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17 juillet 2025
par Achille Mbembe
LE DROIT UNIVERSEL À LA RESPIRATION
Si guerre il doit y avoir, ce doit être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui sur la longue durée du capitalisme aura confiné des races entières à une respiration difficile, à une vie pesante
covid-19-cameroon.org via AOC.com |
Achille Mbembe |
Publication 06/04/2020
Certains évoquent d’ores et déjà “l’après-Covid-19”. Pourquoi pas? Pour la plupart d’entre nous cependant, surtout dans ces régions du monde où les systèmes de santé ont été dévastés par plusieurs années d’abandon organisé, le pire est encore à venir. En l’absence de lits dans les hôpitaux, de machines respiratoires, de tests massifs, de masques, de désinfectants à base d’alcool et autres dispositifs de mise en quarantaine de ceux qui sont d’ores et déjà atteints, nombreux sont malheureusement ceux et celles qui ne passeront pas par le trou de l’aiguille.
Il y a quelques semaines, face au tumulte et au désarroi qui s’annoncaient, certains d’entre nous tentaient de décrire ces temps qui sont les nôtres. Temps sans garantie ni promesse, dans un monde de plus en plus dominé par la hantise de sa propre fin, disions-nous. Mais aussi temps caractérisé par “une redistribution inégalitaire de la vulnérabilité” et par de “nouveaux et ruineux compromis avec des formes de violence aussi futuristes qu’archaïques”, ajoutions-nous (Achille Mbembe et Felwine Sarr, sous la dir. de; Politique des temps, Paris, Philippe Rey, 2019, pp. 8-9). Davantage encore, temps du brutalisme (Achille Mbembe, Brutalisme, Paris, La Decouverte, 2020).
Par-delà ses origines dans le mouvement architectural de la moitié du XXe siècle, nous définissions le brutalisme comme le procès contemporain “par lequel le pouvoir en tant que force géomorphique désormais se constitue, s’exprime, se reconfigure, agit et se reproduit”. Par quoi, sinon par “la fracturation et la fissuration”, par “le désemplissement des vaisseaux”, “le forage” et le “vidage des substances organiques” (11), bref, par ce que nous appelions “la déplétion” (pages 9-11) ?
Nous attirions l’attention, à juste titre, sur la dimension moléculaire, chimique, voire radioactive de ces processus: “La toxicité, c’est-à-dire la multiplication de substances chimiques et de déchets dangereux, n’est-elle pas une dimension structurelle du présent? Ces substances et déchets ne s’attaquent pas seulement à la nature et à l’environnement (l’air, les sols, les eaux, les chaînes alimentaires), mais aussi aux corps ainsi exposés au plomb, au phosphore, au mercure, au béryllium, aux fluides frigorigènes” (10).
Nous faisions, certes, référence aux “corps vivants exposés à l’épuisement physique et à toutes sortes de risques biologiques parfois invisibles”. Nous ne citions cependant pas nommément les virus (près de 600 000, portés par toutes sortes de mammifères), sauf de façon métaphorique, dans le chapitre consacré aux “corps-frontières”. Mais pour le reste, c’est bel et bien de la politique du vivant dans son ensemble dont il était, une fois de plus, question (Achille Mbembe, Necropolitics, Duke University Press, 2019). Et c’est d’elle dont le coronavirus est manifestement le nom.
En ces temps pourpres – à supposer que le trait distinctif de tout temps soit sa couleur – peut-être faudrait-il, par conséquent, commencer en s’inclinant devant tous ceux et toutes celles qui nous ont d’ores et déjà quittés. La barrière des alvéoles pulmonaires franchie, le virus a infiltré leur circulation sanguine. Il s’est ensuite attaqué à leurs organes et autres tissus, en commençant par les plus exposés.
Il s’en est suivi une inflammation systémique. Ceux d’entre eux qui, préalablement à l’attaque, avaient déjà des problèmes cardiovasculaires, neurologiques ou métaboliques, ou souffraient de pathologies liées à la pollution, ont subi les assauts les plus furieux. Le souffle coupé et privés de machines respiratoires, certains sont partis comme à la sauvette, soudainement, sans aucune possibilité de dire adieu. Leurs restes auront aussitôt été incinérés ou inhumés. Dans la solitude. Il fallait, nous dit-on, s’en débarrasser le plus vite possible.
Mais puisque nous y sommes, pourquoi ne pas ajouter, à ceux et celles-là, tous les autres, et ils se comptent par dizaines de millions, victimes du SIDA, du choléra, du paludisme, d’Ebola, du Nipah, de la fièvre de Lasse, de la fièvre jaune, du Zika, du chikungunya, de cancers de toutes sortes, des épizooties et autres pandémies animales comme la peste porcine ou la fièvre catarrhale ovine, de toutes les épidémies imaginables et inimaginables qui ravagent depuis des siècles des peuples sans nom dans des contrées lointaines, sans compter les substances explosives et autres guerres de prédation et d’occupation qui mutilent et déciment par dizaines de milliers et jettent sur les routes de l’exode des centaines de milliers d’autres, l’humanite en errance.
Comment oublier, par ailleurs, la déforestation intensive, les mégafeux et la destruction des écosystèmes, l’action néfaste des entreprises polluantes et destructrices de la biodiversité, et de nos jours, puisque le confinement fait désormais partie de notre condition, les multitudes qui peuplent les prisons du monde, et ces autres dont la vie est brisée en miettes face aux murs et autres techniques de frontiérisation, qu’il s’agisse des innombrables check points qui parsèment maints territoires, ou des mers, des océans, des déserts et de tout le reste ?
Hier et avant-hier, il n’était en effet question que d’accélération, de tentaculaires réseaux de connection enserrant l’ensemble du globe, de l’inexorable mécanique de la vitesse et de la dématérialisation. C’est dans le computationnel qu’était supposé résider aussi bien le devenir des ensembles humains et de la production matérielle que celui du vivant. Logique ubiquitaire, circulation à haute vitesse et mémoire de masse aidant, il suffisait maintenant de “transférer sur un double numérique l’ensemble des compétences du vivant” et le tour était joué (Cf. Alexandre Friederich, H+. Vers une civilisation 0.0, Paris, Editions Allia, 2020, p. 50). Stade suprême de notre brève histoire sur Terre, l’humain pouvait enfin être transformé en un dispositif plastique. La voie était balisée pour l’accomplissement du vieux projet d’extension infini du marché.
Au milieu de l’ivresse générale, c’est cette course dionysiaque, décrite par ailleurs dans Brutalisme, que le virus vient freiner, sans toutefois l’interrompre définitivement, alors même que tout reste en place. L’heure, néanmoins, est désormais à la suffocation et à la putréfaction, à l’entassement et à l’incinération des cadavres, en un mot, à la résurrection des corps vêtus, à l’occasion, de leur plus beau masque funéraire et viral. Pour les humains, la Terre serait-elle donc en passe de se transformer en une roue bruissante, l’universelle Nécropole? Jusqu’où ira la propagation des bactéries des animaux sauvages vers les humains si, de fait, tous les vingt ans, près de 100 millions d’hectares de forêts tropicales (les poumons de la terre) doivent être coupés ?
Depuis le début de la révolution industrielle en Occident, ce sont près de 85% des zones humides qui ont été asséchées. La destruction des habitats se poursuivant sans relâche, des populations humaines en état de santé précaire sont presque chaque jour exposées à de nouveaux agents pathogènes. Avant la colonisation, les animaux sauvages, principaux réservoirs de pathogènes, étaient cantonnés dans des milieux dans lesquels ne vivaient que des populations isolées. C’était par exemple le cas dans les derniers pays forestiers au monde, ceux du Bassin du Congo.
De nos jours, les communautés qui vivaient et dépendaient des ressources naturelles dans ces territoires ont été expropriées. Mises à la porte à la faveur du bradage des terres par des régimes tyranniques et corrompus et de l’octroi de vastes concessions domaniales à des consortiums agro-alimentaires, elles ne parviennent plus à maintenir les formes d’autonomie alimentaire et énergétique qui leur ont permis, pendant des siècles, de vivre en équilibre avec la brousse.
Dans ces conditions, une chose est de se soucier de la mort d’autrui, au loin. Une autre est de prendre soudain conscience de sa propre putrescibilité, de devoir vivre dans le voisinage de sa propre mort, de la contempler en tant que réelle possibilité. Telle est, en partie, la terreur que suscite le confinement chez beaucoup, l’obligation de devoir enfin répondre de sa vie et de son nom.
Répondre ici et maintenant de notre vie sur cette Terre avec d’autres (les virus y compris) et de notre nom en commun, telle est bel et bien l’injonction que ce moment pathogène adresse à l’espèce humaine. Moment pathogène, mais aussi moment catabolique par excellence, celui de la décomposition des corps, du triage et de l’élimination de toutes sortes de déchets-d’hommes – la “grande séparation” et le grand confinement, en réponse à la propagation ahurissante du virus et en conséquence de la numérisation extensive du monde.
Mais l’on aura beau chercher à s’en délester, tout nous ramène finalement au corps. Nous aurons tenté de le greffer sur d’autres supports, d’en faire un corps-objet, un corps-machine, un corps digital, un corps ontophanique. Il nous revient sous la forme stupéfiante d’une énorme mâchoire, véhicule de contamination, vecteur de pollens, de spores et de moisissure.
De savoir que l’on n’est pas seul dans cette épreuve, ou que l’on risque d’être nombreux à déguerpir, ne procure que vain réconfort. Pourquoi sinon parce que nous n’aurons jamais appris à vivre avec le vivant, à nous soucier véritablement des dégâts causés par l’homme dans les poumons de la Terre et dans son organisme. Du coup, nous n’avons jamais appris à mourir. Avec l’avènement du Nouveau-Monde et, quelques siècles plus tard, l’apparition des “races industrialisées”, nous avons pour l’essentiel choisi, dans une sorte de vicariat ontologique, de déléguer notre mort à autrui et de faire de l’existence elle-même un grand repas sacrificiel.
Or bientôt, il ne sera plus possible de déléguer sa mort à autrui. Ce dernier ne mourra plus à notre place. Nous ne serons pas seulement condamnés à assumer, sans médiation, notre propre trépas. De possibilité d’adieu, il y en aura de moins en moins. L’heure de l’autophagie approche, et avec elle, la fin de la communauté puisqu’il n’y a guère de communauté digne de ce nom là où dire adieu, c’est-à-dire faire mémoire du vivant, n’est plus possible.
Car, la communauté ou plutôt l’en-commun ne repose pas uniquement sur la possibilité de dire aurevoir, c’est-à-dire de prendre chaque fois avec d’autres un rendez-vous unique et chaque fois à honorer de nouveau. L’en-commun repose aussi sur la possibilité du partage sans condition et chaque fois à reprendre de quelque chose d’absolument intrinsèque, c’est-à-dire d’incomptable, d’incalculable, et donc sans prix.
Le ciel, manifestement, ne cesse donc de s’assombrir. Prise dans l’étau de l’injustice et des inégalités, une bonne partie de l’humanité est menacée par le grand étouffement, et le sentiment selon lequel notre monde est en sursis ne cesse de se répandre.
Si, dans ces conditions, de jour d’après il doit y en avoir, ce ne pourra guère être aux dépens de quelques-uns, toujours les mêmes, comme dans l’Ancienne Economie. Ce devra nécessairement être pour tous les habitants de la Terre, sans distinction d’espèce, de race, de sexe, de citoyenneté, de religion ou autre marqueur de différenciation. En d’autres termes, ce ne pourra être qu’au prix d’une gigantesque rupture, le produit d’une imagination radicale.
Un simple replâtrage ne suffira en effet pas. Au milieu du cratère, il faudra littéralement tout réinventer, à commencer par le social. Car, lorsque travailler, s’approvisionner, s’informer, garder le contact, nourrir et conserver les liens, se parler et échanger, boire ensemble, célébrer le culte ou organiser des funérailles n’ont plus lieu que par écrans interposés, il est temps de se rendre compte que l’on est encerclé de toutes parts par des anneaux de feu. Dans une large mesure, le numérique est le nouveau trou creusé dans la terre par l’explosion. A la fois tranchée, boyaux et paysage lunaire, il est le bunker où l’homme et la femme isolées sont invités à se tapir.
Par le biais du numérique, croit-on, le corps de chair et d’os, le corps physique et mortel sera délesté de son poids et de son inertie. Au terme de cette transfiguration, il pourra enfin entreprendre la traversée du miroir, soustrait à la corruption biologique et restitué à l’univers synthétique des flux. Illusion, car de même qu’il n’y aura guère d’humanité sans corps, de même l’humanité ne connaîtra la liberté seule, hors la société ou aux dépens de la biosphère.
Il faut donc repartir d’ailleurs si, pour les besoins de notre propre survie, il est impératif de redonner à tout le vivant (la biosphère y compris) l’espace et
l’énergie dont il a besoin. Sur son versant nocturne, la modernité aura de bout en bout été une interminable guerre menée contre le vivant. Elle est loin d’être terminée. L’assujettissement au numérique constitue l’une des modalités de cette guerre. Elle conduit tout droit à l’appauvrissement en monde et à la dessiccation de pans entiers de la planète.
Il est à craindre qu’au lendemain de cette calamité, loin de sanctuariser toutes les espèces du vivant, le monde ne rentre malheureusement dans une nouvelle période de tension et de brutalité. Sur le plan géopolitique, la logique de la force et de la puissance continuera de prévaloir. En l’absence d’infrastructure commune, une féroce partition du globe s’accentuera et les lignes de segmentation s’intensifieront. Beaucoup d’Etats chercheront à renforcer leurs frontières dans l’espoir de se protéger de l’extériorité. Ils peineront également à refouler leur violence constitutive qu’ils déchargeront comme d’habitude sur les plus vulnérables en leur sein. La vie derrière les écrans et dans des enclaves protégées par des firmes privées de sécurité deviendra la norme.
En Afrique, en particulier, et dans bien des régions du Sud du monde, extraction énergivore, épandage agricole et prédation sur fonds de bradage des terres et de destruction des forêts continueront de plus belle. L’alimentation et le refroidissement des puces et des supercalculateurs en dépend. L’approvisionnement et l’acheminement des ressources et de l’énergie nécessaires à l’infrastructure de la computation planétaire se feront au prix d’une plus grande restriction de la mobilité humaine. Garder le monde a distance deviendra la norme, histoire d’expulser à l’extérieur les risques de toutes sortes. Mais parce qu’elle ne s’attaque pas à notre précarité écologique. cette vision catabolique du monde inspirée par les théories de l’immunisation et de la contagion ne permettra guère de sortir de l’impasse planétaire dans laquelle nous nous trouvons.
Des guerres menées contre le vivant, l’on peut dire que leur propriété première aura été de couper le souffle. En tant qu’entrave majeure à la respiration et à la réanimation des corps et des tissus humains, le Covid-19 s’inscrit dans la même trajectoire. En effet, à quoi tient la respiration sinon en l’absorption d’oxygène et en le rejet du gaz carbonique, ou encore en un échange dynamique entre le sang et les tissus? Mais au rythme où va la vie sur Terre, et au vu de ce qui reste de la richesse de la planète, sommes-nous si éloignés que cela du temps où il y aura davantage de gaz carbonique à inhaler que d’oxygène à aspirer ?
Avant ce virus, l’humanité était d’ores et déjà menacée de suffocation. Si guerre il doit y avoir, ce doit par conséquent être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui condamne la plus grande partie de l’humanité à l’arrêt prématuré de la respiration, tout ce qui s’attaque fondamentalement aux voies respiratoires, tout ce qui sur la longue durée du capitalisme aura confiné des segments entiers de populations et des races entières à une respiration difficile, haletante, à une vie pesante. Mais pour s’en sortir, encore faut-il faut comprendre la respiration au-delà des aspects purement biologiques, comme cela qui nous est commun et qui, par définition, échappe à tout calcul. L’on parle, ce faisant, d’un droit universel de respiration.
En tant que cela qui est à la fois hors-sol et notre sol commun, le droit universel à la respiration n’est pas quantifiable. Il ne saurait être appropriable. Il est un droit au regard de l’universalité non seulement de chaque membre de l’espèce humaine, mais du vivant dans son ensemble. Il faut donc le comprendre comme un droit fondamental à l’existence. En tant que tel, il ne pourrait faire l’objet de confiscation et échappe de ce fait à toute souveraineté puisqu’il récapitule le principe souverain en soi. Il est par ailleurs un droit orginaire d’habitation de la Terre, un droit propre à la communauté universelle des habitants de la Terre, humains et autres (Sarah Vanuxem, La propriété de la Terre, Paris, Wildproject, 2018; et Marin Schaffner, Un sol commun. Lutter, habiter, penser, Paris, Wildproject, 2019).
Coda
Le procès aura été mille fois intenté. On peut réciter les yeux fermés les principaux chefs d’accusation. Qu’il s’agisse de la destruction de la biosphère, de l’arraisonnement des esprits par la technoscience, du délitement des résistances, des attaques répétées contre la raison, de la crétinisation des esprits, de la montée des déterminismes (génétique, neuronal, biologique, environnemental), les dangers pour l’humanité sont de plus en plus existentiels.
De tous ces dangers, le plus grand est que toute forme de vie sera rendue impossible. Entre ceux qui rêvent de télécharger notre conscience sur des machines et ceux qui sont persuadés que la prochaine mutation de l’espèce réside en notre affranchissement de notre gangue biologique, l’écart est insignifiant. La tentation eugéniste n’a pas disparu. Au contraire, elle est au fondement des progrès récents des sciences et de la technologie.
Sur ces entrefaites survient ce brusque coup d’arrêt, non pas de l’histoire, mais de quelque chose qu’il est encore difficile de saisir. Parce que forcée, cette interruption n’est pas le fait de notre volonté. A plusieurs égards, elle est a la fois imprévue et imprévisible. Or, c’est d’une interruption volontaire, consciente et pleinement consentie dont nous avons besoin, faute de quoi il n’y aura guère d’après. Il n’y aura qu’une suite ininterrompue d’événements imprévus.
Si, de fait, le covid-19 est l’expression spectaculaire de l’impasse planétaire dans laquelle l’humanité se trouve, alors il ne s’agit, ni plus ni moins, de recomposer une Terre habitable parce qu’elle offrira à tous la possibilité d’une vie respirable. Il s’agit donc de se ressaisir des ressorts de notre monde, dans le but de forger de nouvelles terres. L’humanité et la biosphère ont partie liée. L’une n’a aucun avenir sans l’autre. Serons-nous capables de redécouvrir notre appartenance à la même espèce et notre insécable lien avec l’ensemble du vivant ? Telle est peut-être la question, la toute dernière, avant que ne se ferme une bonne fois pour toute, la porte.
VIDEO
LE RÊVE AMÉRICAIN AU BOUT DES DOIGTS
Dans ce documentaire intitulé "Tresser le rêve", la Voix de l'Amérique vous transporte dans l'univers des professionnels de la tresse qui réalisent leur rêve américain grâce à leurs talents uniques
Lorsque Ben Salian Kouyaté est arrivé aux États-Unis en provenance du Mali, c'était pour lui l'occasion de réaliser sa passion de longue date: le tressage des cheveux. Vingt ans plus tard, M. Kouyaté est l'heureux propriétaire d'un salon unique en son genre à Détroit (Michigan), où les clientes attendent pendant des heures pour apprécier son talent de tresseur.
Dans le documentaire intitulé "Tresser le rêve", la Voix de l'Amérique vous transporte dans l'univers des professionnels de la tresse qui réalisent leur rêve américain grâce à leurs talents uniques.
C'est un reportage inédit d'Arzouma Kompaoré et de Mariam Traoré.
L'APPEL DU FNR
Le Front insiste sur la transparence dans la gestion des opérations de mise en oeuvre et de suivi de ces mesures annoncées présidentielles pour lutter contre le covid-19 - COMMUNIQUÉ DE PRESSE
SenePlus publie ci-dessous, le communiqué du Front Démocratique et Social de Résistance Nationale, daté du 5 avril 2020, relatif aux mesures annoncées par le chef de l'Etat pour la lutte contre le coronavirus.
"Le FRN salue les décisions prises par le Chef de l’Etat, le Président Macky Sall, dans la lutte contre le COVID- 19, annoncées le 3 avril 2020, en soutien aux populations, au système sanitaire, aux entreprises et aux travailleurs du secteur privé pour la sauvegarde des emplois.
Le FNR insiste toutefois sur la transparence dans la gestion des opérations de mise en oeuvre et de suivi de ces mesures. Pour ce faire, le FRN rappelle la nécessité de l’implication de toutes les forces vives dans la gestion de la crise actuelle dans l’intérêt exclusif des populations Sénégalaises.
Le FRN salue les compétences Sénégalaises et les initiatives populaires de toutes les composantes de la Nation.
Enfin le FRN en appelle encore aux populations pour l'observance stricte des pratiques sanitaires et sécuritaires édictées par les autorités habilitées."
LE TOUR DE L’ACTUALITÉ SUR LE CONTINENT
Des soldats tués au Mali, double attentats suicides au Cameroun - L'essentiel de l'actualité de ce lundi 06 avril
Sur le quai de pêche de Hann-Bel Air, le mareyeur Galaye Sarr s'en remet à Dieu pour que cesse la "malédiction" du coronavirus. Depuis que les avions sont cloués au sol, les poissons ne s'exportent plus, le privant de ses principaux revenus
Sur le quai de pêche de Hann-Bel Air, aux portes de Dakar, le mareyeur Galaye Sarr s'en remet à Dieu pour que cesse la "malédiction" du coronavirus. Depuis que les avions sont cloués au sol, les poissons ne s'exportent plus, le privant de ses principaux revenus. Galaye Sarr, 23 ans, travaille sur le quai des exportations depuis son enfance. Il achète les prises ramenées par les pêcheurs qui écument la côte atlantique à bord de pirogues multicolores, les trie et les vend à des usines, qui les conditionnent pour l'exportation par avion ou bateau, notamment vers l'Europe.
Depuis l'apparition du Covid-19 début mars au Sénégal, les autorités ont interdit les rassemblements et proscrit la circulation entre les villes. Surtout, la quasi suspension du trafic aérien prive toute la filière de la pêche d'un débouché essentiel.
Au Sénégal, la pêche occupe environ 17% de la population active, elle représente 22,5% des recettes d'exportation et plus de 70% des apports de protéines d'origine animale, indiquait fin 2014 l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)."Ce poisson est un merlot noir. D'habitude, il est exporté vers l'Italie. Mais à cause du coronavirus, tous les vols ont été annulés", explique Galaye Sarr en désignant du doigt des caisses frigorifiques entreposées dans une chambre froide. "Ca, ce sont les thiofs (mérous), là-bas les liches noires et les liches rouges, derrière, les rascasses".
Les portes de l'exportation fermées jusqu'à nouvel ordre, les vendeurs tentent de rediriger leurs stocks vers les marchés locaux, mais ceux-ci sont saturés et les prix ne font que baisser. Certains mois, Galaye Sarr arrivait à épargner jusqu'à 100.000 francs CFA (150 euros), dit-il, mais à présent, il gagne à peine 20.000 CFA (30 euros), à peine de quoi vivre.
En outre, il est quasiment impossible de respecter les distances de sécurité. "Au travail, on mange ensemble, on boit ensemble, on fait tout ensemble. J'ai vraiment peur. Peut-être qu'un jour Dieu va enlever cette malédiction". C'est toute la famille du jeune homme qui subit la crise. Ses proches, pêcheurs, restent à quai. "Même s'ils attrapent des poissons, on ne peut plus le vendre. Alors ils restent chez nous", soupire-t-il. "Mon commerce est familial. Mes enfants et cousins travaillent sur nos pirogues. Si on ne peut plus vendre, comment on va faire ?", s'inquiète Moussa Diop, qui possède deux pirogues.
LES INNOVATEURS AFRICAINS SE LANCENT DANS LA LUTTE CONTRE LE CORONAVIRUS
Arzouma Kompaoré s'entretient avec des innovateurs africains qui contribuent à la lutte contre le coronavirus.
L'AFRIQUE POURRAIT PERDRE 20 MILLIONS D'EMPLOIS A CAUSE DU CORONAVIRUS, SELON L' UNION AFRICAINE
Mais si l'Afrique a été pour l'instant moins touchée par le coronavirus que la Chine, le sud de l'Europe et les États-Unis, elle en subit déjà les conséquences économiques à cause de ses liens commerciaux avec ces régions.
La pandémie de nouveau coronavirus pourrait avoir des conséquences catastrophiques en Afrique, comme par exemple la perte de 20 millions d'emplois ou la hausse de l'endettement, anticipe une étude de l'Union africaine publiée lundi.
"Près de 20 millions d'emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, sont menacés de destruction sur le continent si la situation persiste", prévient cette étude, qui estime que les pays dont l'économie repose largement sur le tourisme ou la production pétrolière sont les plus à risque.
Ce document de 35 pages avance deux scénarios, un qualifié de "réaliste" qui prévoit que la pandémie dure jusqu'en juillet et que l'Afrique "n'est pas trop affectée", et un "pessimiste" durant jusqu'à août et dans lequel le continent souffre plus.
Dans les deux scénarios, la croissance économique en Afrique serait négative, de -0,8% et de -1,1% respectivement. Avant que la pandémie ne touche le continent, la Banque africaine de développement (BAD) tablait sur une croissance de +3,4% pour 2020.
Lundi, 9.198 cas de coronavirus et 414 morts avaient été officiellement recensés dans 51 pays africains, selon le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC).
Mais si l'Afrique a été pour l'instant moins touchée par le coronavirus que la Chine, le sud de l'Europe et les États-Unis, elle en subit déjà les conséquences économiques à cause de ses liens commerciaux avec ces régions.
Le continent africain pourrait voir ses importations et exportations baisser de 35%, soit d'environ 270 milliards de dollars (259 milliards d'euros).
Le président Issoufou Mahamadou mardi lors de son passage télévisé, à Niamey, le 18 mars 2020. (Présidence Niger)
Avec la progression du virus, la baisse des cours du pétrole devrait profondément toucher des pays comme le Nigeria ou l'Angola, et les restrictions pesant sur le transport aérien pourraient coûter au secteur du tourisme "au moins 50 milliards de dollars" et "au moins 2 millions d'emplois directs et indirects", selon l'étude.
Avec la baisse des revenus, les gouvernements africains "n'auront d'autre option que de se tourner vers les marchés internationaux", ce qui pourrait faire s'envoler l'endettement, estime-t-elle.
Certains dirigeants africains ont déjà anticipé cette difficulté. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a demandé en mars au G20 d'alléger la dette des économies les plus vulnérables et de préparer un plan d'aide financière d'urgence d'une valeur de 150 milliards de dollars.
L'étude suggère que la Commission de l'Union africaine "devrait mener les négociations en faveur d'un plan ambitieux d'annulation de la dette extérieure totale de l'Afrique", estimée à 236 milliards de dollars.
LA NIGERIANE FUNKE AKINDELE ARRÊTÉE POUR "ENJAILLEMENT" EN PLEIN CONFINEMENT
Pendant la période de propagation du coronavirus, les célébrités contribuent à la sensibilisation aux gestes barrières. Ou pas. La star nigériane a été interpellée pour excès de festivité…
Jeune Afrique |
Damien Glez |
Publication 06/04/2020
Le rôle-titre de la série nigériane Jenifa’s Diary (« Le journal de Jenifa») est une villageoise naïve confrontée à la jungle urbaine de Lagos. Son interprète a peut-être fait preuve d’une naïveté moins fictionnelle dans sa confrontation avec les réseaux sociaux, en ces temps de Covid-19.
Pour avoir organisé une fête samedi, dans son manoir de Lagos, alors que l’État est supposé être en confinement, Funke Akindele a été arrêtée et conduite au département d’enquête criminelle de l’État, dans la banlieue de Yaba.
Ceux qui dérogent au nouveau règlement local sur les maladies infectieuses, en matière de regroupements, encourent un mois de prison et une amende de 100 000 nairas (plus de 150 000 francs CFA).
Funke Akindele, elle, n’a pas hésité à organiser cette fête qui ne pouvait que fuiter sur des réseaux sociaux avides de bling-bling…
L’actrice avait-elle oublié le tempérament de fer du président Muhammadu Buhari pour qui la lutte contre le virus est « une question de vie ou de mort » ? N’avait-elle pas entendu parler des récentes interventions policières dans des mosquées ou des maisons closes ?
D’autres stars recherchées
Le responsable des relations publiques de l’État de Lagos, Bala Elkana, affirme rechercher les autres participants à la soirée polémique. Sur les vidéos de la fête, les fans ont notamment reconnu le chanteur Azeez Fashola, alias Naira Marley. Quant au mari de l’hôte, le chanteur JJC Skillz dont c’était l’anniversaire, il est l’auteur de la vidéo incriminée.
Tout en présentant ses excuses, face au tollé populaire suscité par son « enjaillement » jugé irresponsable, Funke Akindele a tenté de se dédouaner en affirmant que la plupart des convives n’avaient pas violé l’interdiction de circuler dans l’espace public, puisqu’ils vivaient, depuis deux semaines, en réclusion sanitaire dans la propriété.
En ce qui concerne le nombre de personnes autorisées à se rassembler, les images sont étudiées pour établir si la fête a dépassé le quota permis. Mais les réseaux sociaux, eux, ne tiennent pas des comptes d’apothicaire.
Et si les appels à arrêter la comédienne ont largement circulé sur ces mêmes réseaux sociaux, c’est que celle-ci est accusée d’incarner un double langage : ambassadrice du Centre nigérian pour le contrôle des maladies, Funke Akindele est notamment apparue dans des spots télévisuels appelant les Nigérians à observer, contre le Covid-19, les règles d’hygiène et de distanciation sociale. La joie festive des stars console… quand elle n’agace pas.
par Florian Bobin
LE MYTHE SENGHOR À L’ÉPREUVE DU SOUVENIR DE L’INDÉPENDANCE
Rappeler qu’il fut et poète et président n’est, en soi, que factuel. Mais associer les deux et refuser de reconnaître l’autoritarisme dont il fit preuve, sous prétexte qu’il fut poète, relève d’un négationnisme historique dangereux
Le 4 avril 2020, Radio France Internationale a publié le portrait de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal (1960-1980), dressé par le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa. À l’occasion des soixante ans de l’indépendance du pays, le message est clair : « Senghor a dirigé son pays en professeur, avec méthode et esprit d’organisation. Pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie ». En somme, Mboussa nous explique que son action politique s’est nourrie de son œuvre poétique car, « poète-président, Senghor ne fut pas l’un sans l’autre ».
Ce récit officiel, devenu monnaie courante depuis plus d’un demi-siècle, est périlleux car il fait l’éloge, en filigrane, de « celui dont la plume importa davantage que l’épée ». Quand bien même le Sénégal n’a pas connu les mêmes crises politiques que ses voisins, la mythification de « l’humanisme républicain » du « poète-président » Léopold Sédar Senghor a brouillé notre appréciation de son action politique. Sous l’Union progressiste sénégalaise (UPS), le parti unique qu’il dirigea, son régime déploya des méthodes brutales de répression ; intimidant, arrêtant, emprisonnant, torturant et tuant ses dissidents. Rappeler qu’il fut et poète et président n’est, en soi, que factuel. Mais associer les deux et refuser de reconnaître l’autoritarisme dont il fit preuve, sous prétexte qu’il fut poète, relève d’un négationnisme historique dangereux. Le pire des défauts est de les ignorer.
Né à Joal en 1906, Léopold Sédar Senghor quitte le Sénégal à l’âge de 22 ans. Arrivé en France en 1928, il y fréquente les cercles littéraires d’intellectuels noirs. Dans les colonnes de L’Étudiant Noir, aux côtés d’écrivains comme Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, il décrit sa volonté de porter « un mouvement culturel qui a l’homme noir en but, la raison occidentale et l’âme nègre comme instruments de recherche ; car il y faut raison et intuition » [1]. Alors que se développe le courant de la négritude, Senghor poursuit ses études et obtient l’agrégation de grammaire en 1935, devenant ainsi professeur de lettres classiques. D’après son ancien collaborateur Roland Colin, la négritude pour Senghor est davantage un idéal qu’une réalité : heurté à une confiscation identitaire dès le plus jeune âge, à l’école des « pères blancs », il cherchera à la conquérir tout au long de sa vie. « Depuis l’âge de sept ans jusqu’à la fin de sa vie, Senghor a été un homme aux prises avec ses contradictions, avec des sensibilités intimes qui le portaient vers des projets qu’il n’avait pas les moyens d’installer dans sa vie personnelle, à la hauteur de ses aspirations », analyse Colin [2].
Au sortir de la Second Guerre mondiale, Senghor intègre la commission Monnerville, chargée d’assurer la nouvelle représentation des territoires sous occupation coloniale à la future Assemblée constituante française. L’année suivante, il rejoint les rangs de la Section française de l’internationale ouvrière et siège, aux côtés de Lamine Guèye, en tant que député du Sénégal et de la Mauritanie. Dans la foulée, Senghor participe à la création du Bloc démocratique sénégalais, ancêtre de l’UPS, avec Mamadou Dia et Ibrahima Seydou N’daw.
Aimé Césaire disait de Senghor qu’il « savait qu’un jour les Français partiraient ; seulement il prenait son temps. Au fond, il les aimait » [3]. Lorsque, dans son poème « Tyaroye », écrit au lendemain de la tuerie de centaines de tirailleurs au camp militaire de Thiaroye le 1er décembre 1944, Senghor déplore une France « oublieuse de sa mission d’hier », il ne se positionne pas en dehors du cadre colonial. Pour Lilyan Kesteloot, professeur des littératures africaines et critique littéraire, il « avoue [ici] que [la France] représente encore pour lui un idéal de justice, d’honneur, de fidélité à l’engagement pris » [4]. Sa légère défiance ne remet donc pas en cause un solide sentiment républicain qui le voit passionnément chanter, dans Hosties Noires (1948), la bravoure de Charles de Gaulle et Felix Éboué, deux figures de la résistance française à l’occupation allemande.
Naturellement, Senghor est tiraillé quand de Gaulle revient au pouvoir en 1958. Ce dernier promeut alors ardemment le projet de « Communauté française », prévoyant une relative autonomie des colonies en Afrique tout en les maintenant sous tutelle française. De nombreuses plateformes politiques africaines aspirent à trouver une position commune autour du référendum prévu pour septembre 1958 et décident de se regrouper à Cotonou dans un congrès tenu en juillet. L’UPS y envoie une délégation et décide, à son tour, de rallier la position du « non ». Mais à l’approche du vote, Senghor émet ses réserves, ne voulant pas déroger « à une promesse non avouée qu’il avait faite au gouvernement français – à Pompidou et à Debré en fait – de rester dans la Communauté ». Une séparation brutale avec la France n’est pas une option pour lui. « Oui, l’indépendance, personne ne peut y renoncer, mais prenons le temps », argumente-t-il. « Combien de temps ? », lui demande son camarade Dia, en apprenant ce soudain revirement de position. « Vingt ans ! », Senghor lui rétorque-t-il, avant que les deux ne tombent d’accord sur une échéance de quatre ans [5].
Les accords de transfert de compétences de la France à la Fédération du Mali sont finalement signés le 4 avril 1960, mis en application le 20 juin. En à peine deux mois, des tensions internes font cependant éclater l’ensemble fédéral. Au Sénégal, un régime parlementaire à deux têtes, dans lequel Senghor dispose du prestige de la fonction de président de la République, est instauré. Dia, pour sa part, est chargé d’appliquer les politiques intérieures en tant que président du Conseil des ministres et détient le véritable pouvoir décisionnel. Rapidement, les deux camps se polarisent.
En poussant pour la décentralisation de la fonction publique et le renforcement des collectivités paysannes, la politique de Dia met à mal les intérêts de la France. Une faction au sein de l’UPS prépare alors une motion de censure à l’encontre de son gouvernement. Le président du Conseil s’y oppose, au nom de la primauté effective du parti. Accusé de mener un coup d’État, il est arrêté dans la foulée, incarcéré jusqu’en 1974 aux côtés des ministres Valdiodio N’diaye, Ibrahima Sarr, Alioune Tall et Joseph Mbaye [6]. Tout juste deux semaines après les événements, Senghor estime que « dans un pays sous-développé, le mieux est d’avoir, sinon un parti unique, du moins un parti unifié, un parti dominant, où les contradictions de la réalité se confrontent entre elles au sein du parti dominant, étant entendu que c’est le parti qui tranche ». En refusant une motion de censure déposée par des membres du parti, sans que celle-ci soit discutée en interne au préalable, c’est précisément ce que Dia fait. Mais il n’a plus le soutien de Senghor qui, l’année suivante, renforce le poids du pouvoir exécutif en supprimant le poste de président du Conseil.
Dans le contexte international des mobilisations anti-capitalistes et anti-impérialistes de 1968, l’université de Dakar concentre les frustrations. Les tracts qui y circulent accusent Senghor d’être un « valet de l’impérialisme français » et de nombreux étudiants estiment que le pays n’est rien de plus qu’une « néo-colonie ». Le maintien de l’ordre confié à l’armée, les descentes sur le campus provoquent au moins un mort et des centaines de blessés. Étudiants et syndicalistes sont alors déportés et internés dans les camps militaires d’Archinard et Dodji. Non seulement Senghor fait-il appel aux troupes françaises stationnées à Dakar afin de protéger l’aérodrome de Yoff et la centrale électrique de Bel-Air [7], mais il tient également une correspondance régulière avec l’ambassadeur de France au Sénégal à propos de l’évolution de la situation [8]. Au plus fort de la crise, le président propose même au général Jean-Alfred Diallo de prendre le pouvoir s’il le souhaite [9].
Senghor accueille le président français Georges Pompidou au Sénégal pour la première fois en février 1971. À son arrivée, il déclare : « Le peuple sénégalais se sent particulièrement honoré de recevoir le président de la République française […]. Car l’amitié franco-sénégalaise remonte à près de trois siècles. […] Enfin, je suis heureux d’accueillir dans mon pays un vieux camarade de lycée et un ami ». Emblématique de l’ambiguïté des rapports post-coloniaux, cette visite d’État est contestée pendant des semaines par un groupe de jeunes militants. En guise de protestation, ils incendient le Centre culturel français de Dakar, symbole de la culture française au Sénégal. Au moment de la visite, leur tentative d’attentat sur le cortège officiel est déjouée de peu. Ses commanditaires écopent de lourdes peines d’emprisonnement.
Parmi les condamnés figurent deux frères d’Omar Blondin Diop, jeune militant et artiste devenu une figure emblématique du militantisme politique révolutionnaire au Sénégal. Emprisonné en mars 1972 sur l’île de Gorée, il est retrouvé mort dans sa cellule le 11 mai 1973. Les autorités défendent rapidement la thèse du suicide mais de nombreux témoignages, dont celui du juge d’instruction chargée de l’affaire, font état d’un crime maquillé. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui entretient avec vigueur le mythe des « conditions humaines de détention » des prisonniers politiques, est le sulfureux Jean Collin, neveu par alliance du président [10]. Le poème de Senghor « Il est cinq heures », paru dans le recueil Lettres d'hivernage (1973), semble faire part du drame : « Il y a Gorée, où saigne mon cœur mes cœurs / […] le fort d’Estrées / Couleur de sang caillé d’angoisse ».
Aux côtés d’autres camarades, Blondin Diop avait participé à la fondation du Mouvement des jeunes marxistes-léninistes, regroupement qui donnera naissance au front anti-impérialiste And Jëf. Frappé par plusieurs vagues d’arrestations massives en 1975, ses militants sont sévèrement torturés dans les geôles du régime de Senghor : mégots de cigarette sur la peau, pendaison par les pieds, chocs électriques dans les parties génitales.
Senghor annonce sa démission de la présidence du Sénégal le 31 décembre 1980. Après la réinstauration en 1970 du poste de Premier ministre, anciennement président du conseil, il modifie la Constitution en 1976 afin d’assurer que son dauphin Abdou Diouf puisse prendre l’intérim. Dès 1977, il lui expose son plan : « Je t’ai dit que je voulais faire de toi mon successeur et c’est pourquoi il y a cet article 35. Je vais me présenter au suffrage des électeurs en février 1978 et, si je suis élu, je compte partir […]. À ce moment, tu continueras, tu t’affirmeras et tu te feras élire après ». Senghor se retire ainsi du Sénégal pour s’installer en France, où il y conceptualise sa normandité.
Le temps où Léopold Sédar Senghor chante, dans « Prière de Paix » (1948), le peuple « qui fait front à la meute boulimique des puissants et des tortionnaires » semble lointain. Lui-même est décrié, au cours de sa présidence, comme incarnation de ces puissants, à la source de la gestion néo-coloniale du pays. Bien que déclarant en 1963 que « l’opposition est une nécessité, […] la dialectique de la vie, de l’Histoire », sa légalisation n’intervient au Sénégal qu’à partir de 1981, après un multipartisme limité initié en 1976. Jusque-là, certains partis politiques (comme le Parti africain de l’indépendance, le Bloc des masses sénégalaises ou le Parti du regroupement africain) existent pour un temps, mais sont rapidement dissous ou absorbés par le parti unique.
L’indépendance du Sénégal n’est ni une coïncidence de l’Histoire ni un généreux cadeau octroyé par la France. Elle est un idéal d’émancipation de la conquête du profit par les terres, les corps et les esprits d’ailleurs que le temps ne tarit pas, pour laquelle des générations successives se sont battues, de Lamine Arfang Senghor en 1927 devant la Ligue contre l’impérialisme à Valdiodio N’diaye en 1958 devant les fameux « porteurs de pancartes ». L’indépendance n’est pas une finalité, mais un préalable. Si, comme nous l’indique Boniface Mongo Mboussa, « rigueur et dignité » sont les valeurs qui caractérisent Léopold Sédar Senghor, nous nous devons de refuser la complaisance dans notre souvenir de sa présidence. Décisive dans l’édification de la nation sénégalaise, il nous est indispensable de continuer à nous pencher sur ses non-dits, la culture de répression politique qu’elle maintint et la porte ouverte qu’elle laissa à la permanence d’intérêts étrangers. Être poète permet à l’âme de s’exprimer, mais ce n’est pas la garantie d’une gestion poétique des affaires politiques.
Florian Bobin est étudiant en Histoire africaine. Ses recherches portent sur les luttes de libération en Afrique dans l’ère post-coloniale, notamment au Sénégal sous la présidence de Léopold Sédar Senghor.
[4] Lilyan Kesteloot. Comprendre les poèmes de Léopold Sédar Senghor (Issy les Moulineaux : Les Classiques africains, 1986), 40.
[5] Roland Colin. Op. cit., 117-118.
[6] Mansour Bouna Ndiaye. Panorama politique du Sénégal ou Les mémoires d’un enfant du siècle (Dakar : Les Nouvelles Éditions Africaines, 1986), 136-154.
[7] Omar Gueye. Mai 1968 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical (Paris : Éditions Karthala, 2017), 246.
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