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23 juillet 2025
"LE MODÈLE DE CROISSANCE DES PAYS AFRICAINS EST MORTIFÈRE"
L’économiste togolais Kako Nubupko, à travers son nouveau livre "L’Urgence africaine" (éd. Odile Jacob) tord aussi le cou au discours « afroptimiste » sur l’émergence en Afrique et dresse un bilan économique général calamiteux
Le Monde Afrique |
Coumba Kane |
Publication 22/09/2019
Alors que les pays africains ont annoncé en grande pompe la réalisation de deux projets historiques – la création d’une monnaie unique pour la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en remplacement du franc CFA et la mise en place d’une zone de libre-échange censée embarquer 54 pays –, voici un ouvrage qui permet de mieux comprendre les rouages des économies africaines.
Dans son nouveau livre, L’Urgence africaine (éd. Odile Jacob), le Togolais Kako Nubukpo, qui fut chargé du numérique auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie, connu pour ses travaux contre le franc CFA (Sortir de la servitude volontaire, éd. La Dispute, 2016), plaide pour un changement radical du modèle de croissance. Agriculture, fiscalité, numérique, écologie, cet essai documenté passe en revue les solutions africaines adaptées aux défis du continent. L’économiste engagé tord aussi le cou au discours « afroptimiste » sur l’émergence et dresse un bilan économique général calamiteux. Il rappelle que malgré des taux de croissance moyens de 5 %, l’Afrique subsaharienne est la seule région du monde où la population extrêmement pauvre (vivant avec moins de 1,90 dollar par jours selon la Banque mondiale) a doublé en cinquante ans.
Que reprochez-vous à l’actuel modèle de croissance des pays africains ?
Kako Nubukpo De maintenir l’Afrique dans le modèle dit « d’esclavage colonial ». Les pays du continent restent intégrés, plus de soixante ans après les indépendances, dans un système économique qui les poussent à produire des matières premières puis à les exporter sans les transformer. En revanche, ces Etats importent, du reste du monde, des produits transformés. C’est un modèle de croissance mortifère, car c’est dans la transformation des matières premières qu’on crée des emplois, de la valeur ajoutée et donc des revenus. Ce modèle pousse notre jeunesse à migrer vers là où se créeront la richesse et les jobs.
Ce discours n’est pas nouveau. Des économistes du développement ont dès les années 1970 dénoncé ce modèle de croissance. Pourquoi estimez-vous qu’il y a urgence aujourd’hui ?
La population africaine double tous les vingt-cinq ans. Pour répondre aux besoins de cette jeunesse, le continent doit donc se transformer plus vite et bien. Par ailleurs, il est temps d’acter l’échec des théories néolibérales testées en Afrique depuis trente-cinq ans. Les plans d’ajustements structurels, conçus et imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale dans les années 1990 dans l’idée de promouvoir la bonne gouvernance, ont été catastrophiques. L’Etat social a été détricoté, les entreprises publiques privatisées, l’économie libéralisée. Ces injonctions ont poussé les pays africains dans la mondialisation néolibérale sans filet de sécurité. Pour des Etats jeunes, les coupes sociales ont été mortifères. En somme, une potion amère délivrée sans comprendre les réalités africaines et les enjeux que représentent les transitions écologique, démocratique, fiscale et démographique.
Vous fustigez le modèle néolibéral et appelez à la rescousse Marx et Polanyi. N’est-il pas obsolète de convoquer ces penseurs en 2019 ? Certains dirigeants africains s’étaient d’ailleurs inspirés des théories marxistes dans les années 1960-1970 sans grande efficacité…
A l’époque, le politique avait pris le pas sur l’analyse rigoureuse des forces productives, des formes institutionnelles, des régimes d’accumulation, des rapports sociaux et des modes de production. Ces dirigeants se sont avant tout positionnés contre le capitalisme en adoptant le communisme ou le socialisme sans prendre en compte le contexte local. Avec le recul, l’échec était prévisible, car ces économies africaines n’avaient pas amorcé leur transformation industrielle quand Marx expliquait que ses thèses n’avaient de sens que pour des sociétés déjà industrialisées.
D’où l’importance de sortir du dogme, et pour l’Afrique de bâtir son propre modèle, non celui des Occidentaux ou des Asiatiques.
Je cite Karl Polanyi, car il a intégré la question anthropologique à l’économie. L’économique ne s’est pas autonomisé du reste du social. Cet encastrement éclaire certaines pratiques. Par exemple, pourquoi dans certaines entreprises, on recrute un cousin moins productif que d’autres employés ? C’est souvent parce qu’on maximise la cohésion sociale à la place du profit. La corruption endémique peut être analysée à l’aune des logiques de don et de contre-don. Quant à Marx, il souligne l’importance des forces productives, des rapports sociaux de production, des formes institutionnelles, des régimes d’accumulation. On n’est donc pas simplement face à des marchés, à des acteurs sans histoire, sans chair, mais dans des processus historiques avec des rapports de forces. Ce qui permet de voir les économies africaines dans un contexte plus large.
Dans la perspective d’un changement de modèle, voyez-vous la démographie africaine comme une chance ou un fardeau pour le continent ?
Le dynamisme démographique n’est pas mauvais en soi, mais il faut être lucide, la transformation des économies africaines nécessite qu’on passe d’une démographie subie à une démographie choisie. Dans le monde, les pays qui se sont développés sont ceux qui ont réduit drastiquement leur taux de croissance démographique. Quand, ces cinquante dernières années, l’Asie de l’Est est passée de 1,4 % de croissance démographique annuelle à 0,1 %, l’Afrique n’est passée dans le même temps que de 2,8 % à 2,7 %. Il faut donc accélérer cette transition démographique en Afrique sous peine de se retrouver face à une bombe à retardement.
Vous plaidez pour une rupture avec le FMI et la Banque mondiale, comme l’a fait le Ghana. N’est ce pas un pari risqué ?
C’est nécessaire, car l’analyse faite par ces institutions est aberrante. Selon elles, comme l’Afrique importe beaucoup de biens – ce qui génère des problèmes de balance commerciale –, il faut réduire la demande pour revenir à l’équilibre. Or c’est le contraire qu’il faut faire, car la demande africaine va s’accroître. En 2050, nous serons 2 milliards, c’est une tendance lourde. Nous aurons donc une demande potentiellement solvable. Il faut au contraire investir massivement dans les infrastructures, les usines, créer de la valeur ajoutée et des emplois pour nos jeunes. La recette du FMI et de la Banque mondiale est adaptée à un pays comme l’Allemagne, dont la population diminue et qui a besoin d’une monnaie forte pour préserver son patrimoine. Les économies africaines, elles, n’en sont pas là. Elles doivent créer maintenant de la richesse.
La fiscalité est le parent pauvre des politiques économiques africaines. Comment les Etats peuvent-ils augmenter leurs recettes fiscales ?
Il y a une vraie déperdition dans la récolte de l’impôt qui s’explique en partie par la corruption. Certains fonctionnaires mal payés s’octroient une partie de l’impôt. Par ailleurs, faute de titres fonciers, le patrimoine immobilier est peu taxé. On a aussi un secteur informel surdimensionné et mal fiscalisé. Tout ceci représente de l’argent perdu pour les caisses de l’Etat, et explique aussi la faible pression fiscale en Afrique (20 % en moyenne, contre 45 % à 46 % en France). Enfin, la base productive est étroite, ce qui rend mécaniquement faible le montant d’impôts à collecter. Toute la pression s’exerce sur les classes moyennes qui se sentent, à juste titre, matraquées.
On annonce pour juillet 2020 le lancement de l’éco, une monnaie unique dans l’espace Cédéao qui réunit 15 pays. Est-ce une alternative crédible au franc CFA, que vous jugez en partie responsable du marasme économique ?
Je ne boude pas mon plaisir de voir des dirigeants, qui expliquaient il y a peu qu’on ne peut pas faire mieux que le franc CFA, dire finalement le contraire. Cependant, beaucoup de choses restent floues. Comment se feront les harmonisations entre les systèmes bancaires francophone, lusophone, anglophone ? Le taux de change sera-t-il fixe avec l’euro, comme l’a déclaré le président ivoirien Alassane Ouattara, ou rattaché à un panier de devises, comme l’a annoncé le président nigérien Mahamadou Issoufou ? Les incertitudes sont nombreuses et le calendrier me semble précipité.
Par ailleurs, les Etats seront-ils capables de solidarité budgétaire à l’égard d’un pays impacté par un choc ? Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à faire du fédéralisme budgétaire ? Enfin, il y a un malaise chez les chefs d’Etat concernant la domination nigériane. Le Nigeria, c’est 52 % de la population de la Cédéao et un PIB qui représente plus des deux tiers du PIB de la zone. Il sera donc le garant de l’éco. Je ne suis pas sûr que les chefs d’Etat de la zone franc soient prêts à accepter le passage d’une tutelle française à une tutelle nigériane.
La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) lancée en juillet marque-t-elle un tournant ?
C’est un vieux rêve qui devient réalité, celui des pères des indépendances. Cependant, il y a des écueils à éviter. Cet espace ne doit pas devenir un cheval de Troie pour le reste du monde. Les entreprises africaines doivent massivement alimenter ce marché, en veillant au strict respect des règles d’origine. Il faudrait avoir au moins 50 % de contenu local en termes de facteurs de production et de produits. Mais attention, le marché ne suffit pas. Pour l’alimenter, la production est indispensable, une production qui va engendrer des revenus. La Zlecaf est donc un levier possible pour l’émergence, à condition de savoir ce que l’on veut faire ensemble et mettre au cœur de l’agenda l’impératif de transformation sur place des matières premières.
Vous préconisez également de mettre l’agriculture au cœur de ce modèle de croissance africain. Comment faire face aux agricultures compétitives européennes et nord-américaines ?
L’urgence agricole aujourd’hui, ce sont les terres convoitées par les puissances émergentes et les surplus nord-américains et européens déversés sur nos territoires, tuant ainsi toute incitation à produire localement. Il faut augmenter la productivité agricole, apporter un soutien institutionnel aux acteurs de la filière et, surtout, enclencher une politique agricole protectionniste. Dans un premier temps, le protectionnisme est nécessaire sur un continent où 70 % de la population est rurale. Surtout quand l’on met en concurrence les agricultures ultra productivistes du Nord et celles, familiales, du Sud si peu subventionnées.Voyez seulement, un agriculteur américain est 820 fois plus soutenu qu’un producteur tanzanien. L’Américain reçoit en moyenne 37 000 dollars par an, le Tanzanien… 46 dollars. Sur un même marché, ce dernier disparaîtra.
Après la seconde guerre mondiale, l’Europe n’a pas attendu que les Etats-Unis la nourrissent. La politique agricole européenne pèse pour la moitié du budget commun, car c’est une question de souveraineté alimentaire. L’Afrique doit se nourrir en protégeant son marché.
Vous fustigez le discours sur l’émergence africaine. Doit-on vous classer parmi les afro-pessimistes ?
Je suis afroréaliste et je dénonce les faux-semblants de l’émergence. Ce discours a comblé un vide conceptuel après la fin des programmes d’ajustements structurels. Les cabinets de consultance internationaux qui élaborent ces plans – le Plan Sénégal Emergent, le Gabon Emergent, le Plan national de développement du Burkina Faso ou du Togo… – ne disent pas comment les financer. Alors les chefs d’Etat africains vont demander l’aide des Occidentaux pour le faire. Ces projets ne sont pas conçus en tenant compte des réalités de chaque pays. Il est tant de comprendre que personne ne développera l’Afrique à la place des Africains.
Par ailleurs, inspirons-nous des belles expériences en cours chez les voisins. Du Ghana pour la solidité des institutions, de l’Ethiopie sur les coûts de production compétitifs, du Rwanda pour la bonne gouvernance.
L’autre mantra à propos de l’émergence repose sur le numérique perçu comme opportunité pour les jeunes. N’y a-t-il pas un mirage entretenu au sujet de la croissance portée par ce secteur ?
Il faut dire que la jeunesse africaine innove avec un sens aigu de l’intérêt général. Il y a par exemple ce système d’irrigation goutte-à-goutte contre la sécheresse, ces applications pour prendre soin des personnes âgées, celles facilitant l’inscription des nouveau-nés dans les registres d’état-civil, etc. Le défi se trouve dans le passage à grande échelle. Ces entreprises doivent être soutenues et accompagnées sinon cela restera un mirage. Je propose d’intégrer la filière numérique dans une économie arc-en-ciel qui reposerait sur l’économie maritime (bleue), écologique (verte), numérique (transparente) et culturelle (mauve), car l’Afrique a un potentiel gigantesque sous exploité : ses richesses culturelles. Si chacune de ces filières faisait l’objet d’une réflexion stratégique pour la positionner dans les niches idoines des chaînes de valeur nationales, régionales et internationales, on pourrait transformer structurellement les économies africaines.
Vous insistez sur la nécessaire adhésion des populations africaines à un projet commun. Comment la susciter quand on observe un décalage si grand entre les dirigeants et leurs concitoyens ?
N’oublions pas que nos Etats sont jeunes et que les citoyens n’ont pas d’emblée conscience d’une communauté de destin. Par ailleurs, dans nombre de pays, les dirigeants ne sont pas choisis par leurs compatriotes, mais par les alliés occidentaux. Ce sont des dirigeants offshore qui ne se sentent pas obligés de rendre des comptes à leur peuple.Je rappelle que la première école coloniale française fondée au Sénégal par Louis Faidherbe en 1855 s’appelait l’Ecole des otages [qui formait les fils de chefs et de notables locaux pour en faire les auxiliaires du pouvoir colonial].La solution passera donc par l’émergence de dirigeants issus des sociétés civiles. Les jeunes doivent pour cela investir les élections. L’émergence se fera quand l’Afrique produira ses propres dirigeants ayant à cœur l’intérêt général.
Votre livre a des allures de programme économique. Vous avez été ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo entre 2013 et 2015. Envisagez-vous de vous présenter à la présidentielle togolaise en 2020 ?
Je compte servir mon pays à l’endroit où je pourrais être le plus utile.
AUDIO
DIANO BI AVEC MAODO DIOUF
Le technicien en Génie civil, spécialiste en hydraulique, fait le tour de l'actualité au micro de Maodo Faye, dans l'émission dominicale en Wolof
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VIDEO
LA TUTELLE FRANÇAISE SUR LES PAYS AFRICAINS À L'ONU, ÇA SUFFIT !
L'économiste ivoirien Mamadou Koulibaly, dénonce la tutelle de la France sur les pays africains francophones au sein de l’Onu et propose une nouvelle approche commerciale pour le continent
Depuis Moscou, où il était l’invité du président du Parlement russe, #MamKoul2020 dénonce la tutelle de la France sur les pays africains francophones au sein de l’Onu et propose une nouvelle approche commerciale pour le continent. En voici la retranscription:
« Tout à l’heure, Monsieur Vassiliev est revenu sur un certain nombre d’aspects qui pourraient améliorer le commerce entre les pays africains et la fédération de Russie. Il a insisté sur le cadre juridique, il a insisté sur le cadre sécuritaire, il a insisté sur les règles de commerce, de douane, de calcul, de données, d’échanges de données, et je crois que le fond du dossier se trouve là. On a d’un côté la fédération de Russie, et puis de l’autre côté, près d’une cinquantaine d’états africains.
Échanger avec ces états africains est de plus en plus ressenti lourdement par le continent, qui cherche à avoir un discours commun, une voix commune pour que le commerce qui se fait avec le continent puisse aller au bénéfice du continent et non pas seulement pour chaque État séparé.
La volonté de plusieurs états, c’est de remplacer le bilatéralisme classique par une sorte de multilatéralisme d’échanges avec des pays comme la Russie, mais pour cela, il va falloir que nous fassions quelques efforts sur le continent.
Les parlements africains ne sont pas encore organisés. C’est vrai qu’il y a des organisations sous régionales à l’ouest, au centre, au sud et, dans les statuts de toutes ces organisations sous régionales, il est dit qu’il faut mettre en place des parlements. Vous prenez la Cedeao, vous prenez l’union africaine, vous prenez l’Uemoa, la Cemac, dans tous ces cas, on dit qu’il faut mettre un parlement en place pour gérer les problèmes locaux qui peuvent se poser aux différents pays.
Malheureusement, les états africains ne sont pas encore arrivés, plusieurs années après, à mettre en place ces parlements locaux. Donc une législation commune qui pourrait gérer le commerce entre ces pays et les États extérieurs est difficile, puisqu’on n’a pas de système législatif commun.
La première étape, il me semble, c’est que le plus rapidement, l’union africaine s’efforce de mettre en place le parlement africain, et c’est ce parlement africain qui va définir les règles générales, statistiques, commerciales, monétaires, politiques qui pourraient faciliter le commerce entre la Russie-l’Afrique, l’Inde-l’Afrique, les États-Unis-l’Afrique et la Chine-l’Afrique… pour le moment, ce n’est pas le cas.
Deuxième élément de blocage : les pays africains ont été libérés de la colonisation il n’y a pas très longtemps. Et malheureusement, quand vous regardez les statistiques des Nations unies, 70 à 80 % des dossiers traités au conseil de sécurité ou bien à l’assemblée générale concernent l’Afrique, mais très rarement ces dossiers sont présentés par les états africains.
C’est toujours les anciennes puissances coloniales qui introduisent les dossiers qui concernent l’Afrique. Peut-être qu’il serait temps que les membres du conseil de sécurité des Nations unies, pourquoi pas la Russie, puissent plaider en faveur de ce changement: Si les états sont indépendants depuis 1958-1960, pourquoi n’ont-ils pas le droit d’assumer pleinement devant les Nations unies leur mandat ? Pourquoi faut-il toujours pour le Burkina, le Sénégal, le Congo, que les résolutions soient introduites non pas par l’État congolais ou l’Etat burkinabè, mais par l’Etat français ? Pourquoi ne faut-il pas que ce soit les gouvernements africains qui plaident pour ceci ou pour cela, mais que ce soit toujours les anciennes puissances coloniales ?
Tant qu’il y aura ce double standard aux Nations unies, le commerce avec les puissances qui n’ont pas été coloniales par rapport à l’Afrique restera relativement difficile. Voilà, monsieur le modérateur, les deux mots que je voulais ajouter au plaidoyer de M. Vassiliev.
C’est vrai qu’il y a les organisations que vous mettez en place ici. Elles seront d’autant plus efficaces, que sur le continent africain il y a aussi des organisations qui se mettent en place pour que le dialogue puisse être bilatéral, sinon ça va encore mettre beaucoup de temps. Je vous remercie. »
Chaque jeudi, le Prof. Mamadou Koulibaly, candidat de LIDER à l’élection présidentielle de 2020, publie une courte vidéo explicative de son projet de société pour une Côte d’Ivoire meilleure, unie et stable. Likez et partagez pour qu’ensemble, nous réussissions! 2020 se prépare dès aujourd’hui et merci à chacun de faire sa part.
par Benoit NGOM
FRANCE-SÉNÉGAL, DE LA MÉPRISE AU MÉPRIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Qui a empêché les africains d’honorer leurs ancêtres morts en France pendant les deux guerres ? Pourquoi aucun monument digne du sacrifice des tirailleurs sénégalais n’a été bâti dans un pays africain depuis l'indépendance ?
Du 30 Septembre au 2 Octobre de cette année, l’Assemblée Nationale française organise un débat sur l’immigration. La conclusion ira vraisemblablement dans le sens du durcissement des conditions d’accès et de séjour des étrangers notamment de l’octroi des visas.
La question de la délivrance des visas à destination de la France est un vrai marqueur de la nature des relations entre ce pays et ses anciennes colonies d’Afrique notamment le Sénégal. En effet, bon nombre de Sénégalais, qui depuis leur président poète Senghor entendait parler de la relation particulière entre leur pays et la France sont toujours frustrés du traitement qui leur est imposé pour pouvoir séjourner en France. Ces sénégalais se sentent davantage diminués en voyant que leurs amis français, exemptés de visa, peuvent de leur côté se rendre au Sénégal quand ils le désirent. Même les personnes les plus respectées dans leur entourage ne sont jamais certaines de pouvoir bénéficier d’un visa pour la France. Ainsi, dans un mouvement de dépit, se sont-ils demandés à un moment pourquoi il ne fallait pas exiger des français la même chose qu’ils exigent des sénégalais, le visa.
L’exemption de visa en faveur des ressortissants d’un pays exprime naturellement la considération, l’estime et la confiance qu’on a à l’égard de ce pays. En cela la réciprocité dans ce domaine peut montrer le degré d’intégration culturelle, politique et économique qu’il y a entre les pays concernés. Toutefois, l’exemption de visa ne découle pas forcément de l’observation de la règle de réciprocité. Un pays peut unilatéralement proposer à un autre pays d’exempter, pour des raisons souvent économiques, ses ressortissants du visa.
Cependant, nous semble-t-il, dans le cas des relations entre le Sénégal et la France, la non observation de la règle de réciprocité n’est pas le problème fondamental mais plutôt les conditions d’octroi du visa français. La délivrance du visa français, à cet égard, doit-elle continuer à être considérée comme une œuvre de bienfaisance ou être le reflet d’une amitié enracinée dans l’histoire ?
FRANCE, SÉNÉGAL UNE VIEILLE ALLIANCE
La relation entre la France et le Sénégal n’est historiquement comparable à aucune autre en Afrique. En effet, la présence française au Sénégal commence à partir du 17e Siècle par l'île Saint-Louis. Ainsi, Saint-Louis est généralement considérée comme la première colonie française d’Afrique.
Une présence humaine et culturelle qui va revêtir progressivement des formes commerciales. En effet, à côté de la coexistence des populations, marquée par les premiers mariages mixtes « à la mode du pays », commencèrent à s’installer et à se consolider les embryons des comptoirs commerciaux qui à partir de Saint-Louis vont essaimer en Afrique occidentale.
Ainsi, quand Louis Faidherbe, futur Gouverneur du Sénégal arrive à Saint-Louis, sa première mission fut de sécuriser les comptoirs commerciaux qui se développaient sur les côtes africaines mais qui avaient besoin d’être protégés contre les attaques venant des pays limitrophes.
Sa mission prit alors une nouvelle dimension : celle de mettre en place une armée d’africains pour appuyer le petit contingent militaire originaire de la métropole. Faidherbe, avant d'élargir sa mobilisation aux anciens esclaves de case va s’appuyer sur des sénégalais de souche dont certains étaient des français qui cohabitaient avec les français de la métropole. Cette nouvelle armée dite « noire » va être le socle sur lequel Louis Faidherbe va bâtir en 1857 celle dite des « Tirailleurs sénégalais » qui va fonder le nouvel empire colonial français et dont certains participeront à la guerre de 1870.
Dans cet esprit, il n’est pas exagéré de dire que des sénégalais ont contribué fondamentalement à la création de l’armée coloniale française et ont contribué à la naissance et à l’expansion de l’empire colonial français. Ceux sont ces hommes qui auront pour mission de « pacifier » d’abord le Sénégal, leur pays d’origine, en obligeant la dissidence locale à partager les valeurs françaises. Ces considérations ne sont que le reflet de la réalité historique en dehors de toute considération morale qui pourrait suggérer une quelconque invitation à la repentance. A cet égard, il convient de citer le président Abdoulaye Wade qui a ressuscité la mémoire du Tirailleur sénégalais et qui disait «. Il faut assumer l'histoire, quelle qu'elle soit. Il ne faut pas en effacer une partie parce qu'elle dérange. Ceux qui font des critiques trop sévères vis-à-vis des tirailleurs ou des régimes de l'époque et de Blaise Diagne premier député noir à la chambre des députés, qui est à l'origine de l'engagement massif des tirailleurs dans la première guerre mondiale, sont des gens qui ne sont pas très justes. Certains qualifient Diagne d'agent de l'impérialisme. Je pense qu'ils ont tort. Pour apprécier son apport à l'histoire de l'Afrique, il faut le replacer à son époque, qui était une époque de non-droit. Les Africains n'avaient pas de droits. Ils étaient des sujets français. Et à cette époque, un homme s'est singularisé en prenant la défense des Noirs, c'était Diagne. A l'époque, les Sénégalais étaient contents de voir un Noir au Palais-Bourbon défendre la race noire. Il se battait contre le racisme ».
Ces tirailleurs, d’abord originaires du Sénégal, vont provenir au fil du temps des différents pays africains et être progressivement de toutes les batailles dans les différentes régions de l’Empire colonial. La dénomination de « Tirailleurs sénégalais » va toutefois faire que les sénégalais, dans de nombreux pays qui ont connu l’oppression coloniale, soient considérés pendant longtemps comme des « mercenaires » de la France.
La présence des tirailleurs sénégalais dans tous ces théâtres d’opération militaire est une réalité historique. Cependant, est-il possible d’affirmer sans hésiter qu’ils avaient tous une conscience claire de se battre pour leur patrie ? Toujours est-il que la guerre de 1914 va changer la perception qu’ils avaient de leur engagement dans l’armée française. En effet, quand advint, à la demande de Georges Clémenceau, la nécessité de mobiliser des troupes d’Afrique noire pour soutenir les soldats en métropole, Blaise Diagne, sénégalais et premier Député noir au Palais Bourbon, comprit que la respectabilité future des Noirs dans l’empire colonial français pouvait changer positivement si les africains acceptaient d’aller se battre sur le front au nom de la France mère patrie. Blaise Diagne réussit cette mobilisation à partir du Sénégal. Après la victoire française lors de la 1ere Guerre mondiale une loi dite Blaise Diagne fut votée qui octroyait la nationalité française à l’ensemble des habitants des quatre communes de plein exercice du Sénégal, Dakar, Rufisque, Saint-Louis, Gorée.
Toutefois, en l’espace de moins d’une génération la 2e Guerre mondiale fut déclarée et les africains se mobilisèrent une deuxième fois en masse mais cette fois-ci principalement pour libérer la patrie occupée. Ainsi, bon nombre d’africains ont payé le prix du sang pour contribuer à la libération de la France. Blaise Diagne lors de la mobilisation pour la Première Guerre mondiale avait pour slogan « En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits ».
Dans cet esprit, l’alliance entre le Sénégal et la France, modestie ou mépris mis à part, est tout aussi digne que celle qui unit les USA et la France. Du côté français, pour illustrer l’amitié entre la France et l’Amérique, il est souvent rappelé le soutien que le Marquis de la Fayette apporta aux indépendantistes, mais aussi la statue de la liberté réalisée par Bartholdi que la France offrit au jeune état américain sans oublier naturellement la marque de Pierre l’Enfant dans la construction de la ville de Washington. Du côté américain, le pacte a été scellé par le sang versé par leurs soldats durant la première et la Deuxième Guerre mondiale.
UNE RELECTURE DE L’HISTOIRE D’UNE ALLIANCE
Malheureusement, dans cette alliance entre la France et le Sénégal, les considérations racistes du siècle passé vont rapidement gripper la dynamique qui devait sceller la fraternité virile entre soldats métropolitains et tirailleurs sénégalais. Le tocsin qui annonçait la nouvelle relation coloniale fut Thiaroye, située dans les Faubourgs de Dakar, dans un camp militaire de la France libérée. C’est ici qu’un matin, des soldats qui revenaient des campagnes d’Europe, ont été massacrés parce qu’ils avaient osé réclamer leur dû : leur pension militaire. Ces tirailleurs sénégalais qui revenaient triomphants du front européen furent mitraillés par l'armée qu'ils venaient de servir. Ces faits restèrent longtemps peu connus de la grande masse des sénégalais comme des français. C’est le film de Sembène Ousmane Thiaroye qui remit en mémoire cette douloureuse histoire.
En vérité, Thiaroye devait être compris comme un avertissement qui signifiait que les Tirailleurs sénégalais n’avaient pas de droits à revendiquer, que rien ne leur était dû par la France officielle dont ils pouvaient tout au plus solliciter la magnanimité.
En réalité, la colonisation qui globalement n’a été que la continuation de l’esclavage sous d’autres formes, va se perpétuer avec les indépendances en habillant les apparences. Ainsi, après les indépendances octroyées, le pouvoir colonial réussit à faire comprendre aux anciens sujets que tout ce qui était fait en leur faveur, l’était parce que la puissance coloniale en avait décidé ainsi et non en reconnaissance de ce qu’ils avaient accompli pour la France.
La volonté idéologique de placer les anciennes colonies dans une position d’assistés s’inspire de l’idéologie coloniale selon laquelle les colonies n’étaient capables de rien faire sans l’aide de la France. Cette perception a sous-tendu toute la politique de la coopération internationale post indépendance fondée sur l' ”aide” que l’imagination populaire a longtemps assimilé au don. A cet égard, faut-il rappeler que quand le pont Faidherbe fut construit, une certaine opinion refusa de croire que ce fût le budget de la colonie du Sénégal qui le finança intégralement et préféra soutenir que le financement avait été pris en charge par la France métropolitaine.
Ceux qui pensent que les anciennes colonies d’Afrique ne peuvent rien apporter à la France sont les mêmes qui sont convaincus que la « francophonie » n’est qu’une histoire de peuples misérables qui veulent se servir de la langue française pour s’accrocher aux basques de la France. En vérité tout ceci n’est que la conséquence d’une ignorance bien partagée. En effet, en France toute génération confondue l’histoire coloniale, est globalement méconnue. Ainsi, il n’est pas rare de voir des intellectuels ou responsables politiques français tenir des propos que seul le manque de connaissance de certains pans de leur passé peut expliquer.
Ainsi, récemment, des acteurs politiques français comme Nadine Morano et de Jordan Bardella qui après avoir reproché à Sibeth Ndiaye la porte-parole du gouvernement français ses habits peut être par trop bariolés pour eux, ont tenu à insister sur le fait qu’elle était d’origine sénégalaise et qu’elle n’avait acquis la nationalité française que depuis trois ans. Faudrait-il rappeler à ces détracteurs que Sibeth Ndiaye avec les habits qui lui sont reprochés et sa coiffure qu’ils ne sauraient voir, a contribué incontestablement à mener le candidat Emmanuel Macron à la victoire en 2017. Par ailleurs, cette dame dont ils évoquent la nationalité sénégalaise vient d’un pays dont bon nombre de ressortissants ont été des français avant les aïeux de certains, qui aujourd’hui, se prétendent français de souche. En effet, faut-il rappeler que les indigènes de l’ile Saint-Louis et de l’île de Gorée, au Sénégal, se virent accorder la citoyenneté française par l’Assemblée législative française de la première République en 1792. Ces révolutionnaires français, plus généreux et plus lumineux que certains de leurs concitoyens d’aujourd’hui, ont posé les grands principes qui guident la France éternelle et ont permis à ces sénégalais d’être parmi les premiers citoyens français de l’histoire.
CONNAÎTRE SES INTÉRÊT S ET REVENDIQUER SES DROITS
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays qui ont subi de longues périodes de domination, le peuple a beaucoup perdu de ses valeurs ancestrales et a fini par confondre ce qui lui est dû et ce qui lui est octroyé. Cette confusion mentale est au centre de la relation entre les peuples d’Afrique noire et les anciennes puissances coloniales.
A cet égard, seule la connaissance de leur histoire, de leur passé peut aider d’abord l’élite qui gouverne à mieux conduire leur peuple vers des destinations prometteuses et aider les masses à mieux comprendre les discours et orientations de leurs dirigeants. En ce sens, c’est un impérieux devoir de promouvoir tout ce qui nous entraîne à croire en nous et à penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes comme nous y invitait le président Léopold Sédar Senghor.
C’est pourquoi, il convient de saluer la noble et opportune initiative prise par le professeur Iba Der Thiam d’écrire l’histoire générale du Sénégal en 25 volumes et la décision éclairée du président Macky Sall d’en assurer la réalisation. La prise en compte de cette histoire, nous semble-t-il, facilitera le réarmement intellectuel et moral du citoyen sénégalais.
Dans l’histoire contemporaine du Sénégal la relation avec la France occupe une place particulière. Mais les fondements de cette alliance, voire de cette amitié ont souvent été refoulés, du côté de la France comme du Sénégal, dans les abîmes manichéennes de la période coloniale qui n’aura retenu que la relation entre dominateur France et dominé Sénégal.
Cependant, quand une relation ne peut pas cesser, il convient de l’entretenir avec courage et lucidité. Ainsi, dans sa relation avec la France, nous pensons qu’il est temps que le Sénégal mette en évidence les fondements de l’alliance entre les deux pays comme les Tirailleurs sénégalais, la contribution à la naissance de l’Empire colonial, la contribution à la libération de la France sous la domination nazie et enfin, son rôle dans la consolidation de la position diplomatique de la France dans les relations internationales contemporaines. En effet, le Sénégal a joué un rôle remarquable pour consolider le bloc francophone africain autour de la France. Dans le même ordre d’idée, le président Abdou Diouf a apporté une contribution inestimable au monde francophone en faisant de l’organisation de la coopération francophone une Organisation internationale dont la voix compte de plus en plus sur certains problèmes internationaux.
Pour toutes ces raisons, la diplomatie sénégalaise ne devrait plus se contenter des relations de condescendance avec son homologue française notamment dans la délivrance des visas français aux sénégalais. En effet, le visa exprime d’une manière forte la nature des relations entre deux pays.
C’est pourquoi, dans l’affaire des visas français, en réalité, le problème de fonds est moins le nombre visas accordés chaque année que le fait d’avoir introduit dans cette affaire, une dimension d’aléas qui ne devrait pas avoir sa raison d’être. Ce n’est pas une question comptable mais psychologique. En effet, le Sénégalais qui a rempli toutes les conditions requises et qui demande un visa n’a pas la certitude de l’avoir.
Ainsi a-t-on pu s’inquiéter de savoir si des parents sénégalais d’enfants français vivant en France, des professeurs d’université internationalement connus, parfois d’éminentes personnalités du pays allaient recevoir leur visa qu’ils ont demandés. Le comble est que ces inquiétudes se trouvent très souvent fondées quand ces personnes se heurtent à un refus de délivrance de visa sans explication.
A cet égard, il est possible de citer le refus de visa à une éminente personnalité intellectuelle africaine qui avait tellement irrité un des anciens présidents du Sénégal qu’il décida de lui octroyer un passeport diplomatique qui l’exemptait du visa français. Mais, il faut en convenir, un tel geste quoique noble ne règle pas le problème mais ne fait que contourner la difficulté d’une façon ponctuelle. En effet, le gouvernement du Sénégal doit veiller à tout mettre en œuvre pour garantir la liberté de circulation à tous ses citoyens qui en ont la possibilité et éviter de les laisser à la merci de la libre appréciation, voire l’arbitraire des fonctionnaires des consulats de France.
REDYNAMISER UNE COOPÉRATION SANS COMPLEXE
Le jeune président français Emmanuel Macron, après avoir admis la nécessité de rendre aux africains les objets d’art qui leur avait été confisqué du fait de l’ordre colonial, a lancé un appel lors du 70 e anniversaire du débarquement en Provence aux maires de France pour que des places et des monuments rappellent le souvenir de la contribution des africains à la libération de la France sous l’occupation nazie. Ceci devait se faire, selon lui, en considération du pacte scellé dans le sang par les combattants français et africains.
A cet égard, l’Afrique doit assumer ses responsabilités historiques. Nous pensons qu’il appartient aussi aux africains de prendre des initiatives qui honorent leurs morts, qui donnent à leur jeunesse le sens et la signification de l’engagement et de la mort de leurs ancêtres qui ont combattu à côté de la France dans les différentes guerres qu’elle a menées. Les africains doivent avoir le courage de prendre en charge leur destin. Il est temps que leurs responsables s’assument pleinement et cessent de se défausser sur l’ancienne puissance coloniale. Qui a empêché aux africains d’honorer leurs ancêtres morts en France pendant les deux guerres mondiales ? Pourquoi, à notre connaissance, aucun monument digne du sacrifice consenti par ces ancêtres tirailleurs sénégalais n’a été bâti dans un pays africain depuis l’accession de nos pays à la souveraineté nationale ? Ainsi l'appel du président Macron doit avoir comme pendant les initiatives que le Sénégal est en devoir de prendre pour commémorer la mémoire des Tirailleurs sénégalais partis mourir à l’étranger en édifiant au Sénégal un monument pouvant s’inspirer du Vietnam Memorial Veteran qui, à Washington, honore les combattants Blancs, Jaunes et Noirs de l’armée américaine morts au Vietnam.
Le Sénégal doit assumer la spécificité de sa relation historique avec la France et par conséquent son rôle dans l'histoire de l'empire colonial français en poussant sa diplomatie à faire plus de place au souvenir comme fondement de certaines de ses initiatives. Ainsi, la statue de Demba et Dupont, devant la gare d’où partiront les TER, fleuron de la haute technologie française au service des citoyens sénégalais, est un symbole de ce que cette amitié peut donner. Cette statue magnifie la fraternité virile entre deux anciens combattants européens et africains dans une parfaite égalité d’apparence.
Dans cet esprit, le président Macky Sall doit conduire le Sénégal à assumer sa responsabilité historique par rapport à nos autres frères d’Afrique afin que le pays berceau des Tirailleurs sénégalais soit à l’avant-garde de la promotion et la sauvegarde de notre mémoire historique.
Benoit Ngom est président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA)
Abdoulaye Wade : "Assumer l'histoire, quelle qu'elle soit » Interview le Monde hors-série Novembre 2018
Iba Der Thiam : Coordonnateur du Comité de rédaction de l’Histoire Générale du Sénégal, HGS Editions
par Bacary Domingo Mané
QUAND LES SONS DU "XALAM" SE MUENT EN CONCEPTS
En hommage à Samba Diabaré Samb, un texte publié il y a quelques années dans les colonnes de Sud quotidien, à l'occasion du face-à-face entre le griot et le philosophe Mamoussé Diagne à l'Ucad II
La mort a rendu désormais inaudible la voix de Samba Diabaré Samb. Mais il y a une chose que la faucheuse ne réussira pas : c’est couper les cordes du «Xalam» du défunt. Ces sonorités flottent dans l’espace de la mémoire qui racontera l’origine jusqu’à la fin des temps. C’est d’ailleurs contre l’oubli et en guise d’hommage au maître du « Xalam », que nous soumettons à votre attention ce texte que nous avons produit, en tant que journaliste à sud, il y a juste quelques années. Il s’agit du face à face du griot et du philosophe, Samba Diabaré Samb et Mamoussé Diagne. Cette rencontre s’est déroulée dans le grand amphithéâtre de l’Ucad II. Bonne lecture
Les autorités académiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar(Ucad) ont, à l’occasion des festivités du cinquantenaire de l’institution, réussi la prouesse de réunir dans un amphithéâtre le « philosophe et le griot » au cours d’une soirée culturelle. Il s’agit du philosophe Mamoussé Diagne et du joueur du Xalam, Samba Diabaré Samb. Par un jeu de question-réponses ou d’interpellations, les représentants de deux traditions, celle de l’écrit et de l’oral, ont eu des échanges fructueux qui font croire que ce face à face se situe en deçà ou au-delà des contingences d’une rencontre entre, d’un côté, un universitaire dont la discipline revendique « l’amour de la sagesse » et de l’autre, un griot dont la richesse du patrimoine culturel n’a pas peut-être rien à envier à la pensée discursive. Finalement philosophe et griot se rencontrent par une sorte d’ascèse où les sons du « Xalam » se muent en concepts. Il s’agira, dans ce cas, de ne pas seulement tendre l’oreille, mais faudrait-il qu’elle soit fine pour se saisir de l’essence d’une parole qui se libère de ses scories au fur et à mesure que les débats s’élèvent, que les échanges se couvrent du voile de l’herméneutique.
Mamoussé Diagne : El Hadji Samba Diabaré Samb, je te salue de la meilleure des façons qui convienne à ton rang. Je te salue par ton nom, par ton prénom. Je salue ce que tu es et ce que tu représentes, ce que personne ne peut ignorer, sauf à ignorer le Sénégal lui-même et sauf à ne pas demander à quelqu’un qui ne connaît pas le Sénégal. Or, Cheikh Moussa Ka a dit : « Point de salut pour qui ignore et qui ne demande pas à celui qui sait ».
Je te salue au nom du Recteur, au nom de celui qui dirige cette Université qui porte le nom illustre de Cheikh Anta Diop. Je te salue au nom de tous ceux qui, à l’université constituent les hommes de savoir : les enseignants, les chercheurs, les étudiants, et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, contribuent au succès des missions de l’université.
Toutes ces structures au nom desquelles je te salue, te souhaitent la bienvenue. L’Université est consciente de l’importance de celui que nous accueillons.
La raison en est que depuis longtemps, nous avions conçu et nous avions souhaité cette rencontre. Il se trouve simplement que c’est aujourd’hui que Dieu a décidé qu’elle aurait lieu. Dans cette enceinte où, non seulement le savoir mais une éducation digne de ce nom est dispensé aux jeunes, celui qui nous aide à nous rappeler ce que nous fûmes et nous dit ce que nous avons à être, nous lui devons toute notre reconnaissance.
Nous ne pouvons pas nous adresser à toi, sans en même temps évoquer la mémoire de tes compagnons de toujours : il s’agit d’El Hadji Amadou Ndiaye Samb, Abdoulaye Naar Samb, et d’El Hadji Demba Lamine Diouf, Assane Marokhaya, Kani Samb.
J’ai coutume de dire en ta présence et à ton absence que Samba Diabaré Samb est le Prince des « Ndanane » ; il est le griot des rois et c’est ce qui fait de lui le roi des griots.
Ce qui le prouve, c’est, lorsqu’on entre chez toi, à côté de tes deux décorations dans l’ordre du mérite et de reconnaissance de monument vivant, les portraits, de Serigne Abdoul Aziz Dabakh, d’une part et de Gaïndé Fatma, de l’autre. Ce qui le prouve, ce sont tous ces hommes de qualité et de haut rang, qu’il s’agisse de chefs religieux ou de chefs coutumiers dont on pensait les larmes taries, et à qui il est arrivé, de verser des larmes, rien qu’en écoutant le son de ta guitare. C’est bien pour cela que je pense qu’il aurait mieux convenu pour l’Université de mettre à cette place quelqu’un d’autre que moi, quelqu’un d’autre comme mon illustre maître, feu Mbaye Guèye. Parce que je me trouve dans une situation tout à fait inconfortable, celle de « Bouki », c’est-à-dire quelqu’un, de toute manière, doit se rendre à résipiscence. Je sais également que, je suis, de tous ceux qui pouvaient être en face de toi, de tous ceux qui étaient les représentants de l’Université, l’un des moins qualifiés pour le faire. Parce que seul, devant quelqu’un qu’on appelle griot ou « Guèwal », c’est-à-dire quelqu’un qui fait en sorte que le « Guèew », le cercle se forme autour du maître de la parole et se disperse, une foi que cette parole s’est tue.
Et c’est pour cette raison que, El Hadj Samba Diabaré Samb, ayant dit ce que j’ai dit, ayant transmis les salutations du Recteur et de tous ceux qui représentent l’Université de Dakar, je te demande comment tu réponds à ces salutations – et j’émets le vœu que tu le fasses par le son de ta guitare.
Samba Diabaré Samb : J’aurais du mal à répondre à des salutations formulées avec une telle élégance, par un homme de culture, dans ce lieu qui n’est fréquenté que par des hommes d’une haute culture. Je commence, après vous avoir remercié de m’avoir dit ce que vous attendez de moi, et après avoir répondu à toutes ces salutations que tu as bien voulu me transmettre, par confirmer ce que tu as affirmé d’entrée de jeu, en disant qu’un peuple qui ne sait pas ce qu’elle a été ne peut plus s’orienter. En vérité, elle ne va plus nulle part. Il y a toujours eu des hommes qui, dans toutes les circonstances de la vie étaient chargés de rappeler ces choses aux hommes, en ayant les yeux fixés sur les repères qui donnaient sens et valeur à ce que les hommes faisaient et disaient. Pour ce qui concerne les jeunes en particulier, je leur dis de s’armer de leur courage et d’apprendre, avec toute la foi et la détermination dont ils sont capables, sans s’occuper d’autre chose, notamment de rentabilité immédiate. Si les étrangers ont pu triompher, ce n’est certainement pas parce qu’ils étaient plus vaillants que nos ancêtres, mais simplement parce qu’ils avaient des canons, donc une technique supérieure. Et une technique, ce n’est pas du courage, mais du savoir.
Mamoussé Diagne : Samba Diabaré Samb, on dit qu’un couteau ne se rase pas lui-même et pourtant, j’aimerai bien que tu dises à l’Université qui tu es et d’où est-ce que tu viens ? Quelle est ta filiation ? Et également, pourquoi tu as choisi le « Xalam » comme instrument privilégié ?
Samba Diabaré Samb : Le « xalam » est l’instrument dont j’ai appris à jouer très jeune, et avec lui, je peux tout dire, tout exprimer. Je pense, en ce qui me concerne, que le « xalam » est un instrument au moyen duquel on peut exprimer tous les sentiments humains, des plus manifestes aux plus secrets. Il peut être fait de trois à cinq cordes, selon l’air que je veux jouer dessus : le Niany, l’hymne de Soundiata ou le Lâagya. Les différentes ethnies élisent, chacun en ce qui le concerne, un type privilégié d’instrument, comme le rîti chez les Hal Pulaar ou la Kora chez les Mandingues. Dans tous les cas, l’intention demeure la même : exprimer, au moyen de l’instrument des idées et des sentiments, transmettre un message. Ce n’est pas exclusif des instruments à cordes, puisqu’il y a aussi les instruments à vent ou les instruments de percussion comme les différents tam-tams.
Mamoussé Diagne : J’aimerais bien, si je dois résumer dans des propos relativement concis, dire ce que j’ai présenté ou exposé en français tout à l’heure devant cette assemblée.
J’ai essayé de faire un rapprochement entre l’oubli et la mort, pour dire que d’une certaine façon quelqu’un qui oublie, quelqu’un à qui échappe ce qu’il a été et ce qu’il est, il erre parce qu’il est perdu et parce celui qui se perd et perd ce qu’il a de plus précieux ne peut lui-même qu’être oublié par les hommes et être oublié équivaut à mourir.
C’est pour cette raison que toutes les civilisations et toutes les races inventent des ruses, des techniques et des procédures pour retenir exactement ce qu’ils sont et pour faire en sorte qu’aucune de ces calamités ne leur arrive. Certaines le font en utilisant l’écriture parce qu’ils l’ont à leur disposition, comme les Grecs et les Latins, et d’autres, parce qu’ils n’ont que la mémoire vive, font appel à des maîtres de la parole comme toi.
Il est vrai qu’ici même en Afrique, du côté de l’Egypte et de certaines régions du continent, l’écriture a existé mais n’a pas eu la même ampleur. Sur cette question-là, j’aimerais savoir ce que tu en penses.
Samba Diabaré Samb : En l’absence d’écriture, la seule possibilité qui reste à l’homme, c’est de faire en sorte de ne pas oublier ce qu’il a été, pour pouvoir, à tout moment savoir où il va, comment et avec qui. C’est ainsi que lorsqu’on narre la généalogie de quelqu’un, il arrive fréquemment qu’au bout du compte, d’autres se découvrent des liens de parenté avec lui. Ce qui n’aurait pas été possible si un soin particulier n’avait pas été mis à retenir justement les liens d’alliance entre les familles qui se sont dispersées entre-temps depuis longtemps parfois. Se connaître est la seule possibilité de savoir exactement ce que nous devons à ceux qui nous ont précédé et ce que nous devons faire à notre tour pour être dignes d’eux et qu’on se souvienne honorablement de nous.
Mamoussé Diagne : Samba Diabaré Samb, j’aimerais que tu dises à cette assemblée ce que le Xalam dit. Si je pose cette question, c’est parce que – et pour faire court – je t’entends chanter Mouse Bouri Déguène Kodou : « Lorsqu’il allait à Guilé, il était à cheval et lorsqu’il revenait de Guilé, il était toujours à cheval, mais il était couché en travers, c’est-à-dire en cadavre ».
D’après ce qu’on m’a raconté, la veille de la bataille de Guilé, lorsqu’ils allaient retrouver Alboury Seynabou Yalla, après que Gancal Modou Makhourédia ait fini de jurer au milieu du cercle, Guilé, Mouse Bouri Déguène Kodou s’est saisi de la lance pour prêter serment et qu’en ce moment-là un de tes ancêtres est arrivé pour le chanter. Après quoi, il lui a posé la question : Mouse Bouri Déguène Kodou, toi à qui le Kayor et le Baol durent de se coucher le ventre vide, qu’as-tu à dire à cette assemblée ? Il répondit : demain, lorsque nous irons à Quilé, hé bien, tous ceux qui avec moi iront, reviendront ici pour en parler. Or moi, je ne reviendrai pas du fait même de l’honneur que m’a fait Samba Laobé. Si je dois en retenir une leçon, c’est pour dire que Samaba Diabaré Samb, les cordes de ta guitare sont tirées des fibres qui irriguent nos cœurs. J’aimerai sur cette question que tu confirmes ou infirmes ce que je viens de dire.
Samba Diabaré Samb : Samba Laobé a fait un honneur spécial à Déguène Kodou, parce que le jour même où il devait se préparer à aller livrer bataille et qu’on a servi les repas, Samba Laobé a demandé où était Mouse Bouri Déguène Kodou, on lui avait dit qu’il était parti à Djadieu. Il a alors donné l’ordre que personne ne mange avant le retour de Moussé Bouri Déguène Kodou. Et Mouse Bouri Déguéne Kodou n’étant revenu que le lendemain, le Cayor et le Baol durent se coucher le ventre vide. Lorsque vint le moment de la cérémonie de prestation de serment, il ne sortit pas de chez lui, et à sa mère qui, inquiète, vint le trouver, il répondit qu’il était inutile pour lui de se présenter. Il n’avait qu’une seule façon de s’élever à la hauteur du geste de Samba Laobé. Et séance tenante, il demanda à ses épouses de se détresser les cheveux, en signe de deuil. Et c’est depuis ce jour que cet air de musique a été créé pour lui.
Mamousssé Diagne : S’agissant de la philosophie, disons que c’est une réflexion, une contestation, c’est également une pensée. Réflexion, c’est-à-dire retour sur soi de la pensée elle-même. Elle peut être une pensée qui s’augmente du fait même de ce retour sur soi. C’est une pensée qui peut contester une autre pensée ; c’est une pensée que l’on peut mettre à l’intérieur d’une autre pensée ; c’est une pensée également qui peut couronner une autre pensée, non pas pour la prolonger, mais pour la rendre plus belle. Et dans notre propre histoire, nous avons connu des hommes qui étaient de très grands penseurs comme Kocc Barma Fall, Xalima Diakhaté Kala, qui distinguaient « wax-tann », c’est-à-dire à l’intérieur d’un propos, choisir un propos secondaire qu’on met en évidence ; le « Werante », c’est-à-dire la discussion contradictoire ; le « dàgge », c’est-à-dire l’affrontement verbal. Sur ces notions, j’ai eu autrefois quelques échanges avec le regretté El Hadj Demba Lamine Diouf, et il est probable que dans très peu de temps, vous et moi les prolongions. Car notre vœu est de faire en sorte que notre université ne soit pas déconnectée de son espace naturel, et que de ce partenariat soit forgé le meilleur bouclier dans un monde en passe de perdre ses repères. Je te réitère les remerciements de toute la communauté universitaire.
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"NOTRE TRAVAIL N'EST PAS PARFAIT"
Iba Der Thiam, fait son mea culpa suite à la controverse née de la publication des cinq premiers volumes de l'Histoire générale du Sénégal et promet la rectification des erreurs relevées dans l'ouvrage
e-media |
DIÉ BA & ABDOULAYE SYLLA |
Publication 22/09/2019
La réécriture de l’Histoire Générale du Sénégal (HGS) au menu du Jury du Dimanche ’’JDD’’, émission de Mamoudou Ibra Kane sur iRadio et Itv. Président du comité de pilotage chargé de la rédaction, Pr Iba Der Thiam, fait son mea culpa suite à la controverse née de la publication des cinq premiers volumes sur les 25 attendus, remontant jusqu’à 350 mille ans. « Dieu Seul sait tout », tempère-t-il. Avant de préciser : « Notre travail n’est pas parfait. Je ne suis pas moi-même quelqu’un qui est imbu de la science. Dieu Seul connait tout. Il y a des choses que je sais, d’autres que je ne sais pas. Certaines erreurs m’ont échappé comme par exemple là où nous disons que Limamou Laye, né en 1843, est plus jeune que Cheikh Ahmadou Bamba, né en 1853. »
Un processus de rectification
Le processus de rectification devrait ainsi se dérouler, détaille-t-il : « Recueillir tout ce qui a été fait comme critiques justes et fondées. » D’autres, avoue-t-il, procèdent de « malentendus dans l’interprétation des termes. Le français n’est pas notre langue maternelle. » Toutefois, il n’en démord pas : « Ce projet doit se poursuivre parce qu’il intéresse le Sénégal. Ce projet comble un vide pour notre pays qui a été l’objet d’un processus de domination coloniale, d’exploitation économique et d’aliénation culturelle. Dans cette aliénation culturelle, le rôle joué par l’histoire a été essentiel. Notre intelligentsia et notre jeunesse sont soumis à un matraquage, et à un formatage intellectuel et psychologique, qui en fin de compte, les empêchent de retrouver leur propre conscience, d’être décomplexés, d’avoir des références à opposer à ceux qui leur proposent leur propre vision. »
Une médiation entamée
D’ailleurs, Pr Iba Der Thiam annonce qu’une médiation est ouverte avec les familles religieuses, citant Mbagnick Ndiaye, ancien ministre de la Culture, auprès de la communauté scientifique du Sine, et Mame Mactar Gueye, le vice-président de l’ONG Jamra, qui a effectué des démarches auprès de la famille Layène. En outre, le Khalife de Thierno Mountaga Tall, Thierno Madani, accompagné de trois de ses collaborateurs, est venu chez lui pour lui apporter ses encouragements, et ses prières. Une, parmi tant d’autres marques de soutien de personnalités.
La réaction de Touba
« Dieu sait que je me suis déplacé jusqu’à Touba pour aller les informer de notre volonté de travailler sur la vie et l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. Nous avons, dans le travail que nous avons fait, consacré des pages à Mame Mor Anta Sally, qui sont des pages de gloire, de succès, de sainteté, de responsabilité, ne serait-ce que parce qu’il a été le père d’une des figures les plus marquantes de notre histoire, et parce qu’il a joué un rôle important. Même quand nous parlons des périodes pendant lesquelles il a été placé sous les ordres d’un certain nombre d’autorités temporelles, nous le disons avec suffisamment de précaution pour ne gêner personne. Nous avons tout simplement dit que le fait qu’il s’occupait quotidiennement des problèmes de la communauté, et qu’il soit obligé d’avoir son centre d’enseignement, le plaçait dans une situation où il ne pouvait pas passer tout son temps à l’enseignement. J’estime que c’est une situation que n’importe qui peut comprendre. Cela ne veut pas dire qu’on dit qu’il n’avait pas le temps d’enseigner. C’est juste pour montrer le contexte dans lequel les gens évoluaient, ce n’est pas un jugement de valeur. Il nous a laissé un legs, un fils dont la dignité, la sainteté, le courage, le sacrifice que moi-même j’ai présenté comme celui qui a le plus souffert, plus que Nelson Mandela, de la domination coloniale. Il a fait 32 ans de vie sans liberté ».
« Les erreurs de Cheikh Anta Diop »
Entre autres arguments, Pr Iba Der Thiam estime que cette controverse « n’est pas trop grave ». D’autant plus, motive-t-il, la Science se nourrit de controverses. Cheikh Anta Diop, qu’il présente comme son maître, a fait quelques erreurs dans son ’’Histoire de l’Afrique’’ : « Il dit, par exemple, que les communautés mourides ne vont pas à La Mecque parce qu’elles préfèrent Touba alors que tout le monde sait que Cheikh Anta Mbacké a été à La Mecque en 1928, qu’il a amené avec lui Serigne Falilou Mbacké. Mais, il ne pouvait pas tout savoir lui-aussi. »
A l’en croire, ce travail sur l’Histoire Générale du Sénégal lui tient à cœur depuis qu’il était ministre de l’Education nationale, sous Abdou Diouf. Donc, ce projet ne lui a pas été confié par le président Macky Sall, rectifie-t-il. A terme, la version simplifiée sera enseignée à l’école.
IBA DER THIAM SE RÉJOUIT DU DÉBAT ENTRE BORIS ET BACHIR
À en croire l'historien, que l'écrivain et le philosophe n'aient pas la même opinion sur l'oeuvre de Cheikh Anta Diop, n'est pas un problème. Au contraire, il s'en délecte
Pr Iba Der Thiam apprécie la joute intellectuelle entre l’écrivain Boubacar Boris Diop et le philosophe Souleymane Bachir Diagne, sur l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Il s’en délecte même, explique-t-il, dans le ’’Jury du dimanche’’.
La paternité du Carbone 14
« Boris Diop est un patriote, un Sénégalais compétent, un intellectuel de haut lignage qui a fait ses preuves dans le domaine, dit-il. Il ne connait aucune hypocrisie, il est incapable de dire du mal de qui que ce soit mais qui est également suffisamment objectif pour ne faire que ce qui rencontre ses convictions. (En face), Bachir Diagne fait partie des personnes dont la voix compte dans le monde actuel. Qu’eux deux n’aient pas la même opinion, cela ne me fait pas peur. Au contraire, ça me fait plaisir. »
Avant de poursuivre : « Ce n’est pas pour moi un problème que les anciens Directeurs de l’IFAN aient travaillé sur le projet. C’est Cheikh Anta Diop qui a donné au laboratoire Carbone 14 ses lettres de noblesse. C’est lui qui l’a fait connaitre à l’extérieur et c’est lui qui lui a permis de dater un certain nombre d’objets qui ont permis de révolutionner tout le reste. Prouver que l’Afrique était le berceau de l’humanité n’était pas facile. Cheikh Anta Diop l’a prouvé. Donc, que c’est deux-là aient une polémique, je dis que je lis avec délectation tout ce qu’ils écrivent. Et j’en suis d’autant plus heureux que je ne vois aucun propos discourtois, aucun jugement de valeur, aucun comportement de violence verbale. Mais uniquement une grande dignité et une élévation de pensée et une capacité de réflexion qui honorent notre intelligencia. »
A quoi sert la pensée de Cheikh Anta Diop en 2019 ?
« La pensée de Cheikh Anta Diop est encore plus importante en 2019 que dans les années passées parce qu’en 2019, nous sommes l’objet d’un matraquage idéologique à cause de la mondialisation, qui brouille tous les repères et essaie d’instaurer la pensée unique. La pensée de Cheikh Anta Diop nous permet d’y renoncer et de montrer ce que nous avons apporté au patrimoine de l’universel en des termes qui ne souffrent d’aucune contestation des milieux scientifiques autorisés. Nous avons plus aujourd’hui besoin de la pensée de Cheikh Anta Diop et nous ne devrons pas la ranger dans les tiroirs et nous devrons veiller à en faire notre référence principale parce que cela nous permet de nous articuler à un homme de combat dont toute sa vie a été consacré à la défense de l’Histoire. Je n’ai pas honte de le dire, je considère Cheikh Anta Diop comme mon maître ».
AUDIO
OBJECTION AVEC MOHAMED DIA
Mohamed Dia, consultant bancaire, évoque la situation économique du pays au micro de Baye Omar Gueye
Mohamed Dia, consultant est au micro de Baye Omar Gueye de (Sud Fm) dans l'émission Objection.
par Cheikh Anta Babou
MASALIK AL-JINAN ET LA LONGUE DE LA MOURIDIYYA À DAKAR
Entre les séjours du Shaykh en 1895, 1902 et 1921, la présence de la Mouridiyya dans la capitale est devenue graduellement plus significative. Shaykh Ibra Faal et Shaykh Anta Mbakke ont joué les premiers rôles dans ce processus
Le 27 Septembre 2019, la communauté mouride, en solidarité avec les musulmans du Sénégal et la Umma islamique, inaugure la majestueuse mosquée Masalik al-jinan à Dakar. Cette occasion offre l’opportunité de donner un bref aperçu sur l’histoire de la Mouridiyya dans la capitale du Sénégal et ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Un tel aperçu permet de situer l’évènement phare d’aujourd’hui dans la longue marche pour la construction d’un espace mouride à Dakar.
L’histoire de la Mouridiyya à Dakar commence avec le premier séjour de Shaykh Ahmadou Bamba dans cette cité en 1895. En route vers le Gabon, où il passera plus de 7 ans de sa vie en exil, le Shaykh arrive à Dakar dans la soirée du 18 Septembre. Il quittera la ville, trois jours plus tard, le 21. Shaykh Ahmadou Bamba foulera le sol de Dakar de nouveau le 11 Novembre 1902, de retour du Gabon. Ces deux courts séjours ont donné naissance à plusieurs lieux de mémoire de la Mouridiyya à Dakar et sont commémorés à travers deux magals célébrés près du port de Dakar et au marché Sandaga. Le troisième et dernier séjour du Shaykh à Dakar se déroule en mars-avril 1921 lorsqu’il a été invité par le gouverneur général de l’Afrique occidentale pour une consultation.
Entre les séjours du Shaykh en 1895, 1902 et 1921, la présence de la Mouridiyya à Dakar est devenue graduellement plus significative. Shaykh Ibra Faal et Shaykh Anta Mbakke ont joué les premiers rôles dans ce processus. Le leader des Baay Faal était propriétaire de plusieurs maisons à Dakar, Thiès et Saint Louis. Vers 1910, il avait un pied-à-terre dans le quartier de Lambinaas situé dans la zone du plateau à Dakar. Ses talibés avaient également une présence sur la zone longeant l’avenue Lamine Guèye connue aujourd’hui sous le nom de Pakku Lambaay. Du fait de ses démêlés avec l’administration coloniale, les Français ont empêché l’installation de disciples de Maam Shaykh Anta au niveau de certaines villes, mais il était propriétaire de maisons à Dakar. Un document d’archives datant de 1912 nous informe qu’il a acheté une maison d’un coût de 30.000 Francs à Dakar. Il est probable qu’il était propriétaire d’autres maisons dans la capitale de l’AOF.
La migration des disciples mourides à Dakar devient perceptible après l’installation de Shaykh Ahmadou Bamba à Diourbel en 1912. Elle a d’abord pris la forme d’une migration saisonnière. Les disciples, dont la plupart étaient des cultivateurs, passaient la saison sèche à Dakar où ils s’adonnaient à des travaux manuels. Ils retournaient à leurs champs dans le Bawol, le Kajoor et le Saalum avant la tombée des premières pluies en juin.
C’est après la fin de la deuxième guerre mondiale, que les mourides ont commencé à se sédentariser en masse à Dakar. Cette vague d’immigrants permanents était composée principalement d’artisans et de salariés travaillant dans le secteur formel et informel de l’économie, mais occupant des postes subalternes parce que n’ayant pas bénéficié d’une scolarisation poussée. Avec l’avènement de l’indépendance en 1960, et surtout les sècheresses des années 1970, l’immigration mouride à Dakar s’accéléra, et cette fois-ci les commerçants formeront la majorité des migrants. Graduellement, ils émergeront comme la force dominante au marché Sandaga. L’administration coloniale concevait Sandaga comme un marché de viande et de légumes dédié aux classes moyennes africaines qui n’avaient pas accès au marché Kermel réservé aux blancs, mais à partir des années 1960, les marchands mourides transformeront le marché en une sorte de bazar pour la vente de divers produits importés. Ces mourides travaillaient en ville mais la plupart d’entre eux vivaient dans les quartiers périphériques de Yaraax, Daaruxaan, Pikine et dans le village traditionnel de Ouakam. Quelques Shaykh murids, comme Seriñ Shaykh Gaynde Faatma et Seriñ Moodu Maamun avaient des maisons dans la Médina, Grand Dakar, au niveau des SICAP et au plateau. Kër Seriñ bi situé au 70 Avenue Blaise Diagne continuait d’être le quartier général de la communauté mouride à Dakar.
Avec la massification progressive, l’organisation de la communauté mouride de Dakar devint un impératif. Les dahiras seront à la pointe des efforts d’organisation. Le premier dahira mouride à Dakar a été fondé en 1948 dans la maison de Gumalo Seck dans la Médina. Ce dahira fit face à l’hostilité de l’administration coloniale qui, au nom de la laïcité de la République mais surtout à cause du mépris qu’elle avait pour la Mouridiyya, considérée comme une organisation obscurantiste opposée à la mission française de civilisation, va s’ingénier à bloquer ses activités, dispersant les réunions des disciples et leur refusant l’autorisation d’organiser des manifestations religieuses dans la capitale du Sénégal. Les dahiras serviront comme des lieux de consolidation de l’identité des disciples mourides récemment urbanisés et comme un cadre pour la défense et promotion de leurs intérêts professionnels.
Les archives nous apprennent que c’est en 1953 que le bureau du lieutenant-gouverneur de la colonie du Sénégal a accordé à la communauté mouride de Dakar l’autorisation d’organiser les prières collectives de la Korité et de la Tabaski au niveau d’une place publique située à Bopp. Cette attribution a été faite à la suite d’une demande introduite par le représentant du calife général des mourides, Seriñ Falilu Mbakke, dans la région de de Dakar. A ma connaissance, ceci marque la première fois que les disciples mourides ont officiellement bénéficié d’une permission pour l’utilisation de l’espace publique à des fins de pratiques cultuelles. La place connue sous le nom de Guy Senghor sera rebaptisée Tuubaa Guy Senghor par Seriñ Falilu. A la suite de son accession au califat, Shaykh Abdul Ahad donna l’ordre aux Mourides d’adopter le nom Masalik al-jinaan pour la place. Ces changements de nom indiquent une volonté consciente d’appropriation de l’espace en lui procurant une identité mouride.
Pendant les dernières décennies, la présence mouride à Dakar s’est renforcée de façon considérable. Elle est non seulement visible sur le plan démographique et sur le plan économique, avec la domination des entrepreneurs mourides dans le secteur informel et les petites et moyennes entreprises, mais également sur l’occupation de l’espace. Il y a maintenant plusieurs rues, écoles, quartiers, cités et places publiques portant le nom de Shaykh Ahmadu Bamba, de dignitaires mourides, de villages mourides, ou d’évènements liés à l’histoire de la Mouridiyya. La construction de la mosquée Masalik al-Jinan apparait donc comme le couronnement d’une longue marche en avant de la Mouridiyya à Dakar.
Cheikh Anta Babou, Professor of history, University of Pennsylvania, est l’auteur du livre : Le jihâd de l’âme : Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya du Sénégal, 1853-1913 (Karthala, 2011).
par El.Hadji Ibrahima Faye
UN PETIT APERÇU DES ÎLES DE LA MADELEINE
L'archipel des îles de la Madeleine est la demeure de Leuk Daour Mbaye, le génie tutélaire de Dakar - On parle d’îlot Sarpan pour faire référence à un sergent rebelle qui s’y était réfugié
Située à 4 km au large de Dakar avec une superficie de 45 ha, de par ses falaises abruptes et de sa couverture végétale verdoyante en hivernage, on ne peut s’empêcher de remarquer ces îles volcaniques en s’approchant des côtes sénégalaises. Elles apparaissent sur l’une des cartes les plus anciennes de la presqu’île du Cap-Vert datant de 1677 avec le Cap Manuel, l’île de Gorée, la pointe des Almadies, Rufisque le Cap Rouge (actuel Yenn sur mer) et les deux collines des Mamelles. Les îles de la Madeleine forme un archipel de deux îles :
La Toponymie
En français, on parle d’îlot Sarpan pour faire référence à un sergent rebelle qui s’y était réfugié. On parle aussi de Madeleine. Ce nom a été donné par les français. N’était-il pas dû à sa similitude aux îles de la Madeleine du Québec découvert par les français ou de sa forme ?
Par ailleurs, en Wolof, on désigne la grande île « Weur » qui a plusieurs interprétations :
- pour la première version qui est celle du grand Sérigne de Dakar d’Abdoulaye Makhtar Diop, « Weur » est une déformation de « Dafko Weur » dont l’interprétation littérale en wolof signifie (faire le tour) en référence à la première personne qui y est allée en faisant le tour de l’île, -pour la seconde version, on parle de « Weur » pour désigner les cinq (5) îles volcaniques de Dakar qui décrivent une sorte de bouclier sur la presqu’île du Cap-Vert c’est-à-dire « Dafa Weur Ndakarou »
- pour la dernière version, on parle de « Weur » pour faire référence au mode d’accès à l’île car on ne peut n y accéder qu’en faisant le tour « Da nga koy Weur ».
Le Caractère sacré des îles de la Madeleine pour les Lébou
Le culte des rabs repose en grande partie sur la relation de l’homme à la mer. L'archipel des îles de la Madeleine est la demeure de Leuk Daour Mbaye, le génie tutélaire de Dakar ; l’île de Yoff abrite le génie de Mame Woré Moll, le génie protecteur des Mbenguène de Yoff. Ces îles ont en commun d’être inhabitées. A Gorée, c’est une femme, Mame Coumba Castel. Ngor et Gorée sont, elles, habitées. C’est le génie protecteur qui accepte ou non que son île soit occupée par les humains. Et c’est parce qu’une majorité influente des villages traditionnels de la presqu’île du Cap-Vert croit fermement à l’existence de ces rabs, que l’île de la Madeleine et l’îlot de Yoff sont jusqu’à présent inoccupés. En effet, cette spécificité s’explique par le fait que la mer de Yoff est masculine et n’offre pas de conditions favorables à la végétation alors que celle de Soumbédioune est féminine.
Dans la mythologie Lébou, l’île est aussi le refuge du génie tutélaire de Ndakarou Leuk Daour Mbaye c’est-à-dire « Kou deuk Weur Mbaye » ou celui qui habite Weur. Ce n’est pas un hasard de constater que la plupart des cérémonies de « Saraxu Ndakarou », les bœufs sont immolés, les galettes de mil et du lait caillé sont versés sur les baies de Soumbédioune, Koon (plage de Magic land) et Ndali (Ifan). Ces sacrifices constituent des offrandes annuelles à Leuk Daour Mbaye qui tendent souvent en direction des îles Madeleine.
On ne peut parler des îles Madeleines sans citer Ousmane Diop Coumba Pathé borom « Weur ak Laar » l’homme au bâton magique, l’un des premiers habitants de la Gueule Tapée en compagnie du Djaraf Alieu Codou Ndoye et du grand imam El. Hadji Yakhya Diop. Selon Abdou Rahmane Gaye d’EMAD « sa canne magique qui rendait la mer calme ou furieuse, poissonneuse ou non, par simple indexation et selon sa volonté ; ses offrandes de bouillie de mil versées dans la mer autour des îles Madeleine et qui faisaient s’échouer des bancs entiers de poissons sur la plage », justifiant ainsi le caractère sacré qu’occupe l’île dans la construction identitaire des Lébou de Dakar depuis des siècle.
La richesse de la biodiversité
Les îles de la Madeleine constituent depuis 1949 une réserve ornithologique, officiellement reconnue comme telle en 1964. Ces îles deviennent parc national en 1976 et sont inscrites depuis 2005 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Le statut de patrimoine du lieu s’accompagne d’un ensemble de mesures d’interdits. Par exemple, dans toute la zone qui entoure les îles Madeleines, il est interdit de pêcher sur un rayon de 100 m.
D’ailleurs, on y trouve une variété d’espèces composée de lamantins, des tortues marines menacées d’extinction, une forte concentration d’oiseaux d’eau comme le faucon pèlerin, la sterne et le phaéton à bec rouge. La flore n’est pas en reste, l’île abrite des tamarins et des baobabs nains ou « Gouye Teud » en wolof, du fait de leur croissance rampante en forme de liane.