SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
23 juillet 2025
PAR Cheikh Mbacke Diop
LE VOILE DANS TOUS SES ÉTATS
Par quel miracle donc ce problème franco-français que constitue le « voile islamique » a été importé au Sénégal ? C’est par pur mimétisme que des intellectuels, à partir de postulats pensés ailleurs, remettent en cause notre modèle sociétal et nos codes
Une certaine pensée savante et féministe en France voudrait que l’émancipation de la femme soit mesurée à l’aune de son (dés)habillement. Plus la femme est dévêtue, plus elle est vue comme libre et « moderne ». Et, inversement, une femme voilée est, à priori, attardée et asservie.
Ainsi par un par un curieux travestissement de l’esprit humain, la vision féministe, importée de l’Hexagone, en est arrivée à mépriser la pudeur et l’humilité que reflète le voile, musulman et chrétien, et sublimer l’aliénation de la nudité.
Il faut dire que le pays de Jeanne d’Arc entretient des rapports névrotiques avec le religieux, particulièrement l’islam. Ainsi le voile islamique y est souvent objet de toutes les controverses. A l’école, à l’université, dans la rue, bref dans l’espace publique.
Il y a quelques années, faisait rage un débat houleux et passionné sur ce qu’on appelle le burkini (je n’aime pas le nom), un maillot de bain conçu par une styliste australienne aux normes islamiques.
La situation est très différente dans les pays de tradition anglo-saxonne où les femmes voilées sont de plus en plus encouragées à s’affirmer dans la société et même de jouer un rôle politique.
Aux États-Unis, Carolyn Walker-Diallo, une jeune femme noire musulmane et voilée fut élue juge à New York en 2015. Au Jeux Olympiques de Rio en 2016, Ibtihaj Muhammad fut la première femme voilée à intégrer l’équipe olympique et en fut le porte-drapeau.
En Angleterre en Suède, au Norvège, et au Canada les femmes musulmanes et voilées sont intégrées dans la police, et des uniformes adaptés ont été conçus pour elles.
La liste est loin d’être exhaustive.
Alors, par quel miracle donc ce problème franco-français que constitue le « voile islamique » a été importé au Sénégal ?
La vérité est qu’au pays de Bamba et Maodo le voile a tous les honneurs. A juste titre. Révolu le temps où il était affaire de vieilles dames ou de saintes. Aujourd’hui, le voile a gagné toutes les catégories sociales et professionnelles, de l’élève au médecin, de la femme de ménage à la professeure, en passant par l’étudiante.
Les plus jeunes arborent fièrement le voile, qui n’entrave en rien leurs études ni leurs carrières. Elles revendiquent le voile comme un symbole de foi et de pudeur, mais aussi de féminité et de beauté. Car le voile, en plus d’être une recommandation religieuse, est devenu, pour elles, un accessoire de mode. A l’instar de leurs sœurs de la Malaisie, de la Turquie ou du Maroc, elles se sont mises à l’heure du « mode islamique ». Après tout, foi et esthétique peuvent bien se marier.
C’est donc par pur mimétisme que des intellectuels, à partir de postulats pensés ailleurs, remettent en cause notre modèle sociétal et nos codes culturels.
par Siré Sy
UNE DES FIERTÉS SÉNÉGALAISES RETROUVÉES
La Grande mosquée Massalikul Jinane, oeuvre des Sénégalais d'ici et de la diaspora, nous fait passer de ‘’Gudiy Ndakaru’’ à ‘’Jantuk l’Islam’’ - En tant que sénégalais, il y a de quoi être fier
La Grande Mosquée Massalikul Jinan est un symbole du “’ñaq’” (suer) et du ‘’ñuki’’ (dépenser).
En tant que sénégalais, il y a de quoi être fier de la Grande Mosquée Massalikul Jinane. Massalikul Jinane, est une des fiertés sénégalaises retrouvées. A chaque fois que nous nous sommes rendus au siège de l’Union africaine à Addis Abeba, nous avions toujours un ‘’petit’’ pincement au coeur, car cette (jolie) bâtisse qui est le siège de l’Union africaine, nous a été construite totalement et équipée entièrement par la République populaire Chine. Comme si nous, Africains, en dépit de nos immenses richesses et ressources, nous ne sommes pas capables de construire par nous et pour nous, notre propre (siège) maison-la maison de l’Afrique.
Dans l’axe du temps, c’est comme qui dirait qu’à chaque fois qu’il est important, vital, nécessaire et symbolique pour nous (africains), nous attendons que les ‘’Autres’’ viennent faire pour nous ce que nous ‘’refusons’’ de faire par nous et pour nous.
Un autre exemple, sur le plan politique et à l’échelle du continent, quand le terrorisme d’inspiration jihadisme, sème la terreur, la mort et la désolation dans le Sahel, nous attendons la France et la communauté internationale (G5), financent notre propre sécurité collective. Comme si nous étions incapables de nous défendre par nous-mêmes et pour nous mêmes.
Nous ‘’refusons’’ de financer ce qui est vital pour nous et sous-traitons notre survie aux ‘’Autres’’. Une forme de désorganisation et d'insouciance, qui coûte cher à la marche vers le progrès en Afrique.
Au Sénégal, disent les statistiques, nous sommes 98% de musulmans. Et en tant que musulmans, le lieu de culte,- la Mosquée - est une pierre angulaire dans le vivre de notre religion. La Grande Mosquée de Dakar, l'un des plus importants édifices religieux de la capitale du Sénégal, inauguré en 1964, nous a été construite et offerte par Sa Majesté feu Hassan II du Maroc.
Parce que Dakar est la capitale du Sénégal et la vitrine de notre pays, la construction de la Grande mosquée Massalikul Jinane, pensée, financée, construite et achevée par les Sénégalais, avec l’argent des Sénégalais d’ici et de la diaspora, est un symbole vivant de notre fierté sénégalaise retrouvée. C’est donc dire que si nous le voulons, nous le pouvons.
De Ndiouga Kébé à Mbackiyou Faye: du modèle de talibé au talibé bâtisseur
Les mécènes de la Foi, de généreux donateurs et talibés, le Sénégal en a toujours connu. A l’instar de Feu Djily Mbaye qui dépensait sans compter pour la cause religieuse - Djily Mbaye la générosité fait homme -; de Feu Ndiouga Kébé qui s’était beaucoup investi - humainement et financièrement - pour la cause religieuse. A leur disparition et à des échelles variables, nos communautés religieuses ont toujours eu en leur sein, des bienfaiteurs financiers, comme Diop Sy chez les Tidianes et Mbackiyou Faye chez les Mourides.
Et en parlant de Mbackiyou Faye, son nom restera à toujours, gravé dans le marbre, à propos de Massalikul Jinane qu’il aura fait passé d’une idée, d’un projet, à une réalité architecturale sans précédent. Pour celui qui se fait une idées des supplices subit par Cheikh Ahmadou Bamba Xadim Rassul sur son chemin à l’exil, des supplices résumés sous le vocable ‘’Gudiy Ndakaru’’, la Grande mosquée Massalikul Jinane nous fait passer de ‘’Gudiy Ndakaru’’ à ‘’Jantuk l’Islam’’, selon la belle formule de la Commission scientifique de Massalikul Jinane. Et Cheikh Ahmadou Bamba Xadim Rassul et l’Islam, gagne encore une fois de plus, une haute consécration dans son combat pour l’Islam.
La Grande mosquée Massalikul Jinane, est l’oeuvre des Sénégalais, d'ici et de la diaspora. Le Vendredi 27 Septembre 2019, date d’inauguration officielle de ce joyau architectural qu’est la Grande mosquée Massalikul Jinane, patrimoine commun et partagé de l’Islam, comment ne pas aussi célébrer et magnifier un des nôtres, Mbackiyou Faye, qui a porté de bout en bout, le projet devenu réalité, s’est coupé les veines financièrement et s’est donné corps et âme pour sa réalisation, et qui depuis une dizaine d’années, ne ‘’vit’’ que pour l'achèvement de cette merveille qu’est Massalikul Jinane.
Massalikul Jinane, et après
Une fois que les lampions se seront éteints sur l’inauguration de la Grande mosquée Massalikul Jinane, s'invitera dans les débats, de la question de sa gestion et son l’administration. Et il est bien d’un des traits de caractères bien sénégalais, vous vous dépensiez physiquement, moralement, intellectuellement, ‘’entrepreunarialement’’ et financièrement pour une cause, et une fois l’oeuvre achevée, l’on fasse des manoeuvres pour vous faire ‘’dégager’’, selon la formule proverbiale bien sénégalaise et fort bien discutable, ‘’lu soti amm borom’’. Et de ce que je crois comprendre du concept qu'est Massalikul Jinane, c'est qu'il ne sera pas seulement un lieu de prière mais aussi un haut centre d'éducation, de réflexion et de formation sur l'Islam, à l’instar de Coki (Louga), de Tombouctou (Mali), d'Al Azhar (Egypte), de Kairouan (Tunisie), ces grandes villes-écoles d’apprentissage et de formation islamiques.
Massalikul Jinane, un des Xassaides de Cheikh Ahmadou Bamba Xadim Rassul, et qui signifie en français ‘’les Chemins du Paradis’’, est nul doute, une des fiertés sénégalaises bien retrouvée. Ne ce reste que pour cela, Massalikul Jinane vaut le détour, le vendredi 27 Septembre 2019.
"LA GAUCHE EST DEBOUT"
Landing Savané, Secrétaire général de l'AJ-PADS/ Authentique, dit être ‘’convaincu’’ que "l’avenir c’est la gauche’’ car ‘’la droite n’est rien d’autre que la bourgeoisie, le capitalisme, l’exploitation et l’oppression’’
La gauche sénégalaise est debout pour le renforcement et la consolidation des acquis démocratiques et sociaux, a soutenu, samedi à Dakar, le Secrétaire général de And Jëf/ Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ-PADS/ Authentique), Landing Savané.
"L’héritage politique de la gauche sénégalaise (….) c’est d’être debout car il faut comprendre que l’individu n’est rien s’il n’inscrit pas son action dans le destin de son peuple et dans (sa) société", a-t-il déclaré.
M. Landing Savané s’exprimait lors de la journée d’hommage aux anciens militants de And Jëf-XAREBI/ Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle (MRDN).
M. Landing Savané dit ‘’convaincu’’ que "l’avenir c’est la gauche’’ car ‘’la droite n’est rien d’autre que la bourgeoisie, le capitalisme, l’exploitation et l’oppression’’. Donc, ‘’elle est condamnée", a-t-il dit.
"C’est ma profonde conviction depuis plus d’une cinquantaine d’années. Je pense qu’il est trop tard pour moi de changer de conviction", a-t-il poursuivi.
Certes, a-t-il constaté, "il y a le reflux des forces de la gauche qui existe parfois dans tout mouvement social", mais "c’est un reflux pour une relance car le capitalisme et l’impérialisme ne changent pas".
’’Le combat ne s’arrêtera pas’’, a dit Landing Savané, invoquant les ‘’circonstances’’ et ‘’la légitimité des combats’’ des militants de la gauche.
"Chaque jour, des camarades de ce courant travaillent à renforcer la démocratie et à consolider ses acquis pour que le peuple vive mieux et que l’Afrique soit à la hauteur de la responsabilité qui doit être la sienne dans le concert des nations", a-t-il fait remarquer.
Il a par ailleurs salué cet hommage rendu à ses anciens camarades ’’de façon solennelle parce que ce sont des fils du pays qui ont donné leurs vies pour que ce pays puisse aller de l’avant".
"S’il y a la démocratie aujourd’hui dans ce pays c’est parce que les acteurs, militants et sympathisants de ce courant en ont joué un grand rôle", a-t-il fait valoir.
texte collectif
RACISMES, NE PLUS JOUER AVEC LES MOTS
Une critique de l’islam doit être possible, pas le rejet de l’islam et des musulmans. Il doit être possible d’interroger la norme blanche d’une société sans être accusé de racisme anti-Blanc, comme vient d’en faire les frais Lilian Thuram
Libération |
Rokhaya Diallo et Esther Benbassa |
Publication 21/09/2019
La dernière université d’été de La France insoumise (LFI) a relancé, suite à une intervention d’Henri Peña-Ruiz, la polémique autour de l’islam. L’islamophobie serait-elle un rejet de l’islam en tant que religion ou un rejet des musulmans ? On pourrait poser la même question sur la judéophobie : haine du judaïsme ou haine des juifs ? Il est vrai que dans ce dernier cas, on n’ose pas trop le faire…
Le mot «antijudaïsme», pourtant, existe bien. Il désigne une haine religieuse du juif repérable dès l’Antiquité, qui a dominé la société d’Ancien Régime mais qui a considérablement détérioré, concrètement, la condition juive. Face au christianisme, religion du «vrai Israël» spirituel, se serait trouvé le judaïsme, porté par un «Israël charnel» prétendument déchu, incapable de reconnaître la messianité et la divinité de Jésus. Peuple «déicide» qui payera lourdement le tribut de cette infériorité…
Alors, l’«islamophobie», rejet de l’islam ou rejet des musulmans ? Les deux. Comme la judéophobie est à la fois haine du judaïsme et haine des juifs. L’ambiguïté persiste dans le cas de l’islamophobie sans doute parce qu’il n’existe pas un autre terme se référant spécifiquement à la religion, comme ce fut le cas de celui d’antijudaïsme. Mais aussi en raison de la réalité concrète ordinaire à laquelle le mot renvoie, qui est en fait un rejet du musulman plutôt que de l’islam.
Le racisme antimusulman contemporain s’enrichit d’un autre amalgame avec la figure du migrant récent ou actuel. Si l’immigration actuelle était composée de migrants d’origine chrétienne, on peut penser que l’opposition de la population française à ces vagues de migrants aurait été moindre.
Il va de soi qu’on peut critiquer l’islam comme n’importe quelle religion. Curieusement, pourtant, c’est l’islam, et d’abord lui, qui est aujourd’hui critiqué et non le bouddhisme ou le catholicisme, etc. Encore moins le judaïsme et cela pour des raisons historiques bien précises. Après la Shoah, ce n’est tout simplement plus aussi simple. Ceux qui se hasarderaient à le critiquer trop violemment savent à quelle accusation ils s’exposeraient : celle d’antisémitisme, tout simplement.
Qu’on passe au tamis de la critique certaines pratiques et certains discours de l’islam d’aujourd’hui devrait être considéré comme possible et légitime dans un pays laïc dont la loi de 1905 appelle au respect de tous les cultes sans en reconnaître aucun. Les attentats terroristes et leurs répercussions désastreuses ont nourri cette critique. Mais les polémiques autour de l’islam et des musulmans - port du voile, prières de rue, burkini - datent d’avant ces attentats.
Un islam d’Europe va bien finir par se construire. Mais pour qu’il se construise sans trop de heurts, encore aurait-il fallu depuis longtemps œuvrer à endiguer les discriminations, les humiliations et le racisme antimusulman qui sévissent dans nos territoires. Aucune réforme concernant l’organisation du culte musulman n’a vraiment abouti. Parce que les pratiques sont déjà ancrées, avec ses poches de racisme systémique dans la société et au sein même des différentes strates de l’Etat. Même s’il n’y a pas, en France, d’islamophobie ou de racisme d’Etat ouvertement institué.
Lorsque Lilian Thuram a évoqué le complexe de supériorité qui traversait les supporteurs blancs dans les stades, il ne se doutait pas, quant à lui, de l’ampleur de la levée de boucliers qu’il susciterait. Des protestations incroyablement nombreuses ont fusé pour dénoncer la prétendue essentialisation du groupe «blanc» commise par l’ancien footballeur. Des dénonciations bien tonitruantes au regard de l’indifférence suscitée par les manifestations racistes qui faisaient l’objet des commentaires de Thuram.
Depuis des décennies, les joueurs de football noirs sont exposés à toutes sortes de vexations racistes allant des cris de singes au lancer de peaux de bananes en passant par des injures racistes. Etrangement, alors que jamais ces agissements inadmissibles n’ont mobilisé une telle énergie, il a suffi d’évoquer la position dominante des personnes blanches dans la hiérarchie raciale pour que de toutes parts l’on accuse Thuram de racisme… anti-Blancs !
Le racisme ne se résume pas à des interactions individuelles désobligeantes, il s’agit d’un système découlant d’une histoire. La place des minorités en France est conditionnée par un passé colonial et esclavagiste, elles ont fait l’objet de théories raciales qui les ont mises dans une condition d’infériorité. Cette condition se traduit aujourd’hui par un traitement structurellement inégalitaire dans l’accès à des biens ou à des services (logements, emplois…) et dans le traitement institutionnel (contrôles au faciès, situation des outremers…).
Si des personnes blanches peuvent être exposées à des déconvenues du fait de leur appartenance, ce qui est tout à fait condamnable, elles ne sont désavantagées ni politiquement ni socialement par le fait d’être blanches. On ne peut en aucun cas comparer la position de personnes qui subissent un racisme protéiforme et systémique et peuvent se voir questionner quant à la légitimité de leur présence sur le sol français, avec une interaction - si malheureuse soit-elle - qui s’inscrit dans un rapport strictement interpersonnel.
Lorsque Lilian Thuram évoque un complexe de supériorité, il fait écho au fait que la société est organisée pour conforter les personnes blanches dans l’idée qu’elles sont la norme. En réalité, cet engouement pour la notion de racisme anti-Blancs masque la volonté de minorer la réalité du racisme en France et de concevoir un bloc de solidarité entre les personnes qui sont placées au sommet de la pyramide raciale et qui, qu’elles le veuillent ou non, en sont les bénéficiaires. Comme l’invocation d’une laïcité déformée, visant à exclure des minorités religieuses de la sphère publique, l’invocation du racisme anti-Blancs est un mécanisme de préservation visant à stigmatiser les minorités pour mieux ignorer leurs problématiques. C’est aussi le moyen de les présenter comme des menaces pour la majorité.
Qui croit vraiment qu’une religion ou une population minoritaire puisse un jour dominer l’espace public ou que des minoritaires, arabes, musulmans ou noirs puissent jamais accaparer le pouvoir ? Tout cela est surtout la traduction d’une angoisse profonde, celle de voir une identité nationale fantasmée se dissoudre au profit de groupes dont on imagine qu’ils sont structurés dans une optique de «grand remplacement».
C’est surtout le constat de la perte de privilèges. Il n’est aujourd’hui plus possible de se soustraire aux discours antiracistes portés par les minorités, ce confort qui permettait de balayer leurs revendications d’un revers de main est aujourd’hui remis en question. Et au lieu d’être entendus, ces questionnements sont rejetés, critiqués. Et chacun croit pouvoir jouer avec les mots pour s’épargner la confrontation au réel.
Si vous faites partie de ceux qui croquent une tablette pour chasser les idées noires, l’effarant documentaire réalisé par Paul Moreira, La Face cachée du cacao, risque fort de vous faire passer le goût du chocolat. On savait la filière trouble, mais la réalité dévoilée par les enquêtes et reportages, de plus en plus nombreux ces derniers mois, dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Déforestation, travail des enfants, aveuglement des autorités, double discours des multinationales, promesses non tenues des industriels de l’agroalimentaire… Il y a quelque chose de pourri au royaume des cabosses.
Accompagné d’une caméra cachée et d’un « fixeur », le journaliste a réussi à filmer des images terrifiantes dans l’une des plantations illégales qui grignotent, année après année, les forêts pourtant protégées du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, pays producteur de 40 % du cacao mondial. Balisées par des miliciens qui prélèvent une dîme à chaque passage de camion, voiture ou moto, les routes boueuses de la région tracent un chemin difficilement praticable au milieu d’une végétation étrange. Les arbres y ressemblent à des squelettes blancs : ils ont en fait été brûlés pour permettre la plantation de cacao à leur pied. Plantations que de jeunes adolescents pulvérisent, toute la journée, d’un produit à « tête rouge » dont on découvre très rapidement qu’il s’agit de glyphosate, le désherbant de Monsanto, classé « cancérigène probable » par l’OMS.
Absence de traçabilité des fèves
Inutile de préciser que ces gamins, pour la plupart venus du Burkina Faso voisin et « vendus » par leurs parents, trop pauvres pour les nourrir, travaillent non seulement dans l’illégalité la plus totale (le travail des enfants est interdit en Côte d’Ivoire) mais également sans aucune protection contre les défoliants qui tuent, petit à petit, la forêt ivoirienne. Pis, ceux qui ont trop faim en arrivant travaillent pendant plusieurs années gratuitement contre de la nourriture, avant d’être payés par l’octroi d’une petite parcelle. L’absence de traçabilité des fèves leur permet de rejoindre le circuit légal, en toute impunité. Nourrie par l’appétit des industriels pour les douceurs chocolatées, l’expansion, légale ou non, des plantations de cacao a fait perdre à la Côte d’Ivoire 90 % de sa forêt en vingt ans.
Opiniâtre, Paul Moreira frappe à toutes les portes de la filière. Du chef du réseau qui vend les enfants aux planteurs clandestins, à l’intermédiaire opaque qui refuse de parler, en passant par les ONG qui dénoncent sans relâche ce business « cannibale ». Son documentaire explique avec clarté et sans pathos pourquoi la filière cacao est l’une des plus inéquitables au monde : selon l’Agence française de développement, un cultivateur de cacao gagne en moyenne moins de 1 euro par jour.
Les industriels et les lobbys du secteur ont pourtant multiplié les déclarations d’intention depuis vingt ans, se fixant des objectifs aussi ambitieux qu’irréalistes. Mais face à la déscolarisation des enfants, au laxisme des autorités dans certaines provinces reculées, à l’incurie des intermédiaires et au laisser-faire des industriels, les moyens déployés pour nettoyer la filière paraissent dérisoires. La publication de rapports alarmants fait toutefois bouger les lignes : la Côte d’Ivoire et le Ghana ont décidé cette année de cesser de vendre leurs fèves aux grands industriels si le prix payé aux producteurs n’augmentait pas.
SAMBA DIABARÉ SAMB, VIRTUOSE DU XALAM
Rappelé à Dieu ce vendredi 20 septembre 2019, il était surnommé le "Gardien du Temple" par la cinéaste Laurence Gavron. Il aurait également pu porter sans peine le titre de "dernier Mohican"
Samba Diabaré Samb était certes vieux, mais il était un indéboulonnable pilier de la musique traditionnelle sénégalaise. Rappelé à Dieu ce vendredi 20 septembre 2019, il était surnommé le "Gardien du Temple" par la cinéaste Laurence Gavron. Il aurait également pu porter sans peine le titre de "Dernier Mohican".
Élevé au rang de "Trésor vivant de l'humanité" par l'UNESCO, Samba Diabaré Samb a vu le jour en 1924 à Dahra Jolof. Il a très tôt appris et maîtrisé les secrets du Xalam, son instrument de prédilection. De cet ancêtre de la guitare, Samba Diabaré Samb parle comme un poète de sa muse : "Il a le pouvoir de galvaniser les contemporains en faisant revivre les beautés de notre continent. Il faut le talent mais aussi être possesseur d'un don pour maîtriser le xalam. C'est un instrument d'une complexité déroutante.".
Le maître du Xalaam
Issu d'une famille de Gawlo Halpulaar, Samba Diabaré Samb est un griot laudateur, un généalogiste, un chroniqueur social, un historien et un poète. Un homme qui a beaucoup contribué, accompagné de son ami Amadou Ndiaye Samb, à la valorisation et à la popularisation des musiques lyrique et classique sénégalaises.
Ce, notamment grâce à l'émission sur l'histoire et le patrimoine culturel du Sénégal qu'ils co-animent, "Sénégal Demb". Nous sommes en 1958, les deux "Xalamkat", connaissent un énorme succès. En 1962, Samba Diabaré Samb est membre fondateur de l'Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre National Daniel Sorano de Dakar. Troupe avec laquelle il joue en 1969 le fameux titre "Saaraba". Une magnifique ballade populaire sur "le paradis doré" dans l'imaginaire sénégalais. Un morceau joué à Paris en 2010 au sein d'un espace culturel initié à l'époque par Nago Seck et Sylvie Clerfeuille dans le 18ème arrondissement de Paris. Pour lui rendre hommage, sa petite fille Aida Samb, a repris ce titre en 2013.
Samba Diabaré Samb est également un des membres fondateurs de l'Association Culturelle et Artistique du Sénégal (ACAS) communément appelée la CASE. Une association lancée avec ses amis comme Amadou Ndiaye Samb.
Le chanteur à la voix d'or
Ce monument de la musique sénégalaise qui a sillonné le monde avec l'ensemble lyrique traditionnel, a vu son travail être couronné à plusieurs reprises. Chevalier de l'Ordre des Palmes Académiques (1983), Officier de l'Ordre du Mérite (1984), Commandeur de l'Ordre du Mérite (1990) et Officier de l'Ordre des Arts et Lettres (2002).L'ancien président du Sénégal le surnommait "le chanteur à la voix d'or".
Il a également enregistré des titres qui constituent jusqu'à présent des chefs d'oeuvre dans la musique sénégalaise. On peut citer * "Birame Yacine" (2003), "Jëf sa yëf" (2000), "Taara" (1998), "Laguiya" (1997) ou encore la cassette Ngawla (1993), réalisée avec Mansour Seck et Baaba Maal qui en était le producteur.
Grand-père d'Aida Samb
Samba Diabaré Samb s'est marié à l'âge de trente-deux ans à une dame nommée Sally Ndiaye. Un mariage qui n'a pas fait long feu. Par la suite, il convole avec Aida Mboup, une proche parente de la mère de Youssou Ndour. Aida Mboup est l'homonyme de la chanteuse Aida Samb. Suite à son rappel à Dieu, Samba Diabaré Samb épouse, Tanta Mbaye. Décédée, elle aussi, après quelques années de mariage, le maître du Xalaam prend comme femme la sœur de sa défunte épouse en 1972, Seynabou Mbaye. C'est avec cette dernière qu'il vivait dans sa demeure sise aux HLM. Samba Diabaré Samb n'a pas eu de garçons mais sa petite fille Aida Samb marche allègrement sur ses traces et essaye tant bien que mal de perpétuer son héritage.
MACKY SECOUE SA TROUPE
La rencontre d’une heure trente minutes tenue vendredi à la présidence, a permis au chef de l'État de décliner sa vision et la nouvelle orientation qu’il veut donner à sa communication
Le président de la République sait écouter. Et il a entendu les critiques et autres récriminations contre la communication gouvernementale qui, aux yeux de certains, présente des défaillances. Ainsi, il a décidé de reprendre la main. Hier, au palais de la République, il a convoqué tous ses “communicants’’. La rencontre d’une heure trente minutes lui a permis de décliner sa vision et la nouvelle orientation qu’il veut donner à sa communication. Et comme souvent, il s’est montré cash envers ses collaborateurs.
D’abord, dit-on, il a souligné l’urgence de réorganiser tout le dispositif de communication. Désormais, il attend l’implication, sans réserve, de tout le monde. De ce fait, il prévient : “Que les gens qui ne veulent pas s’assumer libèrent la place pour d’autres.’’ Pour bien se faire comprendre, il a repris en wolof : “So ci bokké, da nga ci wara takk.’’
Ainsi, il s’est montré très clair envers “les ‘wafeurs’ et les ‘wafeuses’’’ (Ndlr : Les adeptes de l’évitement) : à partir de maintenant, il faudra mouiller le maillot. De ce fait, il annonce la mise en place d’un instrument pour évaluer le travail des uns et des autres. S’il attend de l’engagement de la part de ses collaborateurs, le chef de l’Etat souhaite également qu’ils soient à l’écoute des populations et se montrent ouverts à leurs doléances. “Mon credo, dit-il, c’est l’ouverture’’. Le président Macky Sall attend cette même posture de ses communicants.
Même si la rencontre s’est déroulée sous un format directif, puisqu’il n’y a pas eu débats, le chef de l’Etat, rapportent nos sources, a néanmoins tenu à remercier les uns et les autres pour le travail de communication abattu, lors de la campagne présidentielle. Pour cette rencontre, il a pris le soin de convoquer de nombreux jeunes responsables à qui il a demandé de faire preuve de patience. Il leur a demandé de savoir “prendre les escaliers’’, au lieu de toujours vouloir “prendre l’ascenseur’’. Car, à ses yeux, on ne peut pas devenir ministre du jour au lendemain.
Ont pris part à la rencontre de nombreux responsables de Benno Bokk Yaakaar. Il y avait, entre autres, le ministre Seydou Guèye, Abdoulaye Sow, Dg du Coud, Maodo Malick Mbaye, Racine Tall, Dg de la Rts, Yakham Mbaye, Dg du “Soleil’’, Mame Mbaye Niang, Ministre conseiller, Thierno Lo, Khafor Touré, Luc Sarr, Me Moussa Diop, Dg Ddd, Zator Mbaye, Ibrahima Sène du Pit.
LE RETARD SUSCITE DES INTERROGATIONS
Bien que des plaintes soient déposées dans l’affaire des 94milliards par Ousmane Sonko contre Mamadou Mamour Diallo, les poursuites tardent à démarrer.
Bien que des plaintes soient déposées dans l’affaire des 94milliards par Ousmane Sonko contre Mamadou Mamour Diallo, les poursuites tardent à démarrer. Ce qui suscite des interrogations sur la volonté de la justice d’éclairer cette affaire dans laquelle le leader de Pastef accuse nommément l’ex-directeur des Domaines de détournement.
À quand le déclenchement des poursuites dans l’affaire des 94 milliards ? La question taraude les esprits, d’autant plus qu’Ousmane Sonko a déposé deux plaintes contre Mamadou Mamour Diallo qu’il accuse d’avoir détourné un tel montant, dans le cadre d’un litige foncier. L’une a été déposée auprès du procureur de la République et la seconde devant le juge d’instruction avec constitution de partie civile. Mais aucune des deux procédures ne connaît un début de traitement. Pour la première, le procureur de la République avait expliqué les raisons pour lesquelles il n’y a pas encore d’enquête judiciaire. “J’ai reçu une plainte portant sur 94 milliards. Nous avons un temps de traitement. D’ailleurs, les plaignants soutiennent avoir enquêté durant 8 mois ; nous aussi avons pris notre temps. Mais, entre-temps, l’Assemblée s’est saisie de l’affaire et pour ne pas faire désordre, nous attendons qu’elle finisse et nous aviserons en son temps, car nous tenons à ce que la lumière soit faite sur ce dossier’’, avait soutenu Serigne Bassirou Guèye, lors d’une conférence tenue le 12 juin dernier. Seulement, pour Me Amadou Sow, membre du pool d’avocats d’Ousmane Sonko, cet argument ne tient pas la route. La robe noire considère que c’était une manière, pour le ministère public, de ne pas déclencher les poursuites, alors que, martèle-t-il, “techniquement, c’est illégal, puisqu’aucun texte ne le lui interdit, du simple fait qu’il y a saisine de la commission d’enquête parlementaire’’. Pour lui, le maitre des poursuites pouvait bien ouvrir une enquête, dès lors que la commission avait publié son rapport. Aujourd’hui, Me Sow espère que le juge d’instruction va fixer le montant de la consignation et entamer les auditions dans cette affaire. Un avis que partage Me Moussa Sarr qui, lui également, balaie d’un revers de main les explications et arguments servis, en son temps, par le procureur Serigne Bassirou Guèye. Il avance trois arguments pour étayer sa position. D’abord, en droit, soutient-il, “lorsqu’une affaire fait l’objet d’une procédure judiciaire, une commission ne peut plus s’en saisir’’. Et si une commission est ouverte et qu’une procédure judiciaire est ouverte, l’Assemblée arrête ses auditions. Et enfin, argue Me Sarr, lorsque la commission rend ses conclusions, cela n’empêche pas l’ouverture d’une enquête. Encore que, souligne-t-il, “le rapport du parlement ne lie pas la justice qui est libre, en vertu de la séparation des pouvoirs’’.
“Sur les questions de transparence et de bonne gouvernance, le parquet ne donne jamais de suite’
Ces précisions faites, la robe noire fait remarquer que, d’une manière générale, “sur les dossiers d’une extrême sensibilité, il est rare de voir le parquet s’autosaisir’’. “Sur les questions de transparence et de bonne gouvernance, lorsqu’elles sont posées par le biais d’une dénonciation, d’une plainte ou d’une récrimination, le parquet ne donne jamais de suite’’, fulmine le conseil. Qui estime que “cela doit changer, parce que le rôle du parquet, c’est de défendre la société et que cela va dans le sens de mieux crédibiliser et de renforcer davantage notre système judiciaire, aux yeux de l’opinion publique nationale’’. Toutefois, notre interlocuteur souligne qu’il est certes vrai qu’on ne peut pas dire que pour n’importe quelle dénonciation, le parquet doit s’autosaisir, mais quand la plainte parait sérieuse dans son fondement, il doit donner suite. “Mais lorsque la plainte n’est pas sérieuse ou relève de la politique politicienne, de la manipulation ou d’un règlement de comptes, il ne doit pas répondre’’.
Me Amadou Sow : “C’est la justice qui bloque l’établissement de la vérité’’
Toujours est-il que, dans cette l'affaire qui tient en haleine l’opinion depuis des mois, Birahim Seck estime que le procureur doit s'autosaisir. Sinon, “tout autre acte ne serait que pure diversion’’. “Notre avis demeure un avis de principe. C'est un citoyen sénégalais, M. Ousmane Sonko, qui a porté des accusations à l'endroit d'un autre Sénégalais, en l'occurrence M. Mamour Diallo. Je pense que si un Sénégalais se sent diffamé, il doit pouvoir porter plainte devant le juge pour laver son honneur. S'il ne le fait pas, nous considérons qu'il appartient aux autorités judiciaires, au procureur de la République, de s'autosaisir pour éclairer la lanterne des Sénégalais sur l'histoire des 94 milliards de francs’’, a déclaré le coordonnateur du Forum civil hier. Pour lui, “il appartient exclusivement au procureur et à l'accusé de porter plainte. Tout autre débat n'est que pure diversion’’. Quoi qu’il en soit, la conviction de Me Sow est faite sur cette affaire, avec le retard noté dans le déclenchement d’une procédure. “C’est la justice qui bloque l’établissement de la vérité par des justificatifs qui ne répondent pas aux dispositions légales’’, fulmine-t-il.
«IL FAUT SAUVER LE SOLDAT ABDOULAYE WADE»
Grand’Place avec ... Babacar GAYE
Par Bigué BOB & Assane MBAYE |
Publication 21/09/2019
Babacar Gaye était l’un des plus proches collaborateurs du président Abdoulaye Wade. Leur relation se conjugue, désormais, au passé, parce que, depuis quelques mois, le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais semble ne plus le vouloir à ses côtés. Dans le Pds, Babacar Gaye n’occupe plus aucun poste de responsabilité. Mais il ne se décide pas à quitter le parti qu’il considère comme l’héritage de tous les libéraux. Il veut se battre pour qu’il ne soit pas entre les mains des “karimistes’’ ou, si ça doit l’être, que cela se fasse démocratiquement, mais pas comme Wade veut s’y prendre. Vous direz qu’il est courageux. Il l’a été tout au long de son compagnonnage avec Wade, comme il le dit dans cet entretien. Peut-être parce que son rapport avec l’ancien président du Sénégal n’était pas sous-tendu par l’argent. Matériellement et financièrement, l’homme s’est construit avant l’alternance et sa liberté sur ce plan, il y tient particulièrement. Grand lecteur, Babacar Gaye partage ici une partie de sa bibliothèque.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre parcours ?
Je suis né à Diokoul Mbelbouk, (un village situé dans le département de Kaffrine et qui est devenu commune) même si, sur mon extrait de naissance, il est mentionné né à Kaffrine, il y a à peu près 65 ans. Mes parents vivaient à Diokoul où ils avaient leurs champs. C’est à mes 6 ans que je suis parti vivre à Kaffrine pour poursuivre les études coraniques avec mon oncle Adama Gaye, avant d'intégrer l’école française. A Kaffrine, j’ai été accueilli par mon grand-père qui est né un siècle avant moi. Ensemble, nous avons vécu dans sa case pendant 6 ans, avant qu’il ne décède à l’âge de 112 ans. C’est sous son aile que j’ai grandi. Donc, c’est principalement avec son aide que j’ai fréquenté l’école française. Naturellement, à la maison, il y avait mes tantes dont Yaye Diallo, l’épouse de mon oncle El Hadj Ibou Gaye. Avec ses coépouses et mes tantes paternelles, j’ai pu supporter l'absence de ma mère que je ne voyais que pendant les grandes vacances pendant lesquelles je retrouvais mes amis de Diokoul pour faire ce que les jeunes de mon âge faisaient à l’époque : aller aux champs, gambader, aller marauder, chasser, participer aux séances de lutte et fabriquer nos jouets. J’ai réussi à l’entrée en 6e à 13 ans. Malheureusement, j'ai failli rater ma 6e, pour n'avoir pas été informé ni de ma réussite ni de mon orientation au lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis. Alors, je repris le Cm2 jusqu’aux fêtes de Noël. C'est le 3 janvier 1969 que j'ai intégré la classe de 6e. Après un seul trimestre de cours, il y a eu une grève générale. Alors, nous étions revenus au mois d'octobre pour faire un examen de passage en classe de 5e. A l'époque, vivre à Saint-Louis était difficile, surtout pour un natif du Ndoucoumane. Il se posait toujours des problèmes de tuteur, pour ceux d'entre nous qui n'étaient pas internes. Je suis resté à Saint-Louis pendant deux ans, avant d’être transféré à Kaolack où j’ai continué mes études. Je signale qu'à Saint-Louis, j’ai failli mourir d’une noyade. Mes deux amis, Jean-Luc Mallet, qui était le fils du proviseur du lycée Peytavin, Ismaïla Guèye et moi avons connu ce drame qui a entraîné la mort de notre camarade de classe Ismaïla Guèye. A Kaolack, j’ai été hébergé par ma cousine Fatou Diop veuve Badiane. D’ailleurs, ma fille ainée porte son prénom. Cette brave femme m'a beaucoup aidé, malgré l'indigence de ses moyens. Après mon Bfem au lycée Gaston Berger, je n’ai pas pu faire la classe de terminale, tellement les conditions de vie étaient difficiles. Pour les contourner, j’ai fait et réussi le Baccalauréat A4 en tant que candidat libre, alors que j'étais en classe de 1re D. C'est pourquoi je n’ai pas pu faire sciences à l’université, alors que j’étais doué en mathématiques, physiques-chimie et sciences naturelles.
Vous avez fait quelles études alors à l’université ?
J'ai commencé des études d'histoire et de géographie que j'ai très tôt abandonnées. Cela ne me tentait pas, car je ne voulais pas devenir enseignant, même si, par la suite, j’ai dû faire le concours d’entrée au Cfps, après un bref passage à l’Oncad de Kaolack. Mon grand frère m’avait obligé de faire le concours pour au moins avoir un emploi stable. J’ai fait un an de formation à Thiès. Nimbé de mon Certificat de fin d'études normales, j’ai été affecté à Gandiaye comme instituteur et j’y ai eu mon Certificat d'aptitude pédagogique (Cap). La semaine qui a suivi ma réussite, l'inspecteur m'a affecté dans un petit village appelé Ngothie. Il y manquait un maître pour les élèves de Cp. A la fin de l’année, j’ai rappliqué sur Dakar, à l’école Gibraltar, de 1981 à 1986, avant de passer le concours d’entrée du Cfpa devenu, avec notre promotion, le cycle B de l’Enam. Je suis sorti major de la 22e promotion, toutes sections confondues. Et j’obtins le grade de contrôleur économique. Pour des raisons politiques, j’ai été d’abord affecté à Ziguinchor. Ensuite à Rufisque et enfin à Tivaouane. Un an après l'obtention de mon Brevet, on m’a maintenu par ordre sans affectation, parce que j’ai publié un article très critique à l'égard de l'Administration dans “Sopi’’. Ce qui n'avait pas plu au tout-puissant Jean Collin.
Poussé à la sortie, j’ai démissionné de l’Administration en 1991 par départ volontaire. J’avais alors créé une société qui s’appelait Multipress pour vendre du papier, des consommables, des ordinateurs, etc., avant d’intégrer l’Alliance technologie informatique (Ati), une société qui avait pignon sur rue et où j’ai gravi les échelons pour devenir chef de département. C'est quand j'ai été élu député en 2001 que j'ai quitté la boîte. Si j’ai pu avoir cette maison (Ndlr : L’entretien est enregistré chez lui à Sacré-Cœur) en 1991, c’est-à-dire 10 ans avant l’alternance, c'est grâce à ma prime de départ volontaire. Elle m’a permis de déposer une caution à la Sicap. C'est plus tard, avec les revenus tirés de mes activités professionnelles, que j'ai transformé ma maison telle que vous la voyez aujourd'hui. J’y habite depuis 1992. Je ne l’ai jamais quittée, même étant ministre. De 2001 à 2002, j’ai été le président du groupe parlementaire libéral et démocratique. Suite à la perte des Locales à Kaffrine, ils m'ont dégommé. Avec le recul, j'ai compris que c'était un complot orchestré par des adversaires qui se cherchaient une base politique à Kaffrine. Le président Wade m’a promu à la commission des affaires étrangères. J’y suis resté jusqu’en 2004, avant d'être élu 3e vice-président de l’Assemblée nationale. Une fois encore, j'ai été réélu député en 2007. Mandat que je n'ai pas exercé, car je devais intégrer le cabinet du président de la République en tant que ministre directeur du cabinet politique. Deux ans après, soit en 2009, j'étais obligé de partir.
Vous avez demandé à partir ou c’est le président qui a décidé de vous dégommer ?
C’est moi-même qui avais décidé de partir, après les élections locales de 2009. Notre coalition avait gagné la région de Kaffrine, mais avait perdu le commun éponyme au profit de l’opposition par un écart de 16 voix. Malgré notre supériorité et la bonne campagne que nous avons menée, nous avions perdu à cause de tiraillements politiques internes qui ont engendré des votes sanctions, afin de stopper mon ascension et se constituer en alternative. J’ai pensé que ma responsabilité était engagée et j’avais demandé au président de me décharger de mes fonctions de ministre directeur de cabinet politique. Je ressentais cette défaite comme un échec personnel et j’avais honte d’être aux côtés du président et de perdre une élection.
En politique, il y a une certaine éthique qu’il faut savoir préserver. Mais six mois après, le président m’avait encore rappelé à ses côtés pour me nommer ministre d’Etat chargé des affaires politiques. Mes adversaires ont encore commencé à créer des problèmes dans mes rapports avec le président Wade. Certains ont pensé que ma fonction de ministre d’Etat était incompatible avec celle de président de région. Alors que dans l'esprit du texte, le cumul est interdit quand la fonction ministérielle interfère avec celle de président de région. On peut comprendre qu’un ministre de la Décentralisation, de la Santé ou encore de l’Education ne puisse pas être président de région, parce que ses fonctions et prérogatives, en tant que chef de département, sont les mêmes que les domaines de compétence d'un président de région. Alors que je n’avais aucune compétence auprès du président de la République, en dehors de la gouvernance des questions strictement politiques. Là également, j’ai pensé qu’il fallait faire taire ces querelles inutiles et j’ai demandé au président de me décharger de mes fonctions pour rester président de la région de Kaffrine. Pourtant, le salaire d’un ministre d’Etat est assez substantiel, le titre est pompeux, le prestige et l’influence énormes. Mais j’ai préféré rester à Kaffrine avec ceux qui m’ont élu, pour essayer au moins de terminer le mandat qu’ils m’avaient confié. Et c’est ce que j’ai fait jusqu’en 2014. Je ne me suis pas présenté à nouveau en 2014, parce qu’on avait déjà changé le code des collectivités locales. Il n’y avait plus de régions. Je ne voulais pas me présenter pour être conseiller départemental et je ne voulais plus être candidat pour une fonction locale.
Pourquoi ce choix ?
D'abord, je ne croyais pas à la réussite de l’Acte 3 de la décentralisation tel qu'il a été formulé et je l’ai dit au président de la République. Car, pour moi, la région était l’échelle de gouvernance territoriale la plus pertinente. Le président Macky Sall a pensé casser la région pour mettre des départements. Après avoir dirigé toute la région de Kaffrine, je me voyais mal revenir pour m’occuper du simple département de Kaffrine, laissant ceux de Koungheul, Mbirkilane et Malem Hodar. Ce serait pour moi l’expression d’une boulimie politique. Aussi, je sentais au sein du parti des velléités de combat. Je me suis dit que le mieux serait que je me retire de ces combats locaux pour essayer de me concentrer sur la sauvegarde du parti. C’est cela qui a fait que j'ai plongé dans la lutte pour faire libérer Karim Wade et essayé de reconstruire le Pds au profit de plus jeunes que nous. En marge de ce noble combat, je suis redevenu Babacar Gaye qui a repris ses anciens amours : les affaires. Je fais des activités de consultance. J’ai démarré une activité d’élevage de moutons de race. Je fais de l’aviculture et d’autres petites affaires pour essayer de subvenir à mes besoins. J’ai ce défaut de vouloir toujours être indépendant des autres au plan matériel et financier.
Comment êtes-vous entré en politique ?
Je suis entré en politique très jeune. Même si au lycée je n'étais pas encarté, j’ai quand même assisté au premier congrès du Parti démocratique sénégalais (Pds) en 1976. C’était à Kaolack, devant la maison de feu Ousmane Diaw Nguissaly. Venant du lycée avec des amis, nous avons pris part à ce congrès en observateurs. A l’époque, Abdoulaye Wade était un phénomène que tout jeune aimait découvrir ou se rapprocher. J’étais là, même si je n’étais pas militant du parti. C’est après que j’ai pu me rapprocher davantage du Pds. Par contre, à l’université, j’étais sympathisant de Cheikh Anta Diop. J’ai vendu les journaux “Siggi ak taxaw’’. Par la suite, je me suis rapproché, par proximité familiale, de la Ligue démocratique, clandestine à l’époque. Abdoulaye Bathily était mon professeur d’histoire. Je passais souvent mes journées chez mon cousin feu El Hadj Babacar Cissé à Mermoz où je côtoyais l’essentiel des cadres de la Ld dont Mbaye Diack, Matar Diack, Rawane Fall. Pendant les grandes vacances, je vendais leur journal “Vérité’’ qui servait de liaison aux militants de la Ld. C’est plus tard, en prenant part aux meetings d’Abdoulaye Wade, que j’ai pu comprendre qu’il était un homme qui présentait plus d’intérêt politique pour moi. Si je ne m’abuse, mon intégration au sein du Parti démocratique, tourne aux alentours de 1979. Abdoulaye Wade nous subjuguait par son verbe et les ruptures qu’il opérait vis-à-vis de Senghor et de Cheikh Anta.
Quand l’avez-vous personnellement rencontré pour la première fois ?
C’est en 1987 que je l’ai, pour la première fois, rencontré personnellement par l’intermédiaire du journaliste Mamadou Omar Ndiaye. A l’occasion d’une finale où devait être couronnée la reine du basket. J’habitais à Castors et un de mes voisins qui connaissait Marthe Ndiaye qui devait être couronnée cette année-là, m’a demandé de lui faire un reportage photo. J’étais un semi-professionnel de la photo.
A l’Enam, c’est moi qui faisais les photos pour tous mes camarades de promotion. Je suis donc allé à cette finale. C’est là-bas que je l’ai pris en photo. Il était accompagné d’Abdoulaye Faye et d’Ousmane Ngom. Lesquelles photos ont servi à réaliser ses affiches pendant sa campagne présidentielle 1988. Après la finale, Mamadou Omar Ndiaye est venu me voir à Castors pour me dire que le président Wade souhaitait me rencontrer. On s’est vu pour la première fois dans son cabinet d’avocat à la rue Thiong. C’est ainsi qu’il a su que je n’étais pas vraiment un photographe. J'en faisais une opportunité pour arrondir mes fins du mois. Je lui ai expliqué que j’étais à l’Enam où je faisais contrôle économique. Ce jour là, il m’a demandé s’il pouvait utiliser mes photos à des fins politiques ; évidemment en m’assurant de garder anonyme mon identité. Vous savez, dans ce pays, les renseignements généraux sont très forts. Je suis sorti major de ma promotion toutes sections confondues et les gens m’ont affecté à Ziguinchor. C’est de Tivaouane que j’ai fait ce papier sur Collin.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué, lors de votre premier contact avec Wade ?
Abdoulaye Wade est un homme d’un charisme fou. Il a une aura qui ne laisse pas indifférent. Il était, à l’époque, un mythe. Il était encore fringant, avocat riche qui s’habillait toujours bien. Naturellement, il subjuguait ses interlocuteurs. Il avait une certaine clairvoyance, une capacité d’intéresser les autres à ce qu’il faisait. Avec pédagogie, Abdoulaye Wade est capable de réduire toutes les résistances, surtout pour un cadre qui le rencontre. Il a un don naturel de convaincre les gens à adhérer à sa cause. Je l’ai constaté à plusieurs reprises. Il est quelqu’un qui sait déceler très tôt chez l'individu les qualités les plus enfouies en lui. C'est un humaniste. Et son leadership est efficace. Me Abdoulaye Wade est capable de vous faire croire très rapidement que vous êtes le meilleur de toute votre génération. Il sait gonfler l’ego de ses collaborateurs. Abdoulaye Wade est maître dans cet art. C’est pourquoi les gens, souvent, s'attachent aisément à lui. Me Abdoulaye Wade sait être humble devant les gens. Il vous fait sentir que vous êtes son alter ego, même s'il lui arrive d'être au besoin autoritaire. C’est pourquoi il avait cette capacité à happer du regard tous ceux avec qui il échangeait. Il a de l’humanisme qu’il sait transférer. Je pense d’ailleurs qu’il n’y a que cela qui me retient chez lui. Ce n’est pas l’argent, mais cette capacité qu’il a à voir que je sais faire quelque chose. Il a du respect et de la considération pour ceux qui ont des arguments à faire valoir. Il n'aime pas les médiocres et les flagorneurs qu'il traite avec un mépris qu'il sait cacher.
Quel type de relation vous lie depuis votre premier contact ?
C’était d’abord une relation de méfiance. Il me l’a avoué après. J’avais déjà un véhicule quand je connaissais Me Abdoulaye Wade. Je n’étais pas parmi les plus pauvres de ses compagnons. Je n’attendais rien de lui, tant sur le côté financier que matériel. Compte tenu de ma liberté de pensée et d’action, de ma situation, les gens avaient tendance à lui dire que j’étais un policier envoyé par le pouvoir pour être un mouchard. Il m’a une fois dit : “Ici, les gens ne te font pas confiance. Ils pensent que tu nous as infiltrés.’’ C'est vrai, Me Wade, à l’époque, en dehors de quelques fidèles qui lui étaient très proches, n'avait pas de cadres autour de lui. Alors, à chaque fois qu'ils voyaient un cadre s’approcher de lui, par jalousie, ils avaient des suspicions. D'autant que ma famille était d'obédience socialiste. Cependant, cela ne l’a pas empêché de me faire confiance. Nous sommes devenus de très grands complices après. Il s’est certainement rendu compte que j’étais un tout petit peu différent des autres hommes politiques qui étaient autour de lui par mon franc-parler et la sincérité de ma collaboration. Les gens me demandaient pourquoi je parlais au président avec autant de courage. Je leur disais que s’il souhaite ma collaboration, il faut qu’il accepte ma liberté de lui dire ce que je pense.
Par loyauté, je l'ai toujours soutenu, même quand il n'a pas raison. Car c’est moi qui ai décidé d’en faire mon leader. Mais cela ne peut m’empêcher de lui dire ce que je pense, quand il me demande mon avis. On a eu des relations très franches. C’est quelqu’un qui m’a toujours consulté, quand c’est sérieux. Il disait souvent avant de prendre une décision qu’il lui faut l’avis de Gaye. Je me rappelle une fois, alors qu’Abdoulaye Wade était ministre d'État, il devait rencontrer Abdou Diouf pour discuter du processus électoral. Il y avait une forte pression de l’opposition sur le pouvoir et le président Diouf voulait négocier l’organisation d’une élection transparente. En contrepartie, l’opposition réclamait une Ceni. Me Abdoulaye Wade m’a contacté pour avoir mon avis. Je lui ai dit que Diouf n'accepterait pas cela. Etant fonctionnaire dans l'âme, Abdou Diouf n’allait jamais désavouer ses pairs qui organisaient les élections avec le ministère de l’Intérieur depuis Mathusalem. Je lui ai suggéré de lui proposer tout autre organisme qui se chargerait de superviser les élections et que l’organisation soit laissée aux fonctionnaires. Vous savez, Abdoulaye Wade, quand il veut quelque chose, il y a parfois certains qui le gonflent et lui disent “oui Maître vous êtes Dieu’’. Moi, c’est peut-être un défaut, je ne suis pas un flagorneur.
Finalement, c’est la proposition que je lui avais faite qui a été retenue. C’est ainsi qu’est né l’Onel. Abdoulaye Wade est quelqu’un qui sait écouter. Il recule s’il est convaincu de l’impertinence de l’acte qu’il veut poser. Me Wade, malgré le fait que les gens le voient comme un mythique phénomène, est un homme très sensible à la raison. Sa fragilité transparaît du fait que Me Wade n’aime pas des rapports de force qui lui sont défavorables. Il aime toujours gagner. Quand il se rend compte qu’il peut perdre, il a tendance à reculer pour mieux sauter. A chaque fois qu’il prend l’engagement ou décide de foncer, une fois que la décision est ancrée, actée, même s’il remet à d’autres échéances le rendez-vous, il le tiendra. Il est têtu. Il recule toujours pour mieux sauter, mais il ne lâche jamais sa proie.
C’est ce qui s’est passé le 23 juin ?
Le 23 juin, malheureusement, il y a eu une incompréhension terrible. Avant le 23 juin, je pense que le président Abdoulaye Wade avait été convaincu qu’il n’était pas pertinent de faire passer la loi. Il avait demandé qu’il soit sursis à son examen. Des collaborateurs zélés ont l'habitude de faire croire au chef que tout est possible. C’est pourquoi il n’a rien compris quand les gens ont voulu manifester. Il avait demandé qu’on laisse les gens manifester, puisque ceux qui souhaitaient soutenir les députés peuvent eux aussi manifester. J’avoue que beaucoup de cadres du parti étaient tenus à l'écart de l’élaboration de ce texte. Ils n’ont pas été informés. Seules quelques rares personnes qui ne sont plus aujourd’hui avec Abdoulaye Wade étaient au courant. C’est celles qui lui avaient proposé cette hérésie du quart des suffrages exprimés pour passer au premier tour. Tout de suite, les gens avaient fait le lien avec la dévolution monarchique tant décriée. En réalité, les initiateurs de ce texte étaient des éléments de la Génération du concret. Souleymane Ndéné, moi-même et d’autres avions découvert le texte écrit. Ce n’était donc pas une idée mûrie au sein du Pds, mais c’est une affaire qui a été fabriquée dans des officines périphériques du Pds. Malheureusement, quand les choses ont commencé à dégénérer à l’Assemblée nationale, je n’étais plus député. Je n’étais non plus au cabinet. Mais j’ai essayé d’expliquer l’impertinence de cette séance à travers les médias. Heureusement qu’il y avait des députés conscients comme Moussa Sy. Ils ont demandé que le texte soit retiré. Quand il y a eu les casses, le président n’a pas compris, parce que pour lui, il était clair que le texte ne devait pas être examiné, si sa propre majorité n'était pas convaincue. C’était déjà trop tard. J’avoue que je ne comprends jusqu'à présent pas pourquoi ce projet de modification de la Constitution a été élaboré. A l’époque, je disais d’ailleurs à l’opposition que si vous pensez qu’Abdoulaye Wade a fait ça pour gagner au premier tour avec 25 % des suffrages exprimés, c'est que vous êtes d'une rare malhonnêteté politique. Il vous suffit de faire bloc et de réunir 35 % des votes pour le battre.
L’opposition réunie pouvait faire 35 % ou plus au premier tour. Mais derrière, avec ce ticket, on l’accusait de vouloir faire de la dévolution monarchique. Honnêtement, je n’y croyais pas. Malheureusement, aujourd'hui, la crise au Pds donne raison à ses détracteurs. A y voir de près, on a l’impression que le président Abdoulaye Wade tient maintenant à ce que Karim Wade lui succède au sein du Parti démocratique sénégalais. Avait-il la même volonté pour l’Etat du Sénégal ? Je donne ma langue au chat. Je n’ai pas de réponse. Si je l’avais, je l’aurais partagée franchement avec vous. Pendant que j'étais au cabinet, Abdoulaye Wade et moi n'avions jamais parlé de dévolution monarchique. Pourtant, je lui ai posé la question une première fois, quand il m’a nommé ministre, directeur du cabinet politique. Je lui ai demandé ce qu'il attendait de moi. La deuxième fois, je lui ai directement posé la question en lui demandant s’il pensait que je devrais aider Karim Wade à mettre le pied à l’étrier. Il m’a répondu : “Karim n’est pas un politicien.’
Comment appréciez-vous le dernier réaménagement au Pds ?
Je le réprouve, parce qu’il ne procède pas d’une volonté de bien faire. On a l’impression qu’on est en train de transférer le parti de son lieu naturel, c’est-à-dire du pouvoir qui était organisé autour d’Abdoulaye Wade et ses collaborateurs, vers un autre centre d’influence où il y aura Karim Wade et son groupe, ses anciens amis de la Génération du concret. C’est la seule motivation. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi on tente d'écarter les principaux responsables historiques qui ont été les animateurs du parti depuis 2012. La quasi-totalité des principaux cadres et responsables étant partis, les uns sont allés vers Macky Sall, d’autres ont créé leurs propres partis politiques, ceux qui sont restés et qui ont fait preuve de loyauté dans un engagement sans commune mesure, oubliant leurs propres ambitions, n’ayant de préoccupation que la libération de Karim et sa promotion politique, méritent respect et reconnaissance des efforts qu'ils ont fournis. Si aujourd’hui on décide de les balayer au profit de personnes inexpérimentées au plan politique et qui n’ont comme faits d’armes que l’amitié qui les lie à Karim Wade, il y a un problème d'éthique. Sous le sceau de l'alternance générationnelle, on veut mettre les jeunes en orbite. Mais, en réalité, il s’agit d’enterrer scandaleusement ceux qui ont prouvé qu’ils étaient capables de rester loyaux et qui ont pu tout faire pour faire libérer Karim Wade, en faire un candidat, l’accompagner, le faire exister, lui donner de l’épaisseur politique et un statut qu'il n'aurait jamais pu construire. Je pense que ce n’est pas une bonne manière de récompenser les derniers mohicans. Ça, c’est sur le plan moral. Dans le fond, il y a une entorse dans l'application des statuts du parti. Les décisions prises ne sont pas conformes aux statuts du parti. Certes, le président Abdoulaye Wade a, seul, le pouvoir de nommer les secrétaires nationaux, mais il ne peut pas en nommer plus de 50. Il ne peut nommer qu’entre 25 et 50 secrétaires nationaux. En vertu de l'article 23 de nos statuts, le secrétaire général peut nommer un secrétaire général national adjoint ou un coordonnateur général du Parti. C’est écrit noir sur blanc. Me Abdoulaye Wade a nommé 11 secrétaires généraux nationaux adjoints, violant les dispositions statutaires. Aucun texte ne le lui permet.
Pis, il a nommé plus de 250 secrétaires nationaux. Or, l’article 21 de notre règlement dit que le Secrétariat national est composé de 25 membres, au plus 50. Ce sont des manquements irréfutables. Le président Wade doit savoir que l’article 32 ne lui permet pas de changer la configuration des statuts, car on ne peut pas changer les statuts en dehors d’un congrès. Il y a une illégalité dans l’acte posé par le président Abdoulaye Wade. On n’en comprend même pas la motivation. Il prend cette décision au moment où on devrait faire le bilan de notre non-participation à la dernière Présidentielle, au moment où notre candidat, après avoir annoncé partout qu’il rentrerait au Sénégal, se terre toujours au Qatar sans rien nous dire, sans échanger avec les gens qui l’ont soutenu depuis plus de 7 ans, au moment où on refuse que le Comité directeur se réunisse, au moment où on refuse que les gens fassent une tournée d’explications surtout pour faire revenir tous ces militants qui avaient participé à la Présidentielle en dépit du boycott actif qui a été décrété par Me Wade. Au lieu de tout cela, on nous sort une décision inopportune pour parler de réforme du parti et mettre les jeunes en avant. En réalité, ils veulent écarter les responsables du parti, mettre en place des structures contrôlées par les “karimistes’’, vendre les cartes dans un schéma où eux-mêmes seraient à la fois juge et partie, et ensuite dégager tous ceux qui ne seraient pas favorables à Karim Wade afin de lui donner ce qui restera du parti. C’est légitime pour Karim de prétendre diriger le parti. Mais il faut qu’il le fasse dans les règles de l’art. Voilà pourquoi j’avais dit non. Je reste dans le Pds parce que je suis un militant. Je travaillerai davantage à conscientiser les responsables et les autres militants qui n’ont pas encore compris ce qui se prépare. Nous allons, ensemble, nous battre aussi longtemps que possible pour que les choses aillent mieux. Je pense qu’il est bon que les gens puissent se retrouver autour de l’essentiel, un cadre consensuel, inclusif où on travaillerait à proposer aux militants un parti nouveau tel que nous le pensons. D'abord, il faut repenser le parti, le réformer, actualiser notre offre politique à travers un nouveau programme fondamental. Ensuite, il est incontournable de mettre en place un comité chargé de la réforme du parti, quitte à ce qu’il soit chargé de la vente des cartes après, des renouvellements, etc. L’essentiel est que tout se fasse dans la transparence et l'exclusivité pour que le meilleur gagne. Si Karim gagne ou un autre prétendant, tant mieux. Par contre, on a l’impression que le président Wade veut léguer le parti à Karim Wade parce que simplement, comme disent-ils, c’est en lui qu’il a confiance, comme si le parti lui appartenait.
Avez-vous discuté de cela avec lui avant ?
Personnellement, j’ai passé deux jours à Doha. Nous avons profondément discuté de toutes les questions de stratégie et de réforme. A ma grande surprise, depuis que j’ai quitté Doha, c'est le black-out total. Je n’ai plus eu de nouvelles du président. Karim Wade ne me parlait plus. Le président Wade ne me consultait plus. Il arrive à Dakar pour me balancer à la figure, lors de notre dernier Comité directeur : “Mais tu es là ! Il paraît que tu es parti.” Il semblait étonné de me voir à cette réunion. Il a commencé à dire : “On m’avait dit que tu étais parti. Où est Omar Sarr, Omar Sarr ?’’ Il se tourne alors et tombe sur Mayoro et lui dit : “Mayoro, on ne m’avait pas dit que Babacar Gaye était parti ?’’ Mayoro lui répond : “Monsieur le Président, qui vous l’a dit ?’’ Et Wade lui rétorque : “Ok, ce n’est pas grave. Comme il est là, ça va.’’ Je suis resté zen. Je n’ai pas répondu pendant tout le temps qu’il parlait. C’est en ce moment que j’ai compris que quelque chose s’était passée ou était en train de se passer. On ne s’est pas vu jusqu’à ce qu’il m’enlève du poste de porte-parole pour nommer Me Sall qui, apparemment, ne leur a pas donné satisfaction. Ils ont décidé de l’enlever, d'exclure Omar Sarr du Secrétariat national. Il me rétrograde. Alors, nous nous sommes dit que ces gens là sont en train de s’organiser pour nous écarter et qu'il fallait le refuser. C’est ainsi qu’est née l’Alliance Suxali Sopp.
Comment avez-vous vécu votre éviction du poste de porte-parole ?
Cela ne m’a rien fait. Au contraire, j’ai dit “Alhamdoulilah’’ (Dieu soit loué). Il est difficile d’être porteparole du Pds, surtout de Me Abdoulaye Wade. Un homme comme moi, attaché à sa liberté de pensée et d'action, ne peut pas se contenter de transmettre les désirs d’un quelqu’un. J’ai mon opinion sur la marche du pays. J’ai des idées à défendre. Je préfère être libre de défendre mes opinions et de faire des propositions que de s'honorer d'être la “voix de son maître”. C’est pour cela que j’étais heureux, quand on m’a enlevé du poste de porte-parole. D'autant que cela n'avait aucune signification pour moi. Car, depuis le 25 août 2016, j’avais déjà démissionné de cette fonction et de celle de secrétaire national à l'orientation, aux stratégies, chargé des reformes, par courrier adressé au secrétaire national du parti. C’est Karim Wade en personne qui m'a supplié de ne pas rendre publique la lettre. J’avais démissionné parce que je n’étais pas satisfait de la manière dont les choses se passaient. J’avais surtout rendu mes fonctions de secrétaire national chargé de l’orientation, des stratégies et des réformes parce que je savais que si on ne réfléchissait pas sur les réformes et changer les manières de faire du parti, on risquerait de disparaître. Je ne voulais pas être tenu personnellement responsable d'un échec que je voyais pointer du nez. Aujourd'hui, s’il décide de m’enlever de ce poste sur insistance de Karim qui préférait que l'on me renvoie du Pds, c’est comme s’il me soulage. Il n’empêche que je m’opposerai à l’illégalité et à l’inopportunité de cette décision. Voilà pourquoi je suis dans ce groupe au sein du parti pour essayer de faire bouger les choses. Certains me diront que dans un passé récent, je n'étais pas d’accord avec Oumar Sarr et Me Sall. C’est vrai. Mais notre désaccord se justifiait à cause de leur passivité face aux agissements de Karim Wade et ses hommes dans le parti. Certainement, ils avaient des griefs contre moi. Mais aujourd’hui, tout le monde se rend compte que j’avais raison sur ce point et ce que je redoutais est arrivé. Karim Wade et les “karimistes’’ sont en train de tenter une Opa sur le parti. Ce parti qui est nôtre. Je ne peux pas comprendre que des gens qui n’ont pas la carte du Parti démocratique sénégalais puissent être nommés à des hautes fonctions avec des responsabilités de management, coiffant, commandant des généraux qui sont responsables de fédération ou de section. Cela signifierait qu’au Pds on n’a pas besoin de mérite politique ou de représentativité. Il suffit juste d’être l’ami de Karim Wade, avoir sa confiance pour occuper des postes hiérarchiquement au-dessus de ceux qui ont blanchi sous le harnais. C’est inacceptable.
Jusqu’où comptez-vous aller dans ce combat ?
Lutter, lutter, toujours lutter jusqu’à ce que nous ayons gain de cause. Nous pensons que le président Abdoulaye Wade est un homme raisonnable. S’il ne l’était pas jusqu’à présent, il est le temps qu’il le devienne. Il doit savoir qu’il est un homme historique. On l’a connu démocrate. Il a promu la démocratie, les Droits de l’homme, la liberté d’expression, etc. Il a fait ce qu'aucun président n'a fait dans ce pays et en Afrique. Il ne faut pas que cet homme-là, à la fin de sa vie, soit perçu comme celui qui piétine les valeurs pour lesquelles nous l’avons suivi. Nous estimons et espérons aussi qu’il arrivera un moment où il se ressaisira et comprendra qu’il n’a pas le droit de brûler notre héritage, le patrimoine de tout un peuple, pour les caprices de Karim Wade. Il ne faudrait pas non plus que le Pds soit perçu comme un parti où le pouvoir se transfère par nomination. On ne veut pas que l’opinion nationale sénégalaise pense que pour avoir une place au Pds, il faut avoir une relation sanguine ou d'amitié avec les chefs. J’estime que ce n’est pas normal. Me Abdoulaye Wade mérite mieux et plus que ça. Nous nous battrons pour “sauver le soldat Abdoulaye Wade’’, pour que son héritage puisse être préservé. Cet héritage est le nôtre. Karim Wade peut hériter de la maison de Point E, récupérer les biens de ses parents, prendre le foncier qui leur appartient, mettre la main sur leurs comptes bancaires, le cas échéant. Mais qu'il accepte de partager démocratiquement avec nous notre bien commun : le Parti démocratique sénégalais. C’est un héritage commun à tous les libéraux.
Au cas où Wade déciderait d’organiser un congrès et de mettre son fils, qu’allez-vous faire ?
A chaque jour suffit sa peine. Nous apprécierons et verrons quels seront les actes qu'ils poseront. Nous nous battrons à l’intérieur du parti. Ce n’est pas parce que la cause semble être perdue qu’il ne faille pas entreprendre de lui trouver une solution. Nous allons nous battre.
Y a-t-il des possibilités de mettre un autre parti sur pied ?
L’Alliance Suxali Soppi va se mouvoir à l’intérieur du Pds comme le faisait la Génération du concret, comme semble vouloir le faire la Génération And Doxal de Bara Gaye. Ensemble, chacun ira puiser dans notre vivier. Nous allons faire nos propositions, et si besoin en était, présenter une motion au prochain Congrès. J’espère qu’ils nous permettront au moins d’acheter nos cartes, d’avoir nos bases, de développer nos idées et d’aller en congrès. Si nous sommes battus à la régulière, en bon démocrates, nous le reconnaitrons. Mais nous serons exigeants pour que les choses se fassent dans les règles de l’art. On n’acceptera pas une mascarade dans les renouvellements. Nous réclamons une commission paritaire où toutes les sensibilités du parti sont intégrées afin de voir ensemble comment vendre les cartes, renouveler dans la transparence afin que le meilleur gagne. Karim Wade n’est pas encore rentré, mais ça c'est de sa responsabilité personnelle. La fin de son exil à Doha ne dépend que de sa volonté de venir se battre comme tout le monde sur le terrain et affronter Macky et son système. Personne ne lui impose un séjour à Doha d'autant qu'il est libre de ses mouvements. Je suis allé à Doha et je l’ai vu. S’il ne vient pas au Sénégal, c’est qu’il y a des choses qu’il redoute et qui lui sont personnelles. Pour nous, le parti a besoin d’avoir tous ses hommes ensemble pour discuter des modalités de sa réforme avant d'aller à des renouvellements. Il ne faut jamais favoriser des scissions parce qu’à chaque fois qu’il y en, les bannis ont tendance à aller grossir les rangs de nos adversaires. Il existera toujours des gens qui ne voudront pas être esseulés au plan politique. S'ils le sont, ils sont capables d’aller rejoindre l’adversaire. Il y en a peut-être qui ne le feront jamais. Mais je ne peux pas garantir que tout le monde acceptera, sans riposte, le sort que l'autre camp veut leur réserver. Il n’y a que ceux qui vivent des frustrations qui savent pourquoi et quand ils décident d’aller rejoindre Macky Sall.
Certains disent que vous allez rejoindre Macky Sall…
Nous mènerons le combat au sein du Pds. Nous voulons gagner le combat de la reconstruction des valeurs libérales et sociales. Suxali Soppi souhaite que notre parti survive à cette crise et qu’il fasse face à Macky Sall dans le futur. Nous ne sommes pas dans une perspective de quitter notre parti pour rejoindre Macky Sall comme ils le font croire à des fins de propagande.
Quels sont vos rapports avec Macky Sall ?
Ils sont très bons. Nos rapports personnels ne sont pas exécrables. Nous n’avons aucun problème personnel. Le seul désaccord majeur que j’ai avec lui procède de son désir et de sa volonté d’utiliser les moyens du pouvoir pour combattre notre parti et Me Wade qu'il a cherché à présenter comme un vulgaire voleur de tapis, de véhicules, de je ne sais quoi encore. Il a emprisonné pas mal de nos responsables et militants. Il a restreint pendant des années la liberté d'aller et de venir de quelques-uns de nos frères. Rien ne m’oppose à lui du point de vue orientation idéologique. Même si, par moment, je ne partage pas sa gouvernance politique, économique et financière. Si on se voyait, on se serait salué chaleureusement. On s’embrasserait sûrement. Ça ne m'aurait pas gêné outre mesure. Il a ses convictions, j’ai les miennes. Je n’ai aucun problème avec le président Macky Sall. Je le dis en toute liberté. Mes problèmes avec lui procèdent de ses rapports avec la famille Wade que j'ai soutenue par devoir.
Si vous n’avez aucune opposition idéologique, rien ne vous empêche donc d’aller soutenir le président.
Tant que je suis au Pds, cela ne fait pas partie de mes projets. Mais je n’insulte jamais l’avenir. Je le dis parce que le président Abdoulaye Wade a lui-même pensé à un moment qu’il fallait que la famille libérale se retrouve au sein d’un large front de coopération politique pour faire face aux socialistes. C’est une hypothèse qu’il ne faut pas écarter dans le contexte actuel où émergent des forces avec lesquelles nous n'avons pas la même orientation idéologique. Comme me le dit souvent un ami, ce pays a besoin d'une convergence des intelligences. Au demeurant, je fais de la politique avec l’éthique qu’il faut. Il est évident que je ne trahirai jamais. Par contre, quand les intérêts vitaux de la nation sont en péril, je ne peux pas me dérober de mes responsabilités. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais je n’ai pas de projet politique allant dans le sens de quitter le Pds pour aller aux côtés de Macky Sall. Si on me pousse en dehors du Pds, ma famille politique, je me mets au service de la République. Que personne ne vienne me dire : “Babacar Gaye, ne t'en va pas.” Non ! En homme responsable et libéré de toute contrainte morale, je verrai ce que j'aurais à faire. Je n’ai d'engagement avec personne, si ce n'est ma conscience.
Quelles sont vos distractions ?
(Il pointe du doigt sa bibliothèque remplie) Ma première distraction est la lecture. La deuxième est de sortir écouter Pape et Cheikh. C’est mon groupe mythique. Ce sont mes amis avec qui je danse. Comme autres hobbies, j’ai recommencé à jouer au scrabble. Je signale qu'en 1988, j’étais champion de l’Enam. Depuis quelques mois, j’ai repris et je me rends compte que j'ai toujours gardé la bonne technique. Enfin, je suis en train de rédiger mes mémoires. Je lis un peu de tout. J’ai des livres écrits par Me Abdoulaye Wade, des livres sur Mandela, Mitterrand, Sarkozy, etc. J'ai aussi dans ma bibliothèque beaucoup de livres écrits par des journalistes et par de célèbres chroniqueurs comme Attali et Jean Daniel. J’ai ici des thèses qui m'ont été offertes par des amis. C’est un petit livre de Confucius qui me sert de livre de chevet. “L’art de la guerre’’ de Sun Tzu est un bouquin qui m’a marqué. Je le relis souvent d’ailleurs.
Quel type de père et de mari êtes-vous ?
Je suis monogame de fait. Je pense être bien avec ma famille. Il n’y a pas de relations tendues, même si je suis un peu dure, semble-t-il. Il parait que je ne communique pas aussi bien avec eux. Il n’empêche qu’on est bien quand même. Si je me réfère aux appréciations de leur mère, à leurs réactions quand je traverse des crises politiques, je me rends compte que ce sont des personnes très attachantes et qui sont conscientes de ce que leur père représente dans ce pays. Si je suis fort, c’est grâce à ma famille. Ma femme n’est pas exigeante en termes de bien matériel. Au contraire, elle a tendance à me reprocher d’être trop dépensier, surtout pour mes enfants. Elle a une vie entièrement remplie de piété et de spiritualité. C'est mon marabout. Mes enfants aussi ne sont pas très exigeants. Je me rappelle la première fois que j’ai démissionné, ma fille ainée était en France. Elle m’a appelé pour me dire que c’était, pour elle, le seul acte que je devais poser et que cela lui faisait plaisir. Il est rare de voir des gens qui réagissent comme ça. Quand on quitte une fonction politique importante, les personnes qui sont autour de nous sont souvent malheureuses. Ici, ils étaient tous fiers de me voir dire non. C’est en ces périodes qu’ils me voient davantage et peuvent échanger avec moi. De 2001 à 2007, chacun des membres de ma famille avait un passeport qui aurait pu leur ouvrir les aéroports du monde entier. Un jour, à ma descente, je retrouve tous les passeports sur le lit. J’ai demandé à mon épouse la raison de cet acte. Elle m’a répondu que comme cela ne leur servait à rien, pourquoi ne pas les retourner. Je venais de me rendre compte qu'en dehors des plus grands qui poursuivaient leurs études en Europe, les plus jeunes n’avaient jamais voyagé. Je ne pensais même pas à leur offrir des vacances tant j'étais absorbé par les activités politiques. Je décidais alors de les envoyer au Maroc sur invitation d’un ami qui m’avait aidé en les recevant. Ils y ont fait un accident qui a failli coûter la vie à ma toute dernière fille. Elle était encore toute petite. Ma famille se suffit du peu qu’elle a. Mon épouse ne me pose pas de problème. Quand je veux sortir, elle est heureuse de me prêter sa voiture, car présentement je n'en dispose pas une en bon état de marche. C’est la sienne que je conduis. Elle est une secrétaire de direction à la retraite. Souvent, c’est elle qui prépare encore mes repas, alors que mes enfants et mes nièces vivent avec nous sous le même toit. Pour vous dire qu’on est une famille simple, très unie. Je loge dans cette maison depuis 1992 et je n’ai jamais déménagé. Il n’y a jamais eu de gendarme devant chez moi pour nous garder, même quand j'étais ministre d’Etat. Arrivé au pouvoir, rien n’avait changé dans notre quotidien. Quand on a perdu le pouvoir, on a continué à vivre comme on vivait avant. Ma famille est mon socle. Quand je n’ai rien dans mes poches, je n’ai pas peur de revenir chez moi. Ici, on ne me reproche pas de n’avoir pas telle chose ou telle autre chose.
PAR BASSIROU SAKHO
ECOLE, LE MAL ETRE DES ENSEIGNANTS
''On mesure ainsi, très mal, la souffrance au travail des enseignants, en première ligne, souvent agressés et dont la patience et la pédagogie, héroïques, ne semblent guère suffisantes.''
L'enseignement est-il encore un noble métier en France ? Il y a des raisons d’en douter. S'il y'a une vocation qui n'est plus du tout attractive aujourd'hui, c'est bien le métier de professeur.
De ma courte expérienceprofessionnelle à l’académie de Créteil,depuis bientôt six ans, j'ai vu le métier se dégrader. Et rien ne semble fait pour enrayer la déperdition. Je pourrais résumer mon expérience en plusieurs points.
J'ai d’abord remarqué une lassitude chez beaucoup de mes collègues, une fatigue morale et psychologique. Ils sont aussi affaiblis par le manque de moyens et surtout d'autorité face aux élèves.
Cette difficulté s’exprime par la gestion d’élèves de plus en plus violents (violence verbale parfois physique).
Des éléments d’abord marginaux qui finissent par contaminer toute la classe. L’atmosphère de transmission devient ainsi une atmosphère de défiance, où l’essentiel, à savoir le partage des connaissances est relégué devant les problématiques d’ordre, de calme et de sérénité nécessaires que les personnels ont à gérer.
Affecté dans les zones sensibles, j’ai pu noter qu’une bonne part des jeunes de banlieues ont du mal à s’accommoder avec l'école comme institution.
Un ressort s’est cassé dans la relation. Il y a dès lors un rapport faussé qui transforme les personnels en témoins impuissants face aux actes d’incivilités, à la rébellion des élèves. Si des études ont pu montrer que les conditions sociales et économique, la relégation, ont joué un rôle dans cette désaffection pour l’école qu’expriment les jeunes, il est aussi à noter que d’autres problèmes simples comme le respect de la hiérarchie sont une composante majeure du problème.
Le témoignage des collègues est à ce titre éloquent. Il résume le malaise qui gagne le corps professoral. Plusieurs fois, ai-je entendu, les confidences de mes collègues, confiant qu'ils souhaiteraient changer de métier ou se reconvertir. Ceci est d’autant plus préoccupant, que pour beaucoup, le choix de cette profession était essentiellement motivé par la passion.
On mesure ainsi, très mal, la souffrance au travail des enseignants, en première ligne, souvent agressés et dont la patience et la pédagogie, héroïques, ne semblent guère suffisantes. Mais plus encore, les enseignants souffrent beaucoup du fait que leur métier semble de plus en plus dévalorisé, plus protégé comme il se doit. Le débat a toujours eu lieu sur cette perception. Sentiment ou réalité? On pourrait s’accorder pour constater que les conditions de travail de sont pas du tout motivantes et l’absence de perspectives encourageantes, contribue au sentiment de résignation qui monte.
A échelle personnelle, j'ai essayé de comprendre les raisons de cette violence contre l'école à travers ses valeurs fondamentales remises en cause, l'autorité bafouée, la discipline souvent piétiné. Si le fait n’englobe pas tous les élèves, il frappe assez d’élèves pour rendre les cours épuisants moralement, et parfois risqués pour l’intégrité des professeurs.
Il faudra assurément ouvrir des concertations de grande ampleur pour situer, les responsabilités, toutes les responsabilités : celles qui sont partagées entre l'Institution, les Familles et les Elèves. Aller au-delà, sans procès d’intention, et évaluer la part fautive qui revient l'État qui échoue avec ses réformes, les parents qui démissionnent dans l'éducation desenfants... Il est à ce prix, c’est-à-dire, la tenue d’un dialogue franc et sans concession sur tous les tabous de l’école, pour éviter qu’on se dirige tous vers une impasse. La situation est urgente.
Ayant la chance d’avoir une double culture, je suis familier de certaines traditions que peuvent partager certains élèves de banlieues issus de l’immigration. Certains parents déboussolés, n’arrivent plus à gérer leurs enfants. Ce qui tend la situation car les enfants perdent les repères essentiels à leur formation. Les enseignants doivent ainsi palier à ce déficit, sans être suffisamment armés.
Se greffent à ces problèmes, l’attitude parfois insouciante, et perturbatrice d’élèves, qui sont dans la totale défiance, avec un environnement, hors de l’école, qui favorise cette gangrène.
J’en veux pour preuve une anecdote récente : lors d’une réunion, parents d'élèves / enseignants, j'ai dit à un de mes collègues proviseur, que la notion d’autorité a été mal ajustée et mise à mal par beaucoup de renonciation. En donnant beaucoup de droits aux élèves, on est tombé dans le piège qui fait que les enseignants n’ont plus aucune autorité et les élèves ne manquent pas d’en abuser.
L'institution est par conséquent trop exigeante avec ses enseignants et trop complaisante avec les élèves. En centralisant les reproches sur les enseignants, l’Etat faillit à situer toutes les responsabilités et alourdit la barque des professeurs, déjà débordés. Cela va parfois jusqu’à s’incarner à une mise à l’index des enseignants, pointés du doigts et accusés pour tous les problèmes.
Quand les collègues craquent, il leur est reproché d’office, de ne savoir « gérer leurs classes ». Quand ils renvoient de leurs cours des éléments perturbateurs, la hiérarchie leur reproche leur déficit de mansuétude, ainsi de suite.
La conséquence logique, et on le perçoit, ce sont plusieurs cas de souffrances au travail, de stress, de découragement. Le burn out est fréquent chez les collèguess. Ils sont, du reste, isolés et leur passion s’éteint à petit feu. Même si de façade, ils semblent donner un visage avenant est correcte, bon nombre d'entre-nous refuse simplement communiquer par peur d'être stigmatiser ou d'être considérés comme incompétent.
Cette comédie pour faire bonne figure, est insupportable à la longue. Il est temps d’écouter le mal être des professeurs et de proposer des solutions concrètes pour le comprendre. J’ai en mémoire le mot d’un collègue à mes tout débuts dans le métier, qui m'avait dit pour me prévenir : "Si j'ai un conseil à te donner, c'est de faire l'hypocrite comme tout le monde » L'éducation nationale en France de nos jours tend à prendre ce visage affreux du fatalisme! Une frange de nos collègues, surtout, contractuels, est laissée pour compte.
Malgré les difficultés, beaucoup de d'enseignants se battent pour améliorer les choses. Ils ne demandent que du soutien et n’abdiquent pas leur rôle et leur mission. IL faut ouvrer à redonner à ce métier son éclat et sa valeur. C’est notre beau sacerdoce et notre espoir. Nous espérons que l’éducation nationale l’entendra et agira.