"L'ÉMERGENCE EST CORRÉLÉE À LA MAÎTRISE DE LA DÉMOGRAPHIE"
Pour l'économiste togolais Kako Nubukpo qui vient de publier « L'Urgence africaine, changeons de modèle de croissance », les erreurs se sont multipliées sur le chemin du développement de l'Afrique, où les désirs des citoyens n'ont pas été pris en compte
Le Point Afrique |
Agnès Faivre |
Publication 26/09/2019
Le ton est donné dès le premier chapitre intitulé « L'Afrique, laboratoire du néolibéralisme ». Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais, y soutient que « la tragédie grecque fut d'abord africaine ». « Au fond, c'est comme si on n'avait rien compris aux leçons de l'ajustement structurel imposé durant plus de trente ans en Afrique », se dit-il lorsqu'il assiste, effaré, aux mesures mises en place par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) dans le contexte de la crise financière grecque de 2008.
L'ajustement structurel, qui désigne ces politiques d'inspiration néolibérale imposées à l'Afrique à partir des années 1980, l'a aussi marqué à titre personnel. « J'appartiens à une génération née à la fin des années 1960, et mon adolescence, c'est l'ajustement structurel. Et quand on dit que les élites africaines ne rentrent pas en Afrique, on oublie parfois que ce fut aussi un traumatisme pour la classe moyenne urbaine africaine qui n'avait plus d'avenir chez elle. Parmi les gens de ma génération qui ont eu la chance de partir, très peu sont revenus au pays. Très peu », nous dit-il.
L'urgence africaine, changeons le modèle de croissance, paru aux éditions Odile Jacob, cependant, est loin de se résumer à cette seule analyse des paradoxes des mesures élaborées par les institutions financières internationales durant ces décennies du « tout-marché ». Celui qui est devenu récemment doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l'université de Lomé – il est aussi chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) – y passe en revue de nombreux enjeux auxquels le continent est confronté. La démographie, les migrations, le franc CFA – un de ses sujets de prédilection –, le marché commun, ou « les faux-semblants de l'émergence ». Il plaide aussi pour un retour du « politique », à travers des formes hétéroclites, et de la souveraineté. Et donne quelques raisons d'espérer. « Nous avons tout en Afrique : la terre, les travailleurs, et même les fonds quand on voit les flux de capitaux illicites qui sortent du continent. Selon la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, cela représente près de 80 milliards de dollars par an. C'est bien plus que les flux d'aide publique au développement et d'investissements directs étrangers », confie-t-il au Point Afrique. Éclairant.
Le Point Afrique : Pourquoi parler d'« urgence » à changer de modèle de croissance ?
Kako Nubukpo : L'idée d'« urgence » contenue dans le titre du livre renvoie à la jeunesse africaine qui arrive chaque année sur le marché du travail. Selon les chiffres de la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), ils seront 600 millions au cours des quarante prochaines années, ce qui représente 15 millions de jeunes par an. Moi qui dénonce depuis une quinzaine d'années le caractère ultrarestrictif des politiques publiques, je ne peux qu'être interpellé par le hiatus inévitable entre la forte demande d'emploi à venir et les lacunes en matière de politiques publiques volontaristes. À partir de ce constat qu'on pourrait qualifier de prospectif, j'ai donc essayé de voir comment on en était arrivé là en remontant le fil de ces 30-40 dernières années.
À travers ce cheminement, vous employez une notion récurrente pour caractériser le rapport au monde du continent africain, qui est celle d'extraversion. De quoi s'agit-il ?
L'extraversion se caractérise par une situation où les forces productives, les rapports sociaux de production, les forces intellectuelles sont davantage façonnés par l'extérieur qu'à partir des réalités locales. En Afrique, et en particulier en Afrique francophone, nous avons trois illustrations de cette extraversion. Premièrement, dans le secteur réel de l'économie, avec, par exemple, le fait d'exporter des matières premières sans les transformer sur place. Deuxièmement, dans le secteur monétaire et financier ; c'est notamment l'idée d'avoir un véhicule d'accumulation de richesses hors du continent, symbolisé par le franc CFA. Troisièmement, dans le secteur intellectuel, où on observe une importation des idéologies en vogue en Occident. Or, il semble que ces trois modalités d'extraversion se renforcent les unes les autres, pour créer finalement un système dual, au sein duquel les élites, d'un côté, et la population, de l'autre, vivent chacune leur propre histoire, mais ce n'est pas la même histoire. J'évoque d'ailleurs dès l'introduction du livre le fait que l'Afrique ne produit pas ses propres dirigeants.
Vous parlez en effet de « dirigeants offshore »…
Oui. Et cela renvoie à deux composantes. D'abord, au désir de conservation du pouvoir de la part de dirigeants souvent illégitimes – au sens de mal élus ou pas élus du tout – et qui n'ont pas de base sociale populaire dans leur pays. Ils sont donc pris en otages par le reste du monde, notamment par l'Occident, qui leur impose une vision du monde. Et s'ils y adhèrent, c'est aussi parce que leur seule chance de se maintenir au pouvoir est d'être de bons élèves de la doxa internationale, à commencer par le FMI et de la Banque mondiale. Regardez Alassane Dramane Ouattara en Côte d'Ivoire, André Milongo au Congo, ou Nicéphore Soglo au Bénin, ce sont des personnes issues des institutions financières internationales, et qui, une fois au pouvoir en Afrique, n'ont eu de cesse de répliquer ce qu'on appelle le consensus de Washington, dans des environnements qui n'étaient pas appropriés à ces politiques. Le deuxième facteur est historique. Nos intellectuels africains ont pour la plupart été formés à l'étranger et en particulier en Occident.
Vous en faites d'ailleurs partie, vous qui avez étudié en France ?
Oui, et j'ai toujours dit que j'avais été ministre de la Prospective au Togo, mais que je n'avais pas de légitimité endogène, que je ne représentais pas les populations. Même si cette expérience m'a aussi permis de mieux comprendre les enjeux du quotidien pour les populations. Mais pour revenir à la formation de nos élites postcoloniales, il y a un moment où, à moins d'être extrêmement courageux, on prend simplement la place du colonisateur. Je rappelle, et je vous renvoie aussi à l'ouvrage Les Hussards noirs de la colonie de Céline Labrune-Badiane, que la première école créée au Sénégal par Faidherbe en 1905 s'appelait l'école des Otages. Quand je travaillais à la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), le gouverneur et ses adjoints avaient des privilèges hérités de ceux octroyés aux Français en poste en Afrique, notamment des primes (d'éloignement, de risque, etc.). Cela aboutit à une situation où le gouverneur de la BCEAO gagne 30 000 euros par mois sur 14 mois pour assurer une mission de service public, quand la femme de ménage togolaise gagne 30 euros par mois. C'est donc aussi à travers cette construction historique que l'élite devient offshore, et cela explique bien des errements dans la gouvernance. À cet égard, soulignons qu'on parle de « gouvernance », et en particulier de « bonne gouvernance », mais on oublie de parler de vision, dont la gouvernance n'est qu'une modalité de gestion. L'ajustement structurel, pendant 35 ans, en exportant notamment le concept de « bonne gouvernance », a éludé la recherche d'un projet de société. Pour toutes ces raisons, l'extraversion intellectuelle est donc très profonde.
Comment façonner cette vision qui, selon vous, fait défaut dans de nombreux États africains ?
Quand je pilotais la vision Togo 2030, je me suis rendu compte que tout un chacun avait une vision propre de l'avenir. Mais qui prend la peine d'aller collecter les aspirations des gens à travers le pays pour élaborer un récit collectif ? La démocratie, cela ne se limite pas à des bulletins de vote infalsifiables. Les procédures de délibération collectives sont aussi à la base de ce modèle, tout comme les débats programmatiques – à l'opposé des débats de personnes que l'on voit trop souvent. Or, nos chefs d'État ont plus d'appétence pour les sommets ou les conférences internationales que pour les attentes de leurs citoyens, que l'on pourrait faire remonter en reconnaissant davantage les collectivités territoriales, la gouvernance locale et les modes d'action collective. Combien de fois vont-ils dans les provinces de nos États ?
C'est une erreur fondamentale de se dire que, parce qu'on a fait des études supérieures à l'étranger ou parce qu'on travaille pour des grands cabinets de conseil internationaux, on est compétent pour décider de la destinée d'une nation. C'est aussi la raison pour laquelle je suis sceptique vis-à-vis de tous ces plans d'émergence concoctés par des cabinets de consultants à l'affût de contrats. Ces experts font exactement ce qu'on a reproché au FMI et à la Banque mondiale. Ils ne connaissent pas les réalités locales et n'endogénisent pas les modalités de financement du développement. Au final, nos plans de développement viennent rarement des désirs des populations en Afrique.
Vous reprochez aux plans de développement élaborés à l'étranger de ne pas suffisamment s'inscrire dans le long terme. C'est une caractéristique récurrente ?
Cela a commencé par l'ajustement structurel, qui a détruit le ministère du Plan et affaibli les ministères sectoriels. C'est d'ailleurs ce qui caractérise fondamentalement le consensus de Washington : c'est une macroéconomie de court terme, il ne faut pas l'oublier. Plus de trente ans après, on a vu émerger les documents stratégiques de réduction de la pauvreté, qui, eux, avaient un horizon de trois ans. Et aujourd'hui, on passe à des plans nationaux de développement qui ont un horizon de cinq ans ! Il y a donc une sorte de retour à la planification telle qu'elle avait été mise en place au début des années 1960. Sauf qu'il y a eu beaucoup de casse entre-temps.
Vous plaidez pour redonner plus d'espace au politique. Mais pour cela, il faut aussi une fiscalité juste et un État redistributeur. Or, on constate, dans de nombreux pays, une défiance des citoyens vis-à-vis de leurs gouvernants et de leurs modes de gestion ?
À partir du moment où les populations sont convaincues qu'elles ont à leur tête ce qu'on appelle en microéconomie des gouvernements avec agenda privé, elles n'ont pas d'incitation à payer l'impôt, parce qu'elles n'ont pas sous leurs yeux de services publics auxquels elles pourraient légitimement prétendre. De surcroît, vous avez aussi la question du secteur informel, qui représente 80 % de l'économie de nos pays, voire plus parfois. Là encore, on qualifie d'informel un mode de fonctionnement traditionnel des populations et nous reprenons le registre sémantique du colonisateur. De fait, on essaie désespérément de faire entrer dans des cadres formels des modes de pensée, des façons d'être, qui ont leurs propres histoire et rationalité. Le fait est que l'économie formelle n'inclut que très peu de gens en Afrique.
Au demeurant, nombre d'États africains misent sur l'exportation de ressources brutes pour remplir leurs caisses… Ont-ils vraiment d'autres choix ?
Je constate que nous signons de plus en plus d'accords de libre-échange avec le reste du monde, et que la tendance, impulsée par l'Organisation mondiale du commerce, va plutôt vers un désarmement tarifaire. Donc, on va percevoir de moins en moins de droits de douane. C'est le principe même de la transition fiscale.
Vous voulez dire que c'est une façon de générer des recettes qui n'est pas durable ?
Exactement. Et si on envisage de compenser ce manque à gagner par la fiscalité directe, il faudrait une base productive moins étroite. Sinon, cela revient à matraquer, comme la plupart des États le font actuellement, la classe moyenne urbaine. Or, il s'agit d'une base étroite et les taux d'imposition sont très élevés. Ce vers quoi il faut tendre, en principe, c'est une assiette large et des taux bas. Mais là encore, on bute sur l'absence de cohérence des politiques publiques. On ne peut pas accepter de faire du désarmement tarifaire et donc de réduire la fiscalité de porte, sans au préalable avoir travaillé sur les substituts possibles. On risque de se retrouver avec des États qui auront encore moins de recettes fiscales qu'aujourd'hui, mais autant de demandes sociales à satisfaire.
Le problème réside donc dans la production et la transformation des richesses. Mais ce qui me surprend, aujourd'hui, dans les orientations du FMI, c'est qu'il fait fi des tendances lourdes. Cette institution se base sur la faiblesse de l'offre productive africaine pour imposer une réduction de la demande. C'est ce qu'on appelle l'absorption. Le FMI semble ne pas comprendre que la locomotive de la croissance africaine sur le long terme sera la demande. Les politiques devraient donc plutôt agir sur les moyens d'augmenter l'offre productive. Mais on reste rivé à cette idée d'équilibre entre dépenses publiques et recettes publiques. Cela n'a aucun sens. Le processus de développement dans le monde s'est toujours articulé au crédit, qui a alimenté la production, avec des remboursements en fin de cycle.
Parmi ces pistes de production et de transformation figure le secteur de l'agriculture, qui a été complètement négligé par les rapports de développement successifs de la Banque mondiale… Comment dynamiser aujourd'hui ce secteur et donner aussi envie aux jeunes de s'y investir ?
Le rapport « Berg » de 1981 de la Banque mondiale dit qu'il ne sert à rien de viser l'autosuffisance alimentaire, qu'il est préférable de se spécialiser dans des secteurs générant des devises et d'importer l'alimentation. Il est important de le rappeler. Pour inciter des jeunes à se tourner vers l'agriculture, il faut développer des services publics, sortir des phénomènes de macrocéphalie qui caractérisent des pays comprenant une seule grande ville. Il faut créer des villes moyennes, près des centres ruraux, de façon à éviter les migrations. Ensuite, il y a trois points qui me paraissent essentiels. D'abord, augmenter la productivité, ce qui suppose la maîtrise de l'eau, la recherche variétale et la capacité à accompagner les agriculteurs – des missions qui relèvent des offices agricoles. Ensuite, il faut travailler sur le renforcement institutionnel (organisations de producteurs, services à l'agriculture, comme l'assurance, le crédit, etc.) Dans le secteur du coton, vous avez accès au crédit, aux intrants, vous pouvez miser sur la totalité d'achat de votre récolte, avec en plus un prix garanti. Mais dans les filières céréalières, vous n'avez aucun de ces services. Ce qui me renvoie au troisième défi que sont les politiques agricoles, et à la vision de l'État en la matière. Si les producteurs ont une perception aléatoire de ce que fait l'État en matière de politique agricole, ils ne peuvent pas investir. Et enfin, nous avons un système bancaire totalement extraverti, qui ne prête pas aux agriculteurs. Rappelons que la politique agricole commune dans l'Union européenne représente la moitié du budget européen, ou que le producteur américain a des soutiens qui sont 720 fois supérieurs aux soutiens dont bénéficie le producteur tanzanien. Et on voudrait les mettre sur le même marché… C'est un jeu de dupes. Et avec ce qui s'annonce sur le plan démographique en Afrique, ce n'est plus jouable, car nous parlons de la stabilité de l'ensemble de la planète. C'est pourquoi je parle d'urgence africaine.
Fin juin, les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) se sont prononcés sur la création de l'éco, une monnaie qu'ils pourraient partager. Qu'en pensez-vous, vous qui plaidez depuis plusieurs années pour une alternative au franc CFA ?
D'abord, le fait que les nations se mettent ensemble pour avoir un destin monétaire commun me paraît être une bonne chose. Mais il ne faut pas oublier que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Donc, si l'éco devient un CFA bis, cela ne peut pas marcher. Par rapport au CFA, j'ai toujours soutenu plusieurs exigences. Premièrement, un changement de nom, car le nom renvoie à l'identité. Deuxièmement, le déplacement des réserves de change du Trésor français vers d'autres institutions, par exemple, à la Banque des règlements internationaux à Bâle. Troisième chose, le régime de change : j'estime que nous avons besoin d'un régime flexible avec le rattachement à un panier de devises étrangères, plutôt que de rester arrimés à l'euro. Cela se répercute sur le financement de nos économies puisqu'on est confronté dans la zone franc à des taux d'intérêt à deux chiffres. Or, avec l'impératif pour notre jeunesse d'accéder à des activités génératrices de revenus et celui aussi d'être compétitif à l'export, on ne peut pas contracter des emprunts avec des taux d'intérêt à 15 %. En conséquence, si l'éco s'inscrit dans cet agenda, on peut le soutenir. Ce qui risque d'être épineux, enfin, c'est ce qui va se jouer sur le plan politique, avec un déplacement de Paris à Abuja, capitale fédérale du Nigeria, qui est la première puissance économique de la Cedeao. Parce que, au-delà de la monnaie, l'union monétaire est aussi traversée par des questions politiques, qui sous-tendent, par exemple, les questions de solidarité budgétaire, de processus d'harmonisation, de système bancaire, de marché financier… etc. Les chefs d'État francophones d'Afrique de l'Ouest sont-ils prêts à ce transfert vers Abuja ? Il y a encore toute cette transition à construire.
Vous dites qu'une Afrique industrialisée à l'horizon 2050 est tout à fait possible. À quelles conditions ?
Ces vingt dernières années, l'Afrique a enregistré le deuxième taux de croissance le plus élevé parmi les cinq continents. Mais une fois ramenée au nombre d'habitants, cette croissance est trois fois moins élevée que dans les pays émergents. Et si vous regardez les chiffres de l'évolution démographique, vous voyez que ces cinquante dernières années, tous les continents, à l'exception de l'Afrique, ont divisé au moins par deux leur démographie. L'émergence est corrélée à la maîtrise de la démographie. Si l'Afrique veut donc miser sur son dynamisme démographique et en faire un atout, il faut renforcer les politiques publiques en matière d'éducation – en mettant l'accent en particulier sur l'adéquation formation-emploi – et de planning familial – comme on l'a connu dans les années 1960. Il s'agit donc de passer d'une démographie subie à une démographie choisie, afin que les gains de productivité puissent engendrer la transformation structurelle.
Ensuite, il convient d'identifier les couleurs de l'économie, qu'il s'agisse d'économie verte sobre en carbone où l'Afrique a un fort potentiel, d'économie bleue (maritime), d'économie mauve (culture) ou d'économie transparente avec cette forte appétence de la jeunesse africaine pour le numérique. Outre la construction d'infrastructures de transport, d'énergie, de télécommunications, cela suppose d'identifier des niches porteuses pour chacune de ces filières selon les différents contextes. Par exemple, en ce qui concerne l'innovation dans le numérique, il faut passer à l'échelle de ce que j'appelle des systèmes nationaux d'innovation et de recherche, pour qu'on ne se cantonne pas à des histoires anecdotiques et intéressantes à raconter lorsque nos jeunes créent de nouvelles choses, et que ces innovations puissent s'insérer dans un processus de transformation structurelle.
Pour l'heure, ce qu'on observe en Afrique, c'est ce que l'économiste Dani Rodrik qualifie de transformation structurelle à l'envers. Le processus de désindustrialisation précoce dû à l'ajustement structurel a cassé tout ce qui était volontariste. Et aujourd'hui, les emplois migrent du primaire directement vers le tertiaire, en sautant le secteur secondaire – l'industrie. Or, c'est là que vous avez la valeur ajoutée et les emplois. Et c'est pour cela aussi qu'il y a urgence à trouver la cohérence entre les trois secteurs.
* L'urgence africaine. Changeons le modèle de croissance, Éditions Odile Jacob, Paris, septembre 2019. Ce livre défend la thèse de l'instrumentalisation de l'Afrique comme laboratoire du néolibéralisme avec la complicité de ses propres élites. La croissance démographique fait du continent africain une terre de prospérité future ou… une véritable bombe à retardement.
LE DÉCLIN DU TRAFIC FERROVIAIRE
La ville de Thiès était un haut lieu du chemin de fer après l'indépendance. Mais le nombre de salariés a été réduit par 20 en cinq décennies et ceux qui restent sont désœuvrés
DW Afrique |
Mamadou Lamine Ba |
Publication 26/09/2019
Le chemin de fer a, après l'indépendance, connu son heure de gloire à Thiès, ville située à 70 kilomètres de Dakar. Mais depuis quelques années, c'est le déclin.
Alors que la SNCF employait près de 15.000 employés dans les années quatre-vingt, ils ne sont désormais plus que 600 salariés payés par l'entreprise Dakar-Bamako-Ferroviaire, héritière de l'ancienne SNCF.
Aujourd'hui, dans la "ville aux deux gares", on remarque le moteur d'une locomotive en marche en arrivant. Mais la machine n'est liée à aucun wagon. Le train est à l'arrêt. Dans le passé, des dizaines de trains transitaient par ici dans la même journée. "Dans les années 80, on faisait plus de cent rotations", raconte Abdoulaye Traoré, qui travaille ici depuis 1978. "A l'heure où nous sommes, si vous demandiez au chef de sécurité les numéros d'expédition et de réception des trains, il vous parlerait d'un peu moins de deux cents."
Il y a trente ans, les trains empruntaient deux axes dans la ville, d'ou son surnom de "ville aux deux gares". "Le train quittait Thiès pour partir sur Saint-Louis", se souvient Cheikh Baye Seck, chef de gare. "En même temps, un autre train quittait Thiès pour partir sur l'axe Kaolack, Tambacounda, Bamako." La gare était animée et l'argent circulait.
Privatisation et déclin
Mais en 2003, le chemin de fer est privatisé puis l'Etat rompt le contrat de concession avec la société Transrail en 2017, officiellement pour non-respect du cahier des charges. La société Dakar-Bamako-Ferroviaire est alors créée. Objectif : faire renaître le corridor Dakar-Bamako.L'Etat s'engage alors à injecter 1.500 milliards de francs CFA. Mais à ce jour, aucun investissement n'a été débloqué.
"Depuis deux ans, il n'y a aucun train qui quitte la gare de Bel Air pour aller à la gare de Korofina. Aujourd'hui, quand on vient à Thiès, on n'entend plus le train passer", déploreCheikh Baye Seck. Depuis 2017, le chemin de fer n'emploie que 600 personnes. Le train ne roule presque plus. "Actuellement on est là, en train de se tourner les pouces", confie Abdoulaye Traoré.. "Depuis presque deux ans, il n'y a qu'un seul autorail qui part à 6h50 du matin pour se rendre à Dakar et revenir le soir à 19h45."
Auparavant, les travailleurs percevaient leurs salaires avant la fin du mois. Aujourd'hui, il y a des retards de salaires et la situation des employés s'est précarisée.
Mi-septembre certains confiaient ne pas avoir reçu les salaires d'août. Malgré tout les cheminots continuent à fréquenter la gare. Les techniciens guident et réparent les rares trains qui circulent encore. Ils entretiennent ainsi un maigre espoir d'entendre les trains passer ici, à nouveau.
"LA NON PUBLICATION DU DÉCRET DE NOMINATION DU PRÉSIDENT DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N’EST ENTACHÉ D’AUCUNE ILLÉGALITÉ"
Des voix se sont élevées récemment pour soutenir que le président du Conseil constitutionnel exercerait dans "l’illégalité" à cause de la non-publication du décret le nommant au journal officiel
La non publication du décret de nomination du président du Conseil constitutionnel n’est entaché d’aucune illégalité, selon l’enseignant-chercheur au département de Droit public de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, Dr Nfally Camara, précisant qu’il s’agit d’un acte individuel dont l’absence de publicité "n’affecte nullement" la validité.
Des voix se sont élevées récemment pour soutenir que le président du Conseil constitutionnel exercerait dans "l’illégalité" à cause de la non-publication du décret le nommant au journal officiel.
"La publicité n’est pas une condition de validité de l’acte puisqu’elle intervient postérieurement à la signature de l’acte alors que c’est au jour de signature qu’il faut se placer pour apprécier la validité de l’acte", a dit Dr Camara dans un entretien paru dans le quotidien Le Soleil, jeudi.
La publication "a pour seul effet de rendre un acte opposable à ses destinataires et n’a rien à voir avec sa validité", souligne le juriste.
Dans ses arguments, l’enseignant-chercheur s’appuie également sur les différences entre un acte réglementaire et un acte individuel.
"(…) l’acte règlementaire présente un caractère général et impersonnel et vise, non pas une personne ou des personnes individuellement désignées mais, une situation d’ensemble", soutient-il.
"En revanche, précise-t-il, l’acte individuel vise une personne nommément désignée ; tel est le cas du décret par lequel le président de la République nomme aux emplois supérieurs."
Pour Dr Camara, "l’intérêt de la distinction entre acte règlementaire et acte individuel résulte de la différence de régime juridique tel que défini par la loi n°70-14 du 6 février 1970 fixant les règles d’applicabilité des lois, des actes administratifs à caractère règlementaire et des actes administratifs à caractère individuel, modifiée".
Selon lui, "il résulte de cette loi que la publication est le mode normal de publicité de l’acte réglementaire alors que la notification qui est utilisée pour les actes individuels est portée directement et personnellement à la connaissance de l’intéressé".
"(…) l’acte portant nomination du président du Conseil constitutionnel ne revêt pas un caractère règlementaire. Il constitue un acte individuel pris par l’autorité compétente qui produit tous ses effets dès sa notification à son destinataire", souligne l’enseignant-chercheur.
Il signale que la publication au Journal officiel des actes de nomination des autres présidents et membres du Conseil constitutionnel voire des autres hautes autorités nommées par décret "qui, du reste n’est faite qu’à titre d’information pour les actes individuels, n’est pas systématique".
par Scandre Hachem
ISJA ET LE VOILE DE LA DISCORDE
N'est-il pas temps d'adapter le fonctionnement de notre école aux réalités du Sénégal, à la reconnaissance des besoins de tous ses enfants, quelque soient leurs croyances respectives, au lieu de se soumettre à des dérives identitaires et exclusives ?
Depuis une à deux décennies, nous assistons à une lente implantation du salafisme wahhabite, de l'église évangélique originaire des États-Unis et, beaucoup plus discrètement, du judaïsme via un prosélytisme élitiste articulé à un lobbying offensif de l'État d'Israël.
Le puissant lien d'affection, voire la symbiose, envers le prophète Mohammad et sa famille, vécu à travers Fatima Zahra, l'imâm Ali, leurs enfants Al Hassan et Al Hussein, alter ego des noms du couple gémellaire Assane et Ousseynou, et plus particulièrement la figure martyre de Al Hussein dans son combat contre l'oppression, la soumission et pour la liberté, la justice et l'équité (le titre même de "Gaïnde Fatima" chez les mourides sonne, consciemment ou non, comme une profession de foi à ce niveau), existe aux plus hauts sommets des confréries tijane et mouride, en la personne de Cheikh Tidiane Sy et de Cheikh Ahmadou Bamba.
"Est-il un péché que celui qui pleure le jour où le petit-fils du prophète est tué ?" ; « De tous prières, jeunes, pélérinages et adorations, je n'ai aucun espoir en Allah d'accéder au paradis. Mais pour les larmes que j'ai versées pour Houssein, j'ai grand espoir d'accéder au paradis », clame El Hadj Malick Sy dans dans deux de ses poèmes, dont le recueil "Laqad Haja Qalbi", tandis que Cheikh Ahmadou Bamba rend un brillant hommage à l'imâm Houssein et à ses compagnons dans ce khassida intitulé Huqq al Bukâ « Faut-il pleurer les nobles morts qui ont été pleurés même par la terre et les cieux ? Je les pleure, espérant de ce fait la Grâce de celui en qui ils se sont anéantis avec plaisir. O douleur ! Cette peine qui frappe mon âme par la perte d'éminents saints qui ont quitté ce monde vers un Seigneur qui les a appelés aux délices. Les nuits aussi bien que les mois les pleurent, de même que le soir et le matin avec douleur... ».
Cheikh al islam Ibrahima Niass clame quant à dans « Seêyrul Kalbi : « Me voila à Kerbala afin de faire la ziarra à l’imam Houssein, l’homme sur lequel je m’appuie pour me rapprocher de son illustre père, celui dont Dieu s’est satisfait et a agréé pour son travail. Ali le père des deux saints - Hassan et Houssein - , le lion de Dieu et propriétaire de la super puissante épée - zulfikar -. (D’ailleurs) C’est grâce aux secrets de cette épée que je combats mes ennemis, m’éloigner des malheurs mais aussi sur laquelle je me base pour attirer les faveurs (bienfaits) envers moi ainsi que mes partisans ».
Cet amour puissant, incandescent, vécu intérieurement, est en partage entre ces personnes illustres, fondatrices de la Tijanya au Sénégal comme de la voie mouride d'une part, avec des libanais du pays de la Téranga dont la très grande majorité est chiite d'autre part. C'est donc un sentiment commun aux uns et aux autres, trait d'union d'un dialogue spirituel discret mais non moins réel qui se met en œuvre progressivement.
C'est ce même esprit d'ouverture et de quiétude d'un islam sunnite et baigné dans le soufisme des guides spirituels tijanes et mourides qui permet le dialogue accueillant envers les libanais chiites comme avec l’Église catholique, et fait le lit d'un Sénégal qui sait rassembler tous ses enfants et en fait sa grandeur.
Cependant, ce dialogue n'induit aucun prosélytisme en lui-même de la part des libanais chiites. En effet, malgré plus d'un siècle de présence au Sénégal et de dialogue discret, le chiisme reste totalement circonscrit à la communauté libanaise. Il prend corps à son tour au Sénégal, non par le biais de ce dialogue, mais plutôt par le processus d'intégration de cette communauté au tissu social autochtone, celle-ci étant, faut-il encore le rappeler, très majoritairement chiite.
Un lent processus d'intégration
Par delà les préjugés réels liés à la couleur de la peau, à l'absence de liens historiques (à moins de remonter à l'Antiquité égyptienne), aux différences de mode de vie et de statut social, les relations humaines autres que commerciales, strictement contrôlées et non tolérées (y compris la prière dans une mosquée) par le système colonial ont longtemps participé de la constitution d'un mur de verre, entravé puis anesthésié toute idée de rapprochement de la communauté libanaise vers le tissu social autochtone. Celle-ci, suffisamment importante à Dakar, a pu disposer des moyens d'un auto repliement dans lequel elle a pris l'habitude de vivre, évoluer, pour finir par s'y incruster durablement. C'est ainsi que le mur de verre de séparation mis en place dès le début du vingtième siècle par le système colonial, accentué à partir des années qui ont suivi l'indépendance du Liban en 1943 (peur d'une contagion ?), a pris profondément racines pour exercer sa chape de plomb de nombreuses décennies après sa sortie formelle du paysage.
Ce mur de verre était plus ténu dans les petites villes et les villages, la communauté libanaise étant trop restreinte pour pouvoir y vivre dans un auto repliement total. D'où des relations plus denses avec leur entourage immédiat, relations humaines réciproques développées et nourries dans quelques cas dès la première génération, maîtrise parfaite de la langue, wolof en milieu wolof, poulaar en milieu peulh, sérère en milieu sérère, etc..., relations amoureuses formalisées ou non par un mariage, donnant naissance à des enfants métisses assumés, généralement entièrement pris en charge par la famille du père libanais, en l'occurrence, dans les cas de naissance hors mariage.
Ces dernières années, le mur de verre a commencé à se fissurer progressivement à son tour à Dakar. L'éclosion de relations humaines et sociales s'y conjugue de plus en plus avec les relations économiques et professionnelles, la maîtrise de la langue wolof par la troisième génération de la communauté libanaise de Dakar. Ce processus se renforce avec la venue des libanais de l'intérieur ayant déserté les petites villes et les villages, ceux-ci ayant déjà initié et entamé un processus d'intégration significatif depuis plusieurs décennies.
La Xénophobie comme arme de destruction et de déstabilisation...
Différence de couleur et surtout différence de statut, du fait même de son confinement au métier de commerçant imposé par le colon, le libanais dont la circulation de l'argent se faisait socialement par son intermédiaire, a été à son tour objet de préjugés. Être libanais, c'est être riche. Être libanais, c'est vivre à part. Ce qui nourrit son préjugé et sa fonction sociale est cela même qui nourrit le préjugé qu'il reçoit en retour, et en plus aigu encore.
Alors que c'est essentiellement par le biais de ce processus d'intégration de la communauté libanaise que le chiisme prend corps, le wahhabisme tout comme l'église évangélique et le prosélytisme élitiste juif s'implantent grâce à l'action d'États qui les financent directement ou par l’intermédiaire d’ONG émanant de leurs influence et volonté. Le colonialisme s'est forgé de comptoirs commerciaux, d'alcool et de la Bible, l'impérialisme se forge de systèmes de sécurité, de mondialisation idéologique, d'ONG et de lobbying.
L'Afrique subsaharienne, notamment au Sénégal sujet de ce texte, a toujours vécu un islam apaisé, ouvert et respectueux des autres croyances. Mieux, les religions coexistent non seulement avec les cosmogonies préexistantes mais aussi entre elles jusque dans le cercle intime de la famille.
Pourtant, depuis quelques années, on a comme le sentiment d'une certaine raideur, on perçoit peu ou prou le développement de crispations diffuses, de critiques et suggestions insidieuses contre cet islam apaisé et ouvert, quand il ne s'agit pas d'un islam convoqué et assimilé à une invasion étrangère à telle ou telle occasion.
La destruction de la Libye a donné un souffle gigantesque au djihadisme inspiré par le wahhabisme, quand il n'est pas tout simplement financé et soutenu par ses réseaux fortement implantés à travers mosquées, écoles religieuses, associations caritatives, et j'en passe... La déstabilisation des pays du Sahel a pris une ampleur de la même veine que celle qui a surgi au Proche et Moyen-Orient dès la décennie antérieure. Cela n'est pas sans conséquence sur le Sénégal, même s'il reste un havre de paix comparativement aux pays voisins.
Longtemps protégé par l'absence de richesses minières, sa force résident dans sa Téranga, son investissement dans l'éducation et la culture d'une part, dans la coexistence d'un islam apaisé ouvert, d’un catholicisme inclusif et des vestiges non moins réels et marqués des croyances issues de ses cosmogonies propres.
L'existence avérée de ressources minières, et plus particulièrement aujourd'hui pétrolières et gazières, changent radicalement la donne. Et le plus grand niveau de vigilance et de discernement s'impose.
De la même manière que Ford crée le besoin de voiture auprès de ses employés pour développer sa production de masse, les marchands d'armes et de sécurité ont besoin d'insécurité et/ou de sentiments d'insécurité pour vendre leurs produits à un niveau de masse.
L'aveuglement à susciter et entretenir des crispations, même en jurant à tort ou raison de sa bonne foi, nous impose de nous interroger. Et nous demander, de façon crue, mais quelle mouche les a donc piqués, dans les circonstances particulières que traversent la zone sahélienne et le Sénégal en particulier pour, qui interdire le voile sous prétexte d'établissement privé, qui interdire la prière au sein de l'Institut Européen de management, qui licencier deux employés pour raison de perturbations qu'ils susciteraient dans l'exercice de la prière.
N'y aurait-il donc point d'aménagements possibles propres à satisfaire exigences ayant toujours cohabité mais devenues, par on ne sait quel tour de passe-passe ou épuisement/implosion brutal de l'esprit, brusquement antagoniques ? Tout cela, ô ironie, sous prétexte de préserver un espace de dialogue, de cohabitation et d'intégration, un espace de non différences !
Cela ne mériterait-il pas de prendre quelques jours de repos, voire faire une petite cure de sommeil pour reprendre ses esprits ? C'est peut-être dit sur un ton léger et pourtant on ne peut plus sérieux.
Mais non, l'attaque est chaque fois brutale, ferme, sans concessions possibles. Car la direction de l'ISJA ne finit par obtempérer que sur l'intervention du Pape en personne. C'est peu dire d'en être arrivé à cette extrémité !
Pour maîtriser le démon, encore faudrait-il d'abord le nommer.
Restons-en donc à l'école Jeanne d'Arc, puisqu'elle a concentré l'actualité et l'acuité du sujet. Alors, pourquoi cette attaque si brutale et sous un ciel particulièrement serein ? Dans une institution où le dialogue inter religieux et inter culturel s'exerce et se construit au quotidien depuis de si nombreuses décennies et même un siècle, où le bâtir ensemble est constant et fructueux ? Dans une institution ou justement, les libanais sont de loin les plus nombreux à côtoyer leurs camarades autochtones de souche (car ils sont sinon tous sénégalais, au moins natifs du pays avec des parents y vivant depuis plusieurs décennies, faut il le rappeler) et où donc les relations sociales et affectives sont les plus à même de se nouer et de se développer, et se nouent et se développent ?
Prétexter de quelques élèves voilées qui ne donnent pas la main à des camarades de sexe masculin pour lancer une campagne de tension, de suspicion et rejet, pour ébranler et fissurer un lieu par excellence de dialogue et d'intégration. Accuser d'une attitude de non intégration de ce que ces jeunes filles voilées lient, à tort ou à raison à un précepte religieux, pour en réalité briser ce qui est un des joyaux du dialogue et de l'intégration.
Ce qui se joue à l'école Jeanne d'Arc est-il un simple fait isolé ou est-il l'arbre qui cache la forêt ? Que cherche ce pyromane qui crie au feu ? Est-ce un simple personnage enfermé dans une conception étroite et brutale de son autorité ? Est-ce une simple imposition, via le Conseil National du Laïcat, de la nouvelle interprétation franco-Front National aujourd'hui en vigueur en France que l'on veut nous imposer, comme l'Occident sait systématiquement imposer ses nouvelles valeurs, modes de pensée et modes tout court au reste du monde ?
L'argument de la laïcité ou comment nous faire prendre des vessies pour des lanternes
La laïcité française est liée à une histoire qui n'a rien à voir avec la nôtre. Ses racines plongent dans la révolution française, les soulèvements et les guerres civiles qui l'ont traversée, l’Église prenant systématiquement fait et cause pour les royalistes contre les républicains, puis, avec l'industrialisation au XIXe jusqu'à la seconde guerre mondiale, pour le patronat contre les ouvriers, les conservateurs contre les républicains et les démocrates.
Quant au Sénégal, jamais les confréries religieuses n'y ont joué un tel rôle, bien au contraire. Elles ont systématiquement joué un rôle de tempérance, voire d'opposition au joug colonial. A partir de l'indépendance, elles ont continué à jouer ce même rôle de tempérance vis-à-vis du pouvoir politique, contenant ainsi certains de ses accès à des dérives, et de protection discrète mains non moins efficace de l'opposition, préservant ainsi la stabilité du pays et cultivant le dialogue et la concertation.
Malgré ce statut particulier de l’Église en France, lorsque la loi sur la laïcité a été votée et mise en œuvre, celle-ci n'a pas été interdite de cité à l'école. C'est une volonté d'apaisement qui a prévalu malgré de vifs débats. Jusque dans les années soixante, il y avait dans les écoles, une aumônerie de façon quasi généralisée. L'AEP (Aumônerie de l'enseignement public) a pu y jouir de l'existence de milliers de structures. Si leur nombre a diminué aujourd'hui (elle réclame quand même sa présence dans plus de 2600 établissements selon ses derniers chiffres publiés en 2012), c'est parce que les français ont cessé très majoritairement d'être pratiquants pour se contenter de l'habit culturel catholique.
Et jusqu'à aujourd'hui, il existe des aumôneries dans l'armée française, dans les hôpitaux publics, dans les prisons comme dans les internats des écoles. Leur existence est obligatoire dans tous les lieux publics fermés.
Quant aux écoles sans internat, il suffit que des parents en fassent la demande pour qu'une aumônerie s'y crée. Le gouvernement français a cessé de communiquer des chiffres à ce sujet depuis 2003, soit depuis sa prétendue loi en 2004 contre les insignes religieux à l'école, en fait une loi contre le voile islamique. Il est clair que ce refus de communiquer a tout simplement pour objectif d'éviter que les musulmans connaissent leur droit et réclament à leur tour d'en disposer. Et il est vrai qu'aujourd'hui, en conséquence d'un laïcisme exacerbé depuis de longues années, les autorités ecclésiastiques sont généralement obligées de recourir au rectorat pour obtenir la création de nouvelles aumôneries tant les chefs d'établissement sont à leur tour devenus frileux et paniqués à l'idée que des élèves musulmans réclament les mêmes droits.
Le problème est donc clairement l'islam, pas la laïcité.
Si les français désertent les églises et les pratiques cultuelles du fait de leur histoire propre, en quoi serions-nous concernés, et de quel droit voudrait-on nous juger et nous soumettre à leurs évolutions et leurs modes ?
Quand il y avait massivement des aumôneries qui s'affichaient publiquement dans les écoles publiques, la France n'était-elle pas laïque et républicaine? Il faut noter de plus que leur existence est intégrée à la loi de 1905 et aménagée régulièrement par des décrets et circulaires jusque dans les années soixante.
Quand la non mixité à l'école était de règle jusqu'à la fin des années soixante, la France n'était-elle pas laïque et républicaine?
L'interdiction du voile n'a rien à voir avec le catholicisme. Les femmes d'église continuent de porter le voile qui est une affirmation de leur foi. Les femmes françaises, jusque il y a quelques décennies, mettaient un foulard avant d'entrer dans une église. Et l'on pourrait allonger la liste... et elle serait bien longue.
Au nom de quoi devrions-nous nous laisser imposer ou nous imposer à nous-mêmes ces évolutions ?
L'interdiction du voile à l'école n'a rien à voir avec la laïcité. C'est un combat contre l'islam, combat mené sous le couvert de la laïcité, qui s'est transformé de fil en aiguille en islamophobie de plus en plus morbide avec les crises économiques et sociales successives, la montée du chômage, l'exacerbation du racisme anti arabe et anti immigrés, le développement du terrorisme jihadiste financé et nourri idéologiquement par le wahhabisme. Un combat essentiellement porté aujourd'hui par le lobby sioniste et l'extrême-droite, malheureusement partagé du fait d'une idéologie franco-Front national devenue maintenant dominante à force de trahisons des élites au pouvoir.
L'argument de l'école privée libre de son règlement propre, un argument spécieux
Il s'agit là aussi d'un prétexte tout à fait fantaisiste. Ce n'est pas parce que l'on emploie le terme privé qu'on peut se croire permis de se cacher derrière son petit doigt. Est-ce qu'il viendrait à l'idée d'une entreprise privée de s'appuyer sur son caractère privé pour établir un règlement intérieur qui ne respecterait pas la Constitution ou la loi sénégalaise ? Interdire par exemple les syndicats, refuser d'appliquer telle ou telle disposition relevant de la loi ? Dire à ses employés que s'ils ne sont pas contents, ils peuvent disposer et aller chercher ailleurs ? Est-ce qu'un syndicat, un parti, une ONG ou association quelconque pourrait se prévaloir d'un caractère privé pour se permettre de contrevenir à la loi ?
Tout établissement, entreprise, association ou autre, de caractère public ou à vocation publique, se doit de respecter la loi pour obtenir son agrément. Tout règlement, fût-il intérieur, d'une structure à vocation ou à caractère public, se doit de le soumettre à l'autorité de tutelle qui doit l'agréer avant d'être applicable.
Il s'agit donc bien là d'un argument spécieux de la part des thuriféraires de la mesure prise par l'ISJA.
Il serait urgent que l’État prenne les dispositions nécessaires pour clarifier et traiter sereinement mais fermement ces questions en concertation avec les autorités sociales et morales du pays. Les derniers événements à l'école Jeanne d'Arc ne doivent pas occulter le même type d'attaque à Thiès comme dans la banlieue de Dakar ces dernières années, l'affaire de la pharmacie Guigon, l'interdiction de prier au sein de l'IEA (Institut Européen des Affaires) décidée récemment.
Disons le clairement là aussi : ce n'est pas la prière qui y est interdite, mais bien la prière musulmane. On ne peut pas interdire à un chrétien d'y prier, quand bien même voudrait-on sérieusement l'imposer. Le chrétien peut faire sa prière debout, assis, dans n'importe quel endroit et à n'importe quel moment. Il n'a ni ablutions ni gestes particuliers nécessaires à réaliser. Même s'il souhaite exprimer ou finir sa prière par un geste de la croix, il peut le faire de sorte que cela passe inaperçu. Il n'en est pas de même pour le musulman qui, lui, doit répondre à des contraintes précises : commencer par faire ses ablutions, respecter les périodes de prières, répondre à un rituel strict comme ponctuer sa prière par des génuflexions et des prosternations... C'est donc bien la prière musulmane qui est visée et y est interdite.
Notre école a été construite et organisée selon la culture du colon. Est-il nécessaire qu'elle continue de fonctionner selon cette culture et les besoins du colon, eût-il cessé de se nommer ainsi ? N'est-il pas temps d'adapter son organisation et son fonctionnement aux réalités du Sénégal, à sa conception propre de la laïcité, à la reconnaissance des besoins de tous ses enfants, quelque soient leurs religions ou croyances respectives, au lieu de se soumettre à des dérives identitaires et exclusives. Notre pays a besoin d'élites et d'enfants inclusifs qui cohabitent et portent des valeurs partagées, pas des valeurs qui habitent les unes à côté des autres mais ne savent plus cohabiter et finissent par se regarder sous le manteau, puis en chiens de faïence.
Ces trois attaques quasi simultanées seraient-elles simplement le fruit du hasard ?
Une campagne xénophobe pour un objectif double
Dès la mesure d'interdiction du voile annoncée vers la fin de l'année scolaire dernière, avec les remous attendus compte tenu qu'elle vise des élèves qui sont dans l'établissement depuis de nombreuses années et, pour certaines, depuis leur plus tendre enfance, la communauté libanaise a été mise en accusation pour son refus d'intégration à l'image de ces jeunes filles voilées.
Nous avons assisté à un discours tout de suite bien rodé : d'une part cet établissement catholique d'excellence, qui forme des élites pour le développement et l'unité du Sénégal, d'autre part cette communauté libanaise, étrangère, qui refuse de s'intégrer et veut, de surcroît, nous imposer ses tenues vestimentaires d'un autre âge. À noter que nous retrouvons exactement en France, avec la vague d'islamophobie qui y déferle, les mêmes arguments contre les musulmans. C'est du copier-coller.
Mais que représentent les libanais ? Quel puissant État pour les soutenir ?
Disons le clairement et sans ambages ? Une proie facile, du grain à moudre fragile, du calcaire tout au plus et surtout pas du basalte, une minorité visible, prétendument riche, sur laquelle peut se déverser une haine sans le retour du boomerang. Alors, pourquoi pas après tout ? Après avoir échoué à imposer cette mesure il y a quelques années à Thiès et dans la banlieue de Dakar, s’appuyer cette fois sur la xénophobie pour enfin obtenir gain de cause !
Et au fur et à mesure que cette campagne de haine s'installe et s'intensifie, créer une division au sein de cette communauté elle-même. On cible dorénavant les libanais chiites et le Hezbollah. Voilà donc l'ennemi enfin nommé et bien circonscrit. Le loup sort donc du bois !
D'où sort donc cet ennemi ? De qui peut-il bien être l'ennemi au Sénégal ?
Le Hezbollah est connu comme un mouvement de résistance, né avec l'occupation d'une partie du Liban par l'État d'Israël de 1982 à 2000. Le Liban est un tout petit État, incomparablement plus faible qu'Israël sur tous les plans : économique, financier, technologique, avec une armée aussi faible qu'une gendarmerie d'un État plus que moyen, avec un système confessionnel qui l'oblige à un effort constant d'équilibre instable et qui fonde pourtant toute sa richesse et sa vigueur à toute épreuve. Voilà donc un pays de rien du tout, dont la seule prétention est d'avoir une civilisation au moins trois à quatre fois millénaire, qui non seulement tient tête à l'État d'Israël, malgré tout le soutien - dont il profite abondamment et démesurément - des puissances occidentales et plus particulièrement des États-Unis, refuse non seulement de se soumettre, mais a l'outrecuidance de le bouter hors de ses frontières après dix-huit ans de résistance !
Pire, malgré les destructions immenses qu'il subit, après chaque confrontation que lui impose l'État d'Israël, il ne cesse de résister et de se renforcer jusqu'à établir aujourd'hui un rapport de force appréciable contre lui. Ce minuscule petit Liban de rien du tout, qui s'entête à rééditer le combat du village gaulois qui n'entend nullement se soumettre à l'empire romain, bande dessinée ou pas.
Oui, c'est bien celui-là l'ennemi, l'empêcheur de soumettre en rond le Proche et Moyen-Orient, avec cette force de frappe qu'est devenu le Hezbollah et dont l'ossature est encore aujourd'hui essentiellement mais non exclusivement chiite. Mais dont les valeurs sont l'essence du chiisme, valeurs de refus de l'oppression, de la soumission, des valeurs qui se fondent sur l'exigence de liberté, de justice et de dignité, et pourtant valeurs on ne peut plus universelles. Et on n'a pas besoin d'être chiite pour cela ; il se trouve juste que les chiites les vivent au quotidien, voient leur cœur battre au rythme de ces valeurs, et les commémorent chaque année au plus profond de leur chair autour de leur martyr et imam Houssein.
Voila donc l'ennemi. Mais l'ennemi de qui ? L'ennemi de l'État d'Israël et de ses affidés, les évangéliques venus des États-Unis et les wahhabites obnubilés par la peur d'être emportés par leurs peuples et dont ils n'ont plus les moyens d'acheter la docilité, ayant eu l’idée désastreuse de dilapider leur rente pétrolière dans des achats d'armement qu'ils ne peuvent même pas faire fonctionner, si ce n'est par mercenaires interposés et eux aussi grassement payés, pas les soudanais et autres chairs à canons bien sûr, mais les américains, israéliens, français, britanniques, et j'en passe... bien planqués à l'arrière ou dans leurs avions à lâcher des bombes. Sans parler du financement de guerres civiles dans de nombreux musulmans depuis quelques décennies.
Et il est vrai que les chiites libanais sont l'objet d'attaques dans de nombreux pays, aussi bien en Afrique qu'ailleurs, partout où israéliens, évangéliques ou wahhabites sont implantés. Attaques xénophobes, assassinats, kidnappings (organisés ou exécutés sur ordre des États-Unis ou de l’État d’Israël ?), comme on l'a vu lors de transit dans un aéroport, tout récemment encore, en Éthiopie. Partout où on peut s'autoriser à attaquer pour soi-disant détruire les sources financières, matérielles, morales qui pourraient soutenir le Hezbollah. Il ne s'agit pas seulement de couper ces sources, mais isoler, jeter la suspicion et entretenir la xénophobie contre les libanais pour les détruire moralement et socialement en tant que communauté et en tant que force.
La presse internationale parle beaucoup de la guerre financière contre l'Iran. Elle parle peu de la guerre en cours, essentiellement souterraine contre les chiites libanais.
Le Sénégal n'a rien à voir avec cette guerre. Pire, cette guerre en cache de fait une autre. Et d'une pierre, faire deux coups, car derrière les crispations identitaires suscitées autour des libanais en général et des chiites en particulier, ce sont les crispations identitaires au sein de l'ensemble du peuple sénégalais qui sont visées et que l'on cherche à nourrir.
L'essentiel est ailleurs. Il est dans la stabilité du Sénégal qu'il faut préserver, et ses richesses minières et énergétiques qui doivent être au service de son développement au profit de toute la population sénégalaise.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LE SÉNÉGAL À L’ÉPREUVE DU DESPOTISME DU FMI
EXCLUSIF SENEPLUS - Nos dirigeants doivent savoir que le développement est d’abord une affaire endogène et n’est pas consigné dans la bible de ces institutions sous contrôle des États-Unis et de l’Europe
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 26/09/2019
«Le Sénégal est un pays extrêmement dynamique, avec un potentiel important, qui a l’émergence à portée de main», a affirmé, ce 23 septembre à Dakar, Corinne Deléchat la cheffe de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour le Sénégal. Elle a parlé d’émergence. «Emergence», voilà un mot qui avait disparu de la vulgate apériste pour reprendre une expression de mon confrère Pape Sadio Thiam et que les sorciers du FMI remettent au goût du jour. Si un pays émergent est un pays en forte croissance et à revenus intermédiaires, dont l'économie se situe entre pays développés et pays en voie de développement, force est de constater que le Sénégal, pays en développement à faible revenu (PDFR), est encore loin des cimes de l’émergence. Mais puisque cela vient des sorciers du FMI, réjouissons-nous de cette prophétie qui va plaire à Sa Majesté Emergent Sall. Mais il faut oser dire que l’économie nationale s’étouffe en pleine immersion. D’ailleurs nos difficultés économiques sont telles que, un ajustement structurel édulcoré est en train d’être mis en application et le séjour des experts du FMI dans nos murs entre dans ce cas de figure. Notre président se triture les méninges pour contraindre son administration dispendieuse à s’ajuster. Récemment, il a déploré la gabegie de l’Etat en termes d’achat de véhicules et de facture téléphonique, estimée à plusieurs milliards. Sur injonction du FMI, 16 agences ont été supprimées ou fusionnées dans un souci de rationalisation des dépenses publiques. Et bientôt ce sera de certaines ambassades et représentations consulaires comme d’ailleurs le journal Témoin l’a déjà annoncé. En même temps, ces manitous du FMI pressent le président Sall de supprimer les subventions et de réduire davantage le train de vie de l’Etat.
Cette atmosphère d’austérité nous rappelle curieusement celle du début des années 80 quand Abdou Diouf venait d’accéder au pouvoir, il était pressé par les Institutions de Bretton Woods pour réduire le déficit budgétaire. Le service de la dette avait une valeur de 32,6 milliards en 1979-80 donnant un déficit budgétaire en pourcentage du PIB de 3,6%. C’était l’année de la mise en œuvre du Plan de Stabilisation à court terme. En 2018, le déficit budgétaire s’est par conséquent creusé à 3,5 % du PIB.
Du PREF au SRMT
A partir de 1980, Plan de Stabilisation à court terme se substitue à un Plan de redressement économique et financier (PREF) et va coïncider exactement avec le cinquième plan quinquennal (1980-1984) initié depuis les années 60 par l’Etat du Sénégal. Selon le professeur d’économie Makhtar Diouf, «le PREF était mis au point par le FMI et la Banque mondiale dans le cadre des politiques d’ajustement. Les objectifs du PREF étaient les suivants : stabiliser la situation financière de 1’État ; augmenter l’épargne publique ; orienter l’investissement dans les secteurs productifs ; réduire l’intervention de 1’Etat dans l’économie».
Pour le professeur Diouf, «le PREF prévoyait des mesures d’assainissement des finances publiques afférentes à la fermeture de 23 ambassades et représentations consulaires, à la réduction du parc automobile de l’Etat et des dépenses de carburant, de l’ordre de 40 %, à la réduction de l’assistance technique française, à la réduction des subventions aux denrées de consommation de première nécessité comme le riz, l’huile, le sucre et à la fermeture des internats dans les établissements secondaires». La mise en œuvre du PREF n’ayant pas donné les résultats attendus par les bailleurs de fonds, notamment dans sa dimension structurelle, il fallait engager le Plan d’ajustement économique et financier à moyen et long terme dont les performances se situèrent en dessous des espoirs placés en eux bien que l'on enregistrât le retour de la croissance au niveau national : 4,8 % en 1995, 5,2 % en 1996, 5,6 % en 1997.
Par conséquent, malgré es différents programmes de redressement économique sous Diouf destinés à remettre de l'ordre dans nos finances publiques et à reprendre le chemin de la croissance, le Sénégal a continué enregistré des déséquilibres budgétaires et commerciaux.
Aujourd’hui, le FMI ne parle plus de PREF mais de Stratégie de Recettes à Moyen Terme (SRMT). Pour cela, l’institution de Bretton Woods, sachant que le renforcement des capacités fiscales d’un pays se trouve au cœur de toute stratégie de développement viable, conseille au Sénégal l’élargissement de son assiette fiscale afin d’améliorer la performance de l’économie en difficulté. Ainsi la SRMT constitue une approche efficace pour accroître les recettes publiques. Il faut préciser que la SRMT est un concept de la Plateforme de collaboration du FMI sur les questions fiscales. Cette structure est une initiative conjointe lancée en avril 2016 par le Fonds monétaire international (FMI), le Groupe de la Banque mondiale, les Nations Unies et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Déjà en 2015, un programme de soutien aux politiques économiques avait été conclu entre le FMI et le Sénégal.
De l’ISPE à l’ICPE
Dans son communiqué de presse n° 15/297 du 27 juin 2015, il est indiqué : « Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a approuvé aujourd’hui un instrument triennal de soutien aux politiques (PSI) pour le Sénégal. L'ISP soutient la mise en œuvre d'un programme triennal de réformes macroéconomiques visant à faire progresser le Plan Sénégal Emergent (PSE), la stratégie des autorités visant à accroître la croissance et à réduire la pauvreté tout en préservant la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette. Les autorités entendent s'attacher à accroître les recettes fiscales en élargissant l'assiette fiscale, ainsi qu'à rationaliser les dépenses courantes afin de créer un espace budgétaire pour le financement des infrastructures et des dépenses sociales. Une attention particulière sera accordée à la qualité des dépenses, investissements compris, au renforcement des financements publics, à la transparence et à la gouvernance économique. Les autorités entendent accélérer les réformes structurelles afin de créer un environnement commercial plus attrayant, favorisant ainsi le développement du secteur privé ».
Il faut préciser que l’ISPE (Instrument de Soutien à la Politique Economique) est un instrument du FMI conçu pour les pays qui n’ont pas nécessairement besoin des concours financiers du FMI, ou ne souhaitent pas y faire appel, mais cherchent à recevoir du FMI ses conseils, son suivi et son aval. L’ISPE aide les pays à élaborer des programmes économiques efficaces qui, une fois approuvés par le Conseil d’administration du FMI, constituent un signal à l’endroit des bailleurs de fonds, des banques multilatérales de développement et des marchés, leur indiquant que le FMI appuie les politiques du pays membre.
Ainsi, pour réaliser rapidement des gains d’efficience, le FMI, même si Mme Deléchat ne l’a pas explicitement dit, exhorte bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne dont le nôtre, d’accroître leurs recettes fiscales d’environ 1 % de leur PIB par an au cours des cinq prochaines années pour satisfaire les besoins permanents d’expansion des services d’éducation et de santé, ainsi que pour combler les déficits d’infrastructures considérables. Selon le FMI, « comme il faut du temps pour renforcer les capacités de recouvrement des impôts sur le revenu des personnes physiques, la TVA et les accises offrent probablement le plus gros potentiel de recettes supplémentaires pour les quelques prochaines années. Par exemple, selon des études récentes du FMI, la TVA représente un potentiel de recettes d’environ 3 % du PIB au Cap-Vert, au Sénégal et en Ouganda, et les accises, ½ % du PIB pour tous les pays d’Afrique subsaharienne. »
Si l’ajustement structurel (ou réforme structurelle) désigne une mesure de politique économique dont le but est d'améliorer de manière durable le fonctionnement d’un secteur de l'économie ou de l’économie entière d’un pays, l’on peut dire que la SRMT qui incite à l’élargissement de l’assiette fiscale est un programme d’ajustement structurel. Le Plan d’ajustement structurel est un programme dicté de l’extérieur par le FMI à un pays donné pour rétablir ses équilibres économiques globaux.
D’ailleurs, le Sénégal n’a pas perdu de temps pour mettre en application cette recommandation du FMI. Ainsi en 2018, la taxe est passée pour les boissons gazeuses de 3% à 5%. En ce qui concerne la bière, le taux est à 40%. Le tabac a connu une hausse de 65% depuis juillet 2018. Le 2 janvier 2017, l’Etat sénégalais a appliqué à compter du 2 janvier, une nouvelle taxe de 3 francs CFA sur le prix du kg de ciment. Ce qui s’est traduit par une hausse de 3 000 francs Cfa sur la tonne. Le 1er mai dernier, le président annonçait une autre taxe sur le ciment. Déjà en 2016, le chef de l’Etat avait annoncé la taxe de 40 francs CFA à l’exportation sur le kilogramme d’arachide, soit environ 20% des prix intérieurs actuels, avant de la suspendre. Il faut cependant prévoir une hausse du prix de l’eau et de l’électricité très prochainement comme l’exige le FMI.
Mais ces premières mesures d’austérité n’ont pas donné les résultats escomptés. Ainsi, en juillet 2018, le Conseil d’administration du Fonds monétaire international a conclu que les résultats obtenus dans le cadre du programme appuyé par l’instrument de soutien à la politique économique (ISPE) sont mitigés. D’ailleurs, dans une lettre datée le 14 juin 2018 et adressée à Madame Christine Lagarde, Directrice générale Fonds monétaire international, Amadou Ba, l’alors ministre de l'Economie, des Finances et du Plan reconnait que « les objectifs indicatifs à fin décembre 2017 et à fin mars 2018 aux recettes fiscales et au plafond trimestriel de la part du montant des marchés publics conclus par entente directe n’ont pas été respectés. Et par conséquent, il sollicite une dérogation pour l'achèvement de la sixième revue de son programme macroéconomique appuyé par l’instrument de soutien à la politique économique (ISPE)… »
Pour pallier ces difficultés qui asphyxient notre économie, Corinne Deléchat, lors de son séjour à Dakar du 12 au 23 septembre 2019, a conclu avec les autorités sénégalaises un programme soutenu par l’Instrument de Coordination des Politiques Economiques (ICPE) d’une durée de trois ans qui s’inscrit dans la même dynamique que l’ISPE.
L’ICPE est un instrument introduit par le FMI en 2017 pour soutenir les pays qui peuvent bénéficier de l’accompagnement du FMI dans le cadre d'un programme, mais qui n’ont toutefois pas besoin d'un soutien financier de l’institution. Le programme accompagnera la mise en œuvre de la seconde phase du Plan Sénégal émergent (PSE) et vise notamment à atteindre une croissance soutenue et inclusive, tirée principalement par le secteur privé, et à renforcer la stabilité macroéconomique par le maintien de la viabilité des finances publiques et la gestion prudente de la dette.
Réduire le train de vie des institutions budgétivores
Aujourd’hui, après les échecs ou résultats mitigés des leçons du FMI, plusieurs Sénégalais restent très sceptiques quant à la réussite de ces nouveaux dogmes austéritaires imposés encore par l’institution financière. Nos dirigeants doivent savoir que le développement du Sénégal est d’abord une affaire endogène et n’est pas consignée miraculeusement dans la bible économique du FMI sous contrôle des États-Unis (17% des voix) et de l’Europe (32%).
Il est heureux de constater que le président Sall a engagé une croisade contre la gabegie au sein de l’administration mais il doit toucher les véritables niches de gaspillage et de corruption. Et charité bien ordonnée commençant par soi-même, Macky Sall aurait bien fait de montrer la voie par la pédagogie par l’exemple. Comment comprendre qu’un président, dont le pays reste encarté dans les 26 les plus pauvres du monde, se paie le luxe de rouler en Mercedes-Maybach S600 Pullman Guard (après en avoir grillé une) estimée à 922 278 000 francs avec en sus une cote de consommation énergivore de 19,6 litres /100 km ? La garde prétorienne de sa Majesté nous rétorquera que la sécurité présidentielle n’a pas de prix. Certes ! Pourtant la chancelière allemande Angela Merkel, dirigeant le pays qui a fabriqué la voiture de notre président, roule en Audi A8 hyper-sécurisée estimée à 102 281 805 francs CFA avec une cote de consommation basse de 8,2 litres/100 km. Le président français Emmanuel Macron, lui, roule en DS 7 Crossback d’une valeur de 35 408 880 francs CFA avec une cote de consommation basse de 3,9 à 5,9 litres/100 km.
Les fonds spéciaux (fonds fourre-tout) et autres dépenses ovni du président, dépassant plus de 10 milliards et obérant les finances publiques, doivent réformés de même que les fonds politiques alloués aux institutions comme l’Assemblée nationale, le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et le Conseil économique social environnemental (CESE). Dans la même foulée, une réduction du traitement des députés, des conseillers du CESE et des Haut-conseillers du HCTT s’impose. Le carburant du président de l’Assemblée coûte au contribuable sénégalais 465 000 000 francs pour une législature et son salaire 540 000 000 Fr CFA. Donc en cinq ans, une seule personne rogne plus d’un milliard aux finances publiques. De la même manière, il faut réduire le nombre de véhicules attribués aux 17 membres du bureau qui disposent chacun d’une 4X4 et d’une berline d’une valeur respective de 26 000 000 francs et 13 000 000 francs, de 1000 litres de carburant et 500 000 francs pour le crédit mensuel. A cela s’ajoute un salaire de 3 000 000 francs pour chaque membre du bureau. Les onze présidents de commission touchent chacun 1,6 million mensuel mais ont le même traitement en voiture, en carburant et en crédit que leurs homologues du bureau. Les députés simples disposent d’une seule 4X4, de 300 mille francs en crédit et de 250 litres carburant.
On retrouve la même situation au CESE et au HCCT. Au Conseil constitutionnel, à la Cour suprême et à la Cour des comptes, le niveau des salaires des magistrats et autres est démentiel. Rien qu’au niveau de ces institutions intouchables, des économies fortes peuvent réalisées et être réinvesties en partie dans les secteurs vitaux où l’Etat risque de supprimer les subventions.
Si cette commune-carrefour en territoire gambien était un terreau fertile pour les commerçants, avant l’édification d’un pont sur le fleuve, aujourd’hui, ce n’est plus le cas avec la rareté des clients
« Le bonheur des uns fait le malheur des autres. » Le bac de Farrafenni confirme parfaitement cet adage. Si cette commune-carrefour en territoire gambien était un terreau fertile pour les commerçants, avant l’édification d’un pont sur le fleuve, aujourd’hui, ce n’est plus le cas avec la rareté des clients. Toutefois, les usagers de cette route qui mène au sud du Sénégal, disent être soulagés.
Lieu, jadis, très animé, aujourd’hui, c’est le calme plat au bac de Farrafenni, en territoire gambien. Le nouveau pont construit sur le fleuve Gambie n’a pas fait que des heureux. Si les chauffeurs de transport en commun et autres véhicules particuliers enjambent l’infrastructure en souriant, les marchands, gargotiers et tous ceux qui tenaient un business tout autour sont dans la nasse. Certains ont même abandonné, d’autres ont rejoint les prairies beaucoup plus fertiles. Même la méthode de travail a changé pour ceux qui ont choisi de rester.Il ne suffit plus d’avoir une table bien garnie pour s’en sortir, la tâche requiert maintenant une bonne aptitude physique. Il faut savoir courir pour être au rendez-vous dès qu’une voiture ralentisse afin pouvoir de proposer ses produits aux clients à bord. Ousmane Bousso travaille dans ce lieu depuis 25 ans. Il tenait une table bourrée de marchandises avant la construction du pont. Les clients venaient par des dizaines. Il se frottait bien les mains. « A vrai dire, nous faisions de bonnes affaires auparavant. Les passagers descendaient des véhicules pour venir acheter quelque chose pour la famille. Nous pouvions gagner jusqu’à 50.000 FCfa par jour. Aujourd’hui, nous avons du mal à avoir 15.000 FCfa. Les gens ne descendent plus, il faut savoir courir pour espérer vendre », se désole Ousmane Bousso.
Privilégier l’intérêt général
Ce pont, long de 1,9 km près de Farafenni, relie les deux moitiés de la Gambie, tout en permettant aux habitants du nord du Sénégal d’atteindre facilement la région naturelle de la Casamance au sud. Jusqu’à présent, la traversée du fleuve se faisait avec un ferry peu fiable ou il fallait prendre la longue route pour contourner la Gambie. Les chauffeurs de camions pouvaient passer des jours, et parfois une semaine, dans une file d’attente, pour traverser le fleuve. Ce qui signifiait une perte énorme de temps, souvent de biens et même quelquefois en vie humaine. Le vieux Lamine Ndiaye, 70 ans, en est un témoin oculaire. « J’ai vu un malade qu’on transportait vers le sud y laisser la vie du fait de la longue attente et de l’insouciance des autorités qui géraient le bac. Ses proches ont aussitôt rapatrié le corps à Dakar pour éviter qu’il ne se décompose. J’ai vu aussi des tonnes de mangues chargées dans un camion pourrir dans ce lieu. Son propriétaire, ne pouvant rien faire, s’est mis à pleurer comme un enfant. J’ai vu sur place du beurre chargé dans une camionnette se fondre progressivement sous l’effet de la chaleur du fait de l’interminable queue », révèle-t-il, le regard jeté dans le vide.
C’est pourquoi, selon lui, même si avec le pont son activité tourne au ralenti, il ne va pas s’en plaindre. « Il faut plutôt voir le nombre de Sénégalais, notamment du sud, et de Gambiens que ce pont soulage. Parfois, il faut laisser de côté nos intérêts égoïstes et privilégier l’intérêt général. C’est vrai que les choses ne marchent plus, on s’en remet au bon Dieu », estime le vieil homme.
Des usagers soulagés
Ousseynou, gère une gargote à la descente du pont, vers Soma, en terroir gambien. En plus, il vend du lait, du thé, de la mayonnaise, etc. Il en est à sa 15e année sur place. Cet originaire de Keur Ayib au Sénégal n’est nullement surpris par les mutations intervenues avec la construction de ce pont. « Il fallait vraiment être aveugle pour ne rien voir venir. Il y a deux ans de cela, lorsque mon fils a fini de mémoriser le coran et voulu me rejoindre ici, je l’ai déconseillé. Je lui avais dit d’aller à Dakar ou ailleurs, mais ce lieu n’avait plus d’avenir. L’histoire m’a aujourd’hui donné raison », dit ce cinquantenaire apparemment fier d’avoir épargné son fils de cette aventure. Selon lui, par le passé, les affaires marchaient très fort. Son restaurant de fortune était plein de gens à tout moment. L’argent y coulait à flot et en abondance. Mais tout cela n’est qu’un souvenir. Actuellement, seuls les « résistants » mangent dans sa gargote. Ce sont plus 200 personnes victimes du pont regroupées dans une association. Elles sont composées de Sénégalais, de Gambiens et de Guinéens. Ces impactés par le pont veulent être recasés dans un autre site où ils pourront poursuivre tranquillement leur business. Si les vendeurs broient du noir avec la construction du pont, les chauffeurs et autres usagers explosent presque de joie quand ils parlent de l’infrastructure tellement ils ont souffert du ferry. Keba Sarr est un chauffeur de camion. Il avait l’habitude de traverser le bac pour rejoindre la Casamance avec son lot de problèmes. « Vraiment, le pont nous a fait beaucoup de bien. C’était le souhait de tous ceux qui avaient l’habitude d’emprunter cette route qui a été exaucé. Nous avons beaucoup souffert du bac par le passé. Il m’est arrivé de faire la queue pendant une semaine pour pouvoir traverser. Sans compter les tracasseries dont nous étions victimes », se satisfait ce jeune camionneur.
Selon lui, le seul problème en ce moment, c’est le pont bascule où ils payent cher, chargé ou pas. « On paie à l’aller comme au retour. Avec mon camion, j’ai payé 65.000 FCfa. Je pense que cela doit être revu. Mais, pour le reste, il n’y a aucun problème », reconnait-il. Fallou Diouf, un jeune chauffeur de « 7 places », embouche la même trompette. Pour lui, avec le pont, il peut quitter Dakar le matin et déjeuner à Ziguinchor, ce qui était impensable à l’époque.
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CHIRAC, LE BRUIT ET L'ODEUR
En juin 1991, alors que le Front national grignote des voix, l'ancien président français prononce un discours stigmatisant à propos des immigrés
Le 19 juin 1991, Jacques Chirac, président du RPR et maire de Paris, prend la parole entre le fromage et le dessert lors d’un dîner-débat à Orléans devant 1 300 militants. Le teint luisant et rougi, il balance : «Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. […] Il faut mettre un moratoire au regroupement familial.»
Pour bien appuyer son propos, le candidat de droite de la prochaine présidentielle relate une visite qu’il vient d’effectuer avec Alain Juppé dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Paris : «Le travailleur qui habite à la Goutte-d’Or et travaille avec sa femme pour gagner environ 15 000 francs. […] Sur son palier d’HLM, ledit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler. […] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou. Ce n’est pas être raciste que de dire cela», conclut-il, déclenchant l’hilarité et les applaudissements de son auditoire.
Les habitants de la Goutte-d’Or «ont eux beaucoup moins ri»,raconte Jean-Raphaël Bourge, chercheur à l’université Paris-VIII et habitant du quartier : «Prendre l’exemple de la Goutte-d’Or était un prétexte facile pour fustiger l’immigration parce que ce quartier est porteur de tout un tas d’images et de clichés autour de la figure de l’immigré et de l’Arabe en particulier. Cette sortie de Chirac est une marque indélébile dans les mémoires. C’est un souvenir toujours vif pour les anciens qui y vivent encore. Pour les habitants, il était encore moins tolérable de faire croire que la cohabitation était impossible entre eux alors qu’il y a toujours eu une relative harmonie», corrige-t-il.
«Parenthèse raciste par opportunisme électoral»
Dès le lendemain et alors que le RPR fait front avec Chirac, la phrase «le bruit et l’odeur» provoque aussi un tollé à gauche. «Le langage de Monsieur Chirac ressemblait beaucoup à celui de Le Pen», analyse par exemple la Première ministre socialiste Edith Cresson,qui précise avoir pressenti «ce rapprochement» avec le FN.Mais Jacques Chirac s’en défend :«Je ne suis pas suspect de sympathie à l’égard de M. Le Pen. Je ne vois pas en quoi il aurait le monopole de souligner les vrais problèmes», assure-t-il, tandis que le président du parti d’extrême droite Jean-Marie Le Pen s’en frotte les mains, assurant que les électeurs «préféreront l’original à la copie».
«On peut plaiderla parenthèse raciste par opportunisme électoral», avance le politologue et ex-insoumis Thomas Guénolé. Au moment de son discours, le FN s’est en effet installé dans le paysage politique français depuis le début des années 80. Le parti a obtenu près de 11% des voix aux européennes de 1984, plus de 10% aux législatives de 1986 et récolte 14,34% des voix au premier tour de la présidentielle de 1988. Dans l’espoir de limiter l’hémorragie, Jacques Chirac lepénise alors son discours. Mais cette sortie raciste a marqué les esprits. Quelques années plus tard, le groupe Zebda reprend ses propos dans son deuxième album le Bruit et l’Odeur : «Qui a construit cette route ?/ Qui a bâti cette ville ?/ Et qui l’habite pas ?/ A ceux qui se plaignent du bruit/ A ceux qui condamnent l’odeur/ Je me présente…»
«Avant 1986 et après 1991, il n’y a pas de traces de Chirac de ce même genre de propos sur l’immigration, avance Thomas Guénolé. Lors de ces deux mandats présidentiels, «ses ministres en charge de l’immigration adopteront tout de même une ligne dure mais, dans le même temps, Chirac reste irréprochable dans les discours qu’il prononce. Selon moi, il adhère donc à l’hostilité envers l’arrivée de nouveaux immigrés, mais sans aucun racisme envers ceux déjà installés en France», avance Guénolé, qui rappelle le discours de Jacques Chirac lorsqu’il quitte le pouvoir en 2007 : «Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. C’est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l’âme de la France dit non à l’extrémisme.»
Dommage de prononcer deux ans plus tard une petite phrase qui fera polémique. En 2009, Jacques Chirac se promène à Bordeaux avec le maire de la ville Alain Juppé (décidément), lorsqu’un jeune homme les approche. Jacques Chirac lui demande alors : «Vous êtes d’où vous ?» Le jeune homme répond : «Je suis de Lormont [à côté de Bordeaux,ndlr].» Mais alors que le passant s’éloigne, l’ex-président murmure à son ancien Premier ministre : «A mon avis, il n’est pas tout à fait né… natif de…» La scène a été filmée… Et «le bruit et l’odeur» ressorti du placard.
par Amadou Tidiane Wone
LA STRATÉGIE DES 4 P ?
La mission dévolue à la DER est de stimuler des vocations, faire s’épanouir des projets, créer ou consolider des emplois. C'est sur ce registre que nous attendons son bilan et non celui de l'alignement de taux de remboursements en dessous de 40% !
La Délégation Générale à l’Entreprenariat Rapide (DER) est en train de dérouler sa « stratégie » pour recouvrer les fonds publics mis à sa disposition pour permettre aux sénégalais, notamment jeunes, d’entreprendre. Cette stratégie dite des 4P aurait pu faire sourire si elle ne révélait, quant au fond, une série d’échecs, un lot d’espérances trahies ainsi qu'une mauvaise gouvernance des deniers publics. Trente milliards seraient en jeu pardi (!) et l'on est en train, par petites touches, de nous préparer à l’idée de leur évaporation ! Depuis quelques temps en effet, la direction de la DER sillonne le pays et rend compte du taux de remboursement très faible des prêts consentis : entre 30 et 40%. Autrement dit environ 60% de nos fonds (?) seraient dans la nature au risque de passer par pertes et profits…
La fameuse stratégie des 4P se décline comme suit : « Préfet-Procureur-Police-Prison… ». Autrement dit, la seule issue offerte à un apprenti entrepreneur en difficulté, c'est la répression ! Aucune voie de sortie « honorable » ne semble prévue sur le parcours parsemé d’embûches d'un entrepreneur en (im)puissance : Le chemin est tout tracé vers la prison. Ce jalonnement sans alternative vers l'issue carcérale pose plusieurs questions :
Et d'abord en amont :
les études préalables à l’octroi des crédits dont il est question avaient-elles été menées avec la rigueur nécessaire pour minimiser les risques de défaillance ?
Les futurs entrepreneurs avaient-ils subis des formations les rendant aptes à conduire le projet financé ?
Des outils de veille et d'alerte ainsi que des encadrements adéquats étaient ils prévus pour redresser ce qui pouvait l’être avant l'issue fatale des 4 P ?
Quelle est la responsabilité des prêteurs en cas de mauvaise appréciation du risque encouru par le débiteur ?
La DER doit communiquer sur ces aspects qui engagent sa responsabilité, au lieu de jeter en pâture des citoyens qui doivent fuir leur voisinage de honte tant la descente de la police peut sembler humiliante sous nos tropiques.
Plus grave, la DER n'est pas la SNR (Société Nationale de Recouvrement). La mission qui lui est dévolue est de financer l’entreprenariat rapide, c’est-à-dire de stimuler des vocations, de faire s’épanouir des projets, de créer ou de consolider des milliers d’emplois. C'est donc sur ce registre que nous attendons son bilan et non celui de l'alignement de taux de remboursements en dessous de 40% !
Alors :
Combien d’entreprises ont été « rapidement » créées ?
Combien d'emplois ont été générés ?
Quel impact sur l’économie de notre pays ?
Dans quels secteurs les entreprises rapides ont-elles eu le plus de succès ?
Ces questions sont au cœur du bilan, à mi-parcours que les responsables de la DER doivent à la Nation. Ils nous doivent un bilan qui stimule les ambitions et donne des raisons d’espérer. Emprisonner n'a jamais été la meilleure manière de se faire payer. Par contre cela peut briser, définitivement, tout désir d’entreprendre. Mauvais signal à la jeunesse, pour le moins !
A défaut, nous serions tentés de croire que la « Stratégie des 4P » se réduit à une mission à deux P : distiller une Pédagogie du Pire qui vise insidieusement à nous préparer au fait que dans quelques mois, les sommes englouties dans un projet suspect d’arrière-pensées électoralistes depuis le départ, auront fondu comme beurre au soleil. Et cela serait inacceptable !