Dans la ville aux-deux-gares, les ménages qui se déchirent devant le juge des familles se comptent par centaines. Au tribunal départemental de Thiès où on note en moyenne 60 divorces par mois tout comme au tribunal ecclésiastique du Diocèse de Thiès, les couples s’y bousculent pour se séparer au motif de multiples causes liées à l’incompatibilité d’humeur, la stérilité, l’abandon de la famille, les violences et sévices conjugales, le défaut d’entretien entre autres…
Diakhou Ndoye affiche des dents d’une blancheur étincelante. Elle essaie de forcer le sourire. Malgré elle. Son attitude cache mal son amertume. Tout près d’elle, un homme, la cinquantaine sonnée, implore son pardon. Il est indifférent aux paires d’yeux braqués sur lui. Sans gêne. Il se tourne et supplie l’avocat de son épouse. Debout comme un piquet dans la cour du tribunal de grande instance de Thiès, la dame, inflexible, feint même d’ignorer son mari qui tente une dernière fois de la dissuader de divorcer. Celle-ci attend juste d’entrer dans la Chambre du conseil pour faire face au juge des familles pour son procès en divorce. Perchée sur ses 35 berges, Diakhou n’a pas connu les bonheurs du ménage.
Son mariage n’a duré que le temps d’une rose. Agent commercial, elle avait connu cet homme qui l’avait aussitôt épousée trois mois après leur rencontre. Puisque son prétendant n’avait pas des ressources financières stables, Diakhou va même contribuer pour 100.000F CFA à la célébration de son propre mariage. Pour avoir connu plusieurs déceptions, elle avait sauté sur la première demande de mariage. Comme si elle portait les signes du bonheur, son époux fut finalement embauché au sein de l’entreprise où il a travaillé comme journalier pendant des années. Mais 6 mois plus tard, celui-ci décide de prendre une seconde femme. Ainsi, commence le calvaire de Diakhou qui n’a plus revu son époux. Ulcérée par cette trahison, elle a demandé le divorce surtout que son mari ne l’a jamais entretenue après avoir consommé leur mariage. Elle a découvert sur le tard que celui-ci a divorcé à trois reprises. Diakhou partage son infortune avec d’autres femmes avec qui elle s’est liée d’amitié à force de les rencontrer au tribunal. Ils sont d’ailleurs nombreux ces couples qui se déchirent au tribunal pour un divorce par consentement mutuel (Dcm) ou par contentieux.
300 cas de divorces prononcés en 7 mois
Du 9 janvier au 27 juillet 2019, 128 cas de divorce par consentement mutuel ont été prononcés au tribunal départemental de Thiès. Et du 9 juillet au 24 juillet, 150 cas de divorce par contentieux ont été notifiés. Fatou Diop qui a connu déjà deux divorces est dans le lot. Le corps moulé dans un pantalon Jean de couleur bleu foncé assorti d’une chemise blanche, elle donne l’air d’une femme qui s’accommode difficilement à la vie de couple. Frustrée et déçue, elle donne toujours le tort aux hommes qui montrent tardivement leur vrai visage. Elle pense que les hommes qui promettent monts et merveilles avant le mariage sont souvent de beaux parleurs. Femme d’affaires, elle vient de se séparer de son mari, un homme politique connu mais qui, malheureusement, n’a cessé de l’abreuver de mensonges. Fatou déteste les hommes qui cherchent par des calculs à s’accrocher aux basques des femmes aisées.
Très sollicité pour des cas de divorce, Me Oumar Faty, avocat à la Cour, regrette le nombre élevé de divorces au niveau du Tribunal de Thiès. Il est d’avis que les couples sont conscients, aujourd’hui, que le divorce coutumier ou religieux n’est pas en réalité un divorce effectif. Car pour se séparer, il faut un certificat de divorce que seul le juge des familles peut prononcer suite à une procédure enclenchée. Quand une personne introduit une demande de divorce, la loi donne d’abord l’obligation au juge des familles d’essayer de concilier les parties sans la présence de leurs avocats. Si les parties ne tombent pas d’accord, il produit une ordonnance de non conciliation. Il peut instruire les époux à arrondir les angles pour un divorce par consentement mutuel. S’ils acceptent, il ne fera qu’homologuer la décision prise par les conjoints. En revanche, pour le divorce par contentieux, le juge est obligé de voir les motifs pour lesquels le couple veut divorcer. Les principales causes de divorce sont l’incompatibilité d’humeur, le défaut d’entretien, l’abandon du domicile conjugal, la stérilité, la maladie incurable, la condamnation à une peine inféodée. Me Faty précise que l’incompatibilité d’humeur est un motif très vague et imprécis. «C’est un motif fourre-tout. Si le juge ne parvient pas à avoir tous les éléments lui permettant de prononcer le divorce, il peut retenir ce motif.
Très souvent, le couple ne s’entend pas. Ce sont des querelles, des mésententes», confie-t-il. C’est d’ailleurs ce motif que le juge a retenu pour Diakhou Ndoye et le défaut d’entretien pour Fatou Diop. Me Faty note qu’il revient à l’époux d’entretenir sa famille quelles que soient les sources de revenus de son épouse. Mais aujourd’hui, avec la situation économique difficile, l’avocat pense que l’homme peut avoir des difficultés à entretenir sa famille surtout s’il n’a pas un travail décent. D’autres abandonnent leur domicile conjugal pour des raisons diverses. Pour rien, la femme qui n’attend rien de son mari peut le renvoyer si c’est l’homme qui a rejoint son domicile. Si c’est le contraire, l’époux peut aussi dire à son épouse : « prend tes bagages et quitte ma maison ».Si la femme n’est pas bien éveillée, elle peut quitter le domicile. Et entre temps, l’époux trouve un huissier pour faire constater que sa femme a disparu en emportant ses affaires. Pour lui, c’est une sorte de piège.
Divorcé après 30 ans de vie en couple
De ce fait, les femmes averties ne partent jamais si elles savent que seul le juge est habilité à la faire quitter le domicile conjugal. La femme peut aussi volontairement quitter parce qu’elle a des problèmes avec son époux ou avec les autres membres de sa belle-famille. Certaines belles-mères ou belles-sœurs ont des relations heurtées avec les épouses de leurs fils ou de leurs frères. Khady Fall, qui n’a pas pu enfanter, victime de violences conjugales et souvent d’injures graves, a décidé de quitter son mari parce qu’elle ne supporte plus ses crises de colère. Me Oumar Faty garde encore en mémoire le divorce d’une de ses clientes après 30 ans de mariage. «Pendant des années, les époux se sont résignés. Il a fallu une petite goutte d’eau pour faire déborder le vase. A un certain âge, la femme ne veut pas divorcer à cause des enfants. Finalement, elle n’en pouvait plus des disputes et des tensions familiales. Elle a fini par craquer», argue-t-il. Souvent aussi, certaines femmes introduisent des demandes de contribution aux charges du mariage auprès du juge. Ce qui révolte les hommes qui finissent par demander le divorce. Trouvé à son domicile dans la cité du rail, Pr Djiby Diakhaté, sociologue, se prépare à conduire sa nièce qui doit rejoindre le domicile de son mari à Keur Massar à Dakar. Il est très content de tout le cérémonial qui a escorté le mariage de sa nièce. «Dans nos traditions, on dit que le mariage, c’est comme un verre avec beaucoup de piments à l’intérieur et du miel au sommet. Il faut donc travailler à ce que les femmes donnent des modèles à leurs enfants. Il faut aussi travailler sur les contenus télévisuels en présentant des femmes et des hommes engagés dans la vie matrimoniale. Les jeunes couples ont besoin d’être accompagnés. On doit se marier sur la base de valeurs et de l’amour. C’est largement suffisant pour avoir une vie matrimoniale stable », dira-t-il. Mieux, il pense que les conjoints doivent être présents lors des rituels à la mosquée et à l’église pour écouter les sermons. «Quand les imans et les évêques parlent, les conjoints sont à la maison et attendent, alors que les messages leur sont destinés», souligne-t-il. Il recommande une éducation aux réseaux sociaux qui font que beaucoup de couples ont des problèmes. «La femme a tendance à lire les sms de son mari. On utilise le téléphone portable à des fins de destruction. Enracinement et ouverture. C’est Youssou Ndour qui chante qu’il faut aller vers le baobab avec nos instruments. Si on regarde le rituel qui accompagne le mariage, envelopper la mariée d’un pagne, cela se fait dans la cour de la maison et non dans une chambre. C’est une façon de lui dire que tu n’as plus de place dans la chambre. Après, on lui donne du mil qu’elle doit prendre entre ses mains. C’est une façon de lui dire que nous souhaitons qu’il y ait l’abondance dans ta vie de couple, la réussite des enfants. Ces choses sont en train de disparaitre. Aujourd’hui, la femme rejoint directement le domicile conjugal », déplore-t-il. Les divorces constituent ainsi un véritable drame social. Parallèlement aux divorces prononcés au tribunal, des centaines d’autres femmes sont répudiées par leurs maris sans autres formes de procès.
PR DJIBY DIAKHATE, SOCIOLOGUE «La crise économique a beaucoup contribué à la fragilisation des ménages»
Perte des valeurs
«Le mariage se heurte aujourd’hui à de sérieuses difficultés. Ces dernières années, on constate une flambée de divorces aussi bien en milieu urbain, périurbain que rural. Parce que nous avons un ensemble de facteurs qui expliquent ce phénomène qui constitue une préoccupation pour les populations. Le mariage disposait avant d’une durée de vie particulièrement appréciable. Les gens se mariaient pour le restant de leur vie. Le mariage était conçu comme une valeur à laquelle s’attachaient les parties prenantes. Que ce soit la famille de la femme ou de l’homme, elle s’adossait à des valeurs et posait des actes qui renforçaient les relations des deux familles. Il se trouve aujourd’hui que ces valeurs ont périclité les unes des autres. Il y a ensuite la crise économique. Celle-ci touche les ménages et fragilise la trésorerie familiale. Il y a une tension de trésorerie au sein de l’Etat mais aussi au sein des familles. Ce qui fait que face à un certain nombre de besoins exprimés, l’un ou l’autre conjoint, s’il n’a pas une réponse appropriée sur le plan financier, cela peut causer un certain nombre de problèmes au sein du couple ».
Infidélité
«Il y a aussi la jalousie. C’est un élément qui constitue un motif de divorce de plus en plus massif. Pour beaucoup de femmes, les hommes ne peuvent pas rester fidèles. Elles considèrent que leurs maris ont des maîtresses. Et le téléphone portable ne vient pas faciliter les choses. Dans certains cas, le mari peut soupçonner son épouse d’avoir un petit ami. Il y a aussi l’incompatibilité d’humeur. Les conjoints peuvent émarger à des registres émotionnels et principiels totalement différents. Le mari peut s’adonner à la piété en allant à la mosquée ou à des activités religieuses alors que sa femme qui est jeune veut sortir, aller au restaurant ou aller danser. Cela peut créer des difficultés dans les couples. Il faut ajouter l’influence nocive de l’environnement familial. Les sœurs, les frères, la belle-mère peuvent avoir une interférence nocive dans la vie du couple ».
Calculs
«Beaucoup de jeunes filles ont compris qu’en allant au tribunal, on peut bénéficier d’une part du salaire du mari. Il y a des calculs faits pour avoir des revenus. Ce n’est pas la majorité qui fonctionne ainsi. Mais il y a certaines femmes qui ciblent les hommes qui ont un certain positionnement socio-économique. Ainsi, beaucoup d’hommes vivent un véritable calvaire. Non seulement, ils ont été abandonnés par leurs femmes de façon inadmissible, mais elles arrivent à bénéficier de revenus tirés du salaire de leur mari. Aujourd’hui si nous voulons sauver la famille, il faut qu’on retourne aux valeurs. Si la famille est fragilisée, c’est la société qui risque d’être dans une situation de déliquescence. Et il ne risque que d’y rester la partie charnelle. Celle-ci ne peut aucunement permettre de construire une famille, une communauté, une Nation. Il est important et quelle que soit la situation pour entrer dans la modernité qu’on s’enracine dans nos valeurs».
IRAN NDAO, ISLAMOLOGUE «Quand on se marie pour des raisons matérielles ou charnelles, le divorce s’en suit»
«Dieu dit que s’il y a divorce, c’est parce que l’union n’est pas basée sur l’amour, l’entre-aide, la pitié et la tolérance. Les conjoints doivent pouvoir se supporter quelles que soient leurs incompréhensions. Ils doivent se compléter. Mais de nos jours, on se marie de plus en plus pour des raisons matérielles ou charnelles. On aime la femme parce qu’elle a des fesses, qu’elle est belle ou de teint clair. On ne cherche pas à savoir si elle est vertueuse ou pieuse. Des hommes cherchent des femmes aisées véhiculées qui ont leurs maisons ou qui sont entre deux avions du Sénégal vers les Usa, l’Italie, Dubaï et la Chine. Ils cherchent donc le confort et le bien être social auprès des femmes. On peut en dire autant pour les femmes. Ces unions ne peuvent durer. Les fidèles doivent se suffire à la Charia. Si le divorce est prononcé, la femme a la garde des enfants et l’homme les nourrit jusqu’à leur majorité (18 ans)».
«CETTE ANNÉE, LE TRIBUNAL ECCLESIASTIQUE A PRONONCE 45 ANNULATIONS DE MARIAGE»
Président de l’Union du Clergé Sénégalais, Abbé Alouise Sène dit le droit canonique au tribunal ecclésiastique interdiocésain sous la conduite du modérateur Monseigneur André Guèye, évêque de Thiès
Cheikh CAMARA, Correspondant permanent à Thiès |
Publication 22/08/2019
Président de l’Union du Clergé Sénégalais, Abbé Alouise Sène dit le droit canonique au tribunal ecclésiastique interdiocésain sous la conduite du modérateur Monseigneur André Guèye, évêque de Thiès.
Que signifie un tribunal ecclésiastique ?
C’est une instance, un lieu où on dit la justice en faveur des fidèles pour des causes spirituelles ou connexes.
Quels sont les types de conflit que vous jugez ?
La majorité des conflits, si on peut les appeler ainsi puisque nous les appelons les causes, sont souvent des causes liées au mariage. Il y a d’autres causes liées à des licenciements abusifs ou à des cas d’héritage. Mais si on prend les causes majeures ou de déclaration de nullité, souvent dans le civil et même au niveau de l’église on parle de divorce, de séparation ou d’annulation de mariage. Dans le (tribunal) civil, on parle surtout de divorce. Mais chez nous, le divorce n’existe pas. Au niveau de l’église un mariage célébré en bonne et due forme, personne ne peut le dissoudre. Même le Pape ne peut pas séparer ces deux personnes. En revanche, quand on parle de déclaration de nullité de mariage, c’est parce que le mariage a été célébré à l’insu d’un des contractants ou à l’insue du prêtre. Il peut y avoir un empêchement ou un vice de consentement sans que personne ne s’en rende compte. Et cela rend le mariage nul même si de bonne volonté, les deux pensent être dans un vrai mariage. Si les deux ont célébré un mariage qui a souffert de vices et décident de se séparer, c’est en ce moment que l’une des parties peut demander au tribunal ecclésiastique interdiocésain de se pencher sur le dossier pour voir si le mariage est valide. Si jamais à travers les enquêtes, les dépositions des témoins, à la lumière du droit, on se rend compte que durant la célébration de ce mariage, les conjoints n’étaient pas dans les dispositions, on délivre une sentence pour dire que ce mariage a été nul. Quand bien même, il y a une préparation avant la célébration du mariage qui se fait avec le prête. Mais il y a l’adage qui dit en mariage : trompe qui peut. Une femme peut savoir qu’elle est stérile, un homme impuissant, s’ils le cachent et que cela est découvert plus tard, on peut déclarer ce mariage nul basé sur le dol, c’est-à-dire tromper en vue d’obtenir une chose.
Combien de cas avez-vous enregistrés cette année ?
On a enregistré beaucoup de cas de séparation. De plus en plus, on en a parce que les chrétiens sont membres de la société. Et le mal qui gangrène la société gangrène notre communauté. Il y a aussi beaucoup de chrétiens qui opèrent le divorce au niveau civil. Et du coup, cela rejaillit chez nous. Parce qu’ils ont envie de reprendre leur place chez nous. Une fois que tu es marié à l’église, si tu divorces dans le civil et que tu te remaries, tu ne peux plus avoir la communion. Il y a des sanctions qui sont là. Pour se décharger de ce poids, certains font recours au tribunal interdiocésain pour voir si le premier mariage est valide ou pas. Il n’est pas dit que tous ceux qui introduisent des recours obtiennent gain de cause. Il y a des dossiers non recevables. Quand un mariage est valide dans l’église, les deux ont beau se séparer, personne ne peut le dissoudre. Les cas augmentent. L’année dernière, on a eu 38 cas. Cette année (2019), d’octobre à juin, on a 45 cas de séparation.
Quelles sont les causes de ces séparations ?
Il y a les difficultés conjoncturelles. Mais on n’est pas dans le registre d’incompatibilité d’humeur. C’est le fourre-tout dans le tribunal civil. Ce qui nous étonne de plus en plus, un phénomène social qui est là et que personne ne s’en rende compte. On voit que ceux qui sont à l’abri du besoin matériel ont des difficultés dans les ménages. Et c’est surtout en milieu urbain. Les problèmes ne se posent pas trop en milieu rural. Cela m’a fait réfléchir l’année dernière pour comprendre pourquoi ceux qui sont à l’abri du besoin ont des difficultés. J’ai constaté que ce sont des gens qui ne se voyaient pas beaucoup. Le matin Madame et Monsieur s’en vont de leurs côtés. Les enfants vont à l’école. Le soir, ils se retrouvent. Ils ne passent pas assez de temps ensemble à la maison pour causer de la vie, partager sur des projets communs. Pis, dans les milieux de travail, il y a un phénomène et on n’y prête pas attention. Il y a beaucoup de copinage. A l’heure de la pause, chaque groupe, par affinité, choisit son restaurant. Ces copinages, je les appelle des milieux de vulnérabilité. Dans les milieux de travail, on crée des associations. On organise des « yendous », des « xawarés », des sorties récréatives pendant que Monsieur n’en fait pas partie. Madame est là avec son groupe en « xawaré », Monsieur va ailleurs. Suite à la promiscuité dans ces groupes, il y a la précarité puisqu’on se taquine, on s’apprécie. Ce qu’on n’a pas à la maison, on le trouve ailleurs. On développe des relations qui pallient le manque dû à l’éloignement, la distance dans le couple. Cela crée beaucoup de dégâts dans les ménages. Cela crée des relations extraconjugales. Et il y en a beaucoup, beaucoup. Ces contacts créent beaucoup de relations extraconjugales. Il y a aussi le fait que de plus en plus, la spiritualité se dégrade. Que cela soit le musulman ou le chrétien, quel sens donne-t-il à sa foi, au sacré ?
Par Mohamed DIA
GRACE PRÉSIDENTIELLE EMPOISONNÉE ?
Purger dignement sa peine et sortir en héros ou bénéficier d’une grâce présidentielle qui peut être une stratégie perdante ? Seul Khalifa Sall pourra répondre à cette question
« L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère. » Thomas Sankara
Destin présidentiel
Accusé de blanchiment par le ministre de l’Intérieur du temps, Cheikh Tidiane Sy, Macky Sall est demandé de se présenter au commissariat central pour être placé en garde à vue. Cela a pris place deux mois après avoir démissionné du parti au pouvoir suite à son éviction de son poste de président de l’Assemblée nationale. Il ne serait plus en mesure de se présenter aux élections locales. Il fallait éliminer tous les opposants et le président Wade était le meilleur tacticien pour cela. Les premiers à être éliminés étaient naturellement les deux fils adoptifs, Seck et Sall.
Après avoir éliminé Seck, c’était au tour de Sall et ce dernier savait que ça n’allait pas être facile surtout avec le retour d’Idrissa Seck au PDS. Seul son destin l’a sauvé pour qu’il ne soit pas emprisonné. L’affaire s’était un peu calmé avec l’intervention du Khalife général des mourides au temps, feu Serigne Bara Mbacké. Serigne Abdou Lahad Mbacké, ancien ambassadeur et Madické Niang, étaient les médiateurs. Macky Sall, avait auparavant, déjà demandé une intercession auprès de feu Serigne Saliou pour une réconciliation avec le président Wade.
Le président Wade finira par le recevoir et il était convenu d’enterrer la hache de guerre. Ce sera avec l’aide de feu Serigne Bara Mbacké quand même que cela se passera et le chef du groupe parlementaire, Doudou Wade, annoncera la bonne nouvelle de réconciliation. Cependant, en bon tacticien et politicien, le président Wade ne respectera pas sa parole et en un temps record, l’article 62 de la Constitution sera amendé afin de raccourcir le mandat du président de l’Assemblée nationale.
À l’Assemblée nationale, sur 150 membres, on comptait 95 voix pour, 18 contre, 2 abstentions et 35 non-représentations et au Senat, sur les 100 membres 99 ont voté pour et un a voté contre. Cette stratégie du président Wade aurait-elle été utilisée par le président Sall pour écarter tous les redoutables adversaires politiques ?
Khalifa Sall
Le plus important était maintenant d’écarter l’opposant qui était le plus redoutable. Il faut noter que Khalifa Sall a remporté toutes les élections contre le régime de Macky Sall. Il a battu Aminata Touré, aux élections municipales, dans la localité de Grand-Yoff et avait même remporté les quinze communes sur les dix-neuf de Dakar.
Certes, je suis contre toute utilisation de deniers publics à des fins personnelles, mais nous serions tous d’accord de l’emprisonnement de l’ancien maire de Dakar, si l’appareil judiciaire fonctionnait normalement. Etant donné que la condamnation de l’ancien maire est exécutoire et définitive, une demande de grâce peut être introduite par lui, son avocat ou sa famille pour pouvoir bénéficier d’une liberté. Cinq ans de prison ferme et 5 millions de francs CFA d’amende pour détournement de deniers publics, l’ancien maire de Dakar est en train de purger sa peine avec dignité. On nous dit que si Khalifa introduit une demande de grâce, il pourrait bénéficier d’une liberté. C’est sûr que sa famille, ses amis, ses partisans veulent qu’il introduise une demande de grâce pour pouvoir être avec eux et se préparer aux prochains combats, mais est-ce que c’est la meilleure décision ?
Certes, la prison est dure, mais Dieu fait bien les choses et il ne se trompe jamais. Cela fait partie de son destin, mais nul ne sait dans quel but. Purger dignement sa peine et sortir en héros ou bénéficier d’une grâce présidentielle qui peut être une stratégie perdante ? Seul Khalifa Sall pourra répondre à cette question, car lui seul sait ce qu’il endure
Séparation des pouvoirs ?
L’appareil judiciaire ne marche pas correctement, car l’exécutif s’immisce dans le fonctionnement de la magistrature. Nous avons même assisté à la démission du juge Dème, qui accusait le président Sall de manipulation du Conseil supérieur de la magistrature. Qui contrôle le CSM contrôle le système judiciaire sénégalais. En tant que candidat, nous étions tous tombé sous le charme de la dénonciation de Macky Sall de l’implication des membres de famille du président Wade.
Hélas, son jeune frère fut nommé au poste le plus important de l’administration financière de l’Etat, avant que ce dernier ne démissionne, suite aux accusations de pots-de-vin reçus dans l’attribution de contrats pétroliers et gaziers. Son beau-frère est ministre et beaucoup de proches de son épouse, sont membres de conseils d’administration. Macky Sall, a-t-il fait du copier-coller de la stratégie du président Wade ou est-ce la seule manière de gouverner au Sénégal ? Aucun président n’a amené une touche différente à la manière de diriger le pays. Chaque président modifie la Constitution à sa guise, maintient le pouvoir judiciaire sous son contrôle et il s’assure que la presse est sous son contrôle ou saccagée.
Les forces de l’ordre sont toujours du camp du pouvoir et oublient la population. Chaque président qui vient au pouvoir s’enrichit et enrichit ses proches tout en appauvrissant le Sénégal et les Sénégalais. Chaque président nous dote d’infrastructures dont nous n’avons point besoin et nous endette, une dette que nous, pauvres Sénégalais, allons payer. Jusqu’à quand ?
Mohamed Dia est Consultant bancaire
VIDEO
LE FUTUR DE L'EUROPE SE JOUE EN AFRIQUE
En 2050, l'Afrique sera le continent le plus peuplé, avec plus de 2,48 milliards d'habitants, soit un doublement de sa population en 30 ans. Un pays comme le Niger va voir sa population passer de 21 à 68 millions d'habitants. Comment imaginer cet avenir ?
Entretien avec Christophe Prat, co-auteur, avec Jean-Luc Buchalet, de "Le futur de l'Europe se joue en Afrique", (éd. Eyrolles).
En 2050, l'Afrique sera le continent le plus peuplé, avec plus de 2,48 milliards d'habitants, soit un doublement de sa population en 30 ans. Un pays comme le Niger va voir sa population passer de 21 à 68 millions d'habitants. Comment imaginer l'avenir africain ? À un "afro-pessimisme" largement justifié - "il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas de routes, donc on ne peut rien faire" - a succédé un "afro-optimisme" souvent déconnecté des réalités : "il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas de routes, donc tout reste à faire et ceci constitue un réservoir de croissance fantastique."
L'enjeu est immense pour L'Europe, de plus en plus isolée face au duopole sino-américain. Alors que la Chine a durablement pris position en Afrique, l'Europe saura-t-elle accompagner le décollage africain, et trouver dans le continent un allié de poids sur la scène internationale ?
QUAND L’ADMINISTRATION VIOLE LA LOI
Après le consensus des parties prenantes au dialogue politique sur le report des Locales, le chef de l’Etat, parti en vacances, n’a toujours pas saisi l’Assemblée nationale pour demander la prorogation des mandats des élus locaux
Plusieurs jours après le consensus des parties prenantes au dialogue politique sur le report des Locales, le chef de l’Etat, parti en vacances, n’a toujours pas saisi l’Assemblée nationale pour demander la prorogation des mandats des élus locaux. Il en résulte qu’à ce jour, les textes encore en vigueur fixent lesdites élections au 1er décembre. Mais l’Administration, qui devait normalement en être aux opérations de parrainage jusqu’à ce que le report soit acté, somnole.
Loin du dialogue politique, le Parti démocratique sénégalais (Pds) semble bien suivre ce qui s’y trame. Alors qu’on n’a pas fini d’épiloguer sur les péripéties du report des élections locales qui devaient initialement être tenues au 1er décembre 2019, le Secrétaire général adjoint chargé des conflits dans ledit parti en remet une couche. S’exprimant, hier, à la présentation du recueil des contributions de la société civile, Doudou Wade déclare : “Pour moi, les élections, c’est toujours au 1er décembre. Rien ne l’a encore changé. Comme le disait le professeur (Ngouda Fall), tout à l’heure, un acte qui n’est pas signé n’est pas valable. Quand il n’est pas publié dans les circuits officiels, on ne peut pas l’imposer aux citoyens.
Dans ses prérogatives, le président de la République a pris la décision de reporter les élections pour le 1er décembre. Mais le ministère de l’Intérieur s’assoit sur la loi pour ne pas assurer les procédures qui doivent nous mener vers ces élections. C’est extrêmement grave.’’ Il faut dire que ces constats du responsable libéral n’ont pas eu d’écho favorable auprès du directeur de la Communication et de la Formation de la Direction générale des élections. Même si, sur le principe, ce dernier n’a pas remis en cause l’argumentaire de l’ancien député. Il lui rétorque de façon laconique : “Honorable, est-ce que vous vous êtes rendu dans une localité pour collecter des parrains et que des agents de l’Administration vous en ont empêché ?’’ Pour en savoir davantage, “EnQuête’’ l’a interpellé, en marge de la cérémonie, pour demander si les fiches de parrainage sont disponibles pour les partis politiques ? La réponse en rajoute à la confusion déjà abyssale. “Tout ce que je peux vous dire à ce propos, c’est que les acteurs se sont mis d’accord pour un report des élections’’, souligne-t-il, s’empressant de s’en aller. Pour l’ancien président du groupe parlementaire libéral, c’est ni plus ni moins qu’une violation de la loi. “On ne peut pas se baser sur la volonté de quelques acteurs pour stopper le processus. Non ! On doit continuer le processus jusqu’à ce que le président prenne la décision de reporter à nouveau.
Et si nous devons sortir de 2019, le président n’aura plus les prérogatives de le faire, puisqu’il s’agira alors de proroger le mandat. Et c’est l’Assemblée nationale qui est compétente’’. Babacar Fall, Secrétaire général du Groupe de recherches et d’appui à la démocratie participative et à la bonne gouvernance (Gradec), confirme : “En fait, la loi prévoit que les opérations devaient débuter 150 jours avant les élections, c’est-à-dire depuis que les arrêtés fixant la caution et le modèle de fiche de parrainage ont été publiés (ces arrêtés ont été rendus publics le 4 juillet dernier, Ndlr). Normalement donc, en ce moment, les acteurs devaient être au cœur des parrainages.’’ Ce qui est loin d’être le cas. En fait, depuis que l’intention de reporter le scrutin a été abordée dans le cadre du dialogue politique, même l’Administration, rompue à la tâche, semble ne plus savoir sur quel pied danser. N’est-ce pas une anomalie ? M. Fall évite de parler d’illégalité, mais insiste que c’est une situation confuse et inqualifiable. Comme Doudou Wade, il dit : “Aujourd’hui, rien ne dit au ministre d’arrêter le processus. On est dans une situation qu’on ne peut pas qualifier. Dans le principe, le report n’est pas acté, puisque aucun acte n’a été pris. Il doit y avoir normalement une loi prorogeant la durée des mandats des élus. C’est pourquoi d’ailleurs, dans le cadre du dialogue, les gens avaient mandaté le président Famara Ibrahima Sagna pour rencontrer le chef de l’Etat afin faire le nécessaire.’
Jurisprudence
Pourquoi donc ce dernier et sa majorité trainent encore les pieds ? En tout cas, du côté du Pds comme du côté de Pastef d’Ousmane Sonko, on persiste à dire niet au report. Mieux, certains semblent attendre avec impatience le décret portant report des élections pour pouvoir le porter devant les juridictions. D’ailleurs, une telle démarche ne serait pas dénuée de tout fondement juridique. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence récente, a eu à se prononcer contre la modification d’un mandat. C’était le cas, quand le président de la République l’avait saisi aux fins de diminuer son mandat. Les sages avaient invoqué la nécessaire sécurité juridique et la stabilité des institutions. “Considérant que la sécurité juridique et la stabilité des institutions inséparables de l’Etat de droit, dont le respect et la consolidation sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution’’, lit-on dans sa décision n°1/C/2016. Par-là, la haute juridiction avait clairement signifié au constituant qu’il ne devrait pouvoir ni proroger le mandat du président de la République ni le diminuer.
DE LA RÉCEPTION À LA MORGUE À LA LIVRAISON AU CIMÉTIERE
Saviez-vous qu’il existe des corps qui font près de six mois dans les morgues des hôpitaux ? On les appelle les «corps non identifiés». “EnQuête’’a essayé d’y voir plus loin
Saviez-vous qu’il existe des corps qui font près de six mois dans les morgues des hôpitaux ? On les appelle les “corps non identifiés’’. Non identifiables parce que leurs noms sont inconnus ou parce que leurs familles ne se sont jamais présentées pour les récupérer. Comment ces corps arrivent dans les morgues ? Sont-ils utilisés à d’autres fins ou s’ils sont inhumés ? Qui l’autorise et dans quelles conditions le sont-ils ? “EnQuête’’a essayé de creuser.
Les cadavres inconnus, ce sont le plus souvent des errants, des malades mentaux, des accidentés admis vivants ou après leur décès au niveau des hôpitaux, par le biais des sapeurs-pompiers. Parfois évacués avec leurs pièces d’identité, parfois non, ils sont déclarés ‘‘inconnus’’ par les responsables des morgues, si aucun membre de leurs familles ne s’est présenté, durant tout le temps légal de conservation des restes mortels. Passé ce délai, une procédure juridique est lancée pour les fins d’inhumation. Le procédé reste presque le même dans les hôpitaux de Dakar, lorsqu’il est admis qu’un corps est inconnu, après un dépôt ‘‘de par la loi’’. A l’hôpital Général de Grand-Yoff (Hoggy), quatre services coordonnent, de la réception à la livraison du mort, selon M. Diakité, le responsable de la morgue. ‘‘Dès que nous recevons le corps, nous prenons des clichés à chaud. Les photos seront envoyées au service de la communication. Passé le délai légal sans qu’une famille se présente, le service judiciaire entre en jeu. A la fin de la procédure, c’est le service d’hygiène qui se charge de l’inhumation’’.
En termes plus clairs, le Service social et de la communication de Hoggy se charge des communiqués de presse et de l’enquête sociale pour retrouver la famille du décédé. Passé le délai légal qui est de 45 jours, selon le chargé des affaires juridiques de l’hôpital, Mountaga Ndiaye, une lettre pour autorisation d’inhumation signée par le directeur est adressée au procureur de la République. ‘‘Nous saisissons le procureur de la République d’une lettre pour des fins d’inhumation. Celui-ci donne son autorisation, après s’être assuré de l’exactitude matérielle des faits, ce qu’on appelle les justificatifs nécessaires, c’est-à-dire l’autopsie, le certificat de genre de mort ou la réquisition de la police’’. Il ajoute que l’hôpital prévoit un budget pour les besoins du linceul, quand il s’agit des corps inconnus.
Des bénévoles au secours des hôpitaux… ignorés par l’autorité judiciaire
C’est donc à la suite de ce décaissement, par une procédure interne, que le service d’hygiène intervient. Mamadou Ndiaye, Chef de division de sécurité de l’hôpital, confirme que son personnel, aidé par le représentant de l’imam, s’occupe du rituel funéraire des corps inconnus jusqu’à leur livraison au cimetière musulman de Yoff par une ambulance de l’hôpital. A l’hôpital Principal de Dakar, en plus des communiqués par voie de presse, les agents de renseignement font des investigations pour retrouver les familles. La demande d’inhumation est faite au quatrième mois de conservation des corps à la morgue. Quant à leur prise en charge par l’hôpital, le responsable de la morgue, Coumba Ndoffène, apprend qu’‘‘antérieurement, il y avait des archives de paiement, mais depuis que l’association est là, elle prend en charge tous les frais (logistique, linceul). Elle vient en appoint avec ses propres moyens et ça nous soulage’’. Le major de la morgue du centre hospitalier universitaire de Fann abonde dans le même sens que son collègue : ‘‘Depuis que j’ai pris fonction (depuis cinq mois) l’Association pour la solidarité et la perfection s’en charge bénévolement. Elle vient avec ses véhicules et son matériel pour l’inhumation des corps.’’ Ladite association créée en 2012, sous l’autorisation de l’ex-procureur de la République Ousmane Diagne, a pour but de s’occuper de la toilette et de la prière mortuaires, et de l’enterrement des cadavres non-identifiés au Sénégal. Un statut que remet en cause l’actuel procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, qui déclare ne pas être informé de l’existence d’une telle association à Dakar, depuis sa prise de fonction en 2013. Si les différents hôpitaux, à Dakar, soutiennent prévoir un budget consacré à la prise en charge des dépouilles admises dans leur morgue, même avant l’arrivée de l’association, on ne pourrait pas dire de même pour les hôpitaux régionaux. Différentes sources révèlent qu’avant l’existence de l’association, c’étaient les responsables de morgue qui usaient de leurs propres moyens pour louer des voitures et engager de la main-d’œuvre pour l’enterrement. Ceci, face à la petite somme décaissée par l’administration de l’hôpital, la léthargie du service d’hygiène et les plaintes du personnel sanitaire quant à l’utilisation des ambulances pour acheminer des corps parfois putréfiés.
Ibrahima Diassé, gestionnaire du cimetière musulman de Yoff : ‘‘Les fosses communes sont légales.’’
Interpellés sur les conditions d’inhumation, devant les révélations de l’Association pour la solidarité et la perfection sur l’existence de fosses communes (voir interview), les responsables des morgues des hôpitaux s’accordent sur la même réponse : ‘‘La dignité humaine est respectée jusqu’au bout.’’ Quand Mountaga Ndiaye de Hoggy s’assure de recevoir ‘‘les immatriculations des corps enterrés pour remplir le dossier qui comportera et le numéro et l’endroit’’, Coumba Ndoffène de l’hôpital Principal atteste que les tombes sont individuelles, puisqu’il assiste aux inhumations. Mais il insiste sur un fait : ‘‘Je ne gère pas les cimetières. Quand je livre les corps, après la délivrance des permis d’inhumation par la mairie, j’y assiste uniquement pour vérifier que le nombre de corps que j’ai envoyés ont été bien enterrés. C’est pour le Pv de compte rendu adressé au procureur. Sinon, sur comment ils sont enterrés, ça ne relève pas de mon ressort.’’ En effet, normalement, c’est de la responsabilité d’Ibrahima Diassé, le gestionnaire du cimetière musulman de Yoff, où une parcelle est réservée aux non-identifiés. Mais lui aussi est tranché : ‘‘En tant que gestionnaire du cimetière, la seule chose que je vérifie, c’est le permis d’inhumation délivré par un officier d’état civil. Si la prière ou la toilette mortuaire ont été faites ou même si je vois un nom chrétien, ce n’est pas mon problème.’’ Selon lui, ‘‘les fosses communes sont légales et existent depuis 1974. Ce qui a changé avec l’association, c’est que nous avons convenu de mettre deux corps par tombe. Sinon, mettre 10 à 15 corps dans un même trou n’est point interdit’’. Il met tout sur le compte de l’entendement humain et les normes islamiques qui peuvent faire que certains soient choqués. Des propos que le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye a infirmé, après s’en être offusqué. ‘‘C’est quoi une fosse commune ? Le fait de mettre plusieurs corps dans un trou… Non ! Parce que cela existe au Sénégal ? Il n’y a aucune loi qui l’autorise, en ma connaissance, et je n’ai jamais été informé de ça’’.
La majorité des corps sont des mort-nés…
À l’hôpital Principal de Dakar, depuis 2018, ils ont recensé 40 cadavres non-identifiés dont 23 fœtus. C’est le même constat à l’hôpital Général de Grand-Yoff où sur 7 corps, 5 sont des mort-nés. Certains de ces bébés sont ramassés dans les dépotoirs comme Mbeubeuss ou sortis des fosses par les sapeurs-pompiers qui les acheminent au niveau des hôpitaux. Mais, parfois - et c’est le plus fréquent - ils sont abandonnés par leurs mères à l’hôpital, après accouchement. Dans certains hôpitaux, faute de quoi payer les frais d’hospitalisation, leurs mères s’enfuient. Mais, à l’hôpital Principal, M. Niang du service de la communication nous révèle que ‘‘les mamans laissent délibérément leurs bébés mort-nés à la maternité. On est donc tenu de les inhumer pour respecter la dignité humaine’’.
SERIGNE BASSIROU GUÈYE SUR L’AUTORISATION D’UTILISATION DES CORPS PAR LA MÉDECINE : «Que ceux qui disent que c’est le procureur montrent des preuves»
Dans la gestion des corps inconnus, il y a un autre aspect qui peut heurter les consciences : c’est l’utilisation des cadavres par les étudiants en médecine. Trois médecins à qui nous avons parlé affirment que ces pratiques existaient avec les ainés, mais qu’elles ne se font plus, pour des raisons d’éthique. Un autre médecin confie avoir lui-même fait de la pratique en anatomie avec un cadavre inconnu. C’était en 2009 et c’est le procureur qui avait donné l’autorisation. Mais il précise que le délai de conservation était bien respecté. Cependant, le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye juge l’acte illégal et parle d’une procédure interne entre les médecins, ce qui n’implique en rien la loi. ‘‘Que ceux qui disent que c’est le procureur qui autorise l’utilisation de ces corps par la médecine, montrent des preuves. C’est leur manège et c’est trop facile’’. A l’hôpital universitaire de Fann, le responsable de la morgue affirme, dans la même veine, qu’‘‘aucun cadavre n’a été donné à une quelconque personne pour ces genres de pratique’’. Quoiqu’il en soit, le sort des cadavres inconnus reste un sujet sensible aux dessous non encore dévoilés.
Les délais de conservation
Si les différents hôpitaux interpellés s’entendent sur une procédure théorique, qu’en est-il de son application ? A commencer par l’efficacité des communiqués de presse pour la recherche des familles. Car, si certains des responsables de morgue ont pu montrer des exemplaires de communiqués dans les journaux (“Sud quotidien’’ et l’’’As’’ datant de 2018) d’autres sont moins incisifs. Il y a aussi le temps légal de conservation qui diffère d’une morgue à l’autre, même si la loi ne fixe pas un délai précis, selon le procureur Serigne Bassirou Guèye. Ce dernier nous apprend qu’il ‘‘renvoie aux hôpitaux leurs demandes d’autorisation d’inhumation, si le délai est encore court et donc l’autorisation trop tôt’’. Et puis, enfin, les conditions d’inhumation. L’existence des fosses communes qui serait ignorée par les juridictions sénégalaises. En tout cas, s’ils ne tergiversent pas sur ces questions de fond, les responsables de morgue engagent la responsabilité de l’association qui n’est que bénévole et, pourrions-nous dire, juridiquement désuète, puisque méconnue par l’actuelle autorité. Sur la question de savoir comment les corps inconnus étaient inhumés dans le passé, la réponse reste unanime chez les concernés : ‘‘Je ne sais pas. Je n’ai aucune information là-dessus.’’
"JE N'AI PAS EU DE CHANCE PENDANT LA CAN "
Dans un entretien accordé au site officiel de son club, l’attaquant international adécliné ses ambitionspour le présent exercice,mais est aussi revenu sur la finale de la can 2019 perdue par le Sénégal contre l’algérie (1-0).
Buteur le week-end dernier lors de la victoire de Rennes sur le Paris Saint-germain (2-1), comptantpour ladeuxième journéede la Ligue1française, Mbaye Niang a bien lancé sa saison. Dans un entretien accordé au site officiel de son club, l’attaquant international adécliné ses ambitionspour le présent exercice,mais est aussi revenu sur la finale de la can 2019 perdue par le Sénégal contre l’algérie (1-0). Mbaye, vous avez vécu une belle soirée de football dimanche dernier contre le PSg. Ce sont des matchs que tout le monde aime regarder. On a montré que l’on mérite de jouer le dimanche à 21h devant la France entière. Il faut garder la tête sur les épaules. Ce n’est pas une finalité, on a juste battu une équipe.Il reste 36 matchs de championnat, ce sera très long. Il faut travailler dur pour s’améliorer chaque jour.
Peut-ondirequeRennes abien démarré sa saison ?
Deux matchs, deux victoires, c’est bien de commencer de cette manière. On a montré un bel état d’esprit, c’est intéressant. On savait que Montpellier pouvait être redoutable chez lui, avec un système difficile à contrôler. On a sufaire preuve de solidarité et faire
bloc dans les moments où on était en difficulté. Puis, on a préparé le match de Paris d’une manière qui a été respectée. Ce sont de bons résultats. Il faut s’en ser-
vir pour enchaîner, même si on sait que les équipes vont nous attendre un peu plus.
Une victoire face à Paris, c’est du bonus ? était-ce le bon moment pour les jouer ?
Ça ne veut rien dire.Il n’y a pas de bon moment pour les jouer. Ils ont gagné leur premier match 3-0.Contre Montpellier, c’était compliqué et ce sera le cas contre toutes les autres équipes. Après chaque match, il faut vite remettre la tête à l’endroit et se concentrer sur le prochain. On connaît nos qualités et on se concentre sur ce que le coach nous demande de faire.
vous vaez été le détonateur du retour de ton équipe di-manche. c’est bon pour la confiance personnelle?
C’estmonrôle.Jene l’aipas réussi à Montpellier, mais l’équipe est parvenue à gagner. Je suis très content d’avoir pu concrétiser cette action. Ça fait du bien à l’équipe et à moi-même. C’est la récompense du travail fourni sur le terrain. Si on continue à « bosser » pour le collectif, on récoltera ce que l’on mérite.
Pouvez-vous revenir sur ce but contre le PSg ?
À partir du moment où Hamari centre, je sais déjà où est le but. Je me suis concentré sur le contrôle. Je savais où je voulais la mettre. C’est le genre de geste que je travaille à l’entraînement. Ce sont des enchaînements compliqués à réaliser, car il faut bien contrôler le ballon et se retourner très vite. Ça a permis d’ouvrir mon compteur, mais surtout à l’équipe de revenir dans le match avant la pause.
il vous permet aussi de retrouver la confiance, après lacoupe d’afrique ?
Je n’ai pas eu de chance pendant la compétition. Dans le football, tous les attaquants connaissent une période où rien ne réussit. Le plus important est d’avoir foi en ses qualités.J’ai confiance en moi, je sais de quoi je suis capable.Des buts, je vais en mettre. À moi de rester concentré et d’essayer d’être le plus efficace possible.
que retenez-vous de la caN, avec la finale perdue contre l’algérie ?
Dans le football, il y a un gagnant et un perdant. Il faut accepter de perdre. C’est de l’expérience. J’avais envie de gagner. Mais il faut aussi féliciter l’Algérie et apprendre de l’aventure que l’on a vécue,pour espérer fairemieux la prochaine fois. J’ai emmagasiné de l’expérience. En tant qu’homme, ça m’a fait grandir. vous n’avez bénéficié que de deux semaines de vacances.
est-ce suffisant pour reposer les jambes ?
Ça va. Dimanche, j’ai fini un peu carbonisé. Mais c’était un match avec beaucoup d’intensité. Il faut le temps pour retrouver les sensations et la condition physique. Je ne suis pas encore à 100%. Piocher dans les dernières minutes est normal. En restant sur le terrainjusqu’au bout, j’ai voulu montrer que j’étais prêt mentalement à aider mon équipe jusqu’au bout pour prendre les trois points.
Les valeurs affichées la saison dernière semblent être intactes...Au-delà des qualités footballistiques de chacun, le club a gardé des joueurs concernés par le projet. C’est encourageant. On a un groupe qui vit bien. Il faut continuer, car on a de belles choses à vivre cette saison.
votreoptiond’achat a été levée en mai dernier.vous vous plaisez à Rennes ?
Je m’y sens bien. J’aitoujours déclaré me sentir très bien au Stade Rennais. Ça s’est concrétisé, mais cen’est pas une finensoi.Comme le club, j’ai des objectifs. Main dans la main, onva essayerd’aller le plus loin possible. On a une belle saison à vivre. On a un bon collectif. On a un bon coach, entouré d’un très bon staff. Je tiens à le souligner. Les collaborateurs font un travail exceptionnel et le Président met tout en œuvre pour que nous évoluions dans les meilleures conditions.C’est ce qui nous permet d’être meilleurs. Les joueurs s’épanouissent.
votre rôle de cadre prend de l’ampleur dans le vestiaire pour encadrer les jeunes ?
Je suis passé par là. Si je peux aider et montrer le bon exemple, je le ferai. Je serai là, même dans les moments délicats. J’aime les matchs à tension. Je ne suis pas seul. Il y a aussi Damien Da Silva, Romain Salin, Clément Grenier...Je prends ce rôle à cœur en gardantle sourire, dans la bonne humeur. Strasbourg est votre prochain adversaire. c’est une équipe difficile à manœuvrer à la Meinau...
C’est une très bonne équipe, avec des valeurs qui se rapprochent de notre philosophie. Ils ne lâchent jamais rien. À domicile, ils ont un très bon public. Il faudra être concentré, car ils sonttrès dangereux. Ils vont jouer jeudi en Eu-ropa League. Mais enchaîner tous les trois jours n’est pas un handicap. Cela permet de garder une certaine dynamique. On l’a bien vu la saison dernière.Je pars du principe que quand on est moins bien physiquement, on est deux fois plus concentré.
« NOUS AVONS INHUMÉ 800 CORPS INCONNUS, DE 2012 À NOS JOURS »
Mouhamed Guèye est le président de l’Association pour la solidarité et la perfection créée en 2012 pour l’inhumation des corps inconnus à Dakar et dans quelques régions.
Fosses communes, négligence des hôpitaux, irrespect de la dignité humaine, entre autres révélations, l’enseignant et prêcheur revient sur les motivations de ce bénévolat.
Qu’est-ce qui a motivé la création de l’association ?
En découvrant l’existence des fosses communes, je ne pouvais ne pas agir. Tout a commencé un dimanche, en 2011. J’étais dans une mosquée de la place en train de traduire le Coran en compagnie d’un groupe. Je suis tombé sur un verset qui dit que nulle âme ne sait quel sera son sort devant Dieu. Pour conforter ces propos divins, un homme âgé dans l’assemblée a fait un témoignage qui a choqué plus d’un. Il disait avoir assisté à un enterrement suspect et bizarre. Curieux, il avait demandé l’identité de ces personnes enterrées de façon inhumaine et la réponse avait été : ce sont des corps inconnus. Ce jour-là, on a pris la décision d’aller vérifier, et s’il avérait qu’il existait bel et bien des corps non identifiés mis sous terre dans ces conditions, nous allions prendre la responsabilité de nous en charger. Ainsi, j’ai commencé à creuser. Je suis allé d’abord au niveau des morgues des hôpitaux de Dakar. La réponse est restée la même : il y a bien des cadavres inconnus enterrés sans prière, ni toilette funéraire. Ensuite, je suis allé au cimetière de Yoff ; le gérant a confirmé qu’il pouvait recevoir jusqu’à 100 corps par mois. J’ai demandé qu’il m’appelle, afin que j’assiste à cet enterrement. Il a dit niet. Mais je suis resté opiniâtre. En rusant, j’ai eu la collaboration d’un autre responsable. J’ai attendu trois mois avant de recevoir son coup de fil. En trombe, je me suis rendu au cimetière, mais le spectacle était affreux : une ambulance chargée à ras-bord de corps, prête à se décharger dans un grand trou. L’un d’entre eux m’a interpellé pour me dire que personne n’était autorisé à assister à l’enterrement. Ce jour-là, ils m’ont malmené, ils m’ont brutalisé, mais j’ai résisté. J’ai été sauvé par le bruit qui attirait la curiosité des gens. Multipliant ma présence par zéro, ils ont commencé à jeter les corps enveloppés dans des sachets noirs dans le trou. J’ai pu en dénombrer 28, sans compter les bébés. Fini leur sale besogne, ils m’ont menacé, avant de partir. Nulle être humain ne mérite une fosse commune. C’est ce qui m’a motivé. Et, par la grâce de Dieu, de 2012 à nos jours, nous avons inhumé 800 corps inconnus à Dakar et dans quelques régions (Thiès, Saint-Louis Mbour, Diourbel, Louga).
Est-ce que l’association a un statut juridique ?
Bien sûr ! Après avoir assisté à cet enterrement inhumain, je suis allé voir le procureur de la République de l’époque, Ousmane Diagne. Il ignorait l’existence de telles ignominies dans ce pays. Il m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai fait savoir que je voulais avoir l’autorisation pour m’occuper de ces corps non identifiés. Il m’a demandé un récépissé venant du ministère de l’Intérieur. Je ne me suis pas fait prier. Mais, malheureusement, le dossier avait été rejeté pour non reconnaissance. Neuf mois après, j’ai été contacté pour m’entretenir avec le préfet. Une discussion très houleuse, puisqu’il refusait de comprendre. Après moult explications, il a accepté de faire le récépissé. Comme convenu, je suis parti le remettre au procureur. Ce même jour, il m’a donné une lettre adressée aux directeurs des différents hôpitaux de Dakar, lettre qui prouve que l’association a la légalité de s’occuper des corps. J’ai réussi à avoir ces mêmes lettres auprès des procureurs des autres régions.
Pour transporter les corps, il faut une voiture. Il faut acheter aussi le linceul. D’où tirez-vous vos revenus ?
Certes. Quand nous commencions ce travail, nous n’avions même pas de voiture pour transporter les corps. On adressait des lettres à différentes mairies pour la location des corbillards. Il est même arrivé qu’on loue des cars. Ce n’est qu’en 2015 que la fondation Servir le Sénégal nous a appelés pour offrir une L200. Par la suite, deux corbillards se sont ajoutés. Elle (la fondation) nous donne aussi le linceul. Il y a aussi d’autres bonnes volontés comme une grande dame à qui je donnais des cours. Sinon, ce sont les membres même de l’association qui déboursent, selon leurs maigres moyens. Mis à part cela, je précise qu’on ne reçoit l’aide de personne, ni autorités religieuses encore moins étatiques.
Comment reconnaissez-vous le défunt chrétien du musulman pour le rituel funéraire ?
De tous les noms qui ont été connus, il n’y a jamais eu de nom chrétien. Là, les choses sont plus simples. Donc, quand il n’y a pas de nom, beaucoup de facteurs vont intervenir. Premièrement, le Sénégal est un pays à 95 % de musulmans. Deuxièmement, à chaque enterrement, on peut avoir cinq musulmans dans le lot. Enfin, et surtout, je me base sur les préceptes de l’islam. Donc, même s’il y a des chrétiens parmi les musulmans, notre intention est bonne. Et Dieu saura reconnaitre qui est qui. Je pense que c’est mieux que l’ancienne pratique (fosse commune).
Est-il arrive qu’une famille se présente après un enterrement ?
C’est arrivé plus d’une fois. Quatre fois à Thiès. Mais elles sont toujours satisfaites. Elles nous remercient et formulent des prières à notre endroit. Une fois, on était sur le point de faire la prière d’un corps et la famille s’est pointée. Après les remerciements, ils ont récupéré leur corps pour l’amener à Touba. Dieu est grand. Il n’y a jamais eu des problèmes de ce genre.
Pouvez-vous nous dire quelle est la tranche d’âge pour les corps que vous recevez ?
Déjà, on reçoit tous types de corps ; ceux qui ont fait un accident, une noyade, des sans-abris, des étrangers. Très souvent, ce sont des personnes de plus de 40 ans. Et sur 20 personnes, il n’y a que deux femmes. Les bébés aussi sont très fréquents. Et le plus souvent, ce sont des mères qui accouchent, n’ayant pas quoi payer, et surtout sachant qu’elles ont mis au monde des mort-nés, s’enfuient. J’en ai eu ce cas-là. Il s’agissait de jumeaux.
En évoquant la noyade et l’accident de la route, vous faites allusion au genre de mort. D’où tirez-vous ces informations ?
Parfois, ce sont les gens de l’hôpital qui me le disent, surtout dans le cas des noyades. Mais nous-mêmes pouvons deviner la cause du décès, par l’état du corps. Certains sont carrément défaits. Et dans ces situations, il est impossible de faire la toilette mortuaire et l’utilisation du sachet est presque indispensable pour recoller les morceaux. J’insiste, on reçoit tous types de corps.
QUAND LE BENEVOLAT COMBAT LA DESACRALISATION
Sollicitée pour la énième fois par l’hôpital régional de Thiès, l’Association pour la solidarité et la perfection, qui s’occupe des corps inconnus au Sénégal, s’est déplacée, ce dimanche, pour l’enterrement de trois corps non identifiés.
Sollicitée pour la énième fois par l’hôpital régional de Thiès, l’Association pour la solidarité et la perfection, qui s’occupe des corps inconnus au Sénégal, s’est déplacée, ce dimanche, pour l’enterrement de trois corps non identifiés. “EnQuête’’ a accompagné ce groupe de bonnes volontés, de la morgue au cimetière musulman Bakhiya de Thiès
Les corps de deux hommes et une femme séjournaient depuis janvier dernier à la morgue de l’hôpital régional de Thiès. Trois corps inconnus, comme le nombre des membres de l’association venus, ce matin de dimanche 28 juillet 2019, s’occuper du rituel funéraire.
Dans le hall de la morgue, un homme attire l’attention. L’on ne saurait deviner que dans le sachet jaune jalousement niché entre ses mains, se trouve un mort-né. Avant qu’il ne lâche : ’’Oustaz, faites la prière funéraire pour mon bébé. Je suis pressé.’’ Mais sous ces mots dits avec désinvolte par le père de famille, se cache une amertume non dévoilée. La prière finie, il quitte l’endroit funèbre qui lui a pris, non sans crier gare, son petit enfant. Derrière lui, le silence est presque assourdissant, plus perturbant même que le bruit des brancards trainés par les laveurs mortuaires. En cette matinée dominicale, la morgue de l’hôpital régional de Thiès est presque vide.
Mouhamed Guèye dit “Oustaz’’, le président de l’association, et son équipe remplacent les nombreuses familles qui encombrent d’habitude ce lieu tant redouté. Il se trouve que ces morts n’ont pas de famille, du moins, leurs familles ne se sont jamais présentées, depuis leur admission à l’hôpital. Pourtant, selon le responsable de la morgue, Abdou Diack, ‘‘la défunte, qui était une malade mentale, heurtée par une voiture, a fait près de six mois dans le frigo.
Les deux autres hommes y ont séjourné plus de trois mois’’. Trois corps, trop peu, aux yeux de Mouhamed Guèye qui a l’habitude d’en avoir jusqu’à une cinquantaine. Mais il avoue que ce nombre reste récurrent au niveau des régions. Vers 10 h, l’un des deux laveurs de l’association, Oumar Camara, vient de finir la première toilette. Il accepte de témoigner, tout en se dévêtant de son déguisement de circonstance : ‘‘Je suis professeur en histoire et géographie. Je suis dans l’association depuis sa création. Et, en tant que musulman, c’est mon devoir de servir dans ce groupe créé dans le seul but de complaire à Dieu. D’habitude, je ne fais pas de toilette mortuaire, mais puisque nous ne sommes que trois aujourd’hui, je m’y suis mis.’’ Cinq personnes au total au secours de ces trois cadavres qui ne seront revus par les leurs. Cinq, si on compte les deux femmes bénévoles sollicitées pour la toilette de la défunte qui, d’ailleurs, s’y connaissent. La preuve, elles n’ont pas perdu de temps avec celle dont le nom ne sera jamais connu. A présent, trois brancards ornent le sol. Les trois corps sont drapés dans un tissu blanc, bien ligotés selon les recommandations divines.
Impossible de reconnaitre le sexe, malgré les formes, mais l’âge de l’un est vite deviné : c’est un jeune garçon. La prière, qui n’a duré que des secondes, a vu venir un peu de monde. Lequel s’est substitué aux familles respectives des défunts qui devaient les accompagner dans leur dernière demeure. Ce sont certainement ces pensées qui traversent l’esprit de cette bonne dame, vu l’expression de son visage, au passage du convoi funéraire devant sa petite table de commerçante. Bien que vivant aux alentours du cimetière, cette scène ne doit point être habituelle.
Les cadavres sont d’habitude discrètement mis dans des cercueils et, dans les cas les moins modestes, un corbillard est dépêché, mais jamais laissés à découvert dans la malle de cette L200 qui les transporte à cet instant. Aujourd’hui, toute “mystériosité’’ de la mort s’est envolée, laissant place à une banalité jamais égalée. Mais il faut, d’emblée, lever toute équivoque : ceux-là sont des inconnus, rien n’est protocolaire. Mais la flagrance heurte la sensibilité des plus faibles. Comme celle de cet homme rouspéteur : ‘‘Mais ce n’est pas respectueux ! Ils auraient dû les couvrir, ne serait-ce que pour ces petits enfants.’’
Les chérubins, ne se doutant guère des plaintes de leur avocat, courent dans tous les sens. Impossible de les chasser du cimetière musulman Bakhiya, en ce jour de désherbage. Ils sont victimes de leur innocence, pendant que leurs ainés, avertis, souffrent de cette scène horrible. Mais comme pour répondre aux multiples interrogations intérieures des riverains de ce quartier, un homme sorti de nulle part se fait entendre à qui le veut, grâce à son haut-parleur. Après un monologue dithyrambique à l’endroit de l’association, il lance une exhortation concernant la numérotation des tombes pour inconnus. Car, selon le responsable du cimetière, ‘‘s’il n’y pas de noms, il doit y avoir impérativement des numéros pour faciliter l’identification. C’est pour quand une famille se présente, après l’enterrement, qu’on puisse lui montrer la tombe’’.
Pourtant, dans la partie réservée aux non identifiés, il n’y a que deux tombes qui ont des numéros visibles ; le reste des tombes ne pouvant être dissociables du sol inoccupé. Mais, il y a pire : pendant que les pelletées de sable recouvrent les trois corps fraichement sortis de la morgue, rien ne semble se passer dans le cimetière. Le désintéressement est à son summum. L’enterrement perd toute sa sacralité, en l’absence de reconnaissance. L’endroit grouille de monde, mais ils sont plus occupés à nettoyer les autres tombes identifiables, grâce à leur plaque funéraire, que de prêter attention au petit groupe à l’autre bout.
L’enterrement terminé, les mousquetaires sont vite retournés sur leurs pas. Ils viennent d’accomplir ce pour quoi ils avaient été appelés. Derrière eux, une population reconnaissante se rappelle un cas qui s’était passé, avant l’arrivée de ces bonnes volontés : ‘‘En creusant un jour, on est tombé sur une montre et un pantalon, dans la poche duquel se trouvait une pièce d’identité. Son propriétaire a été enterré, ici il y a treize ans, avec ses vêtements, parce que certainement son corps s’était déjà décomposé. Et on a su par la suite qu’il habitait à Diakhaw (quartier de Thiès).’’ Un détail qui informe sur les conditions des inconnus, avant l’arrivée de l’association. Mais, hélas, ceux qui ont quitté ce bas-monde sont plus proches de la vérité…