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29 septembre 2025
LE CASSE-TÊTE DE LA DIASPORA POUR ENVOYER DE L'ARGENT EN AFRIQUE
La progression du covid-19 a engendré l’arrêt de nombreuses agences de transfert d’argent. L’inquiétude grandit chez les 3,6 millions de personnes issues de la diaspora africaine, dont une partie assure un soutien financier régulier à ses proches
Le Monde Afrique |
Louisa Benchabane et Mariama Darame |
Publication 02/04/2020
Chaque année, près de 10 milliards d’euros partent de France. Une aide indispensable à beaucoup de familles du continent.
« Tout est galère en ce moment. Je ne peux pas envoyer d’argent au pays. Toutes les agences de transfert sont fermées », souffle Caroline Bedi. A 53 ans, cette femme de ménage ivoirienne se retrouve désemparée depuis le 14 mars, date de l’annonce en France de la fermeture des lieux publics « non indispensables à la vie du pays ». La progression de l’épidémie de coronavirus a engendré l’arrêt de nombreuses agences de transfert d’argent ainsi que des commerces indépendants qui proposaient ces services. Résultat, l’inquiétude grandit chez les 3,6 millions de personnes issues de la diaspora africaine, dont une partie assure un soutien financier régulier à ses proches vivant sur le continent africain.
Arrivée en France en 2015, Caroline Bedi est la mère de cinq enfants, tous restés à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Chaque mois, elle leur fait parvenir 200 euros, soit un sixième de son salaire pour leurs dépenses quotidiennes. « Mes enfants sont seuls confinés là-bas. Ils n’ont pas encore payé leur loyer et n’ont bientôt plus de riz. Mon aîné m’a dit que la plus petite avait mal au ventre et qu’il fallait l’envoyer à l’hôpital. Et je n’ai personne pour les aider », s’inquiète la quinquagénaire. Jusqu’ici, Caroline avait pour habitude de se déplacer dans les agences Moneygram, Ria ou au bureau de poste de son quartier, dans le 13e arrondissement de Paris. Mais tous ces établissements ont clos leurs portes.
Caroline Bedi est d’autant plus anxieuse que les mesures de confinement entrées en vigueur le 17 mars sur le territoire français restreignent aussi ses déplacements. « Je ne sais même pas si j’ai le droit de sortir pour envoyer de l’argent », dit-elle, cloîtrée dans son studio depuis deux semaines.
Campagnes de communication intensives
L’épidémie liée au Covid-19 risque d’avoir des conséquences immédiates sur la capacité de la diaspora à soutenir ses proches. « Le recours à ces modes d’envoi de fonds est plus important chez les immigrés arrivés récemment en France, explique Flore Gubert, économiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Les diasporas plus installées ont davantage recours à leur propre réseau, en demandant à des connaissances qui voyagent vers leur pays d’origine de transporter de l’argent par exemple. »
Ces flux financiers, qui ne sont pas inscrits dans les statistiques officielles, pourraient représenter selon les régions 35 % à 75 % des flux comptabilisés, d’après l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). « Avec l’arrêt des transports entre les pays et la fermeture des frontières, ces modes de transfert sont aussi impactés par l’épidémie », souligne Flore Gubert.
Les fonds envoyés en Afrique par les diasporas atteignent des sommes colossales. En 2017, ils s’élevaient à 70 milliards d’euros, dont près de 10 milliards en provenance de la France. Ces sommes, en constante augmentation, représentent quasiment autant quel’aide publique au développement et les investissements extérieurs faits en Afrique la même année.
Dans ce contexte, les mastodontes du secteur tels que Western Union, Moneygram ou encore Ria mènent ces dernières semaines des campagnes de communication intensives pour rediriger leurs clients vers leurs plateformes numériques, application mobile ou site Internet. Mais encore faut-il avoir les ressources nécessaires pour utiliser ces services. « Je n’ai ni smartphone, ni ordinateur. Et je ne sais pas utiliser leurs applications », déplore Caroline, la mère de famille, isolée.
Pour ceux qui se sont rabattus sur ces solutions numériques, d’autres difficultés apparaissent depuis le début du confinement. « J’envoie généralement de l’argent à ma famille au Cameroun via l’application Western Union et ça prend deux minutes », explique Naomie, qui préfère apparaître sous autre prénom. Mais la chargée de communication de 20 ans qui habite Carnac, dans le Morbihan, a eu « énormément de problèmes pour y accéder ces derniers jours. J’imagine que l’appli est saturée ».
Après avoir essayé plusieurs autres applications sans succès, Naomie s’est rendue dans l’unique bureau de poste de sa commune : « Leurs frais sont trois à cinq fois plus élevés, mais je n’ai pas eu le choix. » Elle a attendu plus d’une heure avant de pouvoir envoyer 1 300 euros à sa mère malade, bloquée à Douala, au Cameroun. Une situation exceptionnelle imposée par la fermeture des frontières du pays à cause de l’épidémie de coronavirus. « En temps normal, jamais je n’envoie jamais autant, mais j’ai peur de ne pas pouvoir l’aider plus tard si le bureau de poste ferme », confie-t-elle.
Chômage partiel
Une crainte d’autant plus forte que les mesures de confinements se profilent au Cameroun comme dans le reste de l’Afrique. « Si déjà, de notre côté, on a du mal à envoyer de l’argent, comment, eux, vont-ils faire pour le récupérer ? se demande Naomie. Là-bas, l’accès à Internet n’est pas si simple. Les gens n’ont pas de compte bancaire. Ils sont obligés de compter sur nous et c’est à nous de les aider. »
Outre la fermeture problématique des établissements de transferts d’argent, Flore Gubert redoute la baisse de revenus que pourrait causer le chômage partiel imposé à de nombreux travailleurs. « En France, les secteurs d’activité dans lesquels travaillent beaucoup d’immigrés, comme le bâtiment et les travaux publics, sont totalement à l’arrêt », insiste-t-elle. Caroline Bedi, qui est salariée dans une enseigne de restauration rapide, ne travaille plus depuis deux semaines. « Je ne sais pas si ce mois-ci je vais recevoir un salaire », lâche-t-elle, désespérée à l’idée de perdre la moitié de son smic.
Déjà en 2009, la crise économique mondiale avait provoqué un ralentissement des remises de fonds dans les pays en développement. La baisse du niveau de vie de la diaspora africaine avait entraîné une chute des envois de fonds de 20 % en Egypte ou encore au Maroc, selon les estimations de la Banque mondiale. A un mois du ramadan, le même phénomène est à craindre. Ce mois sacré de jeûne chez les musulmans est une période habituellement importante pour les transferts d’argent vers le Maghreb et une partie de l’Afrique subsaharienne.
QUI BAISSE SES PRIX À LA POMPE ?
Au Sénégal, à l’heure où nous écrivions ces lignes, aucune annonce n’avait été faite dans le sens d’une diminution des prix à la pompe
Jeune Afrique |
Christophe Le Bec - avec Mathieu Galtier, Nadoun Coulibaly, et Omer Mbadi |
Publication 02/04/2020
Après la chute des cours du brut liée à la pandémie de coronavirus, les prix des carburants sont attendus à la baisse. Sur le continent, la baisse des prix à la pompe n’est pas toujours automatique. Explications.
Depuis deux semaines, les pays francophones du continent ont commencé à répercuter la chute des cours du brut – qui ont été divisés par deux en un mois – sur les prix du carburant. Ceux-ci sont généralement régulés par les autorités locales, mais avec des rythmes différents selon les pays.
Le plus souvent mensuelles, ces régulations peuvent aussi s’établir de manière arbitraire, selon le calendrier politique ou la situation économique et budgétaire de chaque État. C’est en effet le plus souvent ce dernier qui organise l’approvisionnement – et parfois subventionne – ce secteur clef.
Stabilité en Algérie et en Tunisie
Alors que le cours du baril de Brent à Londres est passé de près de 60 dollars le 19 février à environ 26 dollars ce 2 avril, au Maghreb, seul le Maroc a pour l’instant baissé ses prix à la pompe. Le royaume chérifien a décrété deux réductions, mi-mars et le 1er avril, avec au total un prix du gasoil diminué de 1,7 dirham par litre – il se vendra désormais autour de 7 dirhams le litre (62 centimes d’euros) – et celui de l’essence de 2,8 dirhams par litre, représentant des baisses respectives de 20 % et 32 % sur un mois.
En revanche, en Tunisie, aucun changement n’a été observé, avec un prix du diesel stable à 1,83 dinar (58 centimes d’euros), tout comme celui de l’essence, de 2,07 dinars tunisiens. Le ministre tunisien de l’Économie prévoit toutefois une baisse du prix à la pompe vers la mi-mai.
Quant à l’Algérie, où les prix sont très bas car l’essentiel des carburants sont issus de la production locale, avec un raffinage sur place, aucun changement n’a été annoncé, le prix d’un litre d’essence officiel, étant de 23 dinars algériens (soit moins de 17 centimes d’euros).
Des baisses disparates en Afrique de l’Ouest
En Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont annoncé tous deux des baisses de prix comparables. À Abidjan, le prix du Super sans plomb est passé le 1er avril de 625 francs CFA le litre à 595 francs CFA (91 centimes d’euros), et celui gasoil de 610 francs CFA à 590 francs CFA le litre.
À Ouagadougou, le Comité interministériel de détermination des prix des hydrocarbures vient d’annoncer une diminution de 30 francs CFA sur le litre de super et du gasoil, ce qui aboutit à des prix au litre respectifs de 640 francs CFA et de 550 francs CFA.
En Guinée, qui sort d’une période électorale sous haute tension, le gouvernement a annoncé une baisse de 1 000 francs guinéens, entrée en vigueur ce 1er avril, ce qui signifie qu’un litre d’essence se vend désormais à Conakry à 9 000 francs guinéens, contre 10 000 francs guinéens auparavant.
Une faible diminution de 10 % qui n’a pas satisfait les puissants syndicats de transporteurs et taxis du pays, virulents sur le sujet sur les réseaux sociaux. Au Sénégal en revanche, à l’heure où nous écrivions ces lignes, aucune annonce n’avait été faite dans le sens d’une diminution des prix à la pompe.
Prix élevés au Gabon
En Afrique centrale, ces baisses des prix du carburant se font davantage désirer, alors que les États producteurs de pétrole sont lourdement affectés par la chute de leurs recettes liées aux hydrocarbures.
Pour le moment, seul le Gabon, où les prix sont plus élevés, a annoncé le 31 mars des baisses encore plus substantielles. Depuis le 1er avril, le prix de l’essence à Libreville est désormais de 605 francs CFA le litre (92 centimes d’euros) contre 685 francs CFA au mois de mars. Soit, une baisse de 80 francs CFA.
Au 2 avril, ni le Cameroun, ni le Congo Brazzaville, ni la RD Congo n’avaient encore annoncé des diminutions de prix.
LA FORCE BARKHANE TOUCHÉE PAR LE COVID-19
Quatre officiers français déployés au Sahel dans le cadre de l'opération antidjihadiste ont été testés positifs au coronavirus
Quatre officiers français déployés au Sahel dans le cadre de l'opération antidjihadiste Barkhane ont été testés positifs au coronavirus, a indiqué jeudi 2 avril l'état-major, ce qui constitue les premiers cas rendus publics parmi les forces françaises projetées en opérations extérieures.
"L'opération Barkhane a connu ses quatre premiers cas confirmés d'infection par le coronavirus", selon l'état-major.
Parmi ces quatre officiers, "un des patients est pris en charge et soigné sur place, et trois autres ont déjà été rapatriés" vers la France, "de même qu'un autre officier symptomatique sans pour autant avoir été testé", précise le porte-parole de l'état-major, le colonel Frédéric Barbry.
Ces quatre officiers testés positifs au Covid-19, "arrivés en bande sahélo-saharienne il y a plusieurs semaines", sont "à ce stade asymptomatiques".
Le diagnostic a été confirmé par des tests effectués sur place par le service de santé des armées, par un laboratoire biologique civil local ou à leur arrivée en France.
"Tous les cas 'contact' ont été identifiés et placés en quatorzaine en zone dédiée", souligne le colonel Barbry, en précisant que "ces cas de contamination, de même que les dispositions prises pour préserver le personnel de la force n’ont pas d’impact sur les opérations, qui se poursuivent à un rythme soutenu".
Le ministère français des Armées déplore par ailleurs dans ses rangs un premier décès dû au coronavirus, a-t-il annoncé jeudi 2 avril : il s'agir d'un employé civil du service d'infrastructure de la défense (SID), décédé le 30 mars à l'âge de 62 ans.
L'opération andijihadiste Barkhane, forte de 5.100 militaires, lutte contre les mouvements jihadistes en collaboration avec les pays du Sahel, Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie et Tchad. C'est la principale opération extérieure des armées françaises
SCÉNARIO CATASTROPHE POUR L'AFRIQUE FACE AU CORONAVIRUS
S’il n’est pas aidé, ce continent, où le confinement est impossible, risque de servir de réservoir au virus, qui reviendra alors dans les pays du Nord
Le Figaro |
Tanguy Berthemet |
Publication 02/04/2020
L’épidémie de coronavirus descend lentement au sud, gagnant peu à peu toute l’Afrique. Désormais seuls 5 États sur 54 sont indemnes, et encore, ces données sont sujettes à caution. Dans le petit archipel de Sao-Tomé-et-Principe, le gouvernement reconnaît qu’il n’a aucune capacité de test, tandis que les Comores s’attendent à être touchées très vite. L’Afrique sera entièrement frappée et le virus progresse maintenant très vite, souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Même si les cas restent relativement peu nombreux officiellement - 5 287 le 31 mars pour 172 morts - le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, appellent les États africains à réagir «fortement» et vite.
Comme le souligne la Fondation Mo Ibrahim, dans un rapport publié de 30 mars, l’Afrique «est la plus faible capacité» de réponse, et «si le virus se répand, les dégâts seront substantiels sur les citoyens et sur l’économie». Les signes qui poussent à l’optimisme sont rares. La question de la chaleur, qui pourrait être un barrage au développement du Covid, n’a jamais été démontrée. La démographie pourrait certes représenter un avantage. L’Afrique est un continent très jeune. L’âge médian est de moins de 20 ans et les plus de 65 ans, qui représentent la majorité des cas sévères, compte pour moins de 3 %. Mais ces bonnes données sont contrebalancées par des facteurs aggravants, notamment la forte présence de maladies pulmonaires, comme la tuberculose ou de maladies endémiques, à commencer par le paludisme, qui affaiblissent l’organisme.
Surtout, la possibilité de se calquer sur le modèle asiatique ou européen pour endiguer l’épidémie est peu réaliste. Le confinement, appliqué dans une vaste partie du globe, est un défi pour les mégalopoles africaines. Dans les bidonvilles, la promiscuité comme la pauvreté sont extrêmes. Le président du Bénin, Patrice Talon, l’a reconnu, lundi, sans ambages. «Comment peut-on, dans un tel contexte où la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille, décréter sans préavis, un confinement général de longue durée?», s’est-il interrogé, évoquant le risque «d’affamer tout le monde». Moins directs, bien des présidents sont arrivés à des conclusions identiques, et ont donc opté pour des solutions intermédiaires afin de limiter la circulation dans les villes: fermeture des aéroports, des lieux de culte et des bars, couvre-feu, barrages… mais pas de confinement complet. Les Congolais qui devaient l’appliquer quatre jours par semaine, à partir de vendredi, à l’immense Kinshasa, près de 12 millions d’habitants dont plus de la moitié dans la grande pauvreté, ont finalement reculé. Le risque d’émeutes était trop grand. L’Afrique du Sud, à la capacité sanitaire supérieure, s’y est risqué, mais non sans difficulté. Le Nigeria a aussi annoncé un arrêt total des activités des 21 millions de résidents de la tentaculaire Lagos.
Pour éviter le pire, l’Afrique a besoin d’une «réponse unique», analyse John Nkengasong, le directeur de Centres for Disease Control (DCD) Africa, une structure de l’Union africaine. Mais, pour l’instant, par manque de moyens techniques et financiers, rien n’avance. «Il faut faire de l’Afrique une priorité absolue de la communauté internationale avec un investissement massif», a souligné mardi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un rapport. Les experts estiment qu’il faut une mobilisation pour aider les finances des pays les plus faibles, au risque de connaître «des millions et des millions de contaminations». L’ONU estime à 3 000 milliards de dollars la somme nécessaire, tant pour combattre l’épidémie que pour soutenir l’économie des pays en voie de développement. Il faut aussi un moratoire sur la dette africaine et une nette augmentation des capacités d’action du Fonds monétaire internationale (FMI).
Face à de tels besoins, la mobilisation internationale est pour l’instant très loin du compte. Pour Antonio Guterres, il faut pourtant se presser: «Plus il y aura de malades et plus le risque de mutation du virus est grand. Dès lors, tous les investissements faits sur un vaccin seront perdus et la maladie reviendra du Sud vers le Nord.»
AUDIO
L'AFRIQUE EXPÉRIMENTÉE MAIS VULNÉRABLE FACE AU COVID-19
Encore une fois, le continent où tout est priorité se trouve embarqué dans une crise de grande ampleur. L'Afrique y est-elle préparée ? Débat avec Kinde Gazard, Boubacar Boris Diop et Mwayila Tshiyembe
Avec ses expériences acquises dans la gestion de la rougeole et des épisodes d'Ebola, l'Afrique paraît avertie. Pourtant, une explosion de cas de Covid-19 pourrait rapidement conduire le continent à ses limites. La plupart des pays sont loin d'assurer le déploiement de moyens financiers importants constaté dans les pays riches. L'Afrique, perdante de la mondialisation ?
La pandémie liée au nouveau coronavirus ou Covid-19 est un problème de santé qui est rapidement devenu un problème aussi de géopolitique. Le virus a infecté le système de production qui est contraint au ralentissement.
Les Etats prennent des mesures drastiques. D'importants moyens financiers sont investis dans l'espoir de garder le contrôle. Les frontières se ferment. Mais l'Afrique dans tout ça ?
Encore une fois, le continent où tout est priorité se trouve embarqué dans une crise de grande ampleur. L'Afrique y est-elle préparée ? Fréjus Quenum en discute avec des spécialistes de la santé et des relations internationales.
- Professeur Dorothée Kinde Gazard, ancienne ministre de la Santé du Bénin, médecin de formation, spécialisée en parasitologie-mycologie, Chef service du laboratoire de microbiologie au CNHU de Cotonou - Boubacar Boris Diop, Ecrivain et intellectuel sénégalais, auteur entre autres de "Murambi, le livre des ossements" - et Mwayila Tshiyembe, professeur de Sciences politiques, Directeur de l'Institut panafricain de Géopolitique et du centre de géopolitique de l'Université de Nancy, Doyen de la faculté de droit de l'université de Kisangani (RDC)
par Fatoumata Tacko Soumaré
LETTRE ADRESSÉE À MES ÉLÈVES
EXCLUSIF SENEPLUS - Maintenant que vos professeurs sont loin et que vous disposez de beaucoup de temps pour étudier en ces jours sombres, vous ne savez pas comment vous y prendre - Faites preuve de détermination et sachez prendre des initiatives
Il est vrai qu’à la suite de l’annonce de la suspension provisoire des cours le Samedi 14 Mars 2020 par le président de la République du Sénégal, les élèves n’ont pas manqué de manifester, à travers leurs statuts WhatsApp et publications Facebook, toute leur joie pour ces vacances anticipées et prolongées. Nous nous sommes tous amusés à les partager, les commentaires allaient bon train pour dénoncer cette insouciance de nos potaches. Il n’était heureusement que passager. A l’heure actuelle, cet arrêt momentané des cours semble les désemparer autant qu’une maladie.
Pour une première, vous êtes obligés de rester chez vous sans que les grèves des professeurs et les vacances de Pâques n’en soient la cause. Avez-vous été assez préparés pour affronter une telle situation ? Etes-vous suffisamment armés pour ne pas désapprendre ? Etes-vous assez outillés pour apprendre par vous-mêmes ? Avez-vous un moral d’acier pour accepter une éventuelle année blanche ? Cette séparation brusque avec vos camarades et professeurs ne vous a-t-elle pas atteint psychologiquement ? Les classes ne vous manquent-elles pas ? Les séries de questions que je me suis posées sont loin d’être exhaustives, cher(e)s élèves, mais j’aimerais tout de même m’adresser à vous, non pas dans le but de répondre pleinement à ces questions, mais juste pour vous dire ma lecture des faits.
La nouvelle pédagogie mise en place fait de l’élève le centre de toutes les activités. Il ne s’agit pas que de théories. La pratique aussi devrait la confirmer. L’enseignant(e) que je suis n’ignore pas que, le plus souvent, vous, à contrario, attendez beaucoup pour ne pas dire tout du professeur. C’est lui qui fait la leçon, c’est lui qui pose les questions et c’est aussi lui qui, souvent, y répond. Le professeur est celui qui fait le cours devant vous, alors même qu’il est recommandé qu’il le fasse avec vous. Aujourd’hui, à quelques exceptions près, beaucoup d’entre vous, se retrouvent sans exercice et ne savent pas quoi faire puisque rien de tout cela n’était prévu. La vie est imprévisible. C’est la raison pour laquelle il faut toujours prendre les devants et ne pas remettre à plus tard ce qu’on peut faire aujourd’hui.
Nous sommes tous stressés face à cette pandémie ; vous l’êtes encore plus puisqu’en plus de cette maladie, vous pensez aussi à vos études qui ont connu un brutal arrêt à une période si sensible (le début du second semestre et la proximité des examens de fin d’année). À quelque chose, malheur est bon, dit-on ! S’il y a alors une leçon à en tirer, c’est le besoin faire davantage preuve de détermination au sortir de cette situation. Nous ne vivons plus au XIXe siècle où il fallait tout attendre du professeur. Ce dernier était craint de ses élèves qui n’osaient même pas l’approcher. Je crois que de nos jours, beaucoup de choses ont changé pour ne pas dire tout a changé. La nouvelle pédagogie vous a donné une place centrale et c’est vous les principaux acteurs dans l’enseignement. Malheureusement, peu d’entre vous en sont conscients. Il n’est cependant jamais trop tard pour bien faire. Encore une fois, vous êtes au cœur de la pratique éducative. Faites preuve de détermination et sachez prendre des initiatives. Au moment où j’écris ce texte, rien ne peut être fait peut-être, mais si ces lignes pourraient, après, être le déclic pour retrouver et occuper pleinement votre place, alors je m’en estimerais heureuse.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’il suffit de faire preuve de volonté pour que vos enseignants fassent l’impossible pour vous. Combien êtes-vous, à faire des exercices à la maison et à les remettre à vos professeurs ? Vous vous en voulez de n’avoir pas su profiter des opportunités qui vous étaient offertes. Maintenant que vos professeurs sont loin et que vous disposez de beaucoup de temps pour étudier en ces jours sombres, vous ne savez pas comment vous y prendre. Pour la plupart, peut-être même avez-vous désappris.
Dans les pays développés, les élèves ont encore la chance d’être suivis à distance grâce à l’outil informatique. Des séances de remédiation se font de la manière la plus simple qui soit. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’ils en sont arrivés. Loin de là ! Le numérique était intégré dans le processus-enseignement apprentissage depuis la maternelle. Ici au Sénégal, nos élèves essaient de se familiariser avec l’ordinateur, ils n’ont pas assez de connexion et certains d’entre eux sont dans des zones très reculées. C’est l’occasion d’attirer l’attention de notre gouvernement en général et du ministère de l’Education nationale en particulier pour panser les maux qui gangrènent notre système éducatif. Lors de la suspension des cours, un opérateur de la place a offert à ses clients des « pass éducation » pour qu’ils puissent faire des recherches. C’est certes louable mais je doute de son apport pour des élèves qui accèdent rarement à ces sites. Avec la pandémie, le ministère a mis à votre disposition ses supports numériques pour la continuité de l’enseignement-apprentissage. C’est louable également, mais ce ministère aurait-il oublié que le site SIMEN (Système d’Information et de Management de l’Education Nationale) réservé aux enseignants n’est pas accessible sur toute l’étendue du territoire ? Des chaînes télévisées ont également eu la belle idée d’organiser des cours pour vous aider davantage. L’enseignement, cependant, n’est pas du tâtonnement, il nécessite la prise en compte de plusieurs paramètres et pour ma part, j’estime que certaines émissions n’étaient pas bien pensées. Au début, vous étiez enthousiastes (c’est normal car nous sommes le plus souvent dans le sensationnel) mais parvenez-vous réellement à en tirer quelque chose ? Psychologiquement, ne considérez-vous pas ces cours comme des passe-temps pour davantage donner l’impression aux parents que vous étudiez ? En échangeant avec certains d’entre vous, pour un tout petit peu jauger le niveau d’engagement, j’ai pu lire que vous aviez du mal à vous concentrer à la maison en cette période d’auto-confinement. Les filles me disent qu’elles sont tout le temps dans la cuisine et qu’elles ne parviennent pas à étudier correctement et les garçons soulignent qu’il y a trop de bruit dans les demeures. Je vous le concède. Néanmoins, j’ai ma toute petite idée qui me dit que ce sont certes des raisons valides mais insuffisantes. En effet, il y a plus que cela !
C’est certainement dû au fait que les parents aussi n’ont pas senti ce degré d’engagement dans le processus enseignement-apprentissage dont je parle. Tant que vous n’aurez pas intégré que les cours ne se limitent pas à ce qui se fait à l’école, il sera très difficile que votre entourage vous prenne au sérieux en vous accordant au moins l’heure précieuse de calme qui vous permettra de traiter tel ou tel exercice. Quelle que soit la discipline, pour être un bon élève, il faut s’exercer. Généralement, vous pensez que ce sont les matières scientifiques qui nécessitent des applications. Non ! Pour avoir la main en dissertation et en commentaire, il n’y a pas de secrets : dissertez et commentez le plus possible.
Je commence à être longue et la lecture semble être un sacerdoce ! Permettez-moi de terminer cette interpellation en vous rappelant encore que rien n’est perdu. On peut toujours se rattraper. J’espère que ces jours de « vacances forcées » contribueront largement à l’amélioration de notre noble mission avec des élèves beaucoup plus engagés qui nous donneront davantage le goût d’enseigner. Nous avons tous hâte de nous retrouver. Vous, encore plus, je l’espère.
Revenez-nous plus enthousiastes
Revenez-nous plus motivés
Revenez-nous plus consciencieux
Revenez-nous plus courageux
Revenez-nous plus lucides
Cher(e)s élèves,
Prenez des initiatives
Forcez-nous la main
Soyez plus concentrés
Occupez pleinement votre place
Jouez le rôle qui est attendu de vous
Ayez des défis
La vie, elle-même n’est que défi, tout est défi, et tous ont des défis à chaque étape de leur vie. Ce sont les défis qui vous rendront plus ambitieux, les défis vous maintiennent sur le chemin de la constance, ils vous empêchent de baisser les bras, ils sont ce qui nourrit votre espoir. En conséquence, ils balisent le chemin de la réussite. Cette dernière n’est que l’aboutissement d’un long parcours, elle se construit. Construisez-la, même si elle nécessite la souffrance et la douleur.
Quant à nous, nous ferons le nécessaire pour vous accompagner davantage, nous serons les modérateurs de vos débats (pas vos maîtres). Une fois que vous aurez compris tout cela, vous ne vous sentirez plus étrangers à l’école. Vous aimerez la fréquenter plus, vous la découvrirez progressivement et vous vous rendrez finalement compte que l’école n’est que ce que vous faites d’elle. Par conséquent, il est urgent que nous fassions tous l’effort de lui redonner la place qui lui sied.
Ensemble, pour une éducation de qualité !
Fatoumata Tacko Soumaré est Professeur de philosophie à LPA 13, Doctorante au département de philosophie.
COMBIEN DE PERSONNES SONT CONFINÉES DANS LE MONDE ?
«CheckNews» dénombrait, au niveau international, environ 2,63 milliards de personnes contraintes de rester chez elles au 30 mars
Si l’on ne prend cette fois que les personnes contraintes de rester confinées chez elles (en excluant donc les pays où il n’y a que des mesures incitatives de la part des gouvernements), 2,63 milliards de personnes étaient strictement confinées dans le monde au 30 mars, soit plus d’une personne sur trois, selon les calculs de CheckNews.
Pour arriver à ce chiffre, nous nous sommes basés sur les informations relatives au confinement disponibles sur les sites officiels des gouvernements locaux, des ambassades françaises, et sur les articles des médias locaux. A partir de ces éléments, nous avons distingué trois catégories différentes de pays.
Confinement général
Tout d’abord, les pays qui ont décrété un confinement général. Il s’agit des pays dont l’ensemble de la population est assignée à résidence sous peine de sanctions, sauf pour des cas exceptionnels définis par les autorités (achats de première nécessité, déplacements professionnels, motifs de santé…). C’est le cas de la France, de l’Italie et de 55 autres pays.
Confinement partiel
D’autres pays ont opté pour un confinement partiel. Dans ces pays, seules certaines zones (villes, régions, provinces…) ou certaines parties de la population (en raison de leur âge, notamment) sont concernées par des mesures de confinement. C’est le cas de la Russie ou des Etats-Unis, par exemple. Mais aussi de la Chine. En effet, alors que la pandémie a commencé sur le territoire chinois, le régime communiste n’a jamais mis en place de confinement généralisé à l’ensemble du pays. Au début de la crise sanitaire, après avoir tardé à communiquer sur l’étendue de la situation, la Chine a décidé de la mise en quarantaine de la province du Hubei, berceau de l’épidémie pour empêcher sa propagation, privant de déplacement quelque 50 millions d’habitants. Une décision alors rarissime en termes de santé publique.
Au fil d’un bilan qui s’alourdissait au sein de la province, les restrictions se sont renforcées à l’encontre des citoyens du Hubei qui ont reçu l’interdiction de quitter leur domicile à l’exception de déplacements pour se ravitailler en nourriture. Alors que la situation semble se stabiliser sur son territoire, la Chine a desserré son étau sur la province. Le 25 mars, les habitants du Hubei ont retrouvé leur liberté et peuvent désormais se déplacer dans le reste du pays. Ils doivent tout de même s’astreindre à une quarantaine de quatorze jours à leur arrivée dans une autre ville chinoise. Dorénavant, seule la ville de Wuhan (11 millions d’habitants) est encore confinée jusqu’au 8 avril, date de la levée des dernières mesures. Outre les Wuhanais, les seules personnes encore soumises à un confinement sont les voyageurs revenant de l’étranger qui doivent s’isoler pendant quatorze jours.
Pas de confinement
Enfin, certains pays n’ont pas pris de mesures de confinement au sens strict du terme : la population n’y est donc pas (encore) dans l’obligation de rester chez elle, bien qu’elle puisse y être incitée par le gouvernement. Dans ces pays, des mesures visant à lutter contre la propagation du virus ont généralement été prises (établissement d’un couvre-feu, fermeture des écoles, des restaurants, impossibilité de se déplacer dans l’ensemble du territoire…). C’est le cas en Finlande, au Vietnam, au Togo et dans 107 autres pays.
Ces chiffres sont basés sur les déclarations officielles datées au plus tard du 30 mars. Les gouvernements sont susceptibles de faire évoluer leurs décisions en fonction de l’évolution de la pandémie dans leurs pays respectifs.
Encore une victime du coronavirus et pas n’importe laquelle, hélas !, pour les amis de « L’Abreuvoir » du Sénégal, toutes générations confondues. Docteur Jean-Claude Bernou, past-président de cette association qui a fait de la convivialité son credo, est décédé à Paris ce 29 mars 2020.
Paradoxe, ce médecin qui a sauvé des milliers de vies de son vivant et aussi aidé des milliers de femmes à donner la vie, cet « Africain » spécialiste des maladies tropicales a été emporté par une maladie qui présente tous les symptômes d’une pathologie tropicale, le coronavirus en l’occurrence. Auteur de « Comme un chameau », Dr Bernou, 50 ans de vie et de médecine tropicale », un ouvrage de référence, Dr Jean-Claude Bernou a présidé aux destinées de « L’Abreuvoir » durant trois décennies avant de rentrer dans son pays d’origine, la France, pour raisons d’une maladie chronique. L’ancien propriétaire de la célèbre « Clinique internationale » sise à la Zone B, en face de l’Ecole nationale d’Administration (ENA), en tant que past-président, était revenu au Sénégal il y a trois ans pour ce qu’il considérait comme un pèlerinage.
Ses compagnons de « L’Abreuvoir » l’avaient reçu chaleureusement le samedi 25 novembre 2017. A cette occasion, votre fidèle serviteur avait eu l’insigne honneur de dire le mot de bienvenue ou, plutôt, de bon retour chez lui au maître des lieux. C’est donc avec un immense plaisir que j’avais assumé cette belle mission. J’avais cité les passages suivants assortis d’un commentaire de son livre « parler de l’Abreuvoir, c’est pour moi évoquer un forum qui n’existe qu’à Dakar et une institution indissociable de ma vie au Sénégal dans cette deuxième partie du 20ème siècle. « L’Abreuvoir », ce carrefour d’idées et d’amitiés sur fond de grande indépendance d’esprit. Malgré toutes les jalousies et tous ces scories et préjugés de toutes sortes, il me paraît plus que nécessaire de gommer cela de la magnifique épopée de L’Abreuvoir de 1960 à nos jours. Ce bien que ce carrefour ait été créé en 1940. »
Alors, Docteur, past-président, j’allais dire Maître, heureusement que vous avez eu la hauteur de pardonner leur ignorance. Merci l’humaniste. Me revient à l’esprit la page 258 de votre excellent ouvrage, dans le chapitre consacré justement à « L’Abreuvoir » notamment dans la deuxième partie où vous rapportez ce témoignage de Me Paul Bonifay, créateur de « L’Abreuvoir ».
Sans être exhaustif « 50 ans de vie et de médecine tropicale » se voulait un sobre exercice afin de rafraîchir la mémoire et donner la bonne information à ceux qui arrivent…la grande indépendance d’esprit et d’un humanisme fait de tolérance ». Ces mots ont été si bien écrits par un généreux past-président de « L’Abreuvoir » du Sénégal unique au monde. L’humanité est victime du coronavirus qui va sans doute consacrer un nouvel ordre mondial par un changement radical à partir d’un nouveau paradigme quand l’humain vaincra un ennemi invisible de toute l’humanité en devenant de plus en plus humain. Ce que nous ne devons jamais cesser d’être en mettant davantage en relief notre dimension immatérielle intarissable. Adieu, Docteur, Maître, past-président, humaniste Jean Claude Bernou.
Tous les compagnons de « L’Abreuvoir » te saluent et te rendent hommage.
Par Mamadou Oumar NDIAYE
MACKY, «BUUR» ET «BUMI» POUR QUEL USAGE OU QUELS ABUS ?
Macky Sall saura t-il résister au supplice de Tantale qui prendrait la forme pour ce coup-ci d’un troisième mandat présidentiel ? Réponse quand il aura fini de vaincre l’hydre Covid-219 !
Dans le Kaymor, la plus importante province du Sine (tiens !), le Boumi était un véritable roi-bis qui détenait des pouvoirs aussi étendus que redoutables. Il levait les impôts, distribuait les richesses et les terres (ou les confisquait !), rendait la justice, édictait les lois (sous la forme de nos modernes ordonnances !), nommait, révoquait, faisait chicoter tous ceux qui lui déplaisaient, avait pratiquement droit de vie et de mort sur les sujets.
Le roi régnait en quelque sorte mais ne gouvernait pas. Mais il arrivait parfois que le roi (bour) confisque les pouvoirs du « boumi » pour les ajouter aux siens propres, ce qui en faisait évidemment une sorte de dictateur concentrant entre ses mains tous les pouvoirs. D’où l’expression wolof « moy buur di bumi » qui désignait un tel despote. Eh bien on peut dire que le président Macky Sall, lui-même né dans le Sine, est depuis hier lui aussi à la fois « buur » et « bumi » puisque, désormais, il ajoute le pouvoir législatif, dévolu à l’Assemblée nationale, aux redoutables pouvoirs qui sont les siens en tant que président de la République. Non seulement il préside aux destinées de la Nation dont il détermine la politique, mais aussi, on le sait et de manière non exhaustive, il est le chef suprême des Armées, président du Conseil supérieur de la Magistrature, chef de la Diplomatie, Commandeur des Arts et Lettres, signe les traités internationaux en plus de nommer aux fonctions civiles et militaires, de présider — mais ça, ce n’est pas constitutionnel —, le parti au pouvoir etc. Ah, (pardon Haj Mansour Mbaye !), il est aussi le gardien de la Constitution et le garant du fonctionnement régulier des institutions. De la pléthore d’institutions devrait-on dire mais enfin… Il y a bientôt un an, il a repris à son compte les pouvoirs, qui n’étaient pas minces, du Premier ministre pour des impératifs de « fast-track ».
Et depuis hier, il est l’Assemblée nationale à lui tout seul puisque les pouvoirs législatifs lui ont été en quelque sorte délégués. Officiellement, au nom de l’impératif de guerre contre la terrible pandémie du coronavirus. Mais la tentation, comme le dictateur hongrois Viktor Orban, d’abuser de pouvoirs aussi tentaculaires pour réaliser un agenda personnel est si tentante. Le « buur » et « bumi » Macky Sall saura t-il résister au supplice de Tantale qui prendrait la forme pour ce coup-ci d’un troisième mandat présidentiel ? Réponse quand il aura fini de vaincre l’hydre Covid-219 !
Par Serigne Saliou GUEYE
CONTROVERSE AUTOUR DE LA LOI D'HABILITATION
Le talon d’Achille de la loi d’habilitation, c’est qu’elle ne dit pas de manière claire et précise les matières dans lesquelles le président est habilité à intervenir. C’est là où se situe la crainte des opposants
La loi habilitant le Président à légiférer par ordonnances a fini par semer la discorde au sein de la classe politique. Si certains invoquent la situation de guerre sanitaire contre le Covid-19 pour donner les pleins pouvoirs en vertu de l’article 77 de la Constitution, d’autres récusent une telle posture parce que la loi telle que présentée ne fixe pas précisément les matières dans lesquelles le président doit légiférer. Et même si on est en guerre, il ne faut pas donner un blanc-seing au chef des troupes au risque d’en abuser. « Conformément à l’article 77 de la Constitution, je saisirai l’Assemblée nationale d’un projet de loi habilitant le président de la République à prendre, pour une durée de trois mois, des mesures relevant du domaine de la loi », avait déclaré Macky Sall lors de son adresse à la nation le 23 mars dernier.
Ainsi le conseil des ministres du mercredi 25 mars a examiné le projet de loi, habilitant le président de la République à prendre par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face à la pandémie de Covid-19. Et une semaine après, une trentaine de députés de l’Assemblée nationale a voté la loi qui donne au président Sall toute la latitude de légiférer normalement dans un domaine bien précis et dans un temps bien précis. Au préalable, le chef de l’Etat a reçu au palais de la République diverses personnalités politiques pour demander le soutien unanime pour le vote de la loi. Les hommes et femmes politiques qui ont été reçus par le président n’ont pas manqué au sortir de leur audience de déclarer avec émotion qu’ils soutiendraient toutes les initiatives présidentielles afférentes à la lutte contre le Covid-19. Comme s’ils étaient envoûtés par le face-à-face avec le président, les politiciens reçus par Macky se sont prononcés émotionnellement sur la situation quand les journalistes de la RTS leur tendaient le micro pour recueillir leurs impressions.
Au plan de la publicisation des audiences, Macky Sall a frappé un grand coup. A travers ces audiences qui ont fini par prendre les allures d’une OPA politicienne, Macky Sall a voulu montrer et démontrer aux Sénégalais qu’il est un président d’ouverture et de dialogue. Et de là, les Sénégalais verraient mal qu’un homme politique au sortir du palais ne soit pas d’accord avec l’initiative présidentielle à propos des mesures qu’il compte prendre pour gérer la situation imposée par le Covid-19. Mais déjà, on subodorait la position d’Ousmane Sonko lorsqu’il a déclaré aux journalistes de la RTS qu’il attend de savoir les modalités de l’utilisation et du contrôle de l’enveloppe de 1 000 milliards destinée au fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19. Mamadou Diop Decroix était aussi l’un des rares convives du palais à ne pas céder à l’émotion liée à la situation du moment.
Ces positions divergentes d’acteurs politiques
En recevant tous les acteurs du jeu politique, Macky Sall a pris à témoin tout le peuple quant à une éventuelle opposition à son projet de loi d’habilitation qui lui donnerait toutes les coudées franches pour gouverner par ordonnances. C’est pourquoi certains députés de Bennoo Bokk Yaakaar s’en sont pris rageusement à ces hommes politiques qui ont eu l’outrecuidance d’émettre des réserves voire de critiquer ce projet de loi habilitant le président de la République à prendre, par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face à la pandémie du COVID-19. Ainsi, dans une contribution postée dans sa page facebook, le député Sonko a décidé de s’abstenir de voter un projet de loi qui, selon lui, « concentrerait entre les mains d’un seul homme une manne financière dont le montant n’est pas spécifié dans le projet, conférerait au président de la République des pouvoirs exceptionnels en toute matière, dépassant largement le seul cadre de la lutte contre le COVID-19 et ses implications sociales et économiques. »
Le leader de Pastef motive, en sus, son refus de vote de la loi du fait qu’elle « n’est pas précédée de la présentation d’un plan de lutte permettant d’en saisir les détails et qui n’est non plus pas précédé de la présentation à l’Assemblée nationale d’un projet de loi de finances rectificative ». Thierno Bocoum tire dans la même direction que Sonko parce qu’il ne comprend pas « pourquoi le président de la République a besoin de mesures budgétaires dans le cadre d’une habilitation alors qu’il dispose de deux leviers importants à savoir un projet de loi de finances rectificative et des décrets d’avance ». Et selon le leader du mouvement Alliance générationnelle pour les intérêts de la République (Agir) « les conditions cumulatives prévues par l’article 23 de la loi organique relative aux lois des finances dans le cadre d’un décret d’avance sont aujourd’hui bien remplies : l’urgence et la nécessité impérieuse d’intérêt national». Mamadou Lamine Diallo n’est pas en reste.
Dans un tweet rédigée le jour du vote de la loi, le leader de Tekki a fait savoir qu’« il ne participerait pas au vote de la loi d’habilitation qui donne le pouvoir au président Macky Sall même s’il partage l’idée d’un front uni de lutte contre le coronavirus dans le respect de la constitution, des lois et de la transparence ». Moustapha Diakhaté de la mouvance présidentielle, toutes griffes dehors, est le dernier des mohicans à rejoindre les contempteurs de la loi d’habilitation. Aussi avait-t-il invité les députés à rejeter le projet de loi qui cache des velléités de dictature. C’est pourquoi, il préconise qu’«il faut confiner la loi d’habilitation dans le seul cadre budgétaire de la riposte contre le coronavirus et ses effets économiques, sociaux et sanitaire parce que le Sénégal n’est pas confronté à une guerre civile ou à une insurrection mais à un péril sanitaire, social et économique ». Aujourd’hui, certains députés de la mouvance présidentielle, de l’opposition et des non-alignés comprennent mal qu’en cette période de guerre contre l’ennemi Covid19, certains politiques ne puissent pas accorder leur blanc-seing au chef de guerre qui demande des armes « légales et légitimes » pour venir à bout de l’ennemi commun.
L’opportunité d’une telle loi
Mais une telle loi s’impose-t-elle-même si le Sénégal est en période de pandémie qui a fini par installer la psychose dans la tête de tous les Sénégalais ? Le Parlement (Sénat et Assemblée nationale) de la France qui est dévastée par la pandémie n’a pas voté une loi d’habilitation pour le gouvernement du Premier ministre Edouard Philippe. Toutefois, il a voté une loi permettant au gouvernement d’instaurer un état d’urgence sanitaire de deux mois face à l’épidémie du coronavirus. Cette loi, qui comprend un volet financier et un autre sanitaire, donne le pouvoir au Premier ministre de prendre « des mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire ». Même si nous sommes en guerre contre cette pandémie, devons-nous pour autant mettre en congé l’Assemblée nationale et laisser légiférer à sa guise le président Sall ?
La loi constitutionnelle (article 77) qui permet au chef de l’Etat de légiférer par ordonnances en ces circonstances n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt de l’article 52 de la Charte fondamentale ? Cette loi stipule que « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le Président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels » ? Le talon d’Achille de la loi d’habilitation, c’est qu’elle ne dit pas de manière claire et précise les matières dans lesquelles le président est habilité à intervenir. C’est là où se situe la crainte des opposants cités supra et de plusieurs Sénégalais qui soupçonne le président de vouloir intervenir au-delà des limites de la pandémie.