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23 août 2025
QUAND LES POPULATIONS DEPENSENT PLUS ET TRAVAILLENT MOINS
Le Ramadan a un impact notable sur l’activité économique. Les commerces, les services et même les administrations tournent également au ralenti. Les journées de travail sont raccourcies, et la productivité diminue.
Le week-end écoulé, à l’instar des fidèles du reste du monde, la communauté musulmane du Sénégal a entamé le jeûne du mois de Ramadan, un moment de dévotion et de pénitence qui constitue l’un des cinq piliers de l’Islam. Pour les fidèles, ce mois sacré est synonyme de spiritualité, de partage et de solidarité. Cependant, dans un contexte économique difficile, marqué par une inflation galopante et une précarité accrue, le Ramadan 2025 (1446H) s’annonce aussi comme une épreuve pour de nombreux ménages dakarois, notamment ceux aux ressources modestes.
En cette période de Ramadan 1446H, les prix des denrées alimentaires flambent, comme c’est le cas chaque année. Les produits de base tels que le riz, l’huile, les dattes, le lait et la viande voient leur prix augmenter de manière significative. Cette inflation pèse lourdement sur les budgets des ménages, déjà fragilisés par la crise économique qui frappe le pays.
Awa, une vendeuse de légumes au marché des Parcelles Assainies, explique : «Avant, le Ramadan était un moment où on essayait de réduire les dépenses ; mais aujourd’hui, c’est impossible. Les prix montent tellement que même pour un repas simple, c’est difficile (de s’en sortir). Beaucoup de familles ne mangent pas à leur faim».
UN RALENTISSEMENT ECONOMIQUE GENERALISE
Il faut savoir que le Ramadan impose aux fidèles de s’abstenir de manger, de boire et de fumer, etc., de l’aube au coucher du soleil. Si cette pratique est vécue comme une purification spirituelle, elle n’est pas sans conséquences sur la vie quotidienne, surtout pour ceux qui exercent des métiers physiquement exigeants.
Sur un chantier de construction dans la banlieue de Dakar, Moustapha, maçon depuis plus de dix ans, confie : «Le Ramadan, c’est une bénédiction, mais c’est aussi très dur. On doit redoubler d’efforts pour tenir toute la journée sans boire ni manger, surtout sous ce soleil. Et en plus, les travaux ralentissent parce que tout le monde est fatigué»
Comme lui, de nombreux ouvriers du bâtiment, des vendeurs ambulants et des travailleurs informels doivent jongler entre leur foi et leur survie économique. Pour ces travailleurs, le Ramadan est un double défi : spirituel et matériel.
Le Ramadan a un impact notable sur l’activité économique. Les commerces, les services et même les administrations tournent également au ralenti. Les journées de travail sont raccourcies, et la productivité diminue. «Pendant le Ramadan, les gens dépensent plus, mais ils travaillent moins. C’est un paradoxe», souligne Moustapha.
Pour les chômeurs, la situation est encore plus critique. Sans revenus fixes, ils doivent compter sur la solidarité familiale ou communautaire pour subvenir à leurs besoins. «Le Ramadan, c’est un mois de partage. Mais, quand tu n’as rien à partager, c’est très dur moralement», confie Aliou, un jeune chômeur rencontré dans un quartier de la banlieue dakaroise. Malgré ces difficultés, le Ramadan reste un moment de solidarité et de partage. «Le Ramadan, c’est aussi ça : se serrer les coudes et aider ceux qui ont moins de chance», rappelle Awa.
VIDEO
CE MUR DU KREMLIN QUI SÉPARE POUTINE DE MACRON
Cette image avait fait le buzz sur les réseaux sociaux il y a trois ans : Emmanuel Macron à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine afin de discuter de la crise ukrainienne, alors même que Poutine n’avait pas encore lancé son opération spéciale contre son
Cette image avait fait le buzz sur les réseaux sociaux il y a trois ans : Emmanuel Macron à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine afin de discuter de la crise ukrainienne, alors même que Poutine n’avait pas encore lancé son opération spéciale contre son voisin.
Au Kremlin, le maître des lieux fit ériger une table ovale gigantesque, dont le diamètre serait de six mètres. Les deux chefs d’État s’installèrent face à face, chacun à un bout de cette table blanche immaculée. Un signe que leurs approches de la question ukrainienne étaient diamétralement opposées et irréconciliables ?
Une chose est sûre : selon toute vraisemblance, le maître du Kremlin n’avait rien concédé à son hôte, tant la divergence entre les deux personnalités était profonde. Dans l'émission Les Carnets culturel, le sociologue Djiby Diakhaté analyse cette image en utilisant l'expression "Le mur du Kremlin" qui rappelle et qui rime fort bien avec "Le mur de Berlin".
Dans la foulée de la myriade d’interprétations suscitées par cette table, qui aurait coûté 100 000 euros, dit-on, le service de presse du Kremlin expliqua que le président français aurait refusé de se soumettre à un test Covid ce qui devrait prendre plusieurs heures et bouleversé son calendrier. En lieu et place c’est cette distanciation sociale qui a été convenu.
«GOORGOORLU» FACE A UN RAMADAN SOUS PRESSION
Entre flambée des prix et ressources limitées, des «goorgoorlu» se battent pour assurer un «ndogou» digne à leurs familles.
Le marché de Biscuiterie, à Niari Tally (Dakar) est en effervescence en ce début de Ramadan. Mais, derrière l’animation des étals, une réalité préoccupante se dessine : la cherté de la vie pèse lourd sur les ménages. Entre flambée des prix et ressources limitées, des «goorgoorlu» se battent pour assurer un «ndogou» digne à leurs familles.
Débout devant un magasin, avec un seau de condiments dans sa main gauche, Madame Diarra semble extenuée. Son quotidien est devenu une véritable épreuve depuis un an, lorsque son mari est tombé malade, la laissant seule à la charge du foyer. Avec des enfants encore à l’école et aucun soutien financier, chaque jour est un combat. «Les choses sont encore chères cette année. Le kilo de riz est monté à 550 FCFA, le litre d’huile coûte entre 1200 et 1400 FCFA, selon les vendeurs. Avec cette crise financière, ce n’est pas facile. Mais, que pouvons-nous faire ? Nous sommes obligés de faire avec le peu que nous trouvons», déplore-t-elle.
Face à cette situation, elle a dû réduire certaines dépenses et faire des choix difficiles : «Avant, je pouvais acheter plusieurs aliments pour varier les plats du «ndogou» (repas de rupture du jeûne en wolof, ndlr). Maintenant, je prends juste le strict nécessaire, du riz, un peu d’huile et quelques légumes. La viande ou le poisson, ce n’est pas tous les jours», confie Madame Diarra qui faisait le marché hier, dimanche 02 mars 2025, correspondant au premier jour de jeûne pour la majorité des musulmans Sénégalais et au deuxième pour ceux ayant démarré la Ramadan 1446H la veille, samedi.
Assis, à quelques mètres de là, Ahmed Sissoko, vendeur de savon, observe avec amertume la hausse vertigineuse des prix. «Je ne saurais vous répondre… Hier encore, le kilo de banane qui était à 1 000 FCFA est passé à 1 500 FCFA. Le kilo d’orange, n’en parlons pas ! Et le kilo de dattes, qui était à 2000 FCFA, est désormais à 2200 FCFA». Selon lui, les familles qui en ont les moyens anticipent et remplissent leurs réserves avant le Ramadan. Mais, pour les petits commerçants et les ménages modestes, la situation est beaucoup plus compliquée. «Nous, nous survivons… parce que j’appelle cela de la survie. Nous allons nous plaindre auprès de qui ? Si seulement le gouvernement pouvait appliquer réellement les annonces sur la baisse des prix, cela soulagerait beaucoup de familles», espère-t-il.
«LE RAMADAN, C’EST DEVENU UN STRESS»
Dans la foule du marché, Awa Ndour, une mère de famille, tente de négocier les prix. Mais visiblement à bout, elle lâche prise : «on nous parle de baisse de prix, mais tout est devenu hors de portée. Quand tu viens au marché avec 5000 FCFA, tu repars avec un sac presque vide. L’an dernier, c’était le même scénario ; mais avec cette crise financière, je crains le pire. Avant, je pouvais acheter du poisson, de la viande et des légumes pour faire un bon repas. Maintenant, je dois choisir : soit le poisson, soit les légumes». Elle estime que la pression du Ramadan ne devrait pas être aussi pesante pour les ménagers. «C’est un mois béni, un mois de partage et de prières. Mais, à cause de cette crise, au lieu d’être un moment de recueillement, c’est devenu un stress permanent. Comment nourrir la famille ? Où trouver l’argent ? On ne sait même plus quoi faire», dénonce Madame Ndour.
MULTIPLE PHOTOS
LES UNES DE LA PRESSE DE CE LUNDI 3 MARS 2025
Sud Quotidien, Walf Quotidien, Yoor-Yoor Bi, L'Observateur, Libération, Le Quotidien, Enquête, Vox Populi, Le Verdict News, L'As, Record, Le Soleil, Le Témoin Quotidien
Sud Quotidien, Walf Quotidien, Yoor-Yoor Bi, L'Observateur, Libération, Le Quotidien, Enquête, Vox Populi, Le Verdict News, L'As, Record, Le Soleil, Le Témoin Quotidien
Menacée d'expulsion par le président Umaru Sissoco Embalo, la délégation de la CEDEAO a quitté le pays précipitamment, abandonnant son projet d'accord sur un calendrier électoral
(SenePlus) - La mission de médiation de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) envoyée en Guinée-Bissau a été forcée de quitter précipitamment le pays samedi 1er mars suite à des menaces d'expulsion proférées par le président Umaru Sissoco Embalo, selon un communiqué officiel de l'organisation régionale.
D'après le texte, cette délégation s'était rendue à Bissau du 21 au 28 février dans le but de résoudre les tensions politiques autour de la date de fin du mandat présidentiel, un sujet qui divise profondément le pouvoir et l'opposition.
"La mission a préparé un projet d'accord pour une feuille de route pour la tenue des législatives et de la présidentielle et a commencé à le présenter aux parties prenantes pour leur consentement", indique le communiqué daté de samedi et signé par Bagudu Hirse, chef des médiateurs régionaux. Ce document ne précise cependant pas le contenu exact de cette proposition.
Les médiateurs ont été contraints de prendre une décision rapide face à l'hostilité manifeste du président. Selon le même communiqué, la délégation "a quitté Bissau tôt le matin du 1er mars après des menaces du président Embalo de l'expulser", sans plus de détails sur la nature exacte de ces menaces.
Au cœur de cette tension se trouve un désaccord fondamental sur l'interprétation constitutionnelle concernant la fin du mandat présidentiel. Trois dates différentes circulent, créant une confusion politique majeure.
Selon les informations rapportées par l'AFP, la Cour suprême de Bissau considère que le mandat de M. Embalo se termine le 4 septembre, une date que le président lui-même aurait acceptée. Cependant, Domingos Simoes Pereira, chef de l'opposition, affirme que ce mandat a déjà pris fin le 27 février dernier.
Cette date du 27 février n'est pas anodine, puisque M. Embalo avait prêté serment pour un mandat de cinq ans le 27 février 2020, dans un contexte déjà marqué par des contestations. Comme le rappelle l'AFP, "la communauté internationale a fini par approuver son élection, mais le résultat avait été contesté par son rival M. Pereira."
En plein milieu de cette confusion, le président Embalo a déclaré le 23 février que les élections présidentielle et législatives se tiendraient le 30 novembre 2025, annonçant ainsi un calendrier électoral sans attendre les conclusions de la mission de médiation.
Durant leur séjour d'une semaine, les médiateurs ouest-africains ont rencontré "différents acteurs nationaux et internationaux impliqués dans la gestion des élections", selon leurs propres dires rapportés par l'AFP. L'objectif était de trouver un terrain d'entente acceptable pour toutes les parties.
Lorsque les médiateurs ont commencé à présenter leur projet d'accord aux différentes parties prenantes, la situation semble avoir dégénéré rapidement. Le président Embalo, qui avait pourtant rencontré la délégation au début de leur mission, se trouvait à l'étranger au moment de l'escalade.
À ce jour, "la présidence bissau-guinéenne n'a pas encore réagi" à cette expulsion de facto, précise l'AFP.
Malgré ce revers diplomatique significatif, la mission de la CEDEAO ne semble pas abandonner ses efforts de médiation. Le communiqué indique que la délégation va "présenter au président de la commission de la CEDEAO (Omar Alieu Touray) son rapport incluant sa proposition d'une feuille de route pour des élections inclusives et pacifiques en 2025".
par Ndongo Samba Sylla
IL EST TEMPS DE SORTIR DU PARADIGME DES FINANCES PUBLIQUES COLONIALES
EXCLUSIF SENEPLUS - Le langage de la « mobilisation des ressources domestiques », de la « levée de fonds » et des « financements innovants » n’est approprié que pour les colonies, les collectivités locales et les pays qui ne battent pas monnaie
En faisant état de niveaux élevés de déficit et de dette publics, le rapport de la Cour des comptes a relancé la question du financement de l’État. Persuadés que le gouvernement sénégalais n’a plus de marge de manœuvre en matière d’endettement, la plupart des commentateurs se demandent comment trouver des « sources nouvelles » de financement public. En réalité, le langage de la « mobilisation des ressources domestiques », de la « levée de fonds » et des « financements innovants » n’est approprié que pour les colonies, les collectivités locales et les pays qui ne battent pas monnaie.
Les gouvernements qui disposent de leur propre monnaie n’ont aucune contrainte intrinsèque pour financer eux-mêmes – c’est-à-dire sans dépendre des impôts et sans passer par les marchés financiers – toute dépense ayant vocation à mettre en œuvre des projets basés sur des ressources humaines et matérielles disponibles ou pouvant être développées au plan national. Aucun État émetteur de monnaie ne peut manquer de sa monnaie. Ce qui peut manquer est ce que la monnaie est censée acheter. Tout ce qui est achetable dans la monnaie de l’État peut être financé dans la monnaie de l’État. Il n’existe de contrainte financière a priori que pour ce que l’on n’est pas capable de faire soi-même.
Y a-t-il trois sources de financement public en monnaie nationale….
Selon la vision dominante des finances publiques, les gouvernements ont trois manières de se financer. La première passe par le prélèvement d’impôts et de taxes. La seconde consiste à recourir à l’endettement si les gouvernements veulent dépenser plus que leurs recettes fiscales, ce qui aurait l’inconvénient d’ « évincer » le secteur privé – plus l’État s’endette, moins il y aurait de financements disponibles pour le secteur privé. La dernière méthode de financement serait celle de la « planche à billets », c’est-à-dire que la banque centrale finance directement le gouvernement. Elle est réputée dangereuse car elle susciterait l’(hyper) inflation. Les exemples simplistes et fantaisistes pour dénoncer les « méfaits » de la « planche à billets » sont légion. Nul besoin de les évoquer ici.
Cette vision dominante est erronée. Ou, du moins, elle ne s’applique que dans le contexte de pays qui, par choix politique ou contrainte extérieure, n’ont pas de souveraineté monétaire. C’est par exemple le cas des États qui ont fait le choix de ne pas avoir leur propre monnaie (à l’instar des pays utilisant le franc CFA) et de ceux qui ont adopté la monnaie de pays tiers (cas de l’Équateur, du Salvador, du Monténégro) ou des régimes de change extrêmement rigides comme les currency boards (Djibouti).
Dans tous les pays qui battent monnaie, il y a une pyramide monétaire interne. À quelques nuances près, le schéma est le même partout : des Seychelles aux États-Unis en passant par la Gambie et l’Islande. Au sommet de cette pyramide, il y a la monnaie émise par l’État, à travers sa banque centrale, qui prend différentes formes. Une forme matérielle : les billets et les pièces. Une forme immatérielle : la monnaie électronique (appelée réserves – ce sont des écritures comptables). La banque centrale est « centrale » parce que c’est la banque du gouvernement et celle des banques de « second rang » – les banques commerciales et publiques.
La monnaie émise par l’État est un monopole légal de l’État. Cela veut dire deux choses : aucun acteur économique n’a le droit de créer la monnaie de l’État ; aucun acteur économique ne peut avoir accès à la monnaie de l’État si celui-ci ne la met pas à sa disposition. Par exemple, les billets de banque utilisés dans les échanges quotidiens proviennent de la banque centrale qui les met à la disposition des banques commerciales et des agents économiques. Contrairement aux perceptions courantes, l’essentiel des transactions commerciales et financières se fait de manière électronique.
Quand le gouvernement doit dépenser, la banque centrale se charge de créditer des réserves (d’inscrire des numéros) sur les comptes des banques. Autrement dit, à chaque fois que la banque centrale exécute une dépense au profit du gouvernement, il y a une création monétaire (la prétendue « planche à billets »). C’est toujours ainsi que cela se passe. La banque centrale ne peut faire autrement. Réciproquement, quand le gouvernement doit recevoir des impôts et des taxes, la banque centrale débite (soustrait) des réserves des comptes des banques.
Quand le gouvernement est en déficit, il a dépensé plus qu’il n’a reçu d’impôts et de taxes, cela veut dire qu’il a augmenté la quantité de réserves disponibles pour les banques. En revanche, quand le gouvernement enregistre un surplus budgétaire – il a dépensé moins qu’il n’a obtenu de revenus fiscaux – la quantité de réserves disponibles pour les banques diminue.
Les banques ont besoin des réserves pour deux choses : d’une part pour solder les transactions entre elles, et d’autre part pour se conformer à la réglementation bancaire – elles doivent constituer des réserves de précaution pour les prêts qu’elles accordent et les dépôts. Le but de la politique monétaire de la banque centrale est d’influer indirectement sur les taux d’intérêt pratiqués par les banques vis-à-vis de leur clientèle en déterminant le prix (taux d’intérêt) auquel celles-ci peuvent accéder aux réserves. Les banques peuvent se prêter leurs réserves entre elles moyennant des intérêts mais elles ne peuvent pas les prêter à leur clientèle.
…ou une seule ?
Quand on comprend que la monnaie est un monopole de l’État, un certain nombre d’implications en découlent.
Premièrement, les acteurs économiques ne peuvent payer leurs impôts et taxes que si le gouvernement met sa monnaie à leur disposition, par des moyens directs (dépense publique) ou indirects (prêt de réserves par la banque centrale). Logiquement, il faut que le gouvernement dépense d’abord pour que les agents économiques puissent ensuite s’acquitter de leurs obligations fiscales. Ce que rappelle le concept de « revenus fiscaux » : les moyens de paiement utilisés pour payer les impôts et taxes « reviennent » à l’État qui les avait émis.
Dans le cadre d’un système monétaire souverain, les impôts et taxes ne sont pas un mécanisme de financement. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas nécessaires. C’est grâce aux impôts et taxes que le gouvernement peut contraindre les populations à accepter sa dette (sa monnaie). Les impôts et taxes sont aussi un instrument que le gouvernement utilise pour réguler la masse monétaire (lutter contre l’inflation), combattre les inégalités socio-économiques et altérer la structure des incitations économiques (subventionner certains secteurs ou pratiques, en décourager d’autres). Impôts et taxes détruisent (retirent de la circulation) la monnaie initialement créée par l’État.
Deuxièmement, de la même manière que les impôts et taxes ne sont pas une source de financement, les titres de dette qu’un gouvernement émet dans sa propre monnaie n’ont pas vocation à « financer » la dépense publique. Pour comprendre ce point, il faut toujours se rappeler que seule la banque centrale peut créer des réserves et les banques commerciales doivent d’abord obtenir des réserves – à travers la dépense publique et la politique monétaire - afin de pouvoir acheter les titres de dette (bons et obligations) du gouvernement.
Dans le cadre d’un système monétaire souverain, la banque centrale échange, moyennant des intérêts, les titres de dette du gouvernement contre les réserves détenues par les banques, quand elle estime que le niveau de réserves est excessif. Ce type d’opération ne vise pas à financer le gouvernement mais à faciliter la politique monétaire de la banque centrale. De la même manière, quand le niveau de réserves des banques est bas, la banque centrale fait l’opération inverse : elle crédite leurs comptes en réserves en échange de titres de dette de l’État.
En résumé, dans le cadre d’un système monétaire souverain, il n’y a pas trois sources de financement en monnaie nationale. Il n’y en a qu’une seule : la création monétaire (création de réserves) par la banque centrale. Alors que les impôts et taxes détruisent les réserves, les bons et obligations d’État retirent des réserves de la circulation monétaire temporairement (jusqu’à la maturité des titres).
Pourquoi ce système est-il incompris ?
Tout ce qui précède n’est pas de la théorie mais la description fidèle de la manière dont collaborent au jour le jour le gouvernement (le Trésor) et la banque centrale dans le cadre d’un système monétaire souverain. La question est : pourquoi tout ceci est incompris ? Il y a au moins deux raisons à cela.
Tout d’abord, du milieu du XIXe siècle jusqu’au début des années 1970, avec la fin de la convertibilité-or du dollar, les monnaies existantes n’étaient pas souveraines. Les puissances coloniales avaient des monnaies arrimées à l’or (la capacité de création de réserves de leur banque centrale était donc limitée par leurs stocks d’or respectifs), tandis que leurs colonies étaient assujetties à des régimes monétaires drastiques (elles n’avaient par exemple pas de banque centrale et donc les dépenses des administrations coloniales étaient financées à travers les impôts, les taxes et le travail forcé). Le raisonnement habituel sur les finances publiques – avec les « trois sources » de financement – s’appliquait dans ce cadre lui-même devenu désuet depuis que le dollar n’est plus convertible en or et que le régime de change flexible a été adopté par un nombre croissant de pays.
Ensuite, il est de l’intérêt des puissants financiers qui dirigent le monde de dissimuler aux gens ordinaires la source de leur pouvoir. Ils s’appuient pour cela sur les économistes néoclassiques qui disent aux étudiants et à l’opinion publique que le gouvernement n’a pas d’ « argent » et que celui-ci ne peut venir que du secteur privé. Or, il est indéniable que l’État a le monopole de l’émission de sa monnaie.
Selon les économistes néoclassiques, si la banque centrale « prête » directement à l’État, cela est inflationniste. Par contre, si la banque centrale prête des réserves aux banques commerciales qui les utilisent pour acheter les titres de l’État avec des marges d’intérêt élevées, cela n’est pas inflationniste. C’est la méthode la meilleure ! C’est comme si une théorie économique soutenait que l’État ne devrait occuper ses propres bâtiments que s’il accepte de payer un loyer à des agences de courtage privées !
L’exemple peut paraître choquant. Hélas, sous le néolibéralisme, c’est ainsi que les choses fonctionnent dans nombre de pays. Au lieu que les banques centrales soient des agents du gouvernement, qui assurent son indépendance financière, et des actrices majeures du développement national, elles sont des institutions au service de la finance privée globale.
En marge du mythe selon lequel le secteur privé peut financer l’État dans sa propre monnaie, il y a celui selon lequel les banques ne seraient que de simples intermédiaires entre les épargnants et les demandeurs de prêts. Comme le souligne une publication de la Banque d’Angleterre intitulée Money Creation in the Modern Economy : « L’épargne n’augmente pas en soi les dépôts ou les "fonds disponibles" que les banques pourraient prêter [...] Au lieu que les banques prêtent les dépôts qui leur sont confiés, l'acte de prêt crée les dépôts – l'inverse de la séquence typiquement décrite dans les manuels [d’économie]. » Autrement dit, à chaque fois qu’une banque accorde un prêt, elle a créé de l’argent ex nihilo, un nouveau pouvoir d’achat qui s’ajoute à l’épargne disponible. Conclusion : les pays qui ont un système bancaire et financier national – non-contrôlé par l’étranger avec un poids important des banques publiques et communautaires – peuvent toujours s’arranger pour financer eux-mêmes les projets qui mobilisent des ressources humaines et matérielles disponibles ou développables sur place.
Implications pour le Sénégal
Dans un système monétaire souverain, il y a au moins deux manières d’exécuter la dépense publique, toutes dépendant des dispositions de la loi. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, dès que le parlement valide le budget, la banque centrale est légalement tenue de créditer le compte central du Trésor. Le gouvernement dépense d’abord. Les impôts et taxes qu’il perçoit a posteriori vont détruire une partie de la dépense. Si l’État a plus dépensé qu’il n’a reçu d’impôts et de taxes, un déficit est constaté a posteriori. Comme la dépense a déjà été faite, il n’y a aucun déficit à « financer ». Une considération accessoire qui ne change pas la logique décrite est de savoir si la loi permet au compte du Trésor d’être débiteur ou pas.
Dans d’autres pays, la loi interdit à la banque centrale de créditer directement le compte central du Trésor. Dès que le parlement valide le budget, la banque centrale est toutefois tenue d’exécuter la dépense du gouvernement. Elle demande alors aux banques commerciales d’acheter les titres de dette du gouvernement, quitte à les racheter par la suite. Tout ce cinéma n’est bien entendu pas nécessaire – la banque centrale aurait pu directement créditer le compte du gouvernement. Mais il permet de calmer certaines angoisses existentielles à propos de la « planche à billets » et, surtout, de rapporter des revenus garantis aux personnes les plus riches qui investissent dans les titres d’État.
Si le Sénégal avait par exemple sa propre monnaie, la loi pourrait disposer que la banque centrale doit créditer sur le compte central du Trésor la part du budget qui doit être exécutée en monnaie nationale (les dépenses en monnaie étrangère requièrent un traitement spécial). Cela lui permettrait deux choses.
Premièrement, le gouvernement n’aurait aucune contrainte de financement pour tout ce qui s’achète dans sa propre monnaie. Il pourrait toujours financer toute dépense ou tout projet qui requiert des ressources humaines et matérielles disponibles ou développables au plan national. Par exemple, en investissant davantage pour atteindre la souveraineté alimentaire et énergétique, il en résulterait une plus grande résilience vis-à-vis de l’inflation d’origine importée et une économie de réserves de change par suite de l’augmentation d’une production nationale qui se substituerait aux importations.
Deuxièmement, il n’y aurait plus de dette en monnaie nationale à comptabiliser ou à refinancer. Car le gouvernement se financerait lui-même à des taux nuls ou proches de zéro. Il pousserait les banques à s’occuper du financement du secteur privé plutôt qu’à vivre passivement à ses crochets. Les sommes auparavant consacrées à payer les intérêts sur la dette en monnaie franc CFA seraient redéployées vers les secteurs prioritaires.
Pour les dépenses en monnaie étrangère, le gouvernement pourrait essayer d’avoir un plus grand contrôle fiscal et technique sur les industries extractives et les recettes en devises qu’elles génèrent. Il pourrait aussi négocier des accords avec ses partenaires pour acheter les importations dont il a besoin dans sa propre monnaie.
Tout ceci est bien entendu impossible dans le cadre des camisoles de force monétaires qu’imposent l’UEMOA et la CEDEAO.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
AFROTOPIA OU LA CIVILISATION POÉTIQUE AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’ouvrage de Felwine Sarr est un grand livre car il pose de manière sensible, intellectuelle et scientifique, les raisons historiographiques et culturelles de l’avenir de l’Afrique
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Il est des livres qui viennent à vous tels des messagers faits de lumière qui portent la clarté, l’intelligence, la réflexion et la force qui font avancer le monde. Cela n’arrive que trop rarement hélas ! Mais quand cela se produit, c’est comme un soulagement, une respiration qui vous insuffle le courage nécessaire de persévérer pour défendre les convictions qui vous habitent.
Et c’est de cela dont il s’agit dans l’ouvrage magnifique de Felwine Sarr, Afrotopia, qui pose en des termes précis, puissants et rigoureux la question de l’identité africaine sous tous ses aspects majeurs.
L’auteur nous invite à repenser en profondeur « l’africanité » de nos sociétés qu’il définit comme une expérience nécessaire à notre rayonnement. Il précise que cette conscience identitaire n’est nullement tournée vers l’intérieur mais propose véritablement une voie salvatrice pour parfaire l’humanité et notre présence au monde. En articulant les sciences, les savoirs, l’histoire, l’économie, la cosmogonie, la pensée philosophique, la culture, le social, les croyances et la créativité, Felwine Sarr propose de remodeler une unité africaine plurielle dense qui englobe, presque de manière unique, l’expérience humaine et sociale comme fondement plutôt que de s’attacher à des concepts creux inventés par d’autres.
En s’appuyant sur la réalité de l’Afrique contemporaine et les recherches scientifiques, culturelles et sociales négro-africaines, il démontre que l’Afrique doit rebâtir son schéma structurel à la source de ses fonctionnements endogènes. Tout en précisant que la pensée africaine n’est point enfermée sur elle-même, l’éthique culturelle africaine est profondément ancrée sur une histoire partagée tout en contribuant à une réelle affirmation de soi.
En effet, il explique, et ce de manière très claire et audible, que les sociétés africaines n’ont pas encore déployé leurs propres consciences culturelles et sociales, emprisonnées, en partie, par le modèle occidental qui continue d’imposer sa didactique supposée universelle, alors qu’il oblige à un mode de pensée unique. Les civilisations africaines possèdent leurs propres référents culturels et sociaux qui n’excluent pas l’apport de l’autre, mais qui relèvent d’une cosmogonie différenciée qui, pour s’épanouir, doit pouvoir retrouver les soubassements historiques de son « essentialisme » qui, par bien des aspects, est bien plus profondément universel que la culture occidentale, car principalement habité par la priorité humaine.
Malgré les Indépendances, malgré la décolonisation des territoires, l’Occident continue d’imposer ses marqueurs idéologiques qui ne s’emboîtent pas à l’architecture culturelle et spirituelle africaine.
Felwine Sarr prend pour exemple, et ce de manière nette, les questions économiques du continent. Et il avance l’idée que, de façon intrinsèque, l’économie africaine repose sur le culturel et le social. Autrement dit, l’économie, et de fait la consommation, n’est pas pensée comme seul facteur individuel d’épanouissement. L’économie africaine, dans sa généalogie, repose plutôt sur la base de l’échange et de l’équilibre social. Ainsi à vouloir rationnaliser l’économie africaine, dans un système global occidental de privilèges et de réalisations personnelles, revient à un déséquilibre identitaire qui ne laisse vivre que des pantins désarticulés, dans la reproduction de l’économie dominante. On connaît d’ailleurs lucidement les raisons de cette volonté dominante, celle de continuer à engranger des profits sur le dos de l’Afrique.
Il est bien entendu qu’en Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, chaque être caresse l’espoir de vivre dans l’équilibre économique, mais la dignité humaine en est la raison principale, plutôt que l’accumulation inutile. C’est pourquoi nous assistons encore à des écarts vertigineux entre la déshumanisation de la misère qui laisse exsangues les populations les plus démunies et le pillage économique pratiqué par certaines élites en déshérence, qui au fond ne font qu’imiter un fonctionnement dont ils ne sont même pas les créateurs. Cette proportion à vouloir atteindre un équilibre économique viable et sain, par notamment une certaine éthique sociale, est encore à rebâtir en Afrique à partir des préceptes culturels. Rien ne sert de courir après la modélisation économique dominante, on peut même en critiquer les manœuvres. Tant que le système de la mondialisation, qui est une économie de masse et de consommation de tous les excès, ne sera pas repensé équitablement, on verra ici et là, de part le monde, des révoltes sourdes plaidant pour la cause humaine qui rassemble le collectif plutôt que l’individualisme.
C’est de cette révolution économique, sociale et culturelle que l’Afrique doit se saisir, car elle possède, en son sein philosophique et spirituel, la notion du partage et de l’expérience humaine qui priment sur toute chose. Felwine Sarr évoque la pensée Ubuntu, « je suis parce que nous sommes », qui a conduit Nelson Mandela sur la voie de la résilience et c’est en effet une des particularités du culturalisme africain.
Ce renouvellement économique et social doit bien sûr s’accompagner d’un changement des conduites politiques, elles aussi calquées sur un modèle hybride qui tourne dans le vide et qui produisent aujourd’hui les crises majeures et le chaos que l’on connaît sur le continent.
Repenser les valeurs démocratiques et politiques suppose que l’on revienne aussi aux institutions historiques du véritable exercice égalitaire comme on l’entend dans la tradition africaine. Cette plongée dans la profondeur traditionnelle permettra de faire émerger notre modernité, adaptée à la réalité contemporaine de l’Afrique.
L’autre aspect que Felwine Sarr développe, et ce de manière brillante, est la question de la narration collective africaine. En effet, il pointe de manière analytique et critique, que notre Renaissance à la fois culturelle, sociale et spirituelle, doit émerger par la construction de notre propre histoire, la recréation du récit africain. En effet, durant des siècles, l’écriture épistémologique et culturelle africaine a été déviée de son socle par les puissances coloniales pour asseoir leur domination et empêcher l’émergence de l’Afrique comme entité culturelle autonome. Si nous continuons à vivre sur ces modèles idéologiques obsolètes pour nos sociétés, nous ne pourrons pas « sortir de la nuit » dans laquelle l’esprit colonial nous a plongés. Tout y est culturellement, historiquement, humainement falsifié, et toute cette « bibliothèque coloniale », nommée ainsi par Valentin Mudimbé, qui impose sa vision du monde n’est nullement la nôtre. Car tout est affaire de langage, de discours et de récit. Il est temps de « décoloniser la philosophie », comme le précise Nadia Yala Kisukidi, pour bâtir notre récit africain, celui qui est la source de notre créativité, de notre spiritualité, de notre pensée et qui entraîne notre devenir et notre « Afrotopos ».
Alors pour bâtir notre narration africaine, il faut investir davantage et « en masse » l’éducation scolaire, replacer au centre les langues nationales qui sont la structure de notre pensée et de notre « poiésis », l’université, la recherche et sortir de tout mimétisme stérile et destructeur.
Le discours africain doit parcourir nos sociétés pour parvenir à la représentation réelle de nous-mêmes. Il doit même s’inscrire dans nos villes, dans nos espaces de vie, dans notre architecture qui doit se reconnaître elle-même. Felwine Sarr parle de la construction de nos villes comme des « palimpsestes », une espèce de fondation polluée et agglomérée par des habitats inadaptés à notre fonctionnement circulaire vital pour la socialisation de nos groupes.
Le chantier africain se situe donc à tous les niveaux de notre histoire et de notre existence culturelle et sociale. Le discours africain est aussi à traduire à travers notre littérature, nos arts, notre philosophie, à travers notre raison ancestrale de l’oralité car ce n’est pas seulement notre spécificité, toute civilisation humaine construit sa pensée par la parole et la valeur culturelle et sociale qu’elle occupe est aussi centrale que la trace de l’écrit et la technicité de la science.
De même, et je partage amplement cette idée de Felwine Sarr, la poésie est au cœur du récit africain, par ses langues, ses images, ses métaphores et ses valeurs oniriques. En effet, il évoque notre existence comme étant « une civilisation poétique », une révolution du langage et une rupture épistémologique qui ramènent la pensée socratique à l’ancestralité africaine.
L’ouvrage de Felwine Sarr est un grand livre car il pose de manière sensible, intellectuelle et scientifique, les raisons historiographiques et culturelles de l’avenir de l’Afrique.
Cette vision, si elle paraît utopique à certains, est la redéfinition de notre cosmogonie culturelle, spirituelle, identitaire et humaine qui fera de l’Afrique le continent d’une re-civilisation de l’humanité toute entière.
Pour finir et ce n’est pas un moindre détail, Afrotopia est au cœur de cette construction du récit africain, il contribue amplement à son rayonnement. Par sa langue, ses perceptions éclatantes et ses richesses intellectuelles, le livre réinvente une interprétation poétique et littéraire de notre civilisation et s’impose comme un volume majeur de la littérature africaine contemporaine.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Afrotopia, Felwine Sarr, éditions Philippe Rey, Paris, mars 2016
NAZISME ET COLONISATION FRANÇAISE, LE PARALLÈLE QUI DÉRANGE
En comparant les massacres d'Oradour-sur-Glane aux exactions françaises en Algérie, Jean-Michel Aphatie a ravi un débat historique. Derrière la controverse se cache une question : la France est-elle prête à regarder en face ses zones d'ombre ?
Suite à la polémique déclenchée par les propos de Jean-Michel Aphatie sur RTL le mardi 25 février, comparant le massacre d'Oradour-sur-Glane aux actions de la France en Algérie, un débat plus large s'est ouvert sur les parallèles possibles entre nazisme et colonialisme français.
Le chroniqueur politique avait affirmé : « Chaque année en France, on commémore ce qui s'est passé à Oradour-sur-Glane, c'est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu'on en a conscience ? » Des propos auxquels Thomas Sotto avait tenté de s'opposer, avant qu'Aphatie n'insiste : « Les nazis se sont comportés comme nous nous l'avons fait en Algérie. »
Cette controverse médiatique s'inscrit dans un questionnement historique plus profond. L'histoire coloniale française, qui débute au 15ème siècle, révèle effectivement une dualité frappante : alors que la métropole évoluait vers un système républicain après la Révolution, les colonies restaient sous un régime autoritaire marqué par la ségrégation raciale.
Plusieurs historiens soulignent les violences perpétrées par des généraux français comme Thomas Robert Bugeot, responsable d'enfumades en Algérie, bien avant l'émergence du nazisme. Des spécialistes considèrent que le régime nazi a, d'une certaine manière, importé en Europe des méthodes de violence systémique précédemment appliquées dans les contextes coloniaux, notamment en établissant une hiérarchie raciale rigide.
Un point particulièrement sensible concerne l'après-guerre. Tandis que la France condamnait fermement les atrocités nazies, des massacres continuaient dans ses colonies, comme au Vietnam, à Madagascar ou en Côte d'Ivoire. Des réalisateurs comme René Vautier avaient tenté, dès 1950, d'attirer l'attention sur cette contradiction.
L'écrivain Aimé Césaire avait formulé en 1955 une analyse percutante de cette situation, suggérant que ce que l'Europe ne pardonnait pas à Hitler, c'était moins le crime contre l'humanité que d'avoir appliqué aux Européens blancs des méthodes jusque-là réservées aux peuples colonisés.
Si la comparaison entre crimes coloniaux et crimes nazis reste controversée, elle soulève néanmoins des questions essentielles sur la construction du récit national français. La vision binaire séparant les « méchants nazis » des « gentils Français » a longtemps permis d'éviter un examen critique du passé colonial français.
Les historiens s'accordent aujourd'hui pour reconnaître que les régimes coloniaux et le nazisme partageaient certains traits communs : autoritarisme, suprémacisme et violences systémiques. La question demeure : cette comparaison aide-t-elle à mieux comprendre notre histoire ou risque-t-elle de créer des équivalences simplistes entre des phénomènes historiques distincts ?
Cette polémique médiatique aura au moins le mérite de contribuer à un débat plus large sur la manière dont la France confronte son passé colonial, un processus essentiel pour une compréhension plus nuancée de l'histoire nationale.
KINÉ LAM, UNE VOIX QUI TRANSCENDE LES ÉPOQUES
Ses mélodies envoûtantes ont traversé les générations, portant l'héritage des griots dans un style fusionnant tradition et modernité. Son parcours, de la troupe théâtrale scolaire aux scènes internationales, témoigne d'un talent inné
Elle a toujours chanté. C’est tout ce qu’elle sait faire d’ailleurs. Elle a toujours subjugué, submergé et transmis des ondes de frissons et des palettes de réflexions à beaucoup de générations. L’artiste sénégalaise Kiné Lam est une muse, une fée de la musique africaine. 50 ans de mélodies, de leçons et de poésie, l’éternelle amoureuse de feu son mari Ndongo Thiam a bercé le Sénégal et la sous-région. Son œuvre est un creuset de mémoire, de fragments d’histoires et une manne culturelle.
Il y a quelques mois, le groupe de recherche sur les expressions culturelles contemporaines (Gre2C) et le laboratoire de Littératures et civilisations africaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar ont consacré une large journée d’étude à l’œuvre de l’immense chanteuse sénégalaise Kiné Lam. Ce n’est pas étonnant, mais un peu tard. Mais, il vaut mieux tard que jamais n’est-ce pas ? Voilà maintenant que son œuvre est devenue un objet de réflexion. Kiné, née Fatou Lam est cette voix qui s’élève, cette étoile filante fendant la nuit du Sénégal. Sa musique est un souffle d’Afrique, un chant ancien porté par les vents, glissant sur les rives dorées du temps, où le passé et le présent se rejoignent dans une danse éternelle. Sa voix, douce et puissante à la fois, est un ruisseau sinueux serpentant entre les pierres de la mémoire. Elle chuchote des secrets d’antan, puis hurle des vérités profondes comme des vagues frappant les falaises d’une île lointaine. Elle caresse l’air de sa tendre douceur, avant de s’enflammer, de devenir flamme et brasier, emportant l’auditeur dans un tourbillon d’émotions. Comme un poème, elle déploie ses courbes, ses silences, ses éclats, où chaque mot qu’elle chante devient une étoile scintillante dans le ciel d’un univers inconnu.
Prémices d’une belle carrière
Les instruments qui l’accompagnent sont des complices de son voyage. Les percussions, battements d’âme, comme des coups de cœur, frappent l’air avec une énergie primitive, incantatoire, faisant naître des frissons sur la peau. Le sabar, tel un tambour de guerre, fait vibrer les profondeurs de l’univers, tandis que le xalam, tendu comme un arc, laisse filer des mélodies légères, cristallines comme les gouttes d’une pluie d’été. « Dans ses chansons, son discours électrisant aux tonalités didactiques, épiques, dramatiques, lyriques, satiriques, etc. est enveloppé dans une mélodie rythmique qui frappe le cœur et interpelle la tête. Sa musique est entendue, sentie, écoutée avant d’être comprise », explique Dr Ibrahima Faye, spécialiste des littératures orales et civilisations africaines et chargé de recherche au département de Langues et Civilisation africaines de l’Institut fondamental Afrique noire Cheikh Anta Diop.
Sa voix est un don, sa puissance vocale un talent. Elle est donc naturellement née pour ébranler le monde tout doucement. Kiné Lam Mame Bamba, celle qui allait devenir une diva incontestée de la musique sénégalaise, est née à l’aube de l’indépendance du Sénégal, le 8 novembre 1958, dans le quartier populaire de Grand-Dakar. Issue de Mbaye Lam et de Khady Samb, tous deux de lignée griotte, Kiné fait ses premières humanités à l’école primaire Waagu Niaay 2, avant de poursuivre à Guédiawaye où il a eu son Certificat de Fin d’Études Élémentaires et réussi son examen d’entrée en Sixième, après le déménagement de ses parents. En 1972, elle accède ainsi au Lycée Canada, actuel collège Cheikh Anta Mbacké à Pikine. C’est dans cet établissement que l’art ouvre ses bras à Kiné Lam par le truchement de la troupe théâtrale scolaire. Elle ne chantera pas de prime abord, mais bien après. Dans ce bouillonnement artistique de la banlieue dakaroise, Kiné se découvre peu à peu. Elle commence l’aventure des chants dans les événements de luttes traditionnelles qu’elle animait, moyennant un pécule qu’elle versait à sa mère. Elle obtient alors la bénédiction de sa mère. À cet effet, la musique de Kiné Lam est devenue une rivière, fluide et inaltérable, sculptée par les tempêtes et les calmes. Elle façonne ainsi une signature vocale qui nous transporte au cœur d’un paysage vaste et sacré, sans fin. L’année 1975 sonne le glas d’une carrière d’amateur. L’éternelle amoureuse de son mari Ndongo Thiam, aujourd’hui disparu, signe sa première chanson, « Mame Bamba ». Dans une prestation au stade Iba Mar Diop, elle sera présentée par Abdoulaye Nar Samb, sous le nom Kiné Lam Mame Bamba, l’éternel nom qu’elle portera, nous renseigne Mouhamed Sow dans son podcast « L’envol de Kiné Lam ». Cette chanson est devenue un éclat de lumière dans une nuit étoilée, un éclair qui frappe sans prévenir.
Opus sur opus
Kiné Lam est une poétesse du son, une magicienne des âmes, une visionnaire qui, à travers son art, fait naître des mondes. Avec le morceau « Mame Bamba », Kiné Lam parvient à nouer un duo conjoncturel avec Ndiaga Mbaye, puis en 1977 elle connaîtra une formation de courte durée avec l’Orchestre national du Sénégal. Son talent se déploie ainsi, largement. Elle tape dans l’œil du directeur du Théâtre national Daniel Sorano de l’époque, neveu du président Senghor de surcroît, Maurice Sonar Senghor. Ce dernier exige qu’elle soit auditionnée. Cette audition sera soldée par une réussite totale devant Annette Mbaye d’Erneville, Samba Diabaré Samb et d’autres illustres figures culturelles de cette époque. Elle devient membre à part entière de l’Ensemble lyrique traditionnel de Sorano en 1978. C’est en 1982 qu’elle enregistre sa première cassette, avec le Super Etoile de Dakar, à son nom. Dans la foulée, elle continue son cheminement artistique avec l’Ensemble lyrique traditionnel. L’année 1989 sera marquée par la sortie de son deuxième album « Cheikh Anta Mbacké », produit par Ibrahima Sylla au studio Jbz à Abidjan avec des musiciens comme Boncana Maïga et Abdou Mbacké du Super Jamono qui a assuré les arrangements. Dans cet album, le titre « Dogo », consacré à son mari Ndongo Thiam, avec qui elle s’est mariée à l’âge de 19 ans, devient un hymne de l’amour qui traverse le temps et devient, si on peut dire, l’œuvre de sa vie. Portée au pinacle par la réussite de son album, elle met en place son propre groupe musical : Kaggu (la bibliothèque en wolof). Une première pour une femme au Sénégal. Elle fait ainsi appel à Cheikh Tidiane Tall pour chapeauter l’orchestre avec Yahya Fall à la guitare, Ibrahima Dieng Itou à la basse, Iba Ndiaye au clavier et le duo Sibérou Mboup « Chuck Berry » et Ndiaye Samba Mboup, etc. Le Kaggu sort l’album « Balla Aïssa Boury » qui a comporté en à plus douter à la lévitation de la carrière de Kiné Lam. Ayant une notoriété indiscutable, le Kaggu renchérit avec un autre volume en 1991, « Gallass ». Dans cette production, c’est le morceau « Sëy » qui sort du lot à travers la puissance des mots et le message qu’il porte. En ce sens, Kiné Lam, à travers sa musique, est une déesse du vent, une messagère entre les mondes, une voix qui touche l’âme avec la douceur d’un souffle et la force d’un orage. Elle emporte avec elle celui qui l’écoute, le transporte au-delà du tangible, vers un univers où chaque vibration fait écho à une émotion profonde, un souvenir enfoui, un rêve partagé. Kiné et le Kaggu tourne en Europe et en Amérique. Ce cycle infernal de tournée et de concerts fait tache d’huile sur la relation entre la diva et Cheikh Tidiane Tall, nous renseigne Mouhamed Sow. Néanmoins, le groupe continue son chemin et enregistre deux autres albums dont « Touba Belel » et « Leer Gi ». Dans ce rythme harassant et la soif de produire, les deniers albums sont moins appréciés par le public, du fait de leur rapprochement avec les deux albums précédents. Le Kaggu prend alors la décision d’observer un temps de mûrissement de leur production avant de s’en attaquer à d’autres. Ils restèrent un peu plus de deux années sans sortie. Ce temps de transition leur a réussi. Ils reviennent avec un album plus abouti. L’album de 6 titres, « Noreyni » est enregistré au studio Harison à Paris.
Kine Lam et le « tradi-moderne »
Ce qui rend la musique de Kiné Lam encore plus captivante, c’est sa capacité à fusionner les sonorités traditionnelles de l’Afrique de l’Ouest avec des influences modernes. Dans chaque morceau, elle joue des lignes mélodiques qui évoquent les rythmes ancestraux, mais elle y insuffle également un souffle moderne, électrique, en phase avec les tendances musicales contemporaines. Sur la conception de Cheikh Tidiane Tall, celle que Souleymane Faye appelle « la reine du Mbalax » adopte un autre style musical qu’est le tradi-moderne. Sur ce terrain, elle sait comment ancrer sa musique dans la tradition tout en la rendant totalement contemporaine, abordable, universelle. Le mbalax, genre musical emblématique du Sénégal, est l’un des axes principaux de sa musique, mais elle l’embrasse avec une telle liberté qu’il en devient presque méconnaissable, ouvert à de multiples influences. L’album qui découle de ce concept est « Sunu Cosaan ». À ces sons organiques se mêlent parfois des basses électroniques, des synthétiseurs, des cordes électriques, créant ainsi un enchevêtrement de sons où le traditionnel se fond dans le moderne. Hélas, le métronome de ce nouveau style musical et la cantatrice se séparent. Il sera remplacé à brûle-pourpoint par Adama Faye, compositeur. Très vite, ils sortent l’album « Borom Taïf ». De l’album « Praise » qui s’en suit, en passant par « Le retour », « Cey géer », «Makkarimal Akhla », avec tous les soubresauts que sa carrière a connus, la diva n’a jamais cessé d’émouvoir le public. Le dernier album qu’elle avait commencé en 2016 avec Habib Faye est toujours suspendu dans l’attente, avec un public en déréliction qui n’attend que d’être comblé.