion de censure à l’encontre de Dia. Le même jour, Senghor réquisitionne le chef des para-commandos et remplace le chef d’état-major des forces armées, fidèle à Dia, par un de ses proches, Jean-Alfred Diallo. Alors qu’il est prévu que, le 17 décembre, les différentes sensibilités s’affrontent à l’intérieur du parti-État, comme cela se faisait jusque-là, le Parlement annonce finalement qu’il tranchera lui-même le contentieux par un vote dans l’après-midi. Pris de court, Dia fait arrêter quatre députés meneurs, en vertu de la « primauté du parti » [7].
Dans la foulée, le président de l’Assemblée nationale rassemble les parlementaires à son domicile pour achever la procédure. Le lendemain, Dia est arrêté, accusé d’avoir tenté, avec ses ministres Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall, un « coup d’État ». La formule, reprise telle quelle, circule rapidement à travers la presse française – majoritairement acquise à la cause de Senghor [8] – qui présente les événements comme un duel entre un homme d’État plein de sagesse et un rebelle impulsif et fougueux. « Les Sénégalais avaient pris conscience des dangers de cette entreprise de subversion […] et confirmaient leur attachement au président Senghor, explique la télévision française. En quarante-huit heures, le Sénégal a achevé sa révolution : tentative de coup d’État, épuration et réforme tendant au régime présidentiel » [9].
Senghor ne s’en est jamais caché : il cultive une appétence pour l’autorité hiérarchique. À l’antenne de la Radiodiffusion Télévision Française la semaine suivant l’arrestation de Mamadou Dia et des « diaïstes », il lâche : « Le régime de l’exécutif bicéphale, nous en avons fait l’expérience, est vraiment impossible. Dans l’étape actuelle de notre évolution, j’ai été amené […] à constater que le régime présidentiel est le seul viable » [10].
Élu avec 100 % des voix
La tension monte en ce début 1963 alors que se prépare le procès du camp Dia, défendu par un pool d’avocats français et sénégalais composé notamment de Robert Badinter et Abdoulaye Wade. En mai, après plusieurs jours de plaidoiries enflammées, le verdict, d’une sévérité sans précédent, provoque une onde de choc : réclusion à perpétuité pour l’ancien président du Conseil, vingt ans pour Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye, cinq pour Alioune Tall. Les prisonniers politiques sont aussitôt conduits aux confins du Sénégal oriental dans l’enceinte fortifiée de Kédougou.
Dès mars, Senghor fait adopter une nouvelle Constitution lui conférant les pleins pouvoirs. Une nouvelle position de force qu’il met à l’épreuve – sans intention aucune de défaite – lors des premières élections présidentielles et législatives depuis l’indépendance. Un cortège de manifestants, composé d’ouvriers, d’étudiants et d’intellectuels, dont un certain nombre militant au PAI clandestin et au PRA/S (Parti du regroupement africain section Sénégal, dissidence du BDS en 1958), conteste la légitimité de cette échéance électorale à candidat unique. Sans surprise, les résultats donnent Senghor vainqueur à 100 % des voix. La situation se tend, la rue gronde et crie : « À bas Senghor ! », « Tous au palais ! ».
Des hélicoptères survolant la capitale lâchent des grenades lacrymogènes sur la foule. Les militaires encerclent le périmètre et tirent à balles réelles dans le tas. Plusieurs manifestants, ensanglantés, retiennent leur souffle à quelques mètres de camarades abattus, gisant sur le bitume du quartier de la Medina. Les autorités dressent un bilan de quarante morts et deux-cent-cinquante blessés, tandis que l’opposition parle d’au moins cent décès. Loin d’être interprété par Senghor comme un signe de désaveu, il s’agit, selon lui, d’une violence apolitique et étrangère, alimentée par « des chômeurs, dont la plupart n’étaient pas des Sénégalais » [11].
Opposition étouffée, militants torturés
Bien qu’affaiblie par la répression, l’opposition poursuit sa mobilisation clandestinement. Le PAI a vu un certain nombre de ses cadres contraints à l’exil, à l’image de son dirigeant Majhemout Diop. Devenu un refuge d’opposants sénégalais, Bamako voit ainsi transiter tous les militants du parti en partance vers Moscou, Alger ou Prague. À Cuba, Fidel Castro et Che Guevara accueillent en 1964 un groupe d’une trentaine de combattants qui souhaitent se former à la lutte armée avant de lancer une insurrection armée au Sénégal oriental et en Casamance. Mais sur le chemin du retour en 1965, l’un d’entre eux dénonce l’opération auprès de l’ambassade sénégalaise au Mali [12].
S’ensuivent d’importantes arrestations dans les rangs du parti, tandis que Senghor intensifie sa pression sur le régime de Modibo Keïta, enclavé et esseulé, pour qu’il durcisse sa relation avec les exilés sénégalais. Dans la presse officielle paraît la « confession » d’un maquisard affirmant que les combattants auraient embarqué dans l’aventure « quelquefois contraints, quelquefois trompés » [13]. Dans les commissariats et prisons, les militants détenus sont torturés à l’électricité ou au goulot (technique consistant à insérer l’extrémité du col d’une bouteille en verre dans l’anus jusqu’à effusion de sang), notamment sous le commandement du commissaire français André Castorel [14].
Ces premières années à la tête du Sénégal permettent au président Senghor d’étouffer l’opposition : « Dans un pays sous-développé, le mieux est d’avoir, sinon un parti unique, du moins un parti unifié, un parti dominant, où les contradictions de la réalité se confrontent, entre elles, au sein du parti dominant, étant entendu que c’est le parti qui tranche », déclare-t-il en janvier 1963.
Les étudiants dans le viseur
Secrétaire général de l’UPS en plus d’être chef de l’exécutif, Senghor dispose de tous les leviers du pouvoir. Sa stratégie consiste à convoiter les cadres des partis d’opposition, leur proposant de rejoindre la grande coalition gouvernementale. C’est ainsi qu’une partie de la direction du Bloc des masses sénégalaises (BMS), parti fondé par l’intellectuel de renom Cheikh Anta Diop, rallie la majorité présidentielle en 1964. L’année suivante, le PRA/S – dirigé par Amadou Mahtar Mbow, Abdoulaye Ly et Assane Seck – amorce des discussions avec les autorités et décide de fusionner avec l’UPS en 1966. C’est la consécration du règne de Senghor : bien que réprimé et ses meneurs poursuivis pendant des années, le PRA/S était la seule entité politique d’opposition durablement autorisée depuis 1960 ; toutes les autres (partis politiques, syndicats, associations étudiantes) ont connu une courte période légale avant d’être rapidement dissoutes. Ainsi, pour les plus hostiles à la récupération par l’appareil étatique, le régime ne ménage pas ses efforts pour les contraindre à baisser les bras. Dans le viseur, en particulier : les étudiants.
En février 1966, les pensionnaires de l’Université de Dakar organisent une marche pour protester contre le coup d’État ayant renversé le président ghanéen Kwame Nkrumah. En route vers les ambassades des États-Unis et du Royaume-Uni, ils sont violemment arrêtés. Alors que l’université se met en grève, les étudiants africains non sénégalais sont expulsés et le campus ferme. Tenant à conserver son image de démocrate vis-à-vis des invités du monde entier qui séjournent à Dakar pour le Festival mondial des arts nègres (FESMAN) en avril 1966, le président Senghor lâche provisoirement du lest, autorisant une poignée d’organisations étudiantes.
Mais la situation se crispe à nouveau en 1968 : au Sénégal comme dans bien d’autres pays, la jeunesse réclame plus de libertés et d’égalité face à l’autorité. Au mécontentement conjoncturel de la compression des bourses d’études s’ajoute le fait que l’Université de Dakar, près d’une décennie après l’indépendance, demeure française : rattachée à l’Académie de Bordeaux, dispense un programme français, elle est présidée par un recteur français et composée majoritairement d’enseignants français. À l’initiative de l’Union démocratique des étudiants du Sénégal (UDES) et l’Union des étudiants de Dakar (UED), les étudiants expriment leur mécontentement dès mars, dans un climat déjà tendu quelques semaines après une élection présidentielle que le candidat sortant a – comme la précédente – remporté avec 100 % des voix.
« Une nouvelle opposition téléguidée de l’étranger »
L’atmosphère est électrique à Dakar en mai 1968. La jeunesse engagée du pays, enfants de l’indépendance, accuse Senghor de n’être rien d’autre qu’« un valet de l’impérialisme français ». Ils s’abreuvent des écrits de Frantz Fanon, d’Hô Chi Minh et de Mao Zedong, rêvent d’unité africaine et du renversement des régimes « réactionnaires » et « contre-révolutionnaires » du monde entier. Le 24 mai, l’UDES convoque une assemblée générale et lance un appel au boycott des examens et, surtout, à la grève générale et illimitée, qui sera enclenchée le 27. Les autorités ferment les établissements scolaires le 29 et prennent d’assaut le campus, provoquant au moins un mort, Salmon Khoury, et des dizaines de blessés. Plusieurs centaines de Sénégalais – étudiants et travailleurs de l’université – sont alors internés dans le camp militaire Archinard, d’où ils ne ressortiront qu’une dizaine de jours plus tard, tandis que plus d’un millier d’étudiants africains sont expulsés et renvoyés dans leurs pays d’origine.
L’état d’urgence est déclaré. Le 31, autour de la Medina, l’armée – désormais chargée du maintien de l’ordre – procède à l’arrestation de plus d’un millier de manifestants mobilisés en soutien aux étudiants ; au moins deux d’entre eux y perdent la vie. Pris de court, Senghor songe à céder le pouvoir au chef d’état-major général des armées Jean-Alfred Diallo, qui décline l’offre, préférant plutôt un élargissement de son champ de compétences.
C’est le 30 que le président sort de son silence, saisissant sa première allocution publique depuis le début de la crise pour accuser les grévistes de « faire “même chose que les toubabs [Européens]” pour singer les étudiants français sans modifier une virgule ». « Le plus grave, poursuit-il, est que des étudiants non sénégalais ont prétendu faire la loi dans un établissement public sénégalais » [15]. Comme en 1963, Senghor tente de disqualifier l’opposition à son régime en arguant qu’elle est « téléguidée de l’étranger ». Dans le même temps, il décide de coordonner la riposte avec l’aide des troupes françaises – stationnées à Dakar pour protéger l’aérodrome de Yoff et la centrale électrique de Bel-Air [16] – et tient informé en permanence l’ambassadeur de France au Sénégal, Jean de Lagarde, sur l’évolution de la situation [17].
Se débarrasser des « encombrants humains »
La proximité que Senghor entretient avec la France contrarie de plus en plus cette jeune opposition de la génération 68. En prévision de la visite officielle du président français Georges Pompidou au Sénégal fixée pour février 1971, les autorités lancent plusieurs grands chantiers visant à embellir Dakar en façade. Cette opération s’accompagne d’une action énergique visant à débarrasser la capitale de ce que Senghor appelle les « encombrements humains », c’est-à-dire, toujours selon ses termes, « les bana-bana ou marchands ambulants et les petits cireurs qui racolent les touristes, sans parler des voyous ; les faux talibés qui mendient, quand ils devraient être à l’école ; les lépreux, handicapés physiques et aliénés qui devraient être dans les hôpitaux ou centre medico-sociaux » [18].
En guise de contestation, un groupe de jeunes militants de gauche se mobilise dans la nuit du 15 au 16 janvier et met le feu au ministère des Travaux publics ainsi qu’au Centre culturel français, symbole à leurs yeux du néocolonialisme. Ils échappent de peu aux services de renseignement mais ne comptent pas en rester là. Le 5 février, le président Senghor accueille Pompidou sur le tarmac de l’aéroport de Dakar, réjoui de recevoir dans son pays un ancien camarade de classe et ami de longue date. « Le peuple sénégalais se sent particulièrement honoré de recevoir le président de la République française. […] Car l’amitié franco-sénégalaise remonte à près de trois siècles », s’émeut-il.
Lorsque le cortège présidentiel arrive au centre-ville, sous les acclamations d’une foule vêtue de pagnes et de t-shirts vantant l’amitié franco-sénégalaise, les jeunes militants qui ambitionnaient de faire dérailler les festivités officielles sont cernés avant de pouvoir passer à l’action. Les policiers mobilisés trouvent dans leur sac des cocktails molotov et des tracts révolutionnaires. Senghor, qui échappa lui-même à une tentative d’attentat en 1967, profite de l’occasion pour créer un précédent : les jeunes révolutionnaires sont condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement.
La mort d’Omar Blondin Diop
Dans la foulée, le chef de l’État sénégalais confie le ministère de l’Intérieur à Jean Collin, ancien cadre de l’administration coloniale française affecté au Sénégal et au Cameroun dans les années 1940-1950. Connu pour son culte de la docilité et ses méthodes musclées, Collin conservera une mainmise sur les commissariats et prisons du pays pendant une décennie. Dès son arrivée, il fait enrôler de force dans l’armée une douzaine d’« agitateurs » étudiants. Le 26 mai 1972, l’un d’entre eux, Al Ousseynou Cisse, est tué puis décapité à la frontière bissau-guinéenne par les troupes coloniales portugaises. Un an plus tard, Omar Blondin Diop – jeune philosophe, militant actif du « Mai 68 » parisien, inculpé pour avoir projeté la libération des camarades dakarois arrêtés en marge de la visite de Pompidou – est quant à lui retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Gorée.
Le juge chargé de l’affaire découvre à l’époque des éléments accablants prouvant qu’il s’agit non d’un suicide, comme le prétend Senghor devant la presse, mais bien d’un homicide. Plusieurs témoignages et documents font par ailleurs état d’une altercation entre Jean Collin et Blondin Diop suite à laquelle le ministre aurait ordonné aux gardes de châtier le détenu [19]. Pour autant, Senghor vouera une confiance totale à Jean Collin, son neveu par alliance, qu’il maintient au ministère de l’Intérieur jusqu’à son départ du pouvoir.
Senghor prépare sa succession à partir de 1976, faisant modifier la Constitution pour permettre au Premier ministre – poste qu’il rétablit en 1970 et confie à Abdou Diouf – de remplacer le président en cas de vacance du pouvoir. « Je t’ai dit que je voulais faire de toi mon successeur et c’est pourquoi il y a cet article 35, confie Senghor à Diouf en août 1977. Je vais me présenter au suffrage des électeurs en février 1978 et, si je suis élu, je compte partir […]. À ce moment, tu continueras, tu t’affirmeras et tu te feras élire après » [20]. Entre-temps, la contestation battant son plein après la mort d’Omar Blondin Diop, Senghor, vivement critiqué, rebat les cartes.
Une succession programmée
Pour diviser la contestation, il ouvre le champ politique, rétablissant le multipartisme tout en l’encadrant sévèrement. Les militants jugés trop « radicaux » continuent pour leur part d’être durement châtiés. C’est le cas par exemple des militants du front anti-impérialiste And Jëf, atrocement torturés en 1975 : les commissaires écrasent méthodiquement leurs cigarettes sur la peau des détenus, arrachent un à un leurs ongles de pied ou procèdent à des simulations de noyade [21].
Le 31 décembre 1980, Senghor remet sa lettre de démission au président de la Cour suprême, qui valide l’accession d’Abdou Diouf à la présidence de la République. Aux lendemains de son arrivée au pouvoir, le nouveau chef de l’État, fonctionnaire de l’administration depuis l’indépendance, oscille entre la fidélité à Senghor, son mentor politique, et la réforme, rendue nécessaire par l’affirmation des mouvements d’opposition autorisées dans leur intégralité à partir de 1981. Malgré des promesses de « désenghorisation », le nouveau régime se situera dans la continuité du précédent. Le désormais ancien chef d’État, admis à l’Académie française en 1983, se retire dès lors en Normandie, à Verson, où il décède le 20 décembre 2001 à l’âge de 95 ans.
Florian Bobin est chercheur en histoire. Ses recherches portent sur les luttes de libération et la violence d’État au Sénégal depuis l’indépendance de 1960. Il coréalise actuellement un documentaire sur ce sujet et rédige une biographie d’Omar Blondin Diop.
Notes
[1] Roland Colin, Sénégal notre pirogue : Au soleil de la liberté. Journal de bord 1955-1980, Présence Africaine, Paris, 2007, p. 61.
[2] Roland Colin, Étienne Smith et Thomas Perrot, « Alors, tu ne m’embrasses plus Léopold ? Mamadou Dia et Léopold S. Senghor », Afrique contemporaine, vol. 1, n° 233, 2010.
[3] Radiodiffusion Télévision Française (RTF), Michel Mitrani, Georges Penchenier (dir.), « Léopold Sédar Senghor sur l’indépendance de la Fédération du Mali », Cinq colonnes à la une, 15 janvier 1960, https ://www.inamediapro.com/notice/I00002967?preview
[4] Sékéné Mody Cissoko, Un combat pour l’unité de l’Afrique de l’Ouest, la Fédération du Mali (1959-1960), Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 2005.
[5] Joseph-Roger De Benoist, Léopold Sédar Senghor, Beauchesne, Paris, 1998, p. 120.
[7] Roland Colin, Sénégal notre pirogue, op. cit., p. 289.
[8] Mouhamadou Moustapha Sow, « Crise politique et discours médiatiques au Sénégal. Le traitement informationnel des événements de décembre 1962 à Dakar », Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, vol. 1, 2021.
[12] Pascal Bianchini, « Les paradoxes du Parti africain de l’indépendance (PAI) au Sénégal autour de la décennie 1960 », 2016, https://bit.ly/3GlapPl
[13] « Du parti gouvernemental publie la ‘confession’ d’un ancien maquisard », Le Monde, 13 mars 1965.
[14] Becaye Danfakha, « Le vécu de la torture subie par les militants PAI et d’autres sénégalais », in Comité national préparatoire (CNP) pour la commémoration du 50e anniversaire du Parti africain de l’indépendance (PAI). “Réalité du Manifeste du PAI au xxie siècle”, Presses universitaires de Dakar, Dakar, 2012.
[15] Léopold Sédar Senghor, « Message à la nation sénégalaise », 30 mai 1968.
[16] Omar Gueye, Mai 1968 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical, Karthala, Paris, 2017, p. 246.
[17] Bocar Niang et Pascal Scallon-Chouinard, « “Mai 68” au Sénégal et les médias : une mémoire en question », Le Temps des médias, vol. 1, n° 26, 2016, p. 166.
[18] René Collignon, « La lutte des pouvoirs publics contre les “encombrements humains” à Dakar », Revue canadienne des études Africaines, vol. 3, n° 18, 1984.
[19] Roland Colin, Sénégal notre pirogue, op. cit., p. 324.
[20] Abdou Diouf, in Afrique(s). Une autre histoire du xxe siècle, France Télévisions/INA/Temps noir, 2010.
[21] AFP, « Me Henri Leclerc : la torture est pratiquée au Sénégal », Bulletin d’Afrique n° 8817, 05 novembre 1975