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2 juillet 2025
par Armelle Mabon
CES MORTS SANS NOM QUI DÉRANGENT
L’État français ne peut plus se perdre dans les méandres d'une écriture négationniste du massacre de Thiaroye par loyauté pour ces soldats qui n'ont fait que réclamer leurs droits. Il est temps de retrouver une morale politique, historique, citoyenne
Le 25 juillet 2020 un hommage a été rendu à tous les soldats venus d’Afrique, de l’Océan indien, du Pacifique et des Antilles sous l’Arc de Triomphe en ravivant la flamme du soldat inconnu en présence de membres du gouvernement et de la directrice de l'ONACVG. Ceux massacrés par l'armée française le 1er décembre 1944 à Thiaroye au Sénégal pour avoir osé réclamer leur solde de captivité, sont exclus de tout hommage. Ils sont sans nom dans des fosses communes mais ne sont pas des soldats inconnus. Le gouvernement a remis, le 1er juillet 2020, aux parlementaires des commissions de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale et du Sénat un livret avec le parcours de cent combattants de la Seconde Guerre mondiale. Comme l'indique le site du ministère, ce livret est un outil à destination des maires de France, qui souhaitent répondre à l’appel du président de la République lancé lors du 75ème anniversaire du Débarquement de Provence. Nommer des rues, des places et des écoles du nom de combattants africains permettra que ces soldats méconnus ne demeurent pas des soldats inconnus.
Aucun des hommes massacrés à Thiaroye ne figure dans ce livret : ils sont exclus du champ mémoriel comme le rappelle l'ajointe au maire de Rennes Lénaïc Biero: « Je vous remercie de votre proposition de cérémonie concernant les morts de Thiaroye, toutefois je vous informe qu'elle ne relève pas du champ mémoriel de la Ville de Rennes. En effet, le président de la République a rendu hommage aux soldats morts à Thiaroye en 2014, à l'occasion du sommet de la francophonie. Ce temps de célébration, chargé d'une symbolique qui engage toute la Nation, ne peut se décliner sur un hommage local ».
N'y a t-il pas partout en France des déclinaisons locales d'un hommage national ?
Le président Hollande a engagé la nation en diffusant des erreurs historiques, en réitérant le mensonge d’État et en faisant croire que le lieu de leur sépulture était inconnu.
Ils méritent un hommage national avec non pas des expositions relayant un récit officiel mensonger mais avec l'exhumation de leur corps des fosses communes et l'octroi de la mention « Mort pour la France ». L'Etat français les a nommés « mutins » et a condamné 34 d'entre eux pour un crime qu'ils n'ont pas commis. Le procès en révision permettra de décharger la mémoire des morts. Ce sont des préalables indispensables avant que ces hommes puissent intégrer le champ mémoriel des villes de France, là où ils ont combattu, là où ils ont été prisonniers de guerre, là où ils ont rejoint la résistance, là où ils ont quitté la métropole.
Leur histoire a été confisquée, salie. On prête à Faidherbe cette phrase : « Ceux-là, on les tue on ne les déshonore pas », qui est aujourd’hui la devise de l’armée sénégalaise « On nous tue, on ne nous déshonore pas ». A Thiaroye, le 1er décembre 1944, des officiers français se sont déshonorés et l’État français aussi en couvrant une ignominie. Il est temps de retrouver une morale politique, historique, citoyenne et mémorielle. En affrontant la vérité, ces morts ne dérangeront plus, ils seront nommés, auront une sépulture digne, seront innocentés et seront honorés localement comme nationalement. L’État français ne peut plus se perdre dans les méandres d'une écriture négationniste du massacre de Thiaroye par loyauté pour ces soldats qui n'ont fait que réclamer leurs droits.
DANS LE DELTA DU SALOUM, UN MUSÉE POUR RENDRE AUX AFRICAINS LEUR HISTOIRE
A Djilor, au centre du Sénégal, le Mahicao expose la riche collection de Reginald Groux, ancien marchand parisien piqué par le « virus de l’art africain »
Le Monde Afrique |
Matteo Maillard |
Publication 02/08/2020
Il faut d’abord entrer en terre sérère, longer un bras sinueux du delta du Saloum, traverser la forêt de Samba Dia, avant de découvrir, à 200 km au sud-est de Dakar, niché dans un luxurieux jardin du village de Djilor, le Mahicao : le Musée d’art et d’histoire des cultures d’Afrique de l’Ouest. Léopold Sédar Senghor, poète et premier président du Sénégal, est né non loin d’ici. « Je savais que je voulais l’installer sur ces terres, confie Reginald Groux, son fondateur. J’aimais l’idée d’être dans un endroit excentré, loin de la fureur de Dakar. Je suis retraité et j’aspire à plus de calme. »
En quarante ans à sillonner l’Afrique, ce marchand d’art français n’a pas pris beaucoup de repos. Collectionneur, propriétaire successif de quatre galeries parisiennes, professeur à Paris à l’Institut supérieur des carrières artistiques, il se veut aujourd’hui conservateur et rien d’autre. « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de poursuivre une activité commerciale », dit-il. Fini les allers-retours sur le continent, désormais il y vit pour son projet, débuté il y a dix ans. « La volonté du musée n’est pas de rendre les objets aux Africains mais de leur rendre leur histoire », aime-t-il souligner.
Dans une belle bâtisse à l’architecture soudanaise, de larges portes en bois ouvrent sur sa riche collection : 550 objets sont exposés dans une scénographie se jouant du clairs-obscur, avec murs en latérite et épais tapis de coquillages qui craquent sous les pieds. Toute l’histoire africaine, du néolithique jusqu’au XXe siècle, est évoquée en ces 500 m2. Son objet le plus ancien : unbiface saharien préhistorique, outil de pierre taillée.
On trouve aussi un trône ibo du Nigeria ; des appuis-nuque funéraires dogons ; des cimiers tywara, représentations d’antilopes issues de la culture bambara ; une statue en terre cuite djenné du Mali, datée par thermoluminescence du XIVe siècle. Dans le sable des vitrines, des outils taillés, des scies, des pointes de flèches dentelées, une gourde pour pratiquer les ordalies, des mortiers, des bijoux, des fétiches, des poupées de fertilité et des peignes. « Certains de ces objets sont des vestiges que j’ai trouvés moi-même dans le désert », raconte l’explorateur. D’autres ont été achetés, comme ce collier d’os de dinosaure négocié 140 euros au Sénégal.
« Valeur symbolique »
Son savoir-faire de commerçant, il l’a aiguisé dès ses 19 ans. Après le bac, il est recruté par un Américain collectionneur d’art africain qui l’envoie sur le continent à la recherche de pièces originales. Dans les années 1970, le marché de l’art s’intéresse de plus en plus aux objets et à la statuaire continentale et Reginald Groux est l’un des nombreux Occidentaux piqué par ce « virus de l’art africain », comme il l’appelle.
Il travaille pour différents galeristes en Europe et aux Etats-Unis, alors qu’explose l’attrait des marchés internationaux pour les arts premiers. Il se souvient des marchands sénégalais arrivant à l’hôtel Wellington de New York avec des valises pleines de statuettes, vendues à même le trottoir. L’époque était à l’euphorie et aux réglementations légères. « Je faisais des tournées en Land Rover dans toutes les grandes villes du Sahel. Je récupérais sur les marchés des objets en bronze vendus au poids et destinés à la fonte. On voyait de la valeur dans ce qui n’en avait plus. »
L'ÉLYSÉE, LE PLUS GRAND SYMBOLE À PARIS DU PASSÉ ESCLAVAGISTE DE LA FRANCE
Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l'Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli
France Culture |
Benoît Grossin |
Publication 02/08/2020
Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l'Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli. Un travail de mémoire reste à accomplir.
Sans un négrier, Antoine Crozat, le palais de l'Élysée n’aurait pas été édifié en 1720, avant d'être occupé par la marquise de Pompadour, Napoléon et depuis plus d'un siècle maintenant par les présidents de la République.
L’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon Saint-Simon, en a financé la construction pour le compte de son gendre, Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, dans le cadre d’une stratégie, en vue d'intégrer la haute société aristocratique.
Antoine Crozat à la direction de la Compagnie de Guinée, l’une des plus importantes sociétés de commerce triangulaire, a bâti sa fortune en obtenant en 1701 le monopole de la fourniture en esclaves de toutes les colonies espagnoles.
Mais il n’est pas le seul grand acteur à l'époque.
A Paris, le Club de l’hôtel de Massiac, société de colons de Saint-Domingue et des Petites Antilles défend ses intérêts dans un bâtiment qui a disparu comme beaucoup d’autres, depuis les travaux haussmanniens, depuis les transformations de la capitale en profondeur, à partir de 1853 sous le Second Empire. Bâtiment sur la place des Victoires remplacé par l'hôtel de L'Hospital. Alors que les stigmates de l'esclavage sont encore nombreux aujourd'hui dans l'urbanisme des anciens ports négriers, Bordeaux et Nantes, notamment.
Reste le Palais de l'Élysée, mais aussi et dans une certaine mesure la Banque de France et la Caisse des dépôts.
L’ancien président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, a demandé au chef de l’Etat Emmanuel Macron, le 13 juillet dernier dans Libération, le lancement d’une enquête pour mettre en lumière tous les liens entre l’esclavage colonial et les grandes institutions de la République.
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, mise en place le 12 novembre 2019, doit travailler avec la ville de Paris à la création d’un monument et d’un lieu muséal dédiés.
L’historien Marcel Dorigny, membre du comité scientifique de cette fondation, plaide pour un mémorial et milite pour des explications aux quatre coins de la capitale où le passé colonial et esclavagiste est omniprésent.
Le palais de l'Élysée s’est construit sur le dos d’esclaves
Le Toulousain Antoine Crozat, l’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon le courtisan et mémorialiste Saint-Simon, est un parvenu aux yeux de ses contemporains, un financier et négociant cupide, engagé dans toutes les affaires pouvant rapporter gros, à commencer par la traite négrière.
C’est sur décision du roi Louis XIV que cet homme né roturier prend la direction de l’une des plus importantes sociétés du commerce triangulaire créée en 1684, la Compagnie de Guinée, avec pour mission d’acheminer du port de Nantes, le plus grand nombre possible d’esclaves noirs vers Saint-Domingue et de remplacer sur l’île, le tabac par le sucre.
Le monopole qu’il obtient à partir de 1701 sur la fourniture d’esclaves aux colonies espagnoles, permet à Antoine Crozat d’amasser une fortune colossale.
L’auteur d’une biographie intitulée Le Français qui possédait l’Amérique. La vie extraordinaire d’Antoine Crozat, Pierre Ménard, évalue sa fortune en 1715, à la mort de Louis XIV, à 20 millions de livres, soit près de 300 milliards d’euros !
De quoi acheter des châteaux par dizaines, de posséder un hôtel particulier dans sa ville de Toulouse et d’en acquérir un autre, prestigieux, sur l’actuelle place Vendôme, à l’endroit où se trouve maintenant le Ritz.
Quoique richissime, Antoine Crozat est maintenu à l'écart du système d'honneurs, moqué pour son inculture et sa vulgarité par la noblesse qui ne le fréquente que pour lui emprunter de l'argent.
Et c'est grâce à sa fortune bâtie sur la traite négrière qu'il s'ouvre les portes de l’aristocratie, en mariant sa fille - alors qu'elle n'a que 12 ans - à Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, le comte d’Evreux.
Ce membre de la haute noblesse française, gouverneur de l'Île-de-France, profite de son beau-père en bénéficiant d'une dot de 2 000 000 de livres pour se faire construire un hôtel particulier, l’hôtel d’Évreux, qui prendra le nom d'hôtel de l'Élysée à la toute fin de l’Ancien Régime.
EXCLUSIF SENEPLUS - Rien, ou presque, de tout ce qui se vend et s’achète n'est l'ouvrage du Sénégal. Tout est importé. On peut imaginer que la majorité des produits vient de Chine. Qu’est-ce que cela dit de nous et de notre pays ? NOTES DE TERRAIN
Je ne sais pas qui de nous deux devait râler. Mais j’avais de bonnes raisons de lui demander de faire attention. Je l'ai fait. Il m'a proposé d’aller me faire voir. Pourtant, le tort lui revient. Voici toute l'histoire. J’étais en train de marcher tranquillement sur l’avenue Lamine Gueye, lorsqu’il a freiné, presque à mes pieds, en braquant la voiture soudainement. Il ne voulait pas rater le piéton qui lui tendait la main. Celui-ci était à moins de cinq mètres, devant moi. Mon sang n'a fait qu'un tour. Sa conduite était absurde. Je lui ai fait remarquer, fortement. Le bon gaillard a alors renversé la charge de la faute. Je n’avais qu’à bien regarder devant moi, observa-t-il. Je me suis vite ressaisi. Il ne fallait pas que je perde mon temps. L’heure de mon rendez-vous approchait, le soleil était impitoyable. Je m’étais emporté pour rien.
Dakar change de dimension, les veilles de fêtes. On dirait que les corps sont possédés par les esprits, qui se mêlent à l’effervescence. Telle dans une fête païenne ou une représentation chamanique. Tout bascule dans une atmosphère déchaînée. Tout est folie, tempête, désordre. La foule est en transe. Les individus, surexcités, entrent dans un monde double. De ferveur et de démesure. Le spectacle est hypnotique. Le rythme endiablé. À Sandaga, ce matin, les arômes, les clameurs et les couleurs s'en donnent à cœur joie. C'est une puissante énergie. Qui se décharge tout autour. Les geignements uniformes des hauts-parleurs. La musique furieuse. Les klaxons séquentiels. Les corps qui se heurtent, et s’évitent. La sueur qui perle dans les visages. L'affabilité intéressée des marchands. Les visages aimables, fermés, chantants, masqués, effrontés des hommes et des femmes qui passent ou 'arrêtent. Les habits. Les chaussures. Les lames des couteaux.
La rue est en délire. De Sandaga aux allées Pape Gueye Fall, où je dois me rendre, un rythme hystérique déborde de partout. Tout, ici, semble être envoûté. Avant la fin de la semaine, dans quatre jours, la Tabaski viendra comme une séance collective d’exorcisation. Je remarque que le coronavirus est presque oublié. En tout cas, les gens qui portent le masque sont minoritaires. Les gestes barrières n’existent pas. On pourrait voir cette effervescence, en temps de crise sanitaire et économique, comme de l’imprudence. Mais, on ne peut pas obliger un peuple à renoncer à ses grands rites et à ses moments de bonheur. Surtout si ses chefs ont abdiqué. À la fin, il faudra collectivement assumer. Nous avons préféré l’allégresse de la fête et le maintien de l’économie à la vie de certains des nôtres, les plus fragiles.
Mon regard est interpellé par autre chose. Presque toutes les marchandises sont importées. À part les chaussures « Ngaay », et peut-être certains habits africains - je me demande s'ils sont fabriqués ici ? -, presque rien de tout ce qui se vend et s’achète n'est l’ouvrage du Sénégal. Tout arrive d'ailleurs. On peut aisément imaginer que la majorité des produits vient de Chine. Qu’est-ce que cela dit de nous et de notre pays ? Ce n'est pas seulement dans les marchés que les produits sont importés. Dans nos maisons, dans nos bureaux et même dans nos assiettes - donc dans nos ventres, nos corps et nos esprits -, l'objet le plus insignifiant vient de l'autre bout du monde. Nous consommons ce que les autres fabriquent. Nous n'inventons et ne produisons que très peu. C'est une attitude d'abandon et, quelque part, de servilité.
Quel peuple peut songer, sérieusement, à la souveraineté, s'il ne sait pas façonner avec son esprit et ses mains, la grande partie des choses qui le nourrissent ? Le cœur de notre économie repose sur le courtage, la rente, l'intermédiation. Si cela marchait, nous l'aurions su. Ce n'est pas le cas. Nous ne pouvons pas encore nous targuer d’être une nation qui entretient ses citoyens et les protège de la précarité. Pourquoi donc n'y arrivons-nous pas ? L’innovation et la production sont les socles des progrès économiques. De la prospérité sociale. Une communauté est indépendante lorsqu'elle prend en charge sa propre destinée. Tous les peuples autosuffisants développent des techniques de production et des plateformes d’innovation. En ce qui concerne l'Afrique en général, nous sommes encore déficitaires dans notre commerce avec le reste du monde. Et nous proposons que très peu de choses aux autres.
Il n'y a aucune fatalité dans notre situation actuelle. Les peuples, quand ils le veulent font de grands bonds en avant. Ils peuvent se surpasser et même étendre leur influence culturelle, économique et politique au reste du monde. Ils peuvent aussi décliner. Parle-t-on aujourd’hui de la Mésopotamie, de la Phénicie, de l'Indus, des Aztèques, de l'Empire inca, de l'Empire khmer, de l'Empire moghol, ou même de ce qui a été une grande civilisation africaine, l'Egypte ? Dans les livres d’histoire, seulement. Ces grandes civilisations au rythme de la vie ont vécu, triomphé, puis se sont effondrées. Aujourd’hui, le grand ensemble occidental, ainsi que la Chine sont les civilisations les plus conquérantes. Parce qu'elles savent mieux entretenir leur système productif et developer des technologies, dans tous les secteurs. Elles bénéficient, ainsi, d'un avantage comparatif sur le reste du monde. Mais d'autres pays savent aussi se rendre indispensables et entretenir leur prospérité.
Seule l'Afrique manque de volonté, de puissance et d’influence. Le continent est bien doté, pourtant, en ressources naturelles. Mais ne sait pas les transformer. Car il crée très peu d’activités productrices. En 2019, l'Afrique avait une croissance de 3,4 %. Sans retombées réelles sur les populations. Pour justifier ce paradoxe, les mêmes arguments sont avancés. Faible diversification de l’économie, réinvestissement insuffisant dans des secteurs sociaux (éducation, santé), déficit en insfrastructures. Mais on parle très peu du paradigme et des contradictions entre l’infrastructure et la superstructure. Il y a une invraisemblance, que l'on tait ou que l'on survole : le déséquilibre entre les activités intellectuelles et morales et les activités des affaires. En Afrique, les valeurs relationnelles et sociales sont en coupure avec la politique et l’économie. Or, partout ailleurs, les schémas de l’économie entrent en résonance avec l'ordre culturel.
L'Occident affirme sa gloire et marche en avant, s’accrochant à son éthique du progrès. La confiance conquérante de la Chine trouve ses racines dans un bouillon de convictions, qui appelle au pragmatisme - le confucianisme, le bouddhisme, le taoïsme, le communisme. La Turquie en se déployant militairement en Syrie, en Libye, en mer Égée, ou industriellement en Afrique, revendique l'orgueil ancestral des ottomans : occuper d'autres nations pour y développer commerce et y puiser richesses. Et nous ? Rien, j'allais dire. Mais ce n'est pas tout à fait cela. Il y a bien quelque chose, sauf qu'elle ne sert que pauvrement. Il y a des civilisations brillantes, en Afrique. Des ressorts culturels extraordinaires. Qui peuvent être des stimulants pour de grandes avancées technologiques et scientifiques. On y prête que très peu d’attention.
L’extraversion économique est l'autre versant de la mise sous tutelle culturelle. Plus précisément, la base économique d'une part, et d'autre part le juridico-politique et l’idéologique marchent en complète désynchronisation. La créativité, la générosité, les sources d’énergie sont dissociées de l’âme profonde du peuple. Voilà le fond du problème. C'est ce déséquilibre-là qu'il faut interroger. Si nous voulons rester sincère dans l’inventaire de nos maux sociaux, politiques, et économiques. Tant que l'axe culturel sera dévié, on ne progressera pas vraiment. On manquera de force et de dynamisme pour produire et innover. Pour protéger nos ressources. Pour développer des compétences dévouées et loyales. Pour promouvoir la liberté et l’égalité pour tous. Pour devenir véritablement souverains. On empêchera l'audace et la prise de risques.
Retrouvez sur SenePlus "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
COVID-ORGANICS, L'OPTIMISME TRADIPRATICIEN FACE À LA FLAMBÉE MALGACHE
Faut-il désespérer du « remède » au coronavirus promu par Andry Rajoelina? Avec la hausse des cas, les Malgaches ne savent plus à quel artemisia se vouer…
Jeune Afrique |
Damien Glez |
Publication 02/08/2020
Sur un sujet aussi neuf que la Covid-19, difficile de s’insinuer entre l’arbre des faits et l’écorce de la propagande. Les statistiques elles-mêmes, forcément incomplètes mais formelles, n’échappent pas au trompe-l’œil. Faut-il se réjouir que, ce 28 juillet, le continent atteignait le seuil des 500 000 patients guéris ou s’inquiéter que cette même Afrique, vingt jours auparavant, dépassait la barre des 500 000 infections officielles ?
Les données continentales ayant de moins en moins de sens – l’accélération du rythme de propagation du virus n’étant pas également réparti sur le plan géographique –, il convient de scruter certains pays symptomatiques de tel ou tel aspect de l’événement sanitaire.
Mais quatre mois après l’apparition du premier cas de coronavirus à Madagascar, c’est une forte augmentation du nombre d’infections que connaît Antananarivo. L’île a dépassé, cette semaine, la barre symbolique des 10 000 cas, dont 93 morts. Alors que le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes s’était stabilisé à une centaine, il se situe désormais entre 300 et 400.
L’heure est clairement au branle-bas de combat sanitaire, au doute populaire et aux dissensions politiques…
Mamadou Diouf, professeur d'Histoire à Columbia University, est l'invité de Baye Omar Guèye dans l'émission Objection de ce dimanche.
DÉCÈS DE MANSOUR KAMA
Le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal, est mort ce dimanche à Dakar, des suites d’une longue maladie. Membre influent du patronat sénégalais, il a notamment été président du Conseil d’administration de la SDE
Mansour Kama, président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), est décédé ce dimanche à Dakar, des suites d’une longue maladie, ont rapporté plusieurs médias.
Membre influent du patronat sénégalais, Kama a notamment été président du Conseil d’administration de la Sénégalaise des eaux (SDE), l’ancienne société en charge de la distribution de l’eau dans les zones urbaines du pays.
Les réactions ont afflué à l’annonce du décès de l’homme d’affaires. Sur les ondes de la RFM (privée), Samba Sy, ministre du Travail, du Dialogue Social, des Organisations Professionnelles et des Relations avec les Institutions, a salué la mémoire d’un homme véridique et d’un patriote ayant eu à prendre des positions courageuses.
Sy fait par exemple allusion à la participation de Mansour Kama aux assises dites nationales. Des rencontres organisées à partir de 2008 par des acteurs politiques, de la société civile et divers acteurs de différents secteurs pour réfléchir et trouver des solutions pour le développement du pays.
Cheikh Diop, leader de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal Forces du changement (CNTS-FC), a évoqué la perte d’un partenaire social qui était engagé dans la mise en avant de la préférence nationale et le combat contre le capitalisme à outrance.
Serigne Mbaye Thiam, ministre en charge de l’Eau et de l’Assainissement, s’est souvenu de l’importance des actions menées par le défunt à la tête de la Fondation du secteur privé pour l’éducation.
60 CAS DE CORONAVIRUS DÉNOMBRÉS DIMANCHE, AUCUN DÉCÈS
Le ministère de la Santé et de l’Action sociale a recensé dimanche 60 nouvelles contaminations de coronavirus en 24 heures, portant à 10 344 le nombre de personnes ayant contracté le virus depuis son apparition dans le pays, le 2 mars.
Dakar, 2 août (APS) – Le ministère de la Santé et de l’Action sociale a recensé dimanche 60 nouvelles contaminations de coronavirus en 24 heures, portant à 10 344 le nombre de personnes ayant contracté le virus depuis son apparition dans le pays, le 2 mars.
Aucun décès n’a été répertorié samedi, a précisé le docteur El Hadji Mamadou Ndiaye, directeur de la Prévention lors du point quotidien sur la maladie, diffusé en direct sur la télévision publique, la RTS.
Il a souligné que les nouveaux cas avaient été détectés à partir de tests virologiques réalisés sur des échantillons prélevés sur 915 sujets. 48 parmi ces nouvelles infections étaient des cas suivis par les services sanitaires, les 12 autres étant issus de la transmission communautaire.
Les cas d’infection dont la source est inconnue ont été détectés à Mbao (2), Saint-Louis (2), Dakar Plateau (1), Hann Mariste (1), Mbour (1), Parcelles Assainies (1), Rufisque (1), Thiès (1), Touba (1) et Yeumbeul (1).
Le directeur de la Prévention a également officialisé la guérison de 16 patients supplémentaires, portant désormais à 6 838, le nombre de personnes ayant recouvré la santé depuis le début de l’épidémie.
A ce jour, 3296 personnes infectées par le virus sont en observation dans les différents centres et lieux de prise en charge dédiés à la maladie. Parmi ces patients, 39 sont encore en réanimation. Le nombre de décès liés au virus est de 209, selon les données du ministère de la Santé et de l’Action sociale.
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DAAN CORONA
La star de la musique sénégalaise Youssou Ndour en première ligne contre le Covid-19
L'UNIVERS ENCHANTÉ DU FRANC DES COLONIES FRANÇAISES D'AFRIQUE
Les élites africaines finiront bien par comprendre que, sur ce continent, les postures conservatrices sont un corbillard. Peut-être même qu’elles le sauront avant que la 70è génération d’ici ne soit déjà débitrice aux clubs de Paris
Quand pour contourner la maligne pandémie les planches à billets soutiennent à tour de bras les économies souveraines à travers le monde, alors les colonies françaises d’Afrique réalisent qu’elles n’ont pas le moindre pouvoir d’adoucir, rien qu’un peu, la fatale misère de leurs populations. Et que la transition sous la harangue populaire, du franc CFA vers l’Eco dans les formes énoncées au mois de décembre 2019, n’y changera rien.
Les indépendances africaines furent le chant du cygne des devises coloniales à travers le continent. Exit la livre sterling, l’escudo, la peseta, la zone monétaire belge. Les nouveaux États indépendants s’imposèrent la mission fondatrice d’émettre leurs monnaies nationales, matérialisant leur ascension à la condition d’entités souveraines internationalement reconnues.
A l’exception des colonies françaises d’Afrique noire passives, à l’adresse desquelles fut allouée une monnaie excentrée et surévaluée, annihilant tout espoir de compétitivité internationale, pour des ersatz d’États formatés à attendre de l’horizon leur pain de tous les jours.
Quelques subsides furent bien octroyés depuis sur ce long chemin de croix avec le transfert, au cours des années 1970 des banques centrales à Yaoundé et Dakar, précédé de l’africanisation du personnel. Puis vint décembre 2019, où la fin du dépôt des réserves, ainsi que l’improbable suspension de la présence d’administrateurs étrangers au sein des conseils d’administration, vinrent consacrer l’évolution du 21eme siècle.
Entre alors en scène la parité Eco-Euro, troublant exotisme monétaire s’il en est: l’Eco, comme le franc CFA, dépendra encore et toujours du taux de l’Euro, et par conséquent de la santé des économies nationales de la zone Euro, l’Allemagne en tête est-il utile de rappeler qu’aucun pays de la zone Euro ne peut suivre la cadence de la compétitivité allemande?
Tout comme l’esclavage d’entières générations d’Africaines et d’Africains se poursuivit sereinement dans les plantations tout au long des abolitions intermittentes de la traite négrière, l’indépendance des colonies n’avait pas pour dessein de mettre un terme à leur assujettissement. Il n’est pas surprenant, donc, que la mise au placard de l’appellation CFA en décembre 2019 rassemble les peuples des pays concernés autour d’une incrédulité commune, convaincus que le naturel incestueux est tapi dans l’ombre. Il suffit de voir les images annonçant la transition vers l’Eco, l’assurance étriquée que les choses se passeraient en toute «responsabilité», c’est-à-dire, en substance, qu’il ne fera pas nuit entre aujourd’hui et demain, pour réaliser que décidément à cette séquence il manquait Patrice Lumumba, qui ne put se contenir lorsque le 30 juin 1960, un Kasavubu (le premier président de la République du Congo) politiquement correct ne se résolut pas à solder les comptes de la colonisation.
Dans le cas de figure, nous avons donc la «responsabilité» de nous agripper, vaille que vaille, aux mamelles de la parité et de la convertibilité: à l’aune de notre histoire, cette «responsabilité» est de triste augure pour nos populations appauvries, et habituées.
Il n’y a qu’à constater l’enthousiasme … mesuré des opinions publiques africaines à cette annonce d’un autre temps, où s’entrechoquaient à l’envi, «responsabilité», «convertibilité», «parité». A ce tour de passe-passe présenté urbi et orbi depuis la torpeur tropicale, il ne manquait que les applaudissements. Il n’y en aura pas.
C’est à se demander si les bénéficiaires de ces arrangements sont exclusivement ceux qui viennent du froid. Car la monnaie coloniale ne fait pas grand mal aux importateurs prospères et autres capitaux africains qui trouvent leur compte dans le taux de change surfait qu’offre le franc CFA. Les élites politiques et économiques du continent y trouvent une facilité de transfert de leurs ressources financières, justifiant qu’elles se bouchent le nez.
Élites bombées d’avantages indus, agiles complices de la mise en œuvre des échafaudages savants qui aliènent nos capacités d’innovation, comme si l’état de misère dans lequel, elles complaisent les peuples du continent, était pour l’éternité un constat inamovible.
Alors, pour nos élites profiteuses du statu quo, les indignés sont …indignes, forcément: leur ridicule colère épidermique et souverainiste devra donc être tempérée par ceux qui ont conservé toute leur raison; qui ont, disent-ils, autant d’amour pour notre chère Afrique qui nous coûte bien cher, décidément, et la voudraient tout aussi indépendante et affranchie. Mais, assurent-ils, il serait suicidaire de se ruer, à la Don Quichotte.
La vague sans écume des révolutions marxistes monopartites juchées en équilibre sur le socle incertain de l’orgueil patriotique devrait nous avoir suffi. Et de nous susurrer que le mécanisme de garantie du CFA/Eco par l’ancienne métropole est le plus sûr garde-fou qui soit, solide rempart face aux fluctuations impitoyables du négoce international. La main sur le cœur, ils nous préviennent : la convertibilité du CFA/Eco avec l’Euro est indispensable pour maintenir les pays de la zone dans l’économie mondiale.
Ce serait donc le bon sens qu’on oppose à l’idéalisme béat : quitter le mécanisme CFA, pour imparfait qu’il soit, précipiterait nos destins dans l’abîme. La stabilité que confère la zone contribuerait à réduire l’inflation, ou en tout cas, à la maintenir à des hauteurs absorbables. Le choix de maintenir cette parité viserait donc à rassurer les investisseurs sur la stabilité de la monnaie et éviter le risque de fuite des capitaux.
Soit. Or, tous ces arrangements précautionneux n’ont pas empêché l’effondrement structurel de nos économies à la monnaie garantie. Il suffit de parcourir les paysages délabrés des pays de la zone CFA. Où est l’erreur ? Ces économies sont génétiquement misérables, convertibilité ou pas. Car les personnes qui devraient être l’objet de nos angoisses ne sont pas celles qui représentent nos populations dans les colloques et autres estrades, en costumes ciselés et boubous empesés.
Celles qui nous importent se comptent en centaines de millions de gueux, trainant le poids de leur misère à travers les générations, depuis la minute de leur naissance, jusqu’à l’ultime souffle de leur vie. Par centaines de millions, ils n’ont pas d’eau potable, d’écoles primaires et de centres de santé, naissent diminués ou meurent en couches. Ce sont eux, pauvres hères, qui sont en contradiction physique avec les bénéficiaires locaux et extérieurs du CFA/Eco.
C’est à eux qu’il faut expliquer que leur misère eut été encore plus abyssale si la convertibilité de la monnaie nationale n’était pas garantie au-delà des mers. Oh, pour le même prix, leur préciser que cette garantie est absolument indispensable pour éviter la spéculation et la fuite des capitaux. Ça pourrait, qui sait, leur arracher un sourire. Heureux ceux qui mènent leurs vies dans l’ignorance de l’existence de la justice sociale. L’inénarrable exigence du «maintien de l’inflation à un taux bas» que résoudrait le concept CFA/Eco révèle la pauvreté d’une pensée élitiste qui a depuis abdiqué ses missions, et bradé aux commissaires-priseurs la légitime espérance de générations successives.
Les «Don Quichottes» perdront la bataille des idées, s’ils se limitent à guerroyer en terres statistiques, et cartésiennes.
Car le piège est insidieux: par-delà les chiffres et évaluations savantes, nos peuples restent étouffés par la conviction de leur impuissance éternelle, qui leur fait sous-traiter leurs énergies et leurs initiatives à une élite politique et intellectuelle, qui elle, les sous-traite mécaniquement à ses maîtres. CQFD: c’est à l’intérieur de notre propre périmètre que s’élèvent les critiques les plus acerbes de notre besoin de dignité. Sur le long voyage de notre histoire, ceci n’a rien d’inédit: l’esclave de maison se délectait des restes de la table du maitre; l’esclave des champs se contentait de ce que lui jetait l’esclave de maison.
Ainsi, l’Afrique post coloniale n’a pas fait une utilisation abusive du concept de fierté. À trop courber l’échine au nom de la raison, on glorifie le statu quo, qui érode la légitimité de désirer tenter autre chose. Le mécanisme CFA/Eco n’est qu’une étagère dans un rayon bien garni. S’en occuper serait déjà ça de fait.
Savoir ce qu’on fait est sans doute aussi important que ce qu’on fait. Tant que l’Eco ne sera pas flexible, la logique du franc des colonies françaises d’Afrique survivra, son cortège d’indignités avec elle. La fixité immobile de la convertibilité avec l’Euro, pour transitoire qu’elle est, participe de ces endormissements hypnotiques sous le regard matois des rentiers qui n’en finissent pas de troquer un manteau contre un autre, s’ajustant au gré des circonstances historiques et géopolitiques, toujours une longueur d’avance, et proposant des changements qui ne cassent aucune habitude.
Les convertibilités et parités sclérosées nous tiennent en laisse, même s’il nous est permis de gambader un peu plus loin dans le pré. Ce sont les petites satisfactions distillées qui mettent du baume au cœur, et laissent nos plaies béantes. L’espiègle pirouette CFA/Eco ne doit rien aux verroteries, liqueurs, miroirs et autres bibelots offerts aux chefs locaux en échange des esclaves enfouis dans les cales des navires en direction des plantations du Brésil. Les pires forfaitures de l’histoire de l’humanité ont prospéré à l’abri du vernis de la respectabilité.
Le piège donc, c’est être maintenu en équilibre sur la pointe d’un pied ; on ne s’écroulera pas ; on n’en mourra pas. Mais tous les efforts et énergies seront exclusivement concentrés à ne pas perdre cet équilibre. Le souffle court, la langue pendante, les yeux exorbités, un sursis permanent.
Imaginons ensemble que la zone CFA et ses succursales intellectuelles venaient à disparaitre définitivement. Et alors… Est-il possible de périr davantage? Pensons-nous sérieusement que cela affecte fondamentalement les femmes et enfants de nos hameaux? Sera-ce pire que les circonstances actuelles de nos économies bringuebalantes où des taux de croissance à deux chiffres nous sont faussement présentés comme des progrès probants, quand en réalité l’on est parti de si bas que beaucoup signifie pas grand-chose ? Les croissances sonores n’ont pas d’autre vertu que de rendre la vie plus chère encore pour la majorité des populations, mettant hors d’atteinte de leur indigence la capacité de s’offrir les produits tous importés de la malheureuse croissance.
Lorsque la raison et le pragmatisme nous maintiennent la tête sous l’eau plus longtemps qu’il ne faut, alors il faut se précipiter pour survivre. Les élites africaines finiront bien par comprendre que, sur ce continent, les postures conservatrices sont un corbillard. Peut-être même qu’elles le sauront avant qu’il ne soit trop tard, et que la soixante dixième génération d’ici ne soit déjà débitrice aux clubs de Londres et de Paris.
Absolument, il faut s’affranchir du fétichisme du franc CFA, et de ce qui en tient lieu. Se détacher de ses métaphores logistiques, toutes ces sempiternelles justifications chiffrées qui illuminent les uns toujours les mêmes, et affament les autres toujours les mêmes. Rebrousser chemin, faire machine arrière, n’exige rien qu’un peu de courage. Le courage de faire… autre chose. Eureka.
Qu’est-ce qui objectivement n’autoriserait pas ces pays à établir leur monnaie sur des bases fragiles, mais portées par l’espérance et la foi, un surcroît de discipline, une vision commune, une envie d’histoire ? Beaucoup d’espoir et d’inspiration bâtis sur des fondations différentes. Une monnaie arrimée à une convertibilité factice est aux antipodes de cette ambition, et prolonge seulement la vassalité qui ruine nos élans, bride notre génie, nous rapetisse encore et encore.
L’inconnu n’est pas nécessairement l’apocalypse. Si les explorateurs, «civilisateurs» et colonisateurs avaient eu peur du vide, ils n’auraient pas dominé le monde de leurs orientations. «L’hyperpuissance tyrannique du confort»… cette chose qui nous tient si souvent en respect au moment de prendre des décisions […] importantes» (Gilles Yabi, 2013), est ici logée dans le corset de l’ignorance tenace d’une vérité éternelle : il est toujours possible de faire autrement.
La sauvegarde passe par la promotion de concepts différents, face à la froideur du «raisonnable» statu quo qui garrotte nos indignations au nom du discours de la méthode; une méthode étanche aux douleurs de ses victimes. Au nom des statistiques; statistiques coupées d’eau qui coulent dans le même moule, profiteurs et souffre-douleurs. Au nom et pour le compte des certitudes que nos misères sont de l’ordre naturel des choses.
On peut, si l’on veut, se contenter d’affirmer son rejet du CFA. Car la malicieuse entourloupe Eco ne réussira pas à faire de cette posture une idéologie d’arrière-garde: l’architecture CFA, que sous nos yeux incrédules on métamorphosa en Eco quand la saison fut venue, est anachronique à l’étape présente où le monde découvre soudain que la vie des uns devrait compter tout autant que celle des autres. Mais on ne peut vaincre un adversaire qui a sept vies, sans commencer par s’accorder sur le sens ultime de l’effort: ce qu’il nous faut, c’est un usage, à valeur réelle, de la notion de dignité, qui soit opposable où qu’on se tourne.
Afin que seuls nos lointaines mémoires et nos livres d’histoire évoquent à nos enfants la grande douleur que fut pour nos quotidiens le manège enchanté du franc des colonies françaises d’Afrique.
Titulaire d’un Doctorat d’État en Droit international public, Moudjib Djinadou est analyste politique et fonctionnaire à l’Organisation des Nations Unies.. Il est également écrivain.