Les implications de la pandémie de Covid-19 ne se limitent pas au plan sanitaire. Les Etats d’Afrique subsaharienne se préparent à entrer en récession économique cette année, la Banque mondiale prévoit en effet une croissance négative entre -2,1% et -5,1% pour la première fois depuis 25 ans dans cette zone.
Pour accompagner les plans de soutien économiques et sociaux décidés au niveau national dans la plupart des pays, l’Union africaine vient de nommer une équipe d’experts chargés de coordonner l’aide internationale. Et la discussion sur l’annulation de la dette extérieure publique est relancée.
Les grands créanciers occidentaux se sont mis d’accord sur un moratoire de la dette extérieure africaine.
Les détails de l’accord seront dévoilés sous peu, le FMI, la Banque mondiale vont bientôt tenir leurs réunions de printemps, le G20 doit se réunir pour en discuter. Mais le ministre français des Finances assure déjà que de nombreux Etats africains seront éligibles au dispositif.
Cette mesure s’ajoute au plan d’aide d’urgence présenté par le FMI pour soutenir l’agriculture, l’industrie et la consommation en milieu rural.
La Chine, premier bailleur du continent, semble elle aussi sur la voie d’un rééchelonnement de la dette. Pékin pourrait geler les remboursements pour laisser respirer les économies africaines, mais pas les annuler totalement.
Une demande venue des Etats africains
Afin d’endiguer du ralentissement économique lié au Covid-19, le président nigérien, Mouhamadou Issoufou, avait appelé de ses vœux un "plan Marshall pour l’Afrique".
Son homologue sénégalais Macky Sall réclamait la semaine dernière une annulation ou de la dette publique contractée à l’étranger.
Fin mars, les ministres africains des Finances avaient relancé la discussion.
Leur appel avait été appuyé par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) qui conseille une aide de 2500 milliards de dollars, dont la remise de 250 milliards de dette, pour amortir la crise du Covid-19 en Afrique.
L’idée a également été soutenue par les institutions de Bretton Woods fin mars et reprise par Emmanuel Macron dans son discours de lundi soir (13.04.20). Le président français y a évoqué la nécessité d’une "annulation massive" de la dette africaine par l’Europe.
Le Covid-19 de plein fouet
Les économies des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique (la Chine, l’Union européenne, les Etats-Unis notamment) sont déjà affectées par la crise du coronavirus.
Ceci entraîne une baisse de la demande en matières premières en provenance d’Afrique subsaharienne. Les cours du pétrole, du coton et de certains métaux ont déjà commencé à chuter.
Les mesures de confinement et les interdictions de voyager touchent également le secteur du tourisme. Et avec lui toute la chaîne de métiers qui y contribuent, jusqu’aux secteurs de la pêche, de la restauration, des transports ou du divertissement, par exemple.
Même si les prévisions de la Banque africaine de développement sont moins alarmistes et ne tablent « que » sur une récession de -0,7 à -2,8% pour les économies africaines, alors que
la croissance en 2019 avoisinait les 3%.
Les exportations vont baisser – tout comme les revenus de nombreux foyers – et le chômage risque d’augmenter fortement.
Des dizaines de millions d'emplois menacés
L’Union africaine chiffre à "près de 20 millions" le nombre d'emplois "menacés de destruction", à la fois dans les secteurs formel et informel. L’ONU craint même que ce nombre atteigne jusqu’à 50 millions.
Les personnes travaillant dans le secteur informel représentent jusqu’à 80% des travailleurs du continent, qui ne bénéficient d’aucun filet de sécurité en terme de protection sociale ou d’assurance chômage.
Enfin, la diaspora établie hors du continent sera elle aussi contrainte de revoir à la baisse ses transferts d’argent aux proches restés au pays.
Il rappelle toutefois que la dette extérieure des Etats ne représente qu’une partie de la dette totale. Il regrette ainsi que les Etats ne s’occupent pas davantage de rembourser leur dette intérieure "pourtant vitale pour les populations et les entrepreneurs" locaux.
Yves Ekoué Amaizo souligne par ailleurs qu’un rééchelonnement signifie simplement qu’on repousse les échéances de remboursement et ne constitue donc pas de soulagement sur le long terme puisque la dette persiste.
Par ailleurs, l’économiste réclame davantage de transparence : il note que ce qui est présenté comme un "cadeau" généreux de la part des pays riches ou des institutions financières internationales pour soutenir des pays en crise est presque toujours assorti de conditions qui sont tues au grand public. Parmi ses craintes : l’"annulation de la dette en échange des tests grandeur nature pour trouver des vaccins contre le Covid-19."
"Faire du pain ici pour le vendre au Brésil"
Selon lui, pour réduire durablement la dépendance des Etats africains à l’étranger, tout en protégeant l’environnement, la crise du Covid-19 doit être l’occasion notamment de valoriser l’économie de proximité et l’économie circulaire. Pour "réorganiser la production de richesses en Afrique" et illustre sa pensée avec un exemple concret :
"Il n’y a pas de sens à faire du pain pour aller le vendre au Brésil ou au Japon. Il doit en être de même pour la plupart des aliments et des biens dont nous avons besoin.Il s’agit donc de redonner la priorité pour produire, échanger, consommer et innover – si possible avec des incitations fiscales – dans un rayon de moins de 1000 km autour de soi."
Yves Ekoué Amaizo préconise aussi de penser l’économie comme devant servir non plus les Etats ou les dirigeants, mais bien, d’abord, les intérêts des populations.
La task force de l’UA axée sur l’argent
Alors Yves Ekoué Amaizo ne croit pas tellement à la "Covid-task force", ce groupe d’experts mis en place par l’Union africaine pour collecter des fonds afin de lutter contre le coronavirus.
"Les personnalités : Tidjane Thiam, ex-patron d’un ebanque suisse, Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre des Finances du Nigeria et ancienne DG de la Banque mondiale, Trevor Manuel, ex-grand ministre qui a beaucoup lutté contre la corruption en Afrique du Sud, et qui a aujourd’hui sa propre société financière, et Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de développement.
Le problème est qu’au lieu de chercher des solutions pour l’éradication du Covid.19, l’Union africaine semble se concentrer sur la recherche d’argent, la réduction des dettes. On dirait bien que cette institution, l’UA, a un problème de crédibilité car elle est financée à plus de 83% par des fonds non-africains. Et cela pose un problème. On aurait aimé avoir parmi ces personnalités quand même des médecins africains de renom – et il y en a. »
Lettre ouverte de 90 intellectuels
Faire un bilan de la gestion des fonds publics en Afrique et plus globalement du système économique, c’est ce que réclament aussi 90 intellectuels signataires d’une lettre ouverte aux chefs d’Etat africains.
Parmi ceux qui ont récolté ces signatures se trouve l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, révolté par les inégalités mises en lumière par la crise actuelle.
"Pour prendre un exemple : une étude faite en 2017 au Sénégal montrait que 52% des ménages ruraux n’avaient accès ni au savon ni à l’eau potable. Ça montre que les gestes barrières (anti-coronavirus) sont impraticables pour beaucoup de nos populations."
Changer d'orientation
D’après Ndongo Samba Sylla, la crise liée au coronavirus montre qu’"il faut changer d’orientation de développement" de la façon suivante :
"Il faut aller davantage vers la souveraineté alimentaire et la souveraineté économique et monétaire. Cela requiert beaucoup plus de concertation entre pays africains, pour aller vers une dynamique d’intégration qui ne repose pas intégralement sur les marchés mais sur l’union politique, sur l’intégration politique africaine, comme l’avaient pensée nos pères fondateurs, des gens comme Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop etc. C’est-à-dire aller vers l’unité africaine, dans l’autosuffisance, et exiger un nouvel ordre mondial où les peuples ont plus de marge de manœuvre et où les moyens de développement reposent sur une croissance partagée et équitable pour tous."
par Felwine Sarr
TEMPS ÉTRANGES
Ce virus révèle les failles et fragilités de la société-monde, son caractère profondément inégalitaire, ses défauts de solidarité - Depuis que le mantra de jouir sans entraves est le mieux partagé au monde, que faire ?
Temps étranges où la vie est réduite à ses fonctions essentielles ; biologiques, végétatives. En ces temps de pandémie, elle se résume à se maintenir en bonne santé. Et pour cela, éviter l’autre qui est un potentiel porteur de cette maladie, infectieuse, sournoise et invisible.
Etrange temps où l’on se rend aussi comte que vivre est au-delà de se maintenir en vie, c’est aussi vivre avec, c’est être relié aux autres.
Dakar est une ville où la proxémie est forte. C’est une notion qui varie selon les cultures. Certaines se touchent, se tâtent, s’embrassent, s’agglomèrent, s’agglutinent. D’autres mettent une plus grande distance entre les corps, se saluent de la tête, les deux moins jointes, les corps inclinés. Ici, pour se saluer on se touche. On se serre la main. Des fois on la pose sur le front et le cœur de l’autre. Vivre, c’est être ensemble. On se regroupe à plusieurs dans des pièces exiguës, sur des bancs publics, à l’entrée des maisons autour du thé, dans des gargotes, dans les transports en commun. Dans les baptêmes, les mariages, on fait grappe. La société fait littéralement corps.
La ville est fantomatique. La peur a gagné les esprits. D’abord ceux des citadins, bien informés, connectés 24h sur 24h sur des tubes cathodiques qui diffusent ad nauseam les mêmes informations. Le nombre de cas qui augmente. La mort qui rode et fauche. Les difficultés des systèmes de santé. La peur. Toujours la peur.
Couvre-feu. Interdiction de sortie entre 20h et 6h du matin. Le premier soir la police a bastonné les retardataires. Des jeunes qui ont trainé, des taximen, des pères de familles sur le pas de leur porte. Des aides-soignants rentrant chez eux mais n’ayant pas trouvé de transport en commun. Cette culture de la violence étatique sous nos cieux, qui remonte à l’époque coloniale, que nos états postcoloniaux ont repris à leur compte. Le peuple, un bétail que l’on mate, à défaut de l’éduquer. Le président de ce pays a remis aux affaires un commissaire tristement célèbre qui s’était illustré par sa brutalité lors des contestations de 2012, contre les velléités de troisième mandat d’Abdoulaye Wade, qui ont fait une dizaine de morts. La crise est une aubaine pour les pouvoirs qui en profitent pour serrer la vis, amenuiser les libertés publiques et justifier le tournant autoritaire dont ils rêvent tous. En France, ils en profitent pour chasser les immigrés clandestins et les rapatrier, gagner du terrain dans les banlieues dites difficiles, y casser du marginal, du pauvre, du noir et de l’arabe. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina, soumettre le peuple à la trique et à la chicotte. Transformer un problème de santé publique en une problématique de maintien de l’ordre. S’attaquer aux plus vulnérables, au lieu de leur apporter soin et assistance.
L’Afrique, le continent le moins touché, parce que le moins connecté à la mobilité mondiale. Pour une fois, l’épidémie ne vient pas d’ici. Il n’empêche que l’OMS demande au continent de se réveiller et de se préparer au pire et Antonio Gutteres le Secrétaire Général de l’ONU déclare qu’il y aura des dizaines de millions de morts sur le Continent. Toujours la même antienne de mépris, de condescendance et de racisme, qui ne prend plus la peine d’observer la réalité. L’Afrique, c’est une réalité imaginaire dont la force des représentations qui lui sont accolées congédie sa réalité. Même si la plupart des pays Africains ont très tôt pris des mesures, dont certaines sont drastiques, contrairement à certains pays européens qui eux ont dormi. On nous anticipe le pire. C’est l’Afrique. Ce serait contre la logique des choses que nous nous en sortions pas trop mal. On oublie que le continent a malgré ses difficultés, une longue expérience de gestion des maladies infectieuses. Et certainement une plus grande résilience à tous types de chocs. Sa longue histoire est là pour en témoigner. Rendez-vous est pris au lendemain de la crise.
Ce virus nous oblige à faire monde, même négativement dans un premier temps. Il a transcendé les frontières géographiques, physiques, économiques, idéologiques, de classe. Il est le résultat de l’anthropocène, d’une dévastation de la biodiversité par un mode de production capitaliste écervelé et l’hubris du mode de vie d’un quart de la planète, les euraméricains auxquels s’ajoutent désormais les chinois. Tout le monde paye le prix de leur inconscience et de leur égoïsme. Ce virus révèle les failles et fragilités de la société-monde, son caractère profondément inégalitaire, ses défauts de solidarité. Il nous rappelle également notre communauté de destin. Nul n’échappera aux effets d’une crise écologique qui est déjà en cours.
Deux options, un repli, le retour et le renforcement des idéologies ethno-nationaliste ; ou la solidarité, une conscience écologique plus aiguë, une refondation de notre civilisation. Depuis l’arrêt imposé de la surproduction industrielle, les rivières et fleuves respirent mieux, les poissons reviennent, les grandes mégalopoles sont moins polluées, on respire mieux à Beijing. J’ai rarement respiré un air si pur sur la corniche de Dakar.
Mais il semblerait que l’art que nous pratiquons le mieux soit Lars oblivionis, l’art de l’oubli. Il est à craindre qu’une fois la crise passée, heureux de retrouver nos habitudes, notre vie sociale, après un temps de sidération que nous oublions le signal envoyé par le covid 19 et le sens de cette crise. Où faut-il chercher notre aveuglement au désastre ? Comment se fait-il qu’aucune alarme ne soit assez puissante pour nous empêcher d’aller gaiement vers le mur.
Le cerveau est depuis le pré-cambrien programmé pour assurer sa survie ; manger, se reproduire, stocker de l’information, accéder à un statut social, découvrir de nouveaux territoires. Au cœur du cerveau, le striatum assure cette tache en déchargeant de la dopamine pour récompenser et motiver les comportements qui assurent la survie. C’est ce que le neuroscientiste Sébastien Bohler appelle le bug du cerveau. Ce dernier est conçu pour toujours désirer consommer toujours plus. Ce principe qui a assuré notre survie jusqu’ici est celui qui aujourd’hui le menace. La surconsommation et la surexploitation de nos écosystèmes menace notre survie en temps qu’espèce.
Comment alors s’autolimiter lorsque la structure interne du cerveau et son fonctionnement conduisent à l’hubris. Les religions et les grands corsets communautaires ont tenté de modérer cette tendance, avec un succès limité. Mais depuis que le mantra de jouir sans entraves est le mieux partagé au monde, que faire ?
Renoncer au rêve sur-consumériste. Pour ceux du nord industrialisé entreprendre un travail de de-sintoxication consumériste. Pour ceux des sud, qui déjà vivent une austérité imposée, renoncer à l’imaginaire de la modernité industrielle occidentale et à ce modèle civilisationnel. En inventer un autre. Cette crise est opportunité pour cela.
La pandémie nous oblige à changer nos mauvaises habitudes sociales acquises : laxisme, raccourcis frauduleux, incivisme, esquive des règles établies et dédain de l’intérêt général
Commençons par un truisme : la maladie à coronavirus est inédite dans notre mémoire récente. Elle inflige à notre planète un nombre effroyable de décès, accélère notre rendez-vous permanent avec le deuil. Pendant longtemps, ce siècle, comme sans doute d’autres à venir, portera les stigmates de cette peste bubonique de notre ère. Est-ce consolation que de rappeler que le propre de l’humain est de pouvoir se relever toujours plus fort après chaque chute comme dans le sublime poème de Rudyard Kipling « Tu seras un homme mon fils », publié en 1910 ? Cette résilience confère assurément une certaine immortalité à notre espèce.
En Chine, pays auquel on attribue l’origine de la maladie à coronavirus, l’idéogramme désignant une crise signifie aussi opportunité. Cette apparente contradiction de sens est la marque d’une civilisation millénaire dont la dialectique est de regarder les portes ouvertes au lieu de s’attarder sur celles qui sont fermées. Elle traduit en meilleur ce qui ressemble au pire, minimisant, dans la même logique, ce qui apparaissait comme le plus grand malheur connu de notre humanité à l’ère des technologies qui ont propulsé très loin le savoir universel et orienté notre vie de tous les instants.
Dans le même esprit que la sagesse chinoise, peut-on dire, mutatis mutandis, que le Coronavirus peut être une chance ? En tant que crise donc en tant qu’opportunité ? Oui, en tant qu’élément de rupture dans l’ordre normal des choses, en somme nos habitudes de vie. Il nous enseigne de nombreuses leçons et nous oblige à nous interroger, cet exercice que les miracles de l’ère du numérique nous avait fait jeter aux orties.
La crise actuelle borne nos certitudes scientifiques et nos doutes métaphysiques nourris de religiosité. La première question est la scientificité de la science. La connaissance scientifique est-elle exactitude ou tâtonnement tantôt fructueux tantôt miraculeux de la méthode expérimentale chère à Claude Bernard sur les traces du chimiste Michel- Eugène Chevreul ? En d’autres termes, où s’achève la science si jamais elle a une fin ? Aux épistémologues de répondre.
Mais le doute et le défi sont la sève nourricière de la prodigieuse vitalité de la science. En ce sens, avec le COVID-19, la médecine a une première matière inattendue. Des milliers de scientifiques, cerveaux invisibles, confinés dans le silence des laboratoires et loin des plateaux de télévision, nous aident, par la prévention et les soins, à contenir les ravages de la pandémie. A contrario, cette crise montre fort heureusement que la fin des civilisations, tant brandie par certains prophètes de malheur, est un délire pour pessimistes. Elle montre aussi, espoir de nos savants et chercheurs, que la science reste un vaste champ à parcourir avec d'innombrables périmètres en jachère.
La crise du COVID-19 n’est pas que sanitaire. Elle a d’autres dimensions. Elle met en lumière les qualités d’anticipation et de vision attendues de nos dirigeants dont la gouvernance est plus que jamais scrutée et jaugée. Les gouvernés ont droit à la reddition des comptes, les plus nombreux espèrent la fin de leur infantilisation par des marchands d’illusions déguisés en opérateurs politiques.
Le Coronavirus impose un retour à la politike, l’art de (bien) gérer les affaires de la Cité. On n’a jamais entendu autant de discours des princes du jour témoignant de leur compassion, sous la pression de cette crise sanitaire dont les conséquences multiformes sont imprévisibles. Certains de ces princes se souviennent soudain que leur devoir constitutionnel est de nous porter assistance et de nous garantir sécurité et protection.
Que n’avons-nous pas fait suffisamment pour en arriver là ? Que devons-nous faire autrement pour sortir de là ?
Tout autant qu’à la médecine et qu’à la gouvernance, le COVID-19 est un défi posé à nous citoyens ordinaires. Il nous donne ou nous impose la chance de nous ajuster au réel en faisant le tri entre le nécessaire et l’utile, entre le superflu et le clinquant. Mieux, il nous oblige à changer nos mauvaises habitudes sociales acquises : laxisme, raccourcis frauduleux, incivisme, esquive des règles établies et dédain de l’intérêt général.
Nos mauvaises pratiques, fatalisme atavique, influencent négativement notre rapport aux recommandations et aux injonctions pour éviter la propagation du virus. Nous nous croyons exemptés de nous laver les mains, de porter le masque, de respecter l’hygiène, de cultiver la propreté du corps, du cœur et surtout de l’âme. Nous nous gaussons de la distanciation sociale. Nous nous remettons à la volonté divine ou cultivons une criminelle insouciance devant le danger que nous croyons destiné uniquement aux autres. Pourtant, nous voyons les ravages de la maladie qui ne distingue pas l’origine sociale, religieuse, régionale, continentale. Elle ne connaît ni genre ni race. Elle nous rappelle dans son odyssée de sang que nous naissons tous libres et égaux sur cette planète que nous avons en partage.
Autre chance de la crise née du coronavirus, nos retrouvailles avec des qualités longtemps remisées au magasin des accessoires, comme le disait Sartre. Il nous faut, hic et nunc, séparer la bonne graine de l’ivraie. Elle constituera sûrement un nouveau départ. Nous ne pourrons que voir, désormais, la vie autrement.
Au plan psychologique, la crise aura été une chance si elle arrive à nous aider à transformer les peurs en défis et surtout à nous débarrasser d’un complexe d’infériorité né d’une histoire de terreur et de fureur qui fait perdre à un peuple l’estime de soi en l’inhibant devant les épreuves et en le privant de l’audace qui fait réussir et de l’optimisme fondateur d’un nouveau monde. Débarrassons-nous immédiatement de cette tunique de Nessus dont on nous a vêtus pendant des siècles aussi bien au niveau de la pensée qu’au plan de l’action. Comme Césaire, disons, « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».
La crise du COVID-19 peut devenir une chance si nous la vivons comme la chiquenaude vers un élan post-traumatique pour nous remettre en cause. Ou une nouvelle occasion manquée si nous ne la comprenons que comme une tragique parenthèse, un simple accident de parcours de notre histoire pleine de fractures sombres que nous n’aurons pas su refermer.
A nous de choisir.
Hamadoun Touré est journaliste, ancien ministre, fonctionnaire International à la retraite
"L'ARGENT DU PRÉSIDENT" FAIT À NOUVEAU PARLER
Une rumeur persistante sur le don effectué par Macky en faveur de la Force Covid-19 agite l'opinion. Sans être démentie ni confirmée officiellement, l’information relance le débat sur la déclaration de patrimoine du chef de l'Etat qui n’est pas à jour
Sputnik France |
Momar Dieng |
Publication 14/04/2020
Au Sénégal, une rumeur persistante sur un don important effectué par le Président Sall en faveur d’un fonds contre le coronavirus fait couler beaucoup d’encre. Sans être démentie ni confirmée officiellement, l’information relance le débat sur la fameuse caisse noire du Président et sur sa déclaration de patrimoine personnel qui n’est pas à jour.
En l’absence de confirmation officielle, le don du Président sénégalais Macky Sall au fonds Force Covid-19 n’est qu’une rumeur. Pourtant, dans les milieux autorisés de Dakar, on la prend pour argent comptant. 50 millions de francs CFA, plus précisément, soit l’équivalent de 76.000 euros. Sa diffusion par le quotidien Libération, dont le propriétaire est un très proche du chef de l’État, lui donne une certaine crédibilité, affirme un journaliste à Sputnik.
La dépêche est reprise en masse, et dans les mêmes termes, par les principaux médias du pays. Mais la contribution annoncée du Président Macky Sall à la structure étatique mise en place pour venir en aide à un million de ménages impactés par la crise du coronavirus ne figure sur aucun document officiel. Et certainement pas sur la liste des donateurs établie par la Direction générale de la comptabilité publique et du Trésor. Ce département a fait publier, dans le quotidien gouvernemental Le Soleil du 10 avril, cette liste: sur les 372 noms de personnes physiques et morales consultés par Sputnik figure la mention de la présidence de la République –avec son don de 200 millions de francs CFA (environ 305.000 euros)–, mais pas celle du Président agissant «à titre personnel», selon les termes de l’article qui faisait bien le distinguo entre la Présidence et le chef de l'État.
Loin d’atténuer les spéculations, la question s’est donc posée de la provenance de la somme supposément allouée par Macky Sall. Le Président sénégalais voulait vraisemblablement faire bonne figure, d’autant que des voix l’invitaient à donner l’exemple en puisant dans ses fonds politiques....Toutefois, entre sa fortune personnelle et les fonds spéciaux (qui comprennent les fonds secrets et les fonds politiques) dont il dispose de façon discrétionnaire, le mystère plane… et passe mal en ces temps de crise nationale.
«À mon avis, nous sommes dans un contexte exceptionnel sous un régime de communion nationale et d’union sacrée de tous les Sénégalais pour soutenir la politique de l’État contre le coronavirus. Par conséquent, le Président fonctionne comme Président-citoyen. À cet égard, il doit jouer la transparence absolue. C’est pourquoi il serait utile à tous qu’il précise que les 50 millions de francs CFA annoncés proviennent de sa poche, de son action personnelle pour la solidarité nationale, et qu’ils sont totalement différents des fonds spéciaux. Cette précision est loin d’être un détail dans le cadre de la solidarité nationale», a réagi pour Sputnik Alioune Tine, président fondateur du think tank Africajom Center basé à Dakar.
Journaliste et ex-patron de presse devenu consultant dans l’audiovisuel en France, Vieux Aïdara n’y va pas par quatre chemins pour dire sa vérité : «Le Président Macky Sall doit être le premier à se plier à cet exercice pour donner le bon exemple. S’il ne le fait pas, c’est la porte ouverte à tout. Chaque année, l’État du Sénégal doit rendre publiques les exonérations fiscales afin que les Sénégalais sachent qui a donné et, en retour, à qui les milliards sont revenus, surtout en ces temps de crise du coronavirus.»
«Il faudrait bien évidemment de la transparence sur l’origine des fonds donnés et que cela ne serve surtout pas seulement à réclamer des exonérations fiscales pour ceux qui ont fait don de 1 milliard de francs CFA (environ 1,5 million euros)», estime-t-il.
Sputnik a tenté de contacter la présidence sénégalaise, sans succès. Cependant, un fonctionnaire du palais joint par téléphone affirme tout ignorer de la contribution présidentielle. La question est en effet délicate car elle repose le débat sur la fortune déclarée du Président Macky Sall. Officiellement, elle serait d’environ 1,3 milliard de francs CFA (environ 2 millions d’euros) et 35 véhicules lors de son entrée en fonction en avril 2012. Mais pour un grand nombre d’observateurs, la somme des biens déclarés au Conseil constitutionnel ne semble pas crédible et serait largement sous-évaluée. Certains l’estiment à environ 8 milliards de francs CFA (12 millions d’euros), sans apporter néanmoins de preuves à leur assertion.
Mamadou Abdoulaye Sow, inspecteur principal du Trésor à la retraite, ancien directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor, a déclaré dans une célèbre tribune publiée en septembre 2017 que «sur la période 2012-2017, c’est près de 104 milliards de francs CFA (158,5 millions d’euros) de crédits spéciaux qui ont été alloués au Président de la République et 3 milliards de francs CFA (environ 4,5 millions d’euros) de fonds de sécurité ouverts pour le Premier ministre. Ce budget spécial est supérieur au budget alloué au fonctionnement de plusieurs ministères».
«Les "fonds secrets et politiques" sont utilisés (suivant des procédures dérogatoires aux règles de la comptabilité publique) de manière discrétionnaire, en l’absence de tout contrôle de l’Assemblée nationale et le tout dans un vide juridique», précise-t-il.
Pour un de ses anciens collègues du ministère de l’Économie et des Finances qui a requis l’anonymat, il ne faut pas se faire d’illusion. «Les fonds spéciaux, Macky Sall et [l’ancien Président] Abdoulaye Wade en ont fait des fonds strictement personnels. Cela m’étonnerait que l’actuel Président de la République puise un seul franc de ses revenus à lui pour donner autant, aussi bien pour le Covid-19 que pour Baba Maal! On est quand même en droit de lui demander d’où sortent ces 50 millions de francs CFA!»
L’allusion à Baba Maal, une des stars de la musique sénégalaise, fait référence à la V8 flambant neuve que le Président Macky Sall lui a offert il y a quelques semaines et dont le coût est évalué à 45 millions de francs CFA (environ 69.000 euros).
Plus d’un an après sa réélection en février 2019, le Président Macky Sall n’a toujours pas officiellement refait sa déclaration de patrimoine devant le Conseil constitutionnel du Sénégal.
Dans la note solennelle remise au Conseil constitutionnel en avril 2012, le chef de l’État écrivait : «Je déclare sur l’honneur que la présente déclaration de patrimoine est sincère et véritable et que les fonds ayant servi à l’acquisition desdits biens proviennent pour partie de mes gains et salaires, de prêts contractés auprès d’organismes financiers et de dons d’amis, de militants et sympathisants sénégalais.»
En attendant, ses moyens d’intervention sont de plus en plus puissants, favorisés par une concentration de pouvoirs qui va crescendo.
texte collectif
FACE AU CORONAVIRUS, IL EST TEMPS D’AGIR !
Wole Soyinka, Makhily Gassama, C. Hamidou Kane et des dizaines d'autres intellectuels africains, exhortent leurs dirigeants à profiter de la crise du covid-19 pour penser le développement endogène, rompre avec la sous-traitance de leur souveraineté
Près de 90 intellectuels du continent et de la diaspora parmi lesquels Wole Soyinka, Makhily Gassama, Cheikh Hamidou Kane, Iva Cabral,
Odile Tobner, Olivette Otele, Boubacar Boris Diop adressent la lettre ci-dessous aux dirigeants africains, afin de les exhorter à saisir l'occasion de la crise du coronavirus pour opérer dès maintenant des ruptures dans la gouvernance.
Les risques qui planent sur le continent africain, relatifs à la propagation du COVID-19, nous interpellent individuellement et collectivement. L’heure est grave. Elle ne consiste pas à juguler une énième crise humanitaire « africaine » mais à contenir les effets d’un virus qui vient bousculer l’ordre du monde et interroger les fondements de notre vivre ensemble.
La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste. Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du Nord. Une telle représentation que l’on finissait par croire réelle à force d’en rêver se déchire désormais devant une crise multiforme qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Dans le même temps, l’ordre global multilatéral que l’on se figurait encadré par un minimum de traités se délite sous nos yeux, faisant place à une lutte géopolitique féroce. Ce nouveau contexte de guerre d’influence économiquedu tous contre tous laisse dans l’ombre les pays du Sud, en leur rappelant s’il le fallait le rôle qui leur échoit : celui de spectateurs dociles d’un ordre du monde qui se construit par-devers eux.
La pandémie du COVID-19 pourrait saper les bases des États et des administrations africaines dont les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage. Il est impossible de les évoquer toutes, tant elles sont nombreuses : sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, insécurité alimentaire, gaspillage des finances publiques, priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc. Autant de sujets qui font pourtant l’objet d’une littérature spécialisée, désormais abondante, mais qui semblent avoir peu pénétré les cercles du pouvoir des différents États du continent. La preuve la plus évidente de ce fossé est fournie par la gestion actuelle de la crise.
De la nécessité de gouverner avec compassion
Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptésdes pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières. Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles.
Soyons clairs. Il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire mais plutôt d’insister sur la nécessité pour les gouvernements africains de prendre en compte les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.
La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la « société civile » se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent.
Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.
Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités africaines. Bref, il s’agit de mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.
Au-delà de l’urgence
Les dirigeants africains doivent, et peuvent, proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique.C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent. En effet, la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune. Des initiatives en ce sens existent déjà. Elles mériteraient simplement d’être écoutées, discutées et encouragées.
Le panafricanisme aussi a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule doxadu libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs. Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales. Dans cette perspective, il est important de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique.
Cette lettre est un morceau de rappel, de rappel de l’évidence : le continent africain doit reprendre son destin en main. Or c’est dans les moments difficiles que des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place.
Cette lettre est destinée aux dirigeants africains de tous bords, aux peuples africains et à ceux qui essaient de penser le continent. Nous les invitons à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit.
Il s’agit pour l’Afrique de retrouver la liberté intellectuelle et la capacité de créersans lesquelles aucune souveraineté n’est envisageable. De rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile, d’adapter la science, la technique et les programmes de recherche à nos contextes historiques et sociaux, de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de diminuer notre dépendance systémique. Surtout, il est primordial de ne pas oublier que le continent dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps !
Maria das Neves Baptista de Sousa (Université Lusíada de São Tomé e Príncipe)
Lazare Ki-Zerbo (Philosophe)
Lina Benabdallah (Wake Forest University)
Iolanda Evora (Université de Lisbonne)
Kokou Edem Christian Agbobli (Université du Québec à Montréal)
Opeyemi Rabiat Akande (Harvard University)
Lourenço do Rosário (Université Polytechnique du Mozambique)
Issa Ndiaye (Université de Bamako)
Yolande Bouka (Queen’s University)
Adama Samaké (Université Félix Houphouët Boigny)
Bruno Sena Martins (Université de Coimbra)
Charles Ukeje (University of Ile Ife)
Isaie Dougnon (Fordham University)
Cláudio Alves Furtado (Université fédérale de Bahia, Université du Cap-Vert)
Ebrima Ceesay (University of Birmingham)
Rita Chaves (Université de São Paolo)
Benaouda Lebdai (Université du Mans)
Guillaume Johnson (CNRS, Paris-Dauphine)
Ayano Mekonnen (University of Missouri)
Thierno Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mbemba Jabbi (University of Texas)
Abdoulaye Kane (University of Florida)
Muhammadu M.O. Kah (American University of Nigeria & University of the Gambia)
Alpha Amadou Barry Bano (Université de Sonfonia)
Sean Jacobs (The New School of International Affairs)
Yacouba Banhoro (Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo)
Dialo Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Rahmane Idrissa (African Studies Center, Leiden)
José Luís Cabaco (Universidade Técnica de Moçambique)
Mouhamadou Ngouda Mboup (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Hassan Remanoun (Université d’Oran)
Oumar Ba (Morehouse College)
Salif Diop (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Narciso Matos (Université Polytechnique du Mozambique)
Mame Thierno Cissé (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Demba Moussa Dembélé (ARCADE, Sénégal)
Many Camara (Université d’Angers)
Ibrahima Wane (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Thomas Tieku (King's University College, Western University)
Jibrin Ibrahim (Center for Democracy and Development)
El Hadji Samba Ndiaye (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Benabbou Senouci (Université d’Oran)
José Luís Cabaço (Université technique du Mozambique)
Firoze Manji (Daraja Press)
Mansour Kedidir (CRASC, Oran)
Abdoul Aziz Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Mohamed Nachi (Université de Liège)
Alain Kaly (Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro)
Last Dumi Moyo (American University of Nigeria)
Hafsi Bedhioufi (Université de la Manouba)
Abdoulaye Niang (Université Gaston Berger de Saint-Louis)
Lionel Zevounou (Université Paris Nanterre)
Amy Niang (University of the Witwatersrand)
Ndongo Samba Sylla (Économiste, Sénégal)
«LE CORONAVIRUS NOUS DESIGNE LE CHEMIN DE L’HUMILITE»
Le regard de Mamoussé Diagne, Professeur agrégé de philosophie, a été sollicité pour comprendre ce qui arrive à l’homme et à l’humanité avec la propagation du coronavirus.
BAKARY DOMINGO MANE (CORRESPONDANCE PARTICULIERE) AVEC MONDEAFRIK.COM |
Publication 14/04/2020
Le regard de Mamoussé Diagne, Professeur agrégé de philosophie, a été sollicité pour comprendre ce qui arrive à l’homme et à l’humanité avec la propagation du coronavirus. Une pandémie qui sème la graine de la mort «comme dans une guerre classique». Le Covid-19, qui s’invite au banquet de l’innommable et de l’indicible, est en train de nous confiner dans le champ de ce qui est humainement accessible. C’est dans le temps et dans l’espace, dit-il, que le coronavirus nous oblige à nous interroger sans avoir de réponse probable. Faisant de nous des «contemporains de ce qui nous arrive sans savoir le nommer, lui trouver un nom». Pour le philosophe, «le coronavirus instaure une sorte de démocratie par la catastrophe» en s’attaquant aussi bien aux têtes couronnées et aux stars qu’aux pauvres. Désignant du coup «le chemin de l’humilité».
Les philosophes sont-ils autorisés à parler du coronavirus ?
Non seulement nous sommes autorisés à parler du coronavirus en tant que personnes concernées par cette maladie, mais aussi en tant que sujets qui questionnent le monde pour le comprendre. Pour une fois, dans l’histoire du monde, quelque chose intervient qui concerne tout le monde. Non pas seulement le monde comme totalité dans laquelle nous sommes tous pris, mais la mondanité du monde comme interpellation qui surgit à l’intérieur de tous ceux qui l’habitent et qu’il habite. Chacun est, pour ainsi dire, «aux premières loges», puisqu’il est à la fois spectateur des ravages quotidiens de la maladie et peut être la toute prochaine victime. Un peu comme dans La Peste de Camus, où le docteur Rieux qui soigne les autres est, à la fin de l’épidémie, l’une des ultimes proies du monstre. En nous mettant à égalité, le coronavirus instaure une sorte de démocratie par la catastrophe et du coup, chacun peut se considérer comme étant équivalent à tous les autres sous l’angle de la précarité de l’existence. Donc, le philosophe a le droit d’en parler parce qu’il est concerné au sens fort du terme : il se trouve en situation. Il est d’autant plus autorisé à en parler qu’il ne s’agit pas d’œuvre de fiction cette fois-ci. Il s’agit d’une réalité qu’il a sous les yeux et par rapport à laquelle il peut entretenir une distance minimale, celle d’une réflexion au second degré, et se demander qu’est-ce que cela peut signifier ? Les questions vont s’enchaîner au fur et à mesure que la pandémie s’étend. Non seulement il est autorisé, mais le philosophe est même sommé de s’interroger face cette maladie.
Comment le philosophe doit-il parler du Covid-19 ?
Le philosophe peut parler du coronavirus comme des différentes catastrophes qui se sont abattues sur le monde depuis la nuit des temps. L’épidémie est un fait qui a neutralisé les combattants au moyen âge. Elle a fait beaucoup de victimes pendant la grande guerre. La pandémie de maladie à coronavirus touche directement à la vie de quelqu’un ou à celle d’une communauté, c’est pourquoi ça attire autant l’attention. Donc, on est obligé devant cette évidence massive de s’interroger, de se poser des questions sur la valeur de la vie elle-même pour dépasser l’esquive de la diversion et du divertissement destiné à masquer la peur, mais aussi les simples explications techno-médicalisantes trop courtes.
Qu’est-ce qui explique cette peur qu’affiche l’humanité tout entière, puisque le coronavirus est une maladie comme toute autre, vu sous l’angle de dysfonctionnement de l’organisme ?
Je doute que le coronavirus soit une maladie comme une autre, ne serait-ce que par son caractère totalitaire qui en fait une pandémie. Il se signale par son caractère brutal qui fait qu’en si peu de temps le coronavirus a engendré une telle catastrophe face à laquelle nous nous sentons pratiquement comme désarmés. Tout le contraire des autres maladies qui sont plus circonscrites dans le temps ou dans l’espace lorsqu’elles surviennent. Cette fois-ci, c’est un ennemi qui semble surgir de partout, encercler la communauté humaine et chacun là où il est.
La particularité du Covid-19, c’est de nous concerner en mettant devant nous cette question directe de la mort que l’on regarde en face. Comme le soleil, on ne peut le fixer longtemps sans perdre la vue, ou au moins être hébété. Nous revient en mémoire la demande faite sur le Sinaï par Moïse à l’Eternel de lui montrer sa face, et la réponse de Yahvé Elohim, le Seigneur des mondes : «L’homme ne peut pas me voir et rester vivant.» Et c’est d’un buisson ardent que partira le message destiné aux enfants d’Israël. La représentation de la création de l’homme sur le plafond de la chapelle Sixtine par Michel Ange respecte cette distance irréductible entre la créature et son Créateur : leurs index se rapprochent sans se toucher, sous peine de voir celle-là foudroyée par celui-ci. Toutes proportions gardées, il suffit d’observer les gens qui ont perdu un proche, mais aussi ceux dont un parent est déclaré guéri et qu’ils considèrent avec une incrédulité non feinte comme un revenant. Il faut dire de ce point de vue que ça ne concerne pas que l’homme de la rue.
Le coronavirus s’attaque aux têtes couronnées, à l’image des Princes Charles d’Angle¬terre et Albert II de Monaco, aux stars comme Blaise Matuidi et Kevin Durant. Et fait même peur à Trump, l’homme le plus puissant de la planète qui était au début de la pandémie dans une posture de défiance ou de dérision, mais complètement à genoux aujourd’hui. Comment peut-on expliquer cela ?
Lorsque toute tête qui dépasse trépasse et que par une sorte de malin plaisir il s’attaque à des icônes et aux têtes couronnées, comme pour revendiquer la seule couronne incontestable (avec la disparition de stars comme Manu Dibango qui nous sont proches), ou met à genoux l’homme qui se trouve à la tête de l’Etat le plus puissant de la planète (et ne perdait aucune occasion de le montrer), il nous désigne le chemin de l’humilité.
Quand je vois des chefs d’Etat, c’est-à-dire des gens qui ont en charge des communautés entières, et dont la vocation est de les rassurer et les de défendre, parler du coronavirus, dans leurs yeux, on lit la peur. C’est le cas lorsque l’autre jour je regardais les yeux de Emmanuel Macron, parlant aux populations en leur disant : «Nous sommes en guerre.» Or cette expression, «nous sommes en guerre», veut dire que le conflit concerne des communautés, c’est des Peuples qui affrontent d’autres. Si on lui posait la question à l’improviste : «Vous êtes en guerre contre qui ?», je me demande s’il n’aurait pas été désarçonné par cette interrogation. A la limite, la question n’est sensée qu’en changeant la formulation : «Vous êtes en guerre contre quoi ?» Et ce «quoi» n’est pas un nom avec un qualificatif. Or on ne peut qualifier qu’un ennemi qui a un visage, qu’on peut reconnaître directement et combattre sous le mode classique. Nous sommes en face de quelque chose qui crée la mort comme dans une guerre classique. C’est la peur face au néant, à la possibilité d’une néantisation de la civilisation. Avec le coronavirus, c’est les vieilles peurs de l’humanité qui renaissent, parce que des civilisations entières ont disparu de la surface de la terre, quelquefois emportées par des changements climatiques ou d’autres calamités. C’est a posteriori que ces questions ont un sens relatif. Là, nous sommes à quelque chose de pareil, mais nous sommes contemporains de ce qui nous arrive sans savoir le nommer, lui trouver un nom. A part le nom scientifique, c’est quelque chose que l’on peut nommer de manière provisoire, mais qui porte un masque. Tant que l’on n’arrive pas à nommer quelque chose de manière satisfaisante, il n’en a pas encore la nature. Adam lui-même, «fait à l’image et à la ressemblance de Dieu», n’établit sa suprématie sur les autres créatures que lorsqu’il reçoit de son Seigneur le privilège de leur donner un nom, de sorte que «chaque être ait pour nom, celui que l’homme lui donnerait». Dans beaucoup de cultures, nommer ce n’est pas étiqueter les choses et les êtres, mais les posséder. Ce qui fait dire au philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein : «Les limites de mon monde, ce sont les limites de mon langage.»
S’agissant de la guerre, il faut en préciser la nature, en vous rappelant certains passages de Hegel sur la question. Celui qui accepte d’exposer volontairement et consciemment son être biologique se montre supérieur à celui-ci. Mais déjà l’invention de l’arme à feu, par la mort donnée à distance, change la signification du courage. La violence et la mort peuvent avoir une valeur positive pour les individus comme pour les Peuples, en leur offrant une occasion de renouvellement, mais elles peuvent également se réduire à la pure «terreur du négatif» et ne pas avoir un sens supérieur à celui de couper un bout de chou ou de boire un verre d’eau. Dans ce qui est hérité de Hegel, le marxisme retiendra certains aspects du rôle de la violence dans l’histoire. Mais devant cette mort massivement subie et nullement recherchée pour défendre une patrie ou un idéal, vous voyez toutes les révisions à faire, tous les nouveaux boulevards qui s’ouvrent pour la pensée, quand on tente d’aller au-delà de «l’évènementialité» pure.
Si l’on peut par métaphore assimiler notre corps à un réceptacle de jeu de forces complexes qui s’affrontent avec comme unique but de subsister aussi longtemps que possible, est-il dès lors raisonnable d’établir un lien entre le coronavirus et la mort ?
La vie peut être pensée comme une sorte d’équilibre entre le principe vital qui fait qu’on subsiste et le principe mortifère composé d’éléments qui nous tirent vers la néantisation ou la destruction des forces positives. Le coronavirus apparaît comme pure négativité et survient de manière brutale. C’est sa brutalité qui fait qu’il est même difficile de circonscrire le champ de la bataille. C’est comme si le ciel nous tombait sur la tête, pour parler comme les Gaulois. Cela veut dire que tu n’as pas le temps de réfléchir, de crier au secours, parce que tu es déjà mort. C’est ce qui fait son caractère de tragédie absolue. Tout ce que l’on peut donner comme consignes ou conseils sont des palliatifs : lavez-vous les mains, comportez-vous de telle manière ! Ce sont des mesures préventives. Quand la maladie arrive, c’est l’isolement par rapport à soi-même, à sa famille, ou c’est le confinement, c’est-à-dire le fait d’être coupé des autres, de briser le lien qui faisait que ce qu’on appelait cité, le vivre-ensemble, se voit remis en cause. Ça, c’est quelque chose de terrible, parce que ce sont ces deux choses qui définissent le principe du moi, en tant que je me positionne comme force capable de vivre ou de vouloir vivre et mon rapport aux autres comme vivant eux aussi dans une communauté que nous partageons. Ces deux choses semblent d’un seul coup remises en question sans que l’on sache jusqu’à quand et jusqu’où ? C’est dans le temps et l’espace que le coronavirus nous oblige à nous interroger sans avoir de réponse probable. On dit, en nous donnant un peu d’espoir, qu’en Chine, apparemment les choses semblent se stabiliser. Ailleurs, on vous dit que le pire est à venir, parce qu’on n’a pas encore trouvé l’antidote. C’est un tout petit peu comme la lance d’Achille dont Homère disait qu’elle avait ce pouvoir mystérieux de guérir les blessures qu’elle occasionnait. C’est cela qui a donné aux Grecs ce mot merveilleux pour désigner le remède, mais en même temps le poison : c’est le pharmakon. Ce devant quoi nous nous trouvons aujourd’hui : un mystère absolu. Quelquefois, il suffit de saluer son meilleur ami. Et parmi les premiers cas répertoriés, il y a des couples. C’est dans l’intimité que le coronavirus s’invite, à tel point que ta propre femme est peut-être ton ennemi à l’intérieur de la maison ou que tu sois l’ennemi de tes propres enfants. Arrivera un moment où des familles ou des communautés vont éclater. Les pays se barricadent déjà. Bientôt les quartiers vont entrer dans la danse. Avec le confinement, des individus ne peuvent sortir de chez eux pour se promener dans la rue. C’est le principe de liberté qui est aujourd’hui remis en cause ; d’où la gravité de cette pandémie.
En se fiant aux propos de Spinoza qui pense que la mort ne peut venir que du dehors, on peut en tirer la conséquence que l’humain n’est pas intrinsèquement déterminé à mourir. Le fait que des personnes guérissent du Covid-19 pourrait nous amener à défendre l’idée selon laquelle la mort n’est qu’accidentelle. Est-ce votre compréhension ?
La mort est toujours le fruit d’une rencontre, avec une altérité qui est cette fois-ci absolue. Ma petite-fille, en classe de Terminale, est en train de réfléchir sur un sujet autour d’une probable «racialisation» du coronavirus, puisqu’avec l’apparition de cette maladie, les Chinois ont été stigmatisés par certains. Au lieu de se situer du point de vue de l’humain, de l’humanité qu’ils partagent avec nous, des hommes ont scindé la planète en disant : «C’est les autres.» Ces «autres» deviennent la source d’où vient le mal. C’est grave, puisque la mise à l’index ici a des relents culturels. En Afrique, il y a des individus qui pensaient que le coronavirus ne s’attaque pas aux Noirs, parce que nous sommes dans un climat chaud. Si c’est interprété comme cela, le coronavirus devient un simple accident qui peut ne pas se produire ou qui se produit le plus tard possible en prenant des précautions. Le coronavirus semble cette fois-ci poser la question autrement, et fait de cette altérité une question du dehors et du dedans. C’est le dehors que l’on transforme en un dedans en attrapant le virus du fait des rapports humains ou en respirant l’air, mais aussi en un dedans puisque la duplication cellulaire va occasionner des transformations ou mutations qui vont se produire en moi. Mais on n’a pas le schéma réel de causalité. On ne connaît pas non plus le principe de reproduction de la duplication. Et qui dit mutation dit altérité, qui devient autre dans son altérité même. C’est ce qui est assez terrible et trouble nos paradigmes habituels d’explication de ce qu’on appelait la maladie jusqu’ici. Ce qui lui donne à la limite une dimension extraordinaire. Et de l’extraordinaire à la métaphysique, il n’y a qu’un pas. C’est ce que font chaque jour ceux qui vous disent : l’humanité semble punie de quelque chose. Dans la Bible, dans les grands livres sacrés, à chaque fois que l’humanité est parvenue à un certain degré d’avilissement ou d’écart par rapport à la norme, quelque chose est intervenue : c’est le feu du ciel, les pestes, les catastrophes, etc. Les grands prophètes ont vécu dans des périodes où il y avait beaucoup trop de mal, avec des schémas d’explication qui participent du raffermissement de telle ou telle foi. C’est le cas de Noé par exemple. On s’échappe du domaine purement humain vers autre chose de para ou supra humain. Dès lors, il n’est plus question de simple maladie. On quitte le plan de la pure immanence pour une échappée vers la transcendance. Ce n’est plus l’autre, mais l’ailleurs qui prévaut.
Nous sommes tous d’accord sur le caractère dangereux du coronavirus. Comment alors expliquer l’attitude de certains qui doutent de son existence ?
Je pourrais donner une réponse simple, en disant qu’ils sont inconscients parce qu’ils voient tous les jours des personnes en mourir. Ils douteraient de cela en pensant que ces personnes seraient mortes d’autre chose que du coronavirus. Mais cela peut également procéder d’explications qui, en fait, ne sont pas aussi absurdes que cela à leurs yeux. Ça les protège. Pour moi, ça les déprotège. S’ils sont cohérents avec eux-mêmes, ils ne doivent plus prendre de précautions, ni respecter les conseils du ministère de la Santé et des spécialistes sur la question. Ceux qui sont dans la négation ou le nihilisme, se disent : vaut mieux ne pas croire pour ne pas vous empoisonner la vie. De toute façon, vous mourrez un jour. Ils ont une attitude fataliste. Or le fatalisme est une posture de défense et non de suicide. Ils se disent : mieux vaut mourir en ignorant ce qui nous tue, parce que tôt ou tard vous mourrez un jour. C’est exactement ceux qui aujourd’hui veulent aller à des rassemblements religieux déclarés potentiellement dangereux et espèrent être enterrés dans des cimetières sacrés en cas de décès.
Doit-on avoir peur de mourir du coronavirus ?
Oui, mais d’une peur raisonnable, parce que si on était seul concerné, chacun d’entre nous aurait sa réaction face à la maladie, face à la mort. Ici, on ne meurt jamais seul parce qu’il y a tous les effets collatéraux. On est responsable. Le principe de responsabilité qui fait que nous sommes chefs de famille, nous participons à une entreprise, pas seulement au sens du lieu où on travaille, mais de destin d’une Nation. Les responsabilités qu’on y occupe, avec le fait de partager une direction dans laquelle chacun de nous a sa place. Comme si dans la pirogue, chaque rameur doit se sentir responsable, à l’image de celui qui sent les flèches et qui pense que Troie ne sera pas conquis. C’est là où se situe en ce moment le problème de la peur ou non de mourir du coronavirus. Cette peur est salutaire en un sens, même si au fond de soi-même on se dit : ça arrivera, ça n’arrivera pas, j’ai une peur raisonnable. Ce n’est pas seulement pour moi, c’est pour mes enfants, mon épouse, dont je suis directement responsable, que je dois me préserver et mettre hors de danger, et au-delà pour ceux avec qui je partage le vouloir vire ensemble. En me situant de ce point de vue, la peur s’entend non pas seulement comme une réaction instinctive, animale et personnelle, mais comme une réaction raisonnée par rapport aux victimes collatérales.
On peut comprendre qu’on puisse avoir une peur raisonnable d’être emporté par le coronavirus. Mais doit-on pour autant afficher la honte d’en mourir ?
Non, à la limite pour une fois, cette maladie ne comporte pas d’aspects qui touchent à des valeurs dont la transgression est liée à la honte et à l’interdit, comme ça été le cas pour le Sida ou toutes ces maladies liées à la sexualité, à des choses sur lesquelles l’homme a valorisé et a mis également des principes d’interdit. Ce n’est pas interdit de donner la main à quelqu’un, c’est plutôt l’inverse qui l’est, d’aller chez des voisins, au contraire. C’est pour cette raison-là qu’il est plus difficile de faire passer des préceptes même de précaution. L’autre jour, il y a des personnes qui étaient choquées de voir le ministre de la Santé saluer un chef religieux en le touchant avec le coude. Non, il aurait pu lui donner la main quitte à se nettoyer après. A mon avis, on ne doit avoir honte d’aucune mort dont celle qui survient de la maladie du Covid-19
MOURIR DE FAIM OU TOMBER MALADE : LE DILEMME DE L'AFRIQUE FACE AU CORONAVIRUS
Pour que les différents types de confinement fonctionnent en Afrique, il faut une aide significative de l’État, jugent les experts.Mais le défi est particulièrement difficile à relever sur un continent dépendant largement des donateurs internationaux
Des femmes et des enfants qui tombent au sol, ensanglantés et piétinés lors d'une distribution de nourriture dans un bidonville de Nairobi, pendant que la police tire des gaz lacrymogènes et charge à coups de bâton.
La scène s'est déroulée vendredi dans l'immense bidonville de Kibera, en plein cœur de la capitale kényane.Elle pourrait bien préfigurer la suite, si l'Afrique ne parvenait pas à combiner la lutte contre le nouveau coronavirus et l'aide à des millions de citadins miséreux.
"Je lui donne (au gouvernement) une ou deux semaines avant que la situation n'empire.Pas en terme de coronavirus, mais en terme de faim", déclare à l'AFP Kennedy Odede, directeur de Shining hope for communities (SHOFCO), une organisation locale travaillant à Kibera.
"Si ça continue comme ça, nous pourrions jouer avec le feu", prévient-il.
Pour contenir la propagation du virus, le Kenya a isolé Nairobi et certaines zones côtières du reste du pays, et imposé un couvre-feu nocturne.Ces décisions ont déjà coûté leur emploi à de nombreux Kényans, observe M. Odede.
Le président Uhuru Kenyatta a brandi la menace d'un confinement total pour obliger ses concitoyens à respecter les règles.Mais les officiels reconnaissent que ce serait un choix déchirant alors que 60% des habitants de Nairobi vivent dans des bidonvilles.
"Enfermer les gens dans les bidonvilles sera la dernière option.Il y a beaucoup de choses à faire avant ça", indique à l'AFP, sous couvert d'anonymat, un haut responsable de la sécurité kényane.
Le coronavirus est arrivé tardivement en Afrique.Mais il s'enracine progressivement, avec désormais plus de 15.000 cas et 800 morts recensés sur le continent.
Alors que l'Europe et les États-Unis ont attendu des semaines avant d'agir, l'Afrique a sans tarder fermé ses frontières et interdit les rassemblements de masse.
L'île Maurice, le Rwanda et la Tunisie ont été les premiers à imposer un confinement total, Maurice allant même jusqu'à fermer ses supermarchés et boulangeries pendant 10 jours.
Première puissance industrielle du continent, l'Afrique du Sud leur a emboité le pas.Le Nigeria a prolongé lundi pour deux semaines le confinement à Abuja, la capitale fédérale, et Lagos, ville la plus peuplée d'Afrique avec 20 millions d'habitants.
- Un confinement 'intenable' -
Dans ces deux villes, des millions de personnes dépendent de l'économie informelle pour survivre.
"La réaction inévitable a été de suivre ce que le reste du monde faisait", remarque Jakkie Cilliers, expert auprès de l'Institute for Security Studies (ISS), qui a appelé les Africains à élaborer leur "propre solution" pour vaincre le virus.
"Un confinement est impossible à mettre en œuvre et est intenable dans la plus grande partie de l'Afrique", argue-t-il."Vous condamnez les gens à choisir entre mourir de faim ou tomber malades".
"Dix personnes vivant dans un abri en tôle (...) ne peuvent pas rester trois semaines sans sortir dehors", fait-il valoir.
Toutefois, la plupart des pays africains ont résisté à cette tentation.Madagascar et le Ghana ont ordonné le confinement de certaines villes et régions.Le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Niger ont décrété des états d'urgence et des couvre-feu nocturnes.
Comme le Kenya, le Bénin a isolé des villes.La Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Niger ont fait de même avec leurs capitales.
L’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé du continent avec plus de 100 millions d'habitants, a fermé ses frontières terrestres et ses écoles, mais n'a pas restreint les mouvements de la population.
Le confinement est irréaliste "car il y a de nombreux citoyens qui n'ont pas de maison" et "même ceux qui ont des maisons doivent chaque jour joindre les deux bouts", a estimé le Premier ministre Abiy Ahmed.
Préférant s'en remettre à Dieu, des pays comme le Burundi et la Tanzanie ont eux décidé d'ignorer largement les conséquences sanitaires de la pandémie, et la vie y continue quasiment comme si de rien n'était.
"Le coronavirus ne devrait pas du tout être une raison pour détruire notre économie", a déclaré le président tanzanien John Magufuli.
- Des mesures 'improductives' -
Pour que les différents types de confinement fonctionnent en Afrique, il faut une aide significative de l’État, jugent les experts.Mais le défi est particulièrement difficile à relever sur un continent dépendant largement des donateurs internationaux.
Le Kenya a allégé les impôts et distribue de l'eau gratuitement dans les bidonvilles.Le gouvernement sénégalais paye les factures d'électricité et l'Ouganda a demandé aux propriétaires de ne pas réclamer de loyers jusqu'à la fin de la crise.
Mais la commentatrice politique Rachel Strohm estime que de telles mesures bénéficieront avant tout au "secteur formel".
Au Nigeria, en Ouganda, au Rwanda, en Afrique du Sud et ailleurs, les gouvernements distribuent de la nourriture, mais seulement à "une fraction des personnes vulnérables", ajoute-t-elle.
Elle considère que les mesures prises sont en fait "inefficaces et improductives".Les couvre-feu font par exemple que les gens se massent au même endroit au même moment pour prendre les transports en commun, chacun tentant de rentrer chez soi à l'heure.
Rachel Strohm et Kennedy Odede suggèrent de mettre plutôt en place des transferts directs d'argent liquide aux populations, afin d'éviter le chaos des distributions de nourriture.
Ils estiment aussi que les bailleurs de fonds internationaux, eux-mêmes confrontés au coronavirus, devront venir en aide.
Une autre solution pour éviter le confinement total et l'effondrement des économies serait de procéder en masse à des tests.L'Afrique du Sud est le seul pays du continent à oser cette approche, mais le nombre de tests menés - environ 70.000 - est encore "bien trop faible", a reconnu le ministre de la Santé, Zweli Mkhize.
La plupart des pays africains n'ont qu'une capacité limitée à pratiquer des tests.
Dans le même temps, le durcissement des mesures appliquées sur le continent s'est accompagné d'une hausse des brutalités des forces de l'ordre, qui ont souvent recours à la force pour obtenir le consentement des populations.
texte collectif
LA CONTRIBUTION DES SCIENCES SOCIALES EST INDISPENSABLE
Des enseignants de l’Ugb parlent de la lutte contre la pandémie du covid19
Depuis son apparition en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, qui pouvait penser que trois mois plus tard, le CoViD-19 allait déferler si rapidement dans le monde entier au point de se révéler comme l’une des pires crises sanitaire et socioéconomique depuis la deuxième grande guerre ?
Dès lors, le CoViD-19 s’est joué allégrement des frontières en se propageant à une vitesse vertigineuse et en semant dans son sillage mort, dévastation socioéconomique, repli sur soi des États ; et même en portant un coup d’arrêt à la mondialisation.
Face à cette pandémie, chaque pays tente en fonction de ses moyens, d’apporter des réponses circonscrites à l’intérieur de ses frontières.
Outre les mesures sanitaires dictées par l’urgence et la sévérité des cas, les solutions ont globalement pris la forme d’actions de santé publique centrées sur la distanciation physique et la généralisation de gestes barrière censées contribuer à briser la chaîne de transmission de la maladie ; la fermeture des frontières aériennes et terrestres et l’arrêt des services non essentiels qui a comme conséquence le ralentissement de la production. Parallèlement, on redécouvre l’élan de solidarité devant l’épreuve, à travers les ralliements des forces de l’opposition, des entreprises, des donateurs et des bénévoles à Force CoViD-19.
Sommes-nous à l’avènement d’un nouvel ordre ? L’ensemble de ces mesures n’est pas sans conséquences sur la vie de larges segments de la population. Au Sénégal, depuis l’apparition des premiers cas de CoViD-19 au début du mois de mars 2020, outre les réponses médicales qui ont mis en lumière le professionnalisme, l’expérience et le talent du personnel soignant sénégalais, les pouvoirs publics ont pris une série de mesures d’ordre sanitaire, sécuritaire et socioéconomique pour freiner l’avancée de l’épidémie : instauration de l’état d’urgence et d’un couvre-feu, isolement des personnes infectées, mise en quarantaine des contacts, fermetures des frontières du pays, etc. Ce train de mesures n’est pas sans conséquences sociales néfastes pour une bonne frange de la population urbaine et rurale du pays en termes de pertes d’emploi et de revenus, de l’impossibilité de circuler et d’exercer des activités professionnelles pour beaucoup d’acteurs, particulièrement ceux de l’économie populaire. Le confinement paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre au Sénégal Aujourd’hui, la vigoureuse progression du CoViD 19 dans notre pays1 commande de débattre de mesures certainement plus hardies pour contenir la fulgurance de la contagion qui la diffuse si tragiquement.
Une des mesures, citée avec de plus en plus d’insistance, est le confinement total ou partiel de la population, à la manière de ce qui se fait dans certains pays du monde touchés par le même virus. quoique parfois évoqué avec espoir (voire avec espérance), le confinement paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre dans un pays comme le Sénégal, au regard des configurations et des dynamiques sociétales locales ; lesquelles se constituent de particularités dans lesquelles s’ancrent les espaces et les systèmes sociaux, les pratiques quotidiennes de sociabilité, les caractéristiques de l’économie du pays ainsi que les pratiques de consommation de l’écrasante majorité de la population du pays.
C’est dire qu’au-delà de ses dimensions techniques et administratives, la question des conditions locales de pertinence du confinement est majeure ; car en la matière les erreurs se paieront dramatiquement, malheureusement. il importe, dès lors, d’être attentif à la complexité de cette mesure qui s’affirme comme inévitable à en juger la situation et les prévisions réalistes. Comment mettre en œuvre des mesures de confinement pour des populations majoritairement cantonnées dans une économie de débrouille qui les oblige à se déplacer quotidiennement pour assurer les besoins de base, notamment la nourriture ? Comment, dans ces conditions, résoudre l’équation du choix entre les risques de contracter et de disséminer la maladie et la famine ; laquelle, en plus de ses effets physiologiques est féconde de considérations morales ?
Comment re-négocier l’ancrage de l’individu (physique et symbolique) dans le communautaire ? Le confinement introduit inexorablement une rupture de la quotidienneté Le confinement introduit inexorablement une rupture de la quotidienneté. il apparaît comme une injonction au changement (au changement social ?). Sous ce rapport, il peut être vu comme est une invite à la définition de nouvelles modalités de rapport à soi, à autrui et aux espaces (physiques comme symboliques). il appelle alors à inventer les sociabilités qui désormais, feront désormais le vivre-ensemble. Aussi, dans l’hypothèse probable du confinement comme seule issue pour lutter efficacement contre le CoViD, nous pensons qu’il doit être ciblé en fonction des territoires et des régions et être adossé à des mesures plus adaptées aux réalités sociétales, économiques et culturelles endogènes.
Dans cette perspective il serait souhaitable de rapidement commencer par la distribution alimentaire aux populations nécessiteuses dans le respect et sans mépris en confiant cette tâche à l’armée qui pourrait se référer aux bases de données telles que celles de la SEn EAU, de la SEnELEC et des chefs de quartiers ou des chefs de villages, entre autres, pour une meilleure répartition des vivres. Toutefois, la répartition ne devrait pas se limiter aux personnes vivant dans des ménages car il existe de nombreux sénégalais qui n’appartiennent pas à cette catégorie.
La situation actuelle d’état d’urgence et de couvre-feu de 20h à 6h est une étape adaptée pour la mise en place de ces pratiques de distribution des vivres et de nécessaires. Le succès de cette action passe par la cessation de paiement de loyers, de factures d’eau et d’électricité pour au moins une durée d’un mois. Parallèlement il faut inviter les populations à repenser leurs pratiques de subsistance à fois matérielle et immatérielle.
La réduction de la mobilité et la diminution des ressources nécessitent un accompagnement nutritionnel et diététique pour éviter l’augmentation de certaines formes de pathologie (diabète, tension artérielle, etc.) ainsi que la résurgence de la malnutrition, surtout chez nos jeunes et nos personnes âgées. outre ces mesures, il urge de mettre en place un programme efficace de communication communautaire (par les radios et télévisions publiques et privées, des messages vocaux et électroniques, des capsules de vidéos, etc.) en français et en langues locales (wolof, pulaar, sereer (les six types), joola (les six types), màndienka, sóninké, banama, hasaniya, balant, mànkaañ, mànjaku, mënik, oniyan, saafi-saafi, guñuun, laalaa, kanjad, jalunga, bayot, paloor et womey).
La parole pourrait revenir non pas uniquement aux lanceurs d’alertes et aux experts mais aussi aux guides religieux et coutumiers, aux relais communautaires comme les badianou gox ou autres porteurs et porteuses de voix dans nos sociétés. Ce faisant les églises et mosquées pourraient être mises à contribution pour diffuser les mesures prises. L’homme n’est pas qu’un être biologique il est aussi et surtout un être moral ; c’est-à-dire un être configuré psychologiquement, socialement, culturellement, cultuellement, etc. Certes la médecine conventionnelle a imposé sa légitimité véhiculée par l’Oms, organisation d’ailleurs dont la légitimé a été rudoyée par cette maladie.
Depuis le début de la pandémie on est dans une logique scientifico-médicale occultant les aspects sociosymboliques de l’homme. Le sénégalais, sans qu’il soit en cela particulier, est un être de croyances et de ritualités ; lesquelles qui sont centrales pour l’expression de son identité sociale et culturelle. Les règles énoncées en vue de lutter contre le CoViD-19 empêchent l’accomplissement de rituels importants pour l’adoucissement des souffrances engendrées notamment par la perte d’un proche.
Les rites funéraires sont presque supprimés pour éviter la propagation de la maladie alors même qu’ils sont nécessaires pour l’acceptabilité de la fatalité et pour mener un deuil ancré dans des significations culturelles et cultuelles. L’apport des sciences sociales pour une meilleure compréhension de la pandémie Les sciences sociales peuvent aider à une meilleure compréhension et appréhension locale de la pandémie en révélant les logiques et effets socioculturels autour desquels elle s’articule (professions et catégories socio-professionnelles, territorialisation de la maladie, coûts, recomposition des logiques et pratiques de sociabilité et de solidarité, etc.)
A ce titre, elles pourraient explorer des questions telles que : quelles dynamiques sociales l’épidémie induit-elle ? Comment se manifeste la résilience du système social en contexte épidémique ? Quels stigmates l’épidémie laissera-t-elle dans le corps social ? Les sciences sociales ont ainsi un rôle de premier plan à jouer dans la compréhension des sémiologies populaires face au CoViD, les représentations sociales au sujet des causes, de la prévention et du traitement des symptômes associés au CoViD-19 sans compter leur contribution dans l’analyse des multiples conséquences que l’épidémie engendre et comment elle peut concourir à la désarticulation des structures familiales et des dynamiques migratoires, sur la recomposition des pratiques professionnelles et éducationnelles (télétravail, téléenseignement, etc.).
En plus des analyses sur les effets actuels et anticipés du CoViD-19, les sciences sociales peuvent fournir un corpus de connaissances indispensables pour mettre en place des scénarios post-CoViD-19 car, le monde va changer. Aujourd’hui, plus que jamais, l’on comprend que les maladies sont des réalités sociales.
Liste des signataires
Amédoune BA. Sociologue. Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Ibrahima Bao. Socio-anthropologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Mamadou Ndongo Dime. PhD. maître de Conférences. Sociologue. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Bakary DOUCOURE. Socio-anthropologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Sara Ndiaye. Sociologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Cheikh Sadibou Sakho. Anthropologue et sociologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Aly TANDIAN. Sociologue. Maître de Conférences. Université Gaston Berger de Saint-Louis.
1 Selon le bilan mensuel partagé à l’issu du point de presse du ministre de la santé et de l’action sociale tenu le jeudi 2 avril 2020, le Sénégal enregistre 40% de cas importés, 4% de cas communautaires et 56% de cas contact sur un total de 195 cas confirmés. Près de 1851 personnes sont actuellement isolées et suivies.
L'Initiative "Apprendre A LA MAISON" EST A METTRE DANS LA POUBELLE, SELON LE CUSEMS AUTHENTIQUE
Dame Mbodj du Cusems authentique, selon qui la mesure n’offre aucune possibilité d’évaluation formative ou de validation des acquis, demande qu’elle soit rejetée
Le nouveau dispositif visant à récupérer l’année scolaire presque perdue va surtout porter préjudice à l’écrasante majorité des enfants. Dame Mbodj du Cusems authentique, selon qui la mesure n’offre aucune possibilité d’évaluation formative ou de validation des acquis, demande qu’elle soit rejetée. Il met en place un certain nombre de mesures pour une année scolaire validée.
« Apprendre à la maison » ! C’est le tout nouveau dispositif diversifié d’enseignement à distance que compte mettre en place l’Etat du Sénégal à travers son département en charge de l’Education nationale. Un procédé basé sur des photocopies de supports de cours et d’exercice dans les zones sans accès à l’électricité, l’internet et la création d’une télévision Tnt en collaboration avec la télévision nationale, la rts1 pour une couverture nationale, et une implication des autres chaines de télévisions et les radios communautaires et un apprentissage à partir des ressources numériques disponibles sur le système d’information du ministère de l’Education nationale.
Une initiative jugée malheureuse par le secrétaire général du Cusems authentique, Dame mbodj qui pense que cela ne fera qu’aggraver la baisse du niveau des élèves tant décrié, avec une répercussion sérieuse sur tous les segments de la société. Cette proposition de récupération de l’année académique 2019- 2020, m. mbodj la qualifie de posture démagogique qui ne repose sur aucun fondement légal ni scientifique ou pédagogique. Car, dit-il, il écarte de côté, ou « exclut d’office », les élèves issus de milieu défavorisé. Surtout que le niveau de développement de notre pays ne nous permet pas de dérouler des enseignements apprentissages à distance.
Plusieurs réserves formulées Sur la première mesure relative à la reproduction de supports de cours, le Cusems authentique relève un coin du voile. Les zones concernées par la mesure, pour ne pas dire, ceux qui sont dans les zones reculées et enclavées regorgent d’élèves de l’élémentaire du moyen. C’est-à-dire qui sont du primaire au collège. Lesquels apprenants, dit-il, ont plus besoin d’encadrement et des explications avec interactions. Avec ce nouveau dispositif qui les invitent à « apprendre seul à la maison », ils peineront à assimiler les cours, regrette cet enseignant qui souligne que « plus de la moitié des élèves du monde rural seront laissés en rade en violation des textes réglementant le sous-secteur de l’éducation. non sans souligner que « parmi ceux-là qui ont accès à l’électricité, il y en a qui n’ont pas de postes téléviseurs, d’ordinateurs, de tablettes ou de smartphones ». Ce point concerne la diffusion des cours à la télé ou via internet. Sans compter les difficultés liées à la connexion à la connectivité. il fait allusion à la cherté des pass-connexion et au réseau souvent perturbé
Une proposition donc à jeter à la poubelle, car « n’offrant aucune possibilité d’évaluation formative ou de validation des acquis des apprenants » ! Et c’est toujours Dame mbodj qui parle… Le même qui croit que personne ne devrait aujourd’hui se réjouir de la validation d’une année scolaire dont les enseignements apprentissages sont fait à la trompe-l’œil. Reprise des cours graduellement Toutefois, le secrétaire général national dudit syndicat propose la reprise des cours qui pourrait se faire en deux temps, deux moments. D’abord à partir du 21 avril, que tous les élèves des classes d’examens reprennent le chemin avec un éclatement des salles de classe selon la taille en raison de 20 élèves au maximum. il sera de même pour l’élémentaire avec la supervision du directeur de l’école et du maitre de Cm2, le collège et le lycée, c’est-à-dire avec les élèves de troisième et de Terminal avec respect du principe d’un table-banc par élève et la distance recommandée, et sans rassemblement aucun dans la cour des écoles, et qu’il rentre un a un.
« Le taux d’encadrement sera ainsi très élevé et l’on pourra progresser plus rapidement et faire les rattrapages nécessaires. Et que toutes les évaluations du second semestre seront faites au mois de juillet, les examens du CEF et de l’entrée en sixième en fin juin et ceux du Bfem et du baccalauréat à la même période en début août. Les professeurs de Collège corrigeront pour le Bfem et ceux du Lycée pour le bac », a-t-il livré comme proposition concernant les candidats aux différents examens de fin d’année. En ce qui concerne les classes préparatoires, les laisser à la maison en attendant que le « méchant » virus soit bouté avant la fin de l’année scolaire. Sinon, et si on peine à le maitriser à cette période, « on programme la reprise des cours en début septembre ». Juste après avoir terminé avec les candidats aux différents examens. Ce, sur une durée de trois mois, de septembre à novembre avec des cours de rattrapages organisés pour eux, suivis des compositions du second semestre vers la fin du mois de novembre.
Seul gage pour Dame Mbodj de réussir à valider leur année scolaire. Et pour finir, comme d’habitude, l’argent, on ne l’oublie jamais quand il s’agit de sacrifice pour un contexte comme celui marqué par la présence du virus qui circule dans tout le Sénégal. il demande des mesures d’accompagnement spéciales allouées aux enseignants qui vont écourter leurs vacances.
MANSOUR FAYE ENSERRÉ DANS UN ÉTAU DE MILLIARDS
Une polémique a enfilé depuis le weekend au sujet de l’enveloppe allouée au transport des denrées alimentaires destinées aux familles indigentes impactées par les conséquences économiques du coronavirus…
Le chef de l’Etat Macky Sall a réceptionné plus de 145 mille tonnes de vivres au Port autonome de Dakar samedi dernier. Après quoi, il a donné le top départ des transporteurs pour la distribution de l’aide alimentaire d’urgence aux populations. Une enveloppe de 6 milliards aurait été dégagée pour les propriétaires de camions chargés de ventiler les denrées dans les coins et recoins du pays. Mansour Faye, le ministre du Développement communautaire et de l’Equité territoriale dément et fait état d’un budget qui tourne autour de 1 milliard à 1, 5 milliard. En tout cas, une très grosse polémique a enfilé depuis le weekend au sujet de l’enveloppe allouée au transport des denrées alimentaires destinées aux familles indigentes de notre pays impactées par les conséquences économiques du coronavirus…
Même si le Collectif des acteurs routiers s’était proposé, le 28 mars dernier, de transporter à titre gratuit les vivres aux populations destinataires, le quotidien « L’observateur » avait révélé, le 2 avril dernier, que sur les 69 milliards alloués à l’aide d’urgence alimentaire, les quatre milliards seraient réservés à la prise en charge des frais liés à la distribution des 146 mille tonnes de vivres. Des internautes sont allés plus loin, le samedi 11 avril dernier, en révélant que 6 milliards seraient alloués au transport. Une « information » qui a aussitôt enflammé les réseaux sociaux. il faut dire que cette polémique est alimentée par les différents chiffres véhiculés par des ministres du gouvernement notamment Mansour Faye, ministère du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale, et Abdou Karim Fofana, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat.
Le dernier nommé, Abdou Karim Fofana, avait, dans l’émission « Point d’aujourd’hui » du 12 avril de la rTS, soutenu que le budget prévisionnel pour le transport des denrées alimentaires destinées aux populations vulnérables est de 3,5 milliards là où L’observateur indiquait que l’enveloppe était de quatre milliards. Le journal du Groupe Futur médias disait tenir ses sources du ministère du Développement communautaire. Mansour Faye ajoute à la confusion…
Face à cette polémique, m. mansour Faye a tenu à monter au créneau pour démentir le chiffre de six milliards et donner la bonne information. Recevant dimanche dernier la contribution des radios et médias de Saint-Louis à la lutte contre le Covid-19, il a indiqué que les 146.000 tonnes de denrées alimentaires destinées aux couches vulnérables sont convoyées dans les différentes régions du pays pour un coût global de 1,5 milliard de francs. Mieux, le beau-frère du président de la république a juré que « les premiers camions, qui ont transporté l’aide pour les régions périphériques, comme Ziguinchor, Kédougou et Matam, sont payés à raison de 18.500 francs CFA la tonne.
Pour les régions centre, Diourbel, Fatick, Louga et Kaffrine, le coût du transport s’élève à 7.500 francs CFA la tonne ». Pour Tambacounda et Saint-Louis, ajoute-t-il, les frais de transport se chiffrent à 15.000 francs CFA la tonne.
A l’en croire, l’aide alimentaire destinée à la région de Dakar sera transportée par l’armée gratuitement, à l’exception des coûts du carburant et des frais d’accompagnement des chauffeurs. il a aussi signalé que l’association des transporteurs a offert gratuitement ses services pour accompagner l’opération. « Et nous attendons le volume de camions, afin de renforcer l’acheminement et la distribution des denrées alimentaires dans les régions du Sénégal », a poursuivi le par ailleurs maire de Saint-Louis. « Nous ne serons pas distraits par des allégations non fondées. Notre seul objectif est d’arriver à ce que l’opération se fasse très bien et dans les règles de l’art et que tous les produits arrivent à destination sans aucun problème, dans la transparence et la célérité », a-t-il assuré. Le député Diop Sy remporte le jackpot…
Au moment où chacun interprétait à sa manière la sortie de m. Mansour Faye, l’opinion apprenait, ébahie, que, c’est l’Entreprise Urbaine de Dakar (UDE), de l’homme d’affaires Demba Diop Sy, qui a gagné le marché. A la suite du ministre Mansour Faye, le patron de l’UDE, le député Demba Diop dit Diop Sy, a apporté des éclairages. Et après avoir déclaré qu’effectivement sa société UDE (Urbaine d’entreprise) a gagné le marché de transport des vivres sur toute l’étendue du territoire national suite à l’appel à consultation lancé par le ministère du Développement communautaire sur la base de la meilleure offre — laquelle serait inférieure selon lui aux prix habituels de transport qui se faisaient —, il a précisé que la distribution à Dakar se fera par l’armée.
Mieux, il révèle que l’État mettra à sa disposition le carburant. Demba Diop Sy précise que son offre se limite aux capitales régionales car, une fois sur place, l’armée et les collectivités territoriales s’occuperont de l’acheminement dans les zones concernées. Pour le coût exact, Diop Sy a soutenu que « le montant global de la distribution des kits dans tout le Sénégal ne dépasse pas 2 milliards selon le calcul ».
Selon lui, l’offre faite par les transporteurs au ministère du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, « n’engage qu’eux ». Et de préciser que « ce groupe est divisé en deux camps. Une proposition a été faite par l’un d’eux : 50 frs/km contrairement à notre offre, les autres ont voulu donner gratuitement leurs camions mais ils n’étaient pas en nombre suffisant. J’ai même reçu des contacts pour me dire que l’offre de Monsieur Sourang n’engage que lui. Je rappelle que la distribution des vivres sur tout le territoire du Sénégal se fera avec la présence de l’armée » a conclu le député homme d’affaires. Une chose est sûre : difficile de distinguer la vérité du mensonge dans cette avalanche de chiffres et de déclarations. Une seule chose est sûre : c’est un député, éminent membre du parti présidentiel, l’APr, qui a remporté la mise haut la main. Honni soit qui mal y pense !